Vanités

Mi-figue mi-raisin

     Enfin une exposition digne de ce nom au Musée des Beaux-arts de Lyon, même si elle ne tient pas toutes ses promesses. C’est le résultat de la création du nouveau pôle des Musées d’art de Lyon, bien après celui de Marseille : le musée sus-cité ainsi que le MAC et même une timide percée du Musée des Confluences, bien à part. Dommage que la magnifique vanité gore du XVIe de J. Ligozzi (1549-1627) du Musée d’histoire de la Médecine et de la Pharmacie à Lyon 1 n’y figure point. « A la mort, à la vie. Vanités d’hier et d’aujourd’hui » : curieux thème, très classique, tout de même en pleine 5e vague de pandémie de Covid incitant à d’autres rêves. Si la scénographie de Flavio Bonuccelli est traditionnelle, il est dommage que les symboles des vanités décrits sur un mur (sablier, montre ; miroir, instruments de musique, livre ; papillon, mouche et autres bestioles ; crâne ; chandelle, fumée ; fleurs, écorces de citron ; bulle de savon, etc.) n’aient pas servi de fond global de l’exposition comme un papier peint décliné tout du long, peut-être à cause d’un manque de moyens flagrant.

Une dure entrée en matière

     Les danses macabres sont plus illustrées par des œuvres contemporaines que par des classiques (1848, 14-18). Aussi, d’atroces crobars d’Errò en début de carrière accueillent le visiteur, échaudé, ainsi qu’une œuvre mixte d’une laideur sans nom d’Armand Avril, avec des éléments récupérés, en résonance avec sa collection de sculptures du Nigéria de la seconde moitié du XXe siècle, déposée au Musée des Confluences (quid de la  restitution des œuvres au pays d’origine ?). Ce sera la seule référence à l’extérieur – rien sur l’art mexicain ou autre. Faire plaisir au dépositaire n’offre pas de joie au visiteur. Evidemment de magnifiques gravures au burin de Pencz (XVIe) mais Holbein, Dürer manquent cruellement, même si la peste, pandémie d’un autre temps, est mentionnée : par manque d’argent (les assurances notamment), aucun prêt de musées étrangers n’est à constater. C’est donc une exposition rustine où les trous sont bien bouchés, comme pour la décevante exposition Matisse, mais l’œil averti est alerté. Les âges de la vie sont illustrés par des œuvres placées au forceps : un bel Intérieur de savetier de Schaeck, une Femme âgée avec un livre dans un intérieur (1620-30) de Gerritz Pot. La gravure avec les Parques est plus pertinente donc convaincante. Dans une pièce à part, avec un avertissement bienvenu sur le fait que les images peuvent choquer, de belles photos Faces (1985-88) de Bazin sur des personnes de tous âges sur le point de mourir. De quoi avoir froid dans le dos. Vraiment très dur avec la souffrance tordant les visages, des enfants dont des bébés, surtout en début d’exposition. La mort est vue d’en face. Se récupérer avec une installation en boyaux de bêtes ?

Haut bas fragile

     La section Fragile jeunesse offre de curieuses œuvres : l’incroyable Monogrammiste M, Lucas de Leyde, ou l’eau-forte de Rembrandt, bien connue quoique très petite, La jeune fille et la mort de Frénet (1840-50) et une œuvre contemporaine passable, sans Schubert en bande-son mais évoqué. Une superbe œuvre des toujours étonnants Gilbert & George de 15 photos en noir et blanc assemblées, Cemetery youth (1980) laissant songer au best-seller Dance on my grave d’A. Chambers qui a inspiré Eté 85 d’Ozon. L’omniprésente et lassante théorie du genre est martelée avec des dessins maladroits sur un enfant qui s’interroge sur le sexe à choisir : les effets de mode commencent à devenir un diktat insupportable où le visiteur est pris en otage. Stop !

Eclectique Ecclésiaste

     Titre inévitable et attendu d’après L’Ecclésiaste : Vanités des Vanités. Bien qu’organiques, les sculptures d’Etienne-Martin, qui fit l’objet d’une exposition au Musée des Beaux-arts, rebutent malgré leur lointaine inspiration d’art océanien. L’un des joyaux du Musée des Beaux-arts, qui justifie l’exposition, c’est la Vanité, somme toute classique sans arriver à une émotion émanant de peintures flamandes, de Simon Renard de Saint André (c. 1650). Nous tournons autour de l’incroyable installation d’Erik Dietman qui n’est pas sans poser des questionnements éthiques à cause de crânes humains sachant que nombre de musées de médecine sont malheureusement obligés de fermer à cause des restes humains, nécessaires pour la pédagogie et l’enseignement. Au passage, aucun crâne de phrénologie, de Gall notamment, avec inscriptions dessus pour délimiter les zones alors qu’il en existe plusieurs au Musée d’histoire de la Médecine et de la Pharmacie à Lyon 1, le peu connu Musée Lombroso n’étant pas loin à Turin … Les révélations de l’exposition proviennent de collections particulières : l’œuvre magnifique de P. Cognée – justifiant à elle seule cette exposition, il faut prendre son plaisir, rare, là où il est – à partir de cire, jouant sur la disparition, Jim Din également dans un autre genre.

Un thème original

« Erudition : poussière tombant d’un livre dans un crâne vide. » (A. Bierce, Dictionnaire du diable). D’où la vanité des arts et des savoirs où « Il n’est rien de plus vain que de savoir beaucoup » selon l’humaniste Erasme, phrase qui résonne tout de même étrangement en ces temps de complotismes et de populismes. Deux tableaux exposés de façon permanente justifient également l’exposition : La Vanité de Picasso (1946), un dépôt du Musée Picasso à l’hôtel Salé, certainement pas son œuvre majeure mais pas inintéressante (penser aux fêtes de la mort au Mexique), et l’incroyable Les mangeurs de Ricotta de Campi (1580) laissant songer à Bruegel puis Le Nain, dont la présence ici est tirée par les cheveux, l’argumentaire reposant sur une mouche, la ricotta qui serait en forme de crâne (?) et le peintre qui serait représenté en Démocrite. Profitons-en pour remarquer que les textes explicatifs sont souvent répétitifs, notamment dans l’explicitation des symboles de vanités, les anciens cartels ayant été recyclés, les récents étant calqués dessus.

Acmé raté

La grande pièce, où les expositions décollent en général pour susciter l’admiration, déçoit nettement. Méditations est l’occasion de présenter des œuvres d’un style pompier dont Saint Jérôme – tout de même patron des bibliothécaires, ce qui n’est jamais mentionné – et Marie-Madeleine. Le thème est tiré ici aussi par les cheveux ; le gigantisme des formats n’est pas gage de qualité.

