Entrée
Aux Brotteaux, le rendez-vous – plein soleil estival en fer blanc. Nous nous dirigeons, sous la pesante chaleur, vers la rue Cuvier. Passé ce charmant bar, L’Horloge, dans une petite maison en coin avec grande horloge ronde en enseigne, le restaurant loge à l’angle, rideaux blancs tendus. 2 ans que Christophe Roure, né à Craponne sur Arzon en 1970 et meilleur ouvrier de France 2007, a quitté en juin 2014 Saint-Just-Saint-Rambert dans la Loire, habité pendant 11 ans, au profit de Lyon. La gentille femme de Christophe Roure, maîtresse de céans, nous accueille chez elle dans une petite entrée qui comprend également les discrètes toilettes derrière le mur décoré de panneaux de bois clairs. Une fenêtrette rectangulaire offre la rutilante cuisine au regard pour qui prend la peine : nous pouvons admirer un appareil vert oblong en fonte finement bosselé sur le dessus, une marque américaine achetée à un chef australien, servant à griller au feu de bois, au charbon donc, la viande, dont le bœuf wagyu « blackmore » (45 mn de préparation), agrémenté de céleri boule en croûte de sel et poudre de menthe (80 €). Une fine sculpture en métal à la Giacometti pour tous, représentant un couple, les Roure, surélevé, avec enfant unique, trône derrière le siège avec sa tige latérale. Touche sentimentale. Sur le comptoir, Les toques lyonnaises 2016 et Les grandes tables du monde 2016 avec coq de Cocteau, démultiplié sur le plat de la carte, en première de couverture que Roure vient de rejoindre cette année.
Pré Salle
De nombreux exemplaires du livre de Christophe Roure trônent. La salle est petite avec une petite dizaine de tables rondes grand maximum. Peu de monde en ce début de mois d’août : deux jeunes couples dont une grande belle fille brune à robe rouge trop bronzée avec traces disgracieuses de lunettes sur le visage ; trois japonais, dont une élégante femme vêtue de noir, cuisiniers avec col révélateur et force photos à l’aide du portable après avoir visité la cuisine, élèves dont un avec le talentueux maître Tsuyoshi Arai du prometteur 14 février ; un dîner d’affaire rondement mené avec un type à air de caillera, dossier, voire tablette, en main. Le décor est minimal avec sièges verts, comme la couleur de la note, entre design danois des années 70, auquel ma nouvelle chemise Heintze en light blue de chez Bruun & Stengade rend par hasard hommage, et Roche Bobois, centres de table en pierre de Volvic, cube creux opaque recouvert, alternativement avec du fin gazon, abat-jours en papier calque jaune épais suspendus, mes nombreuses miettes qui s’étalent sur le tapis noir, un panneau avec blanches fentes abstraites laissant lointainement songer à Lucio Fontana. Les teintes claires en dégradé sont cosy ou zen, au choix. Le discret point de service est en milieu de salle avec coffret en bois à boissons intégré. Le service est discret mais présent, la discussion épiée. Les couverts Cauzon au design épuré laissent parfois place à un couteau Thiers quand point la viande. Le petit pain tendre parsemé de céréales sur la croûte, rond coupé en 4, est déposé sur un reposoir en liège. Sur un idem plus petit, la part individuelle peut y siéger : jamais le pain ne touche la table, attention rare et délicate.
Les fines gueules s’amusent
L’option apéro : un Sanbittèr de San Pellegrino avec une rondelle d’orange et des glaçons. Nous accueille un sablé breton au parmesan surmonté de chèvre avec une fleur d’ail violette. Au-dessus, comme un Calder, la boule blanche de tomate suspendue dans son émulsion, parsemée de pavot, est piquée par le pédoncule d’origine non comestible, est-il précisé.
Une sardine au citron vert est faufilée dans une pâte légère soufflée où le paprika peut rester sur les mains. La note fraîcheur approche avec une soupe rosâtre à la grecque, comme un tsatsiki mais sans concombre, rehaussée de vinaigre balsamique et de coriandre. Suit l’incroyable œuf de caille mollet, au pain de mie avec contours frottés au lard de Colonata, fondant dans la bouche. A manger en une seule bouchée, est-il explicitement mentionné.
Après un long moment de choix sur le menu vert argenté avec CR en inclusion et filigrane, allongé par la discussion entre bavards, nous optons pour la formule 3 plats (112 €) et apprenons que la dulse (dentelles de Saint-Pierre sur une crème de haddock, dulse et cœur de palmier frais, 47 €) est une algue. Mon hôte opte pour un Croze Hermitage blanc Entrefaux (2014, 12 € au verre). Ayant marre du Croze, bon vin voisin, ma foi, le blanc favorisant la goutte, ma tendance se porte non sur un pinot noir d’un Sancerre rouge Pré Semelé (2014) mais sur un Bourgogne, un peu jeune, semble-t-il (2014). De l’eau plate Cryo servira à mettre de l’eau dans le vin.
Entrée (38 €) : hey Judd !
Foie chaud et fève de tonka au melon anisé avec jus de carotte acide ? Royale de tourteau, râpé de poutargue et pois gourmands ? L’entrée démarre très fort avec un thon rouge grillé (snacké puis refroidi : impression délicieuse de légère chaleur saisie) sur rafraîchi de tomates, dont la cœur de bœuf, avec œufs de homards, qui « m’a tuer » tant ils sont savoureux, fleur de fenouil pour le goût anisé, fleur de coriandre (j’adore !), un bout de pastèque en cube et une demi fraise, le tout sur un étonnant jus de langoustine gélifiée, avec des copeaux de raifort, pas si fort, traversé par un trait d’huile d’olive. La mer est déclinée de façon originale. Difficile de briser cette installation minimaliste à la Donald Judd, surtout pour l’hôte avec une robe Mondrian. Les buildings et gratte-ciels de saveurs et couleurs rouges, où transparaissent des fleurs comme dans la Città ideale (Laurana, Della Francesca) inspirant De Chirico, glissent sous le palais avec le croquant frais de la pastèque, rouge comme une gencive.