Sas moyennement sensass

A l’étage, Des plaisirs qui partent en fumée. Nous passons des bulles, occasion de peintures flamandes délicates, aux volutes de tabac dont il n’est pas indiqué qu’il avait à l’époque une vertu médicale et aidait même les noyés à revenir à la vie, soit les débuts étonnants de la réanimation au XVIIIe. C’est tout de même l’occasion de revoir le génial et drolatique Teniers II dit Le Jeune dont le permanent Joueurs de trictrac (XVIIe) et la réjouissante caricature avec singes et chat, même si c’est une copie sur gravure. Van Ostade, Brouwer.

L’absente de tous bouquets est classique, sans relief (de Hamilton, van Dael), Chardin manque alors qu’une magnifique nature morte réside dans les collections permanentes. Les personnes âgées, amoureuses de leur jardin, s’y retrouveront en picorant de la beauté dans cette ambiance de mort peu rassurante.

Après la flore, la faune : Le miroir animal on est mal. Le coq et le Lièvre de Berjon (XIXe), les Deux perdrix de Dubourg sont sans intérêt. Un atroce singe de cirque contemporain, ni fait ni à faire. Le Gigot d’Isabey étonne par sa modernité toute cézanienne. L’inévitable et permanent Carcasse de viande et oiseau de proie (1980) de Bacon, donné par Delubac – objet de la dernière grande et belle expo du monde d’avant -, impressionnante peinture semblant toutefois inachevée par surplus de dessin, n’est pas le meilleur Bacon. La photo du daim de Poitevin – artiste qui sera l’objet d’une expo ici en 2022 – est belle mais très dérangeante, surtout avec l’émergence bienvenu de la condition animale. L’animal semble en train de mourir sous nos yeux, ce qui est insupportable (Léautaud et Fallet s’en retournent dans leur tombe, pour rester dans le sujet). L’œuvre – installation – du protéiforme Bruce Nauman, à partir de mannequins désarticulés utilisés pour composer des animaux empaillés, intrigue par son hybridité. La fin de l’expo laisse un goût amer. Longtemps exposé, le fascinant quoique modeste Poisson sur une assiette (1921) de Bonnard semble fixé en réserve.   

Le contemporain et les collections particulières sauvent l’expo

Auparavant, La vie précieuse présente van Beyeren, Cruys, de Ring, le strasbourgeois Stoskopff, Kauw, son disciple, bien plus intéressant. La Nature morte de Claez. Heda (1642), pièce permanente par dépôt, fascine par sa sobriété, sa précision, sa coloration impeccable, le vernis stupéfiant, magnifiant l’œuvre, qu’utilise les flamands.  Encore une fois, les collections particulières rehaussent une exposition à la limite du terne : Les Termites – Fruits pourris (1994) du toujours étonnant Barcelò, ce grand format éclatant tout à fait incroyable de Rebeyrolle avec épaisseurs et coulures à partir d’un peu reconnaissable chou. Malgré un parcours trop labyrinthique, l’installation vidéo du génial B. Viola, Tiny Deaths (1993) absorbe par la présence/absence et remémore qu’entre chaque photogramme, l’image fantôme est révélée par la vitesse. Une expérience à la fois concrète et spirituelle, spirit même.

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S’il s’agit d’invariant, d’un thème classique dans l’histoire de l’art, le visiteur, humblement, repart sans illusion, avec un goût amer vers le monde d’apprêt. Je regrette que la vidéo de Vinciane Desprets, cette philosophe belge, disciple de Stengers, présente lors d’une biennale à Lyon, ne soit pas projetée tant elle actualise la pensée géniale de Jankélévitch, une vraie révélation. Bien qu’il s’agisse essentiellement de mort, il faut positiver, alors la vie ou une dialectique caricaturale et hâtive.

Reste à nous délecter de la collection originale Deliceratio Corporis de N. Delestre, un réjouissant mauvais genre, aux éditions lyonnaises Fage, avec un calendrier à la clef. Le catalogue ne sera disponible qu’en janvier : est-ce dû à la pénurie de papier ?

Freud est notre ami

Ça s’esquiche dans l’exigu Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Paris, Le Marais), plein de menus recoins, fêtant ses 20 ans. Si Freud apparaît comme un thème d’expo évident, c’est pourtant la première fois en France. D’où la présence de l’ambassadeur autrichien et de son staff, échappant à la vigilance et créant presque un incident diplomatique. (L’Autriche, ayant évité de justesse l’élection d’un chancelier d’extrême-droite, qui a prêté nombre d’œuvres via ses musées, Osterreichische Galerie Belvedere, Wien Museum, entre autres, n’était et n’est pas le pays le plus bienveillant avec les juifs). Un membre du personnel, particulièrement excité, gâche le vernissage à cause de son impolitesse et de son agressivité gratuites. L’enfer est tel, jouant des coudes, qu’une psychologue et une psychanalyste partent au bout de 5 minutes, atteintes … d’agoraphobie. Flegmatique, le commissaire principal, Jean Clair, plus doué pour diriger des expositions magistrales (où Freud était déjà parfois présent : Duchamp ; Vienne 1880-1938. L’apocalypse joyeuse, 1986 ; L’âme au corps. Arts et sciences 1793-1993, 1993 avec JP Changeux, qui avait dû s’interrompre brutalement suite aux chutes de boulons dans la Grande Nef du Grand Palais ; Balthus ; la décisive et inoubliable Mélancolie. Génie et folie en Occident, 2005 ; Crime et Châtiment) que pour évoquer l’art contemporain à partir des années 90, réalise une fois de plus, une exposition de référence quoique disparate (200 œuvres dont des objets scientifiques, des gravures, des ouvrages, des revues scientifiques ou littéraires, des dessins ou des peintures). Cette exposition d’envergure n’est pas faite pour ce lieu, délicat à scénographier, par manque d’espace, mal agencé dès la construction.

L’angle original est d’offrir un Freud scientifique, goûtant les joies de la vie parisienne, inspiratrice, passant du salon bourgeois et ses images surchargées, au dépouillement de la parole et du mot (du regard à l’écoute : au « mot qui manque » répond, pour Jean Clair, « le Verbe qui se dérobe »), enfin la judéité, tirée ici par les cheveux (« juif tout à fait sans Dieu » selon Freud lui-même, héritier des Lumières, aspirant à une science universelle) mais compris dans les obligations du cahier des charges, vu l’institution, avec un apport pécuniaire substantiel du Mémorial de la Shoah. Le parcours est d’une chronologie parfois bouleversée par les thématiques.

Une spéciale dédicace à une prof de français-latin-grec devenue conservatrice de bibliothèque n+1 qui détermina d’autorité que Freud n’avait rien à voir avec la psychiatrie ! Big up, bisous.

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« Freud appartient plus au XIXe siècle qu’au XXe, explique Jean Clair. Il se consacre pendant près de quarante ans aux recherches scientifiques et aurait pu devenir un grand neurologue. Mais au fur et à mesure il s’intéresse à représenter l’appareil psychique. » Concernant les arts (« moi qui suis si éloigné de l’art », 1932), outre sa collection impressionnante de pièces d’Egypte antique (provenant du Freud museum, Londres), remémorant, selon une notule évidente de Ouaknin, les illustrations de la Bible de Philippson qui berça la vie de Freud depuis sa jeunesse, inspirée par l’accumulation d’objets dans le cabinet de Charcot, il était imprégné  de symbolisme et de la peinture d’Arnold Böcklin (Bouclier avec le visage de Méduse, 1897, Musée d’Orsay ; des lithos du génial Odilon Redon grâce à la BNF mais rien d’Orsay; une peinture de Séon et un pastel de mon chouchou Osbert de la collection privée Audouy ; rien de Gustave Moreau au Musée d’Orsay ou Moreau, dommage). Freud n’ira pas plus loin dans la contemporanéité des arts de son temps, était plus proche de Maupassant que de ses contemporains comme Schoenberg, viennois comme lui, qui fit l’objet d’une belle expo au MahJ, et d’autres avant-gardistes en art plastique. Il détestera le surréalisme (Section 8 de l’expo) puisqu’il prendra Breton, ancien interne en psychiatrie, ne comprenant absolument rien aux théories de Freud, sauf la libre association des mots (Les champs magnétiques, 1919 avec Soupault), pour un fou « à cent pour cent –disons plutôt, comme pour l’alcool, à quatre-vingt-quinze pour cent. » (correspondance Freud / S. Zweig, 1938 ; rencontre en forme de dialogue de sourds entre Freud et Breton en 1921 à Vienne, comme Bowie avec Warhol à la Factory); seul Dalí (fac-similé, ersatz trop nombreux dans cette expo, d’un portrait de Freud travaillé par la mort, 1938 ; « Le phénomène de l’extase », Le Minotaure, 1933, bibliothèque Kandinsky), le reliera à ce mouvement (rêve, le recours à l’inconscient et l’importance donnée à la sexualité ; cinquantenaire de l’hystérie, dans la revue La Révolution surréaliste, 1928 ; collage de Max Ernst, collection particulière, une gravure de la BNF mais rien de Pompidou y compris la bibliothèque Kandinsky malgré les expos de Spies ; dessin de Victor Brauner et Artaud, Pompidou mais pas de Cantini, Marseille ; peu d’œuvres de Picasso, une étude au crayon, 1907, des Demoiselles d’Avignon  car un étudiant en médecine est représenté, Métamorphose II, un plâtre de 1928, une étude à l’encre de Chine, 1936, alors que Clair a été directeur du Musée Picasso). « Malheureusement, c’est sur la beauté que la psychanalyse a le moins à nous dire » (Malaise dans la civilisation, 1930). Haddad avance que dans le milieu juif traditionnel, dont Freud est issu, poésie et musique étaient favorisées au détriment des arts plastiques, ignorés, à cause de « l’assomption de l’image du corps et au rapport à la mort comme impureté radicale ». Le surréalisme est représenté par de nombreux livres (par exemple Sueur de sang, PJ Jouve, marié à Blanche, psychiatre, psychanalyste et traductrice de Freud, 1933, dédicacé au disciple de Freud, Otto Rank Xerox, collection particulière), Il Ritornante de De Chirico (1917-18, Pompidou provenant de la collection Bergé – Yves Saint-Laurent), Le Viol de Magritte (1945, Pompidou), un dessin, Transparence du « cacodylate » Picabia (1930, collection privée).

Freud scientifique

Neuro

Nous découvrons cinq rares dessins scientifiques à l’encre de Freud de ganglions spinaux et de moelle épinière de la lamproie marine (1876-1878, Londres, Freud Museum). Le neurobiologiste Freud (1876-1896) officie comme neuroanatomiste en 1876 chez le maître de l’école autrichienne de physiologie, Wilhelm von Brücke (1919-1892, fondateur de l’anatomie microscopique) où Sigmund étudie les propriétés pharmacologiques de la cocaïne, dont il sera dépendant comme Sherlock Holmes, afin de décrire l’effet anesthésique local, avant de se tourner en 1883 vers la neurologie clinique auprès du psychiatre viennois Theodor Meynert (1833-1892 et sa conception de l’ « appareil psychique » dans la lignée contestable de la physiognomonie de Lavater, 1741-1801, présent grâce à un livre imprimé prêté par la BNF, et inspirant un plâtre de Messerschmidt, de Gall, 1758-1828, père de la terrible phrénologie dont il reste la bosse des maths et inspirant la triste criminologie de Lombroso avec son Homme criminel, dont on regrette la présence d’un crâne en plâtre prêté par le Mnhn au lieu d’un vrai crâne, notamment de Spurzheim, 1776-1832, mais peut-être est-ce dû à la récente législation restrictive sur les restes humains, à cause des crânes maoris et leur restitution ainsi que d’autres problèmes éthiques, mettant en cause d’importantes et nécessaires collections d’anatomie dans les musées français de médecine déclinant quand ils ne sont pas fermés – AP-HP, Dupuytren, etc.; un curieux dessin du père de la bd, le suisse R. Töppfer, BNF), l’un des pères des localisations cérébrales et du spécialiste controversé de l’hystérie, Jean-Martin Charcot (1825-1893 ; révélation : voir son impressionnant et surprenant schéma de l’inconscient de 1892, prêté par la Sorbonne, similaire à la première topique de Freud en 1900 ainsi qu’un étonnant dessin sous haschisch, 1853), pendant trois mois intenses, à Paris en 1885. Etudiant les paralysies infantiles chez Kassowitz (1842-1913), il tentera de concilier neurologie et psychologie (1895, écrit publié après la mort de Freud) en préfigurant les synapses et la plasticité de la mémoire.