Poisson (47 €)
Nous aurions pu choisir la grosse langoustine laquée au curcuma, pousses d’épinard à la crème ou les dentelles de Saint-Pierre. Finalement ce sera le ragoût de coquillages (couteau, moule de Bouchot, huître de Gillardeau, etc.) et girolles ainsi que truffes d’été d’Australie, parfumé à la citronnelle et gingembre frais, avec une exquise salicorne, avec sa texture grasse amusante, pas tant iodée, le tout rehaussé d’une hollandaise au siphon. Ainsi font. Les lamelles (truffes, girolles en accord terre/mer) suggèrent les vagues. Présence d’Hokusai revisité par Van Gogh.
Viande (47 €)
Curieuse cette habitude gastronomique à l’égard du pigeon – une viande fine et tendre, il est vrai : pigeon aux betteraves acidulées, la cuisse confite en pastilla, jus de mûr, marmelade d’orange amère. Caltez volailles, notre attention se portera sur l’épaule nord d’agneau allaiton d’Aveyron confite, sise sur l’os, avec chips et fleur d’ail, accompagné de sa sauce marron opaque – qui faillit être l’objet d’incident diplomatique jusqu’à faire sortir un langage peu châtié au serveur blond, qui se ronge les ongles et lance des regards d’aigle sur la descente de plat, tant il a évité de peu de la recevoir par la boutonneuse serveuse aux yeux marrons en amande – et d’une baguette frite ou pain fin sans beurre, avec une caponata d’aubergines (attention, c’est chaud, est-il énoncé avec précaution !), tomates et olives, avec force couleurs vertes-noires, telle une création de sable d’indiens d’Amérique Opi, dans une immense éprouvette. Le petit Colorado d’Apte n’est pas loin. Si l’agneau est délicieux, songeant à celui servi à Aix-en-Provence, il n’arrive pas au niveau de celui fondant, cuit en son foin, servi au Président chinois à Lyon, de Jean-Christophe Ansanay-Alex en sa petite auberge de l’île, héritée de ses parents, de grande qualité.
Fromage blanc pour elle ; Saint-Marcellin, fromage de Condrieu, Comté, un fromage anglais, entre autres, pour moi. Classique.
Solaire dessert (23 €)
L’avant-dessert se compose d’une pâte de fruit framboise, d’une arquebuse, figée comme confite, comme un bijou ou cactus avec paillettes de sucre, une pâte feuilletée à la vanille, une tartelette minuscule au citron meringué qui augure de la suite.
C’est ici que nous divergeons. La promenade dans le verger autour de l’abricot et de l’amande est repoussée à plus tard. Mon hôte, qui le regrettera malgré sa détestation de l’agrume et son absence de passion pour le chocolat, se précipitera de dépit sur le palet chocolat et caramel gouleyant « manatée noir de Weiss », rafraîchi d’un sorbet chocolat. Un vrai jeu subtil sur les diverses palettes de chocolat déclinées en différentes textures (glace, liquide, solide).
Là, l’œuvre incroyable, en notes jaune années 70, arrive : une petite tarte au citron meringuée déstructurée, cul par-dessus tête, mise sous cloche en esthétique manga Akira ou igloo de Mario Merz en arte povera, selon sa culture, avec du citron glacé rafraîchissant en un tube fin éloigné qui se brise de façon exquise sous la dent à vous déclencher une injection de dopamine ou de sérotonine. Le tout est disposé sur un miroir. Une véritable installation d’art contemporain à la Louise Bourgeois où l’enfance se libère sur le canapé du psy à l’aune du soleil de summertime. Un chef d’œuvre de dessert qui m’étonne et me ravit plus que la sculpture chocolatée land art, Richard Serra, d’Anne-Sophie Pic.
Des madeleines au citron et au fruit rouge attendent d’être saisies dans une panière en fin grillage, digne d’Amfitheatrof (Alessi). Sur un petit boîtier noir, sont présentées des mignardises avec une légende : pâte de fruit au mara des bois, un caramel au yuzu (le fort et subtil agrume nippon devient à la mode en gastronomie pour notre plus grand plaisir), une tartelette à lunette de framboise qui remémore l’enfance ; puis un partenariat avec le chocolatier Philippe Bel (rue Tupin) est souligné pour la sphère en chocolat avec caramel passion semi-liquide et un chocolat noir ganache VEP.
Quasi premiers arrivés, derniers partis. Les chefs japonais, enchantés, reçoivent les cadeaux de bonne grâce, le livre de Christophe Roure, et posent avec la maîtresse de céans devant le portable. Le chef, Christophe Roure, qui a également donné des master class au Japon, n’a pu être présent en salle car, malheureusement, en représentation ailleurs.
Ce qui marque, c’est le travail sur les saveurs acides, la trace de la matière première (l’os, le floral, le pédoncule de tomate, etc.), le souci de la nature (les fleurs pour leur goût et leur couleur) et un souci esthétique incontestable qui croise, par intuition, l’art contemporain minimal. Deux étoiles, récupérées cette année, bien méritées.
Nous sirotons menthe à l’eau et jus de fruit devant canards et canetons au bord du lac du Parc de la Tête d’or après avoir rencontré des personnes jouant avec leur portable à Pokemon Go. A cause de ce jeu débile conseillé par la Ministre de la Santé (« manger, bouger »), des gens se sont jetés dans le lac ; l’île aux souvenirs a dû être fermée.