Dès l’entrée, le visiteur tombe sur une pièce unique au monde, en noyer marqueté (XVIIIe) : le baquet de Mesmer, et non de Messmer (le charlatan qui offre actuellement des spectacles d’hypnose) comme le note Adrien Goetz dans un article du Figaro, à magnétiser avec le fluide animal prêté par le trop méconnu Musée d’histoire de la Médecine et de la Pharmacie de Lyon (le maire Collomb, ayant réussi le repêchage de Lyon comme cité gastronomique, refoulant le musée de de médecine de l’Hôtel dieu de Lyon, au label « musée de France » comme le Louvre, dans une réserve au profit d’un hôtel cinq étoiles et de boutiques de luxe). Hypnotisées par le charlatan autrichien Mesmer, toge et chapeau pointu dans la pénombre et accompagné de musique mozartienne, les patientes se pâmaient dans des chambres de crise où les valets les réveillaient avec des sels en les pelotant. La princesse de Lamballe voire Marie-Antoinette venaient en cachette. Le succès fut tel que le baquet migra de la place Vendôme au palais de Versailles. L’effet de suggestion était né, inspirant Charcot, lui aussi controversé. Le riquiqui fac-similé de pièce facétieuse de 1784 (BNF), disposé en face du baquet, n’est ni visible ni compréhensible par le public. Pourquoi, dans l’ensemble d’appareils scientifiques peu pertinents (myographe de Marey, un dynamomètre Lüer de Burq, un objet de chez Charrière de Duchenne de Boulogne montrant dans quel environnement travaillait Freud) mais asseyant faussement la légitimité scientifique des débuts de Freud, un analyseur du timbre des sons à flammes manométriques dit de Koenig, alors qu’il s’agit plutôt d’un résonateur de Helmotz à miroirs de Koenig ? Mystère. Clair insiste sur l’importance de la figure de l’hystérique Wittman et son arc hystérique inspirant Une leçon clinique à la Salpêtrière (A. Bouillet, 1887, Musée d’histoire de la Médecine, Université Paris-Descartes), dont une reproduction figurait dans le cabinet de Freud, les photos de Bourneville et Regnard (Bibliothèque Charcot), de Londe, les précieux cahiers de Richer (1879, 1881, 1882-1883, une incroyable eau-forte d’un tableau synoptique de 1885, Ensba Paris) grâce à Comar, la posture scénique de la chanteuse Yvette Guilbert (croquée par Toulouse-Lautrec, 1898, Albi), de l’actrice Sarah Bernhardt dans Théodora (pièce de V. Sardou écrite pour elle ; photo de Nadar, 1884 ; une affiche de Mucha figure dans une belle expo simultanée sur le célèbre affichiste au Palais du Luxembourg), le rôle de Lucia de Lammermoor dans l’opéra de Donizzeti (Signol, 1850, MBA de Tours).

« Fantaisies phylogénétiques »

Laura Bossi, neurologue et historienne des sciences (Université Paris-Diderot), exhume les illustrations des traités scientifiques et médicaux de l’époque, soulignant les fascinantes « fantaisies phylogénétiques » (L’interprétation des rêves, 1900, Totem et tabou et L’intérêt de la psychanalyse, 1913, Vue d’ensemble des névroses de transfert, 1915, Le Moi et la Ça, 1923, Malaise dans la civilisation, 1930, L’Abrégé de psychanalyse, 1938, Moïse et le monothéisme, 1939). Après Copernic, instrument à l’appui (était-ce nécessaire ?) et la fin de l’héliocentrisme, après Darwin où l’homme descend du singe – ce qui est actuellement contesté par l’idéologie dangereuse du créationnisme aux USA qui compte ses propres musées révisionnistes, le moi n’est plus maître en sa maison avec Freud. L’évolutionniste lamarckien et généalogiste Haeckel (1834-1919 ; cf. la toile de von Max, Pithecanthropus alalus, ou homme-singe sans langage, 1894, Iéna) qui a inspiré l’écologie mais aussi les nazis – triste récupération omise dans l’exposition, étrange pour le MahJ -, a été le passeur de Darwin dans le monde germanophone. Le développement de chaque individu (ontogénèse) répète rapidement le développement de l’espèce (phylogénèse). C’est le « plasma germinatif » de Weismann (1834-1914) préfigurant le génome. Chez Freud, inspiré par L’Hymne à la nature de Goethe (1780) en tête de l’Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles (Haeckel, 1868), cela devient l’évolution dans la théorie de la sexualité infantile (stade oral, anal, phallique) et la théorie des névroses en parallèle de l’enfance phylogénétique de l’espèce. Et une gouache de Kupka (1919) de la collection Bueil et Ract-Madoux (Paris). Si cette section est la plus rigoureusement scientifique, c’est la moins nourrie artistiquement, on ne peut pas tout avoir.

L’art dans tous ses états

S’ensuit le fameux divan, avec une fumeuse litho de Madame Récamier par Dejuinne (mais qu’est-ce que cela à avoir avec la choucroute à part la position horizontale ? Anachronisme), une œuvre contemporaine en technique mixte d’Hans Hollein (1984-85, archives privées). La maquette du 19 Berggasse à Vienne de Matton (Le cabinet de Sigmund Freud, 2002) impressionne. Un fusain de Longo (1938-2004) avec un texte de Spies en annexe du catalogue d’expo.

L’impression d’exiguïté renforce l’ampleur de cette collection antique, dont la fameuse Gradiva, mais moulée en plâtre, exposée dans la pénombre pour des raisons de conservation. Mystère des origines. Comme si nous y étions.

La partie rêve (L’interprétation des rêves, 1900 ; « En fait, l’interprétation des rêves est tout à fait analogue au déchiffrement d’une écriture pictographique ancienne telle que les hiéroglyphes d’Egypte », L’intérêt de la psychanalyse, 1913) est naturellement plus fournie en œuvres artistiques importantes : l’excellent Grandville représenté par des impressions sur papier de collection particulière, Le rêve du prisonnier de von Schwind (1836, Pinacothèque de Munich), La porte des rêves (1899) de Schwob et de Feure, une eau-forte de Saint Rops, La Tentation de Saint Antoine (1887), du musée de Namur, complétée par celles, illustrant Les Diaboliques du dandy Barbey d’Aurevilly, provenant de Morlanweltz (Belgique) dans la très réussie section sexuelle (Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905 ; Contribution à la psychologie de la vie amoureuse). Le sexe inspire, un vrai festival : un dessin de Klimt où une femme se branle joyeusement (1916-17, Leopold museum, Vienne) avec un sacré coup de crayon, une aquarelle de Rodin (musée Rodin) mais surtout, en descendant l’escalier, dans un renfoncement bienvenue, un tête-à-tête avec L’origine du monde de Courbet, qui a traversé pour la première fois la Seine, représentant la danseuse Constance, et le panneau dessiné du beau-frère de Lacan, André Masson (1955) pour masquer accompagnés d’une photo du gogue de Lacan montrant l’ingénieux dispositif; Fontaine (1917) de Duchamp avec la Scatola di merda de Manzoni, que Clair décrit avec gourmandise, malgré l’absence surprenante de cartel et de mention dans le catalogue. La « libido », ou « Énergie », mot du XVIIIe siècle, est décrite par Jean Clair comme de l’énergie pure. Kokotschka, Schiele : fac-similés, arglll. A ce sujet, est-il normal qu’une fondation privée comme Pinault (Vuitton avec en simultanée une expo Basquiat / Schiele) ait la prépondérance sur une institution publique ?

 

https://www.franceculture.fr/emissions/moi-sigmund-freud

 

« Freud : du regard à l’écoute », jusqu’au 10 février. Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Parais, le Marais, rue du Temple.

 

Voyage en langue

.faire noix confite. maraichinage. se faire une langue. lécher les amygdales. rouler une escalope. s’embrasser à la colombine. rouler un sushi. embrasser en pigeonne. se rouler, se passer des saucisses

longtemps, je me suis touché de bonne heure. genre berniesque pour clowneries sensuelles. je me suis dressé, monté le chapiteau sous les draps, tiré la poudre aux moineaux, secoué la cartouche, fait la guerre de 5 contre 1, astiqué, gonflé le poireau, le spaghetti ou la colonne – Morris, collé, cogné un  – petit – rassis, monté le chapiteau entre minuit et les couvertures ; la chaufferette ; aiguisé le couteau, joué à mets couverts, gonflé mon andouille triple A voire AAAA selon agence de notation, arraché le manche à en faire des copeaux, à me râper le gruyère sur la nouille pour lui donner du goût, allongé le macaroni, chatouillé le spaghetti, tiré la courte, chipolaté le nougat sournois, la membrane, le levier de force, fait marché mon p’tit moulin ; marché aux feuilles de figuier ; chatouillé l’hibiscus, pété le yaourt dans mes mains, tiré sur la guimauve, fait sauter le bouchon ; m’en bats une quand je me suis fréquenté ; flatté le petit chauve, poli, régalé, balancé, secoué le chinois, fait à la pogne et non à la Saint Genix jusqu’à m’en faire fumer la plomberie, fait les cuivres façon Grand-Hôtel, passé à la feuille d’or, tapé un silencieux, pianoté l’émoi, fait le concerto de mes 2, d’Aranjuez, joué Vivaldi, fait les 4 saisons, fait saigné à blanc, paluché jusqu’à m’amidonner la main de ma sœur, lustré les cuivres au blanc d’Espagne, fait mon lavage à la main, monté la guitoune, fait la glimblette, torché coquette, passé au buvard, fait un nez à la Pinocchio, sorti mon Gnafron, joué à 5 contre 1, fait la bataille des Jésuites, des moines, jouté, rompu une lance, branlé à fresque jusqu’à repeindre les plafonds de la Chapelle Sixtine, fait tremblé le pinceau, dessiné jusqu’à étaler et appliquer des cartes de France pas rance, astiqué la colonne Vendôme, fait un truc façon Karagheuz, poli le Mont-Blanc, revu ma géographie, en bon français, découvert l’Amérique, joué au billard anglais, fait une géographie dans les draps, astiqué le geyser, taquiné le hanneton, fait pleuré, cerné les yeux, gallimardé, su l’Arétin par cœur, agacé le sous-préfet, repeint l’appartement, décollé ou cloqué le papier peint, secoué coquette au-dessus du bénitier, bu seul, étranglé le robinet, tapé, secoué le Mahomet, fait du cinéma, longtemps de bonne heure

Est-elle de la mangeaille ? aime-t-elle le veau ? fait-elle la cuisine à l’ail ? est-elle une éplucheuse de lentilles ? de la maison tire-bouchon ? verse-t-elle dans l’aïoli ? est-elle une suce-lentilles ? tate-elle de la brioche infernale ? est-elle une belette, une tribade, une fricatrice, une chipette, une fricatelle ? une minettière ? une Bilitis ? une Woolf ? se fait-elle tailler la haie ?

grand lit draps blancs fleurent frais et tendus. il est nuit. con fesse d’oreiller. sabl’émouvant. zafaire. cou cabré. entamer le morceau, le hors d’œuvre, la petite oie, se faire un petit raccord, lever de rideau, escarmouche, la patrouille de 5, passer à la casserole, jouer de la harpe ; petting ; battre le briquet

ileli suce colina rotunda. 2 igloos. c’est le défilé qui passe, elle a pignon sur rue : une belle livraison de bois devant la porte, les tertres bessons, l’espoitrinement à la façon de Venise, les garde-côtes, elle tient le Bic, pas de roberts en gants de toilette, ne fait pas dessus de pendule, pas friolets (ni en oreilles de cocker ni deux petits œufs aux plats), les amuse-gueules ; elle les a en citrouille ; une triperie à la mode de Caen ; le mou de veau ; les tétasses à la périgourdine, une vraie laiterie Saint-Hubert donc ; il y a des oranges sur l’étagère tout comme les fruits confits ; les pamplemousses en devanture sont mis ; elle est de la confrérie du pot au lait ; comme la voie lactée, l’herbe à grimper, les prisonniers, les blagues à tabac, les pelotes à épingles

à même cuisse-de-nymphe, la mégauder. peaux en appel. inem effleure. empoigne le frère Jacques, la cheville ouvrière, le virolet, la pince Monseigneur, le mistigouri, le Petit Frère, le locataire du dessous, le frétillon, le bilboquet à moustaches, le karagheuz, le callabristi, le niphleth, le tiriliberly, le jean-chouart, le bidet de culbute, le rubis cabochon, la guillery, le barnum, le bonheur des dames, le clysoir galant, le jean-jeudi, le frétil, le moineau de Catulle, le doigt sans ongle, la mentule, l’œil qui rit en pleurant, l’éternel enrhumé, le bonhomme en trop, le petit chaud, le ravi de la crèche, le borgne à roulettes, à col roulé, le jean-farine, la batterie de cuisine, la marque de la vaisselle, le brandon, le vivandier de nature, le concombre galant, le champignon de braguette, le bolet comestible, le cèpe, la pièce du boucher, le manche à gigot, l’os à moelle, le sorbet cassis, la pastanade, le salsifis, le 11e doigt, la frimante, le pal, le bourdon de Saint-Jacques, la chignole à mousmées, le montoir, le premier rôle, le cordon de Saint François, le perchoir à cigogne, l’écouvillon, le Jacques

item. vers vallée de tranquillité. entre Charybde et Scylla ; sous drap, descendre au lac ; du mouron pour les petits oiseaux ; se mettre un bonnet de grenadier ; faire la glibette ; taper dans le festin ; se mettre à l’établi sur son tablier de sapeur, de forgeron ; mettre la tête dans l’étau ; faire lichettes ; pourlécher les escalopes ; descendre à la crémerie ; faire une langouse ; grignoter la figue ; croquer la praline ; s’attabler au café, en prendre aux 2 Colonnes ; aspirer le pétunia ; ne rien laisser dans l’assiette ; laver la vaisselle ; se faire faire un retour de paupière ; faire un métier de chien ; prendre l’hostie à la chapelle

faire courtine sans omettre les lendilles, les landrons, les labies, les spopondrilles, les bibilles, les nymphes, le foie gras, les espondilles

alphabet langue. sa mounine, sa pachole, le sadinet, le calibristi, le morveau, le guilboquet, le théâtre des opérations, le bocage à fils d’or, la caverne d’Ali baba, le corridor des braves, le trou punais, le rouge et le noir, la fanny, la schnecke, le middle, le mitan, la ligne Maginot, la louvière, l’anneau d’Hans Carvel, le biribi, la loupeuse, l’atelier de génération, le corbillon, le quartier de devant, le grobis, le petit appétit, le morceau friand, le museau de tanche, la viande de chrétien, le lèchfrite ; aller à la crème ; la bouteille à miel, le petit Mozart, l’étui à clarinette, la loupine, la moniche, le sourire édenté, vertical, la perpendiculaire, le beau dédale, la campagne – de Cythère, le guillenard, la porte cochère, l’empire du Chicotin, le cripsimen, le dauph, le distributeur Gillette, le fer à cheval, la belouse, le vaisseau accoutumé, l’empire du Milieu, l’autoroute du Sud, les demoiselles d’Avignon, le grand écart le carrefour des enrhumés, le chemin – des Dames ; custodinos ; le barathre, le verdoyant, la table à ouvrage, le guillevard, la berlingue, les grands appartements, le tiroir du bas, le portefeuille à moustaches

lap- soupirs en pire -sus. aine suinte discrète. cascad’origine. gouffre d’abscons. introït jetzt. la mâtiner, alcôver, bourriquer, béliner, faufiler le cabot, l’ourser, étrangler un rat, abreuver le chien à l’écuelle, conniller, aller faire un canard, jouer aux cailles, abreuver le roussin, bailler du foin à la mule, la bluter, l’enconner, pratiquer la futition, la culerie, faire le chaudronnier, river le bis, brimbaler, aller à la cacasse, faire criquon criquette, remuer de la charnière, trinquer du nombril, carillonner des rognons, plaider aux consuls, égoïner, se ciseler le mérite, mettre au montoir, lui faire sourire la grimace au démonte-pneu, fourgonner, planter dans sa géographie, trabouler, mettre Villejuif en Pontoise ou en Quimper-Corentin, mettre le Grand Turc dans Constantinople et vice Versailles, y aller à la cosaque, traverser la Mer Rouge, tuer le mandarin, mettre, avoir la cheville au trou, faire le cas, biscotter, jeter son bonnet par-dessus les moulins, l’accommoder en maître-queue, faire un fast-foutre, cueillir les lauriers, le coup de l’échalote, faire les fruits et légumes, éplucher le concombre, casser l’œuf dur sur le comptoir, tremper, bouillir et rincer, casseroler, se l’assaisonner poivré, dérouiller son panais, mettre du lard en bouteille, faire une petite secousse dans l’escalope, se la passer au bleu, lier son boudin, faire le complet-saucisse, faire le coup du macaron, embouchonner, faire la vaisselle de Limoges, nettoyer le verre de lampe, jouer au petit Savoyard, bistoquer, faire cricon-criquette, battre le quartier, emmener Ferdinand à la comédie, être en loge grillée, une représentation de Guignol, donner un coup de brigadier, faire le tracas de polichinelle, rembourrer le bas, emmener le petit au cirque, traîner la frimante, farfouiller, fêter le milieu, fragonnarder, pousser l’escarpolette, sculpter l’atmosphère, gaver le contentement à coup de burin, faire le groupe de Canova, de Carpeaux, cheviller, faire clic-clac, briscofrétiller, houspiller la moniche, concer, bumsen, faire sonner Notre-Dame, rataconniculer, planter le mai, se faire une bouture, faire catleya, aller à la franche marguerite, jouer du pet-en-gueule, artiller, s’amuser à la pampine, mettre dans le corbillon, avoir de la vergette, mettre la bonde, aller l’amble, fouailler, jouer à cache l’épingle, engainer, se faire un petit dimanche

iambes nouées. dilatées djefed. ongles enracinés. glisse       ,,glousse. elle vagit. pas vu pas pris. lèvres libres. lascive s’irise. elle trisse. petit spasme. la bête a lâché son cri, les amygdales sont dégorgées ; éternuer sa cervelle, pleurer entre 2 guichets, se désencombrer les aumônières, faire l’omelette, faire son beurre blanc, faire mousser son blaireau, vider son carafon, faire tout outre, encenser l’intérieur. lit en bataille

Va’ d’imprimeur / bourrid’au dixième / je lui montre mes estampes japonaises / La città ideale d’Urbin’  précisément

A-t-elle la main scélérate ? se fait-elle baratter la marmite ? se bricole-t-elle le sillon ? fait-elle résonner sa guitare cachée ? fait-elle un petit solo de mandoline ? caresse-t-elle le petit chat du calendrier des Postes ? se fait-elle vibrer la virgule ? y va-t-elle au pic à glace ?

bougie terne. comme con  venu. 5 messes grégoriennes. massage. ,lacrymâl, .jad c 131. chatteries. jeu de peaux. plages .. esquisses Rodin. Minoucher. de Silos. que slips. elle jute sa cyprine. chair benoîte. plis aux cuisses. messe IX. petit creux, bas du cou. consensus. positions mimées. safe. plexiglas. promesses. teinte. seins – – B

 

elle fait le chapeau du commissaire, elle fait une politesse à Monsieur, elle tète la matraque, elle plombe les molaires, elle éponge le clown du Big Mac, elle scalpe le Mohican, tutoie le Pontife, elle fait zorber le Grec, elle fait les fourmis japonaises, elle fait son apprentissage aux Postes avant d’être directrice de la grande Poste, elle téléphone dans le ventre, elle ripoline le candélabre; Fume, c’est du belge !; elle dégèle le mammouth, elle rogne l’os, elle a besoin de calories, elle mange elle-même sa race, elle fait une petite mayonnaise, elle dit bonjour à la Vache-qui-Rit, elle défromage le minaret, elle fait épi de maïs, elle ne donne pas sa part de dessert, elle fait un after eight, elle aime les treets, elle croque le Mon chéri, elle sirote l’apéritif, elle fait une pomponnette au kirsch ; une buveuse d’orgeat ; elle tire un demi – sans faux-col, elle se prend des cales aux genoux avec sa langue-au-paf, elle prend les chemins de Fatima, elle fait la chaloupée sur le Savoyard, elle va en Chine à pied sec, elle n’est pas recalée à l’oral

joules de bénédictins. étagère Vrin tremble. cum jubilo. elle tourne le feuillet, la page. chez N’a-qu’un-œil. Emproser, antistrophe ; elle rue des feuilles ; s’emmancher comme des râteaux neufs ; elle se fait embroquer à la Peyrefitte, enviander, encaladosser, daufer, elle se fait baptiser poste restante, se refiler du petit guichet, aller en pantoufles par le chemin sec, elle prend du Moulineaux, la ruelle aux vesses, elle se fait besogner à la florentine, elle aime la terre jaune, elle va à Troustafanar ; mahométiser ; elle cheville à l’orientale, elle inaugure la salle de danse ; faire le coup du débardeur ; elle se fait enfifrer, ganymédiser, embougrer, enverguer, taper dans le Gnafron ; on joue à fesse-Guignol ; mazouter le pingouin ; elle se fait redresser la colonne vertébrale, elle prend de la dossière, elle préfère le visage à l’envers, elle a un crédit lyonnais entre les fesses, donner un clystère – barbarin, trancher du cardinal, elle n’a pas à avoir besoin de ruban bleu pour se faire enrouter, elle encaisse du rond de serviette, elle prend un buffet froid, elle fait une petite grignote coupe faim, elle perd ses légumes, elle pile des pois, aller à la moutarde, elle se fait déplisser la rosette, elle se fait un  – petit – hot-dog agneau-moutarde, elle mange sa raie au beurre blanc, elle recrache les pépins, elle prend du figne ; faire les Feuillantines ; elle fait une visite guidée des usines Suchard, elle se fait fourrer le Choco BN, bourrer le Nuts, le Bounty, casser coco ou le verre de montre ; elle se fait casser le pot, Albertine ; prendre l’escalier de service, s’enfuir entre 2 parenthèses

gloria, mode VII. matin : sans culotte. lecture, main en aine. évoque vagin … par un moignon

[Manuscrit, Poésie] CADETTE DES 7 (épisode #57)

abîme abysses abymes

comprendre ses blancs

amie à la barre

pierre naïf

dit l’amie

s’intéresse plus

aux polders

qu’à la psyché

de la femme

enjouée gaie

la sienne

français fréquentent

français au

pays du mur

cadette des 7

demi femme heureuse

dit l’amie

à la barre

en pleine poire

pas vu pas su

pas femme demi heureuse

cadette des 7

gaie enjouée

réussi à sauver

part d’elle même

plus polders

que psyché

de sa femme

dit l’amie à la barre

je l’aime

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

[performance / expo peinture] figur’action : pinceaux pandore

1,2,3 / La mac, c’est ma came ! / sainte natacha / ça décroche ‘hui / clac-clac / hors cimaises / estivales / regardeur fait œuvre / moi, c’est figuration
loin du tarmac / étoile mer / méduses / en hamac / flottez hippocampe / droit comme des i / sur portée disparue / râteau plage / en suspens / aby abyculteurs / dedans dehors / se frotter occiput / cahiers vacances / se mettre au vert / loin tarmac / suspense / rond carré triangle / jouer morpion / pat / 1, 2, 3 soleil / ciel ! / clic-clic sur icônes / donnez-moi des nouvelles données / souris jaune / mouche décoche / dossiers ouverts / aude a la poésie : / « j’aperçois des fenêtres. je me penche et regarde à travers. » / double clic / fresh widows / accords terre-mer / turquoise bleu phtalo / terre verte de véronèse / aude a de la poésie : « je chante. je crée des repères. un collier de perles, quelque chose qui s’égrène, je perds mes graines. je persévère » / portes d’entrées / dans enfer al dante de ma marelle / crispy bacon cuit

alphonse, allez je vais voir ailleurs / si, j’y suis ici / tea time ! / famille, je vous hais ! / île du doc moreau, gustave / végétal/minéral / for antérieur / autre, cet antre / rue du for / liquide / stalagtite/mite / grotte gothique / musique dany elfman / sleepy holopherne / saigneur des agneaux / rouge nuit est mis / rue turpin / c’est peinture ! / cuir crépin / slop slap / tupiniers : bout poterie puzzle = symboles/ clic-clic / smile is smiley / période incubation / ça fume / aire de broca / hippocampe / boîte pandore ouverte / clé conserves de sardines / portes d’entrées / brasse petit verni / étoiles de mer / brasse couleurs / sur coton-lin / enduit colle papier peint / et gesso / lin huile / essence écorces d’orange / oxydes / incubes, chose [au carré] & tarasques / boule bas haut fragile / au cube / passé rhône / face : danger beaucaire / aubrac tourné dans crépin rue turpin / expo g. braque château / oiseaux vifs / succubes lents / aude à la vie / ode à la poésie / celui qui ne cherche mais trouve dit / « poètes n’expliquent mais rentrent dedans » / entrer en fer enclos / rousseau, pas le douanier dit : / le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile / division de la joie / murs barbelés / lafarge-copé / us-mex / murs érigés murs en tête / empâtements marrons / crème mont blanc / marée noire / à nu homme se grime / fragile grand migrant giacom / brut de décoffr / matière gris / empreinte / homme qui marche / teint hâlé / debout digne / voir ailleurs / rejeté aux pieds lourds / 1,2,3 soleil cou coupé / en radeau méduse / brasse petit gabarit / lesbos lampedusa / nouvelle odyssée / tout change pour que rien ne change / clic-clic / brasse / 300 rejetés à l’eau / par passeurs / enfants morts / mer cadavres / râteau plage / châteaux sable s’écroulent / point sur les i / poète atterré : où liberté-égalité-fraternité ? / où patrie droits de l’homme ? / conseil d’état pour droit douche ? / amerditerrannée /  aux rivages sans nuages / au ciel enchanté / méditerranée / écouter mer morte / dans coquillage / rouge, belle bleue / elle est pleine de marins, elle est pleine de marins / ils s’en vont d’afrique / ils s’en vont d’asie / mais qu’elle est bleue, mais qu’elle est belle / qu’elle est belle, mais qu’elle est bleue / qu’importe / des lubies en libye / l’acide coule à mes oreilles / 1,2,3 lune

pendant ce temps / coïts / entrer en champ clos / faire le groupe de carpeaux / fragonarder / se la passer au bleu / traverser la mer rouge / lever le cotte verte / taper dans le blanc / faire le groupe de canova / jouer au petit savoyard / délaissant les grands axes / pris la contre allée / madame rêve / madame coite / ciel ! / moite prend son pied coite / cyprine m’était conté / tentation de saint antoinette / feu ! / chacun sa croix / quoique / madame rêve d’artifices / plaisir ? / l’un dans l’autre / nidification derrière bosquets ? / dans l’ain, monte voir les estampes / 1,2,3 / mariée mise à nue / choit : talons aiguilles sur galets trottoirs / photos immortalisée / 1,2,3

comme rocky / sur fond écarlate pyrrole / catcheurs pop comics / big cass vs bo dallas / enzo amor vs kalisto et rhyno / arbitré par danilo anfibio / pow splat bam / rancillac / au pays du nougat / « je suis le dernier peintre » / boum / opération fureur du dragon / rob zapata arbitre / chris jericho vs fandango et epico colon / gran metallic vs rich swann / catcheurs s’entraînent bam boum en chambre froide rembrandt / sur morceaux de viande / 1,2,3 frappe frappe / sur bœuf aubrac fou sodexo / ou cheval de mer devenu cheval roumain / hippocampes hippophages / such a chaïm / états généraux alimentation / lutte sans quartier / mandrin / 3 mousquetaires / mickey cassé / vos luttes partent en fumée / vers des flûtes enchantées / et de cruelles espérances / nuits debout ne nuit / total : demande totem / peuple réclame attirail à la redresse / de tout temps / déjà vu / les luttes de tulle, on connaît / doum-doum gun crazy / caput mortuum / ça décoche / adrienne ! / longtemps rocky a dégorgé le poireau de bonne heure / alors à quoi ça sert la frite si t’as pas la moule / à ostende / prochaine expo début septembre, collectif bruxellois : fluid boundaries between us / laissez-vous porter / par l’extrême obligeance /

1,2,3 soleil noir   c’est noir / masson pierre à pierre / black hole sun / trou noir / cygnus x-1 / horizons d’évènements / outre noir / trou de ver / carnaval des animaux carnivores / chat cheshire ou schrödinger rit / ratelier décroche / bouche crie / poisson-chat / polir angles morts / les casser / elle m’a dit polie polisson ces gravillons / dans l’ain, à l’ombre de la centrale du bugey / j’ai bu / jaune indien dizaso / regard absent / iris absinthe ? / non pas / couleurs crépitent / : violet ultra-marin / jaune / blanc / toile à nu / tableaux se répondent / vincent est là

anthropocène / 1,2,3 soleil / météo tourmentée / nuages / degrés / hors normales saisonnières / rares champignons / mycélium radioactifs / pissenlits / vert … de peur / jardin ouvrier / monsanto / bottes râteau gants couteau / rébus /  rear window / suspense / château de sable s’écroule / crac-crac nicolas le jardinier déterre cadavre / fenêtre sur cour / raymond burr homme de fer / cadavre bouge encore / médaillon communion / vierge à l’enfant / je suis jaune / citron dirait troncy / les anges passent / ça décroche, hein ?

1,2,3 soleil / tout autour de pérouges / graines s’égrènent / apéro / plonger couleurs pures matière / corniche kennedy / pointes rouge et bleu / milieu poil pinceaux en ébriété jaune tournesol / or bronzé / image scrute matière brute / girasol : peinture huile pour huile tournesol / c’est léger, léger ! / tout tourne / van gogh / nourris de vortex / fenêtre sur / tovrons & poimates / pizza palette pour / motif pas hors sol / plus clair que mat / temps du hamac / rond, c’est l’été / car le monde est rond / ça décroche ! / buffet arrive, impatients ! / galettes de pérouges-la-rouge / 1,2,3 descendons !

sommes arrivés / les gogues sont dans la salle du fond à gauche / sombre héros / chapeau de paille est là / 12 bougies dessus / 1,2,3 el loco / araignée dans la coloquinte / pour ne pas en finir avec / les paysages montrent leur chair hostile / la hargne de leur repli éventré / pureté sentiment peinture / vert émeraude / brut / scratch scratch / vert, j’ai ! / nuit hallucinée / nature extérieure avec ses climats, ses marées, et ses tempêtes d’équinoxe ne peut plus garder la même gravitation / auvers et passe : revers / chapeau van / artiste laisse empreinte

1,2,3 soleil oreille coupée / vertu cardinale post apocalypse / incandescente lave / herbe bleue comme un orage / trompettes de la mort / deux mondes sont ronds / doigt coupé / j’accusa / sur autel grolles de labeur / dehors / sur austèroïde / laureline / cut / bagouse / ou fin d’alliance / elle fait chapelle, elle sous trulli d’homme bandelotté / corps supplicié / faudra se mêler / nos lianes infinies / monstroplantes / famille, je vous hais / de tout temps / roi découronné / tératologie wagner / où petit prince où ? / ring ring /  bagouse ou anneau pénien ?

well, well / des vergers aux verges / doigts dans prise / 1,2,3 juge trône / sur-moi sûrement / motif se prend dans tapis / messieurs les censeurs, bonsoir ! / perroquet boire / période vache / pan-pan dans contrevents / bambi sourit poupée / générations enfants traumatisés / petit poney princesse cadance / a pris cher poney run run / succube / avec pendards / oranges sur étagère / espoitrinement façon venise / avant-scènes / triperie / monts d’ivoire / tertres bessons / mottes de chair / bel avenir / pamplemousses en devanture / belle livraison bois devant porte / blanches collines / igloos / herbe à grimper / mou de veau / amuse-gueules / laiterie saint-hubert / geyser pétrole / elle pense queue / cucurbite / rocco et ses frères / 7 / : tout sur zizi / face, profil / perchoirs à perroquet / arcon / guillery / barnum / fifrelot / petit frère / mahomet / suspension / pauvre petit chanteur de la chapelle sixtine / cheville ouvrière ou d’adam / cordon de saint françois / virolet / jean-chouart / tiriliberly / rubis cabochon / mentule / frère jacques / premier rôle / jésus dans sa crèche / écouvillon / frimante / jean-jeudi /  ardillon / callabristi / péplum / mickey / popeye / brandon / clysoir galant / manche à gigot / mistigouri / jean-farine / frétillon / karagheuz / moineau de catulle / champignon de braguette / bolet comestible / cèpe / arc-boutant / niphleth / pastanade / vivandier de nature / cognée / bidet de culbute / perchoir à cigogne / sorbet cassis / mât de cocagne / mont blanc / pays-bas / obélisque / mandarin / branche de corail / licorne / fifrelin / cucurbite de culbute / pince monseigneur / petit chaud / scoubidou / os à moelle / locataire du dessous / petit cosaque / mètre-ruban / cure-dent d’auvergne / anchois / anguille / mulet / rat, raton, ratonnet / plume / cromagnon / in gode you trust

part maudite / art rut / dom. huss. : 1,2,3 serpent menace vénus primordiale à queue de cheval / devant val d’enfer / splash splash / aspire au petit colorado / cœur en flèche / en paume / évasée du buffet / hanches fécondes / la gironde / cheveux en diablotin à crinière / petit four / volcan / tablier en forgeron / schnecke / trésor à crinière / caverne d’ali baba / sadinet / maître-hôtel / anneau d’hans carvel / antre / loupeuse / verger / crevasse / distributeur gillette / terre de marais / buisson ardent / grotte de vénus / cave / demoiselle d’avignon / trou punais / continent noir / grotte de cythère / dans les annales / reine est nue / 1,2,3 croisée : / carrière ? / procréer ? / les 2 ?

nuit / paroi noire façon dali / j’étais à me morfondre / dans quelque pub anglais / nuit / c’est l’heure où je me glisse / dans les interstices / baffle crache / 1,2,3 elle remue du buffet, l’empâtée / se lovera-t-elle autour barre ? / où courge ? / nature morte : cucurbite / sans saveur / végétal quasi marin / automne arrive / sachants se réunissent en coloquinte sur sens / splish splash / nick nolte sur toile / sonic youth / il se lâche sur l’ufo / vaisseau amiral /

ghost in the shell / enfants sirotent coquillage roudoudou / sur fond arc-en-ciel moretti à la bombe / hopi hopiculteurs / navajos / exotique / petit, grand colorado / caipirhana / copacabana / avoir la banane / brasse petit gabarit / enfants ne s’échouent pas / sur plage paradis fiscaux / mettre les voiles / golfe de lyon / embladed / mer forte à très forte / bord déborde, tourmenté / milkshakespeare / caliban, prospero dépassés / tempête dans crâne / rouleaux / peinture en tube à la truelle dépasse cadre / couteau / barques sos sos

3 en 1 / monde mystère / sortie tenue léopard / couleurs chaudes / femme fontaine / cascade déverse / brève poupée pliée / regards inquisiteurs / dans affres / madama a ses fantasmes giant / vannes ouvertes / envie t-bone et tant d’autres choses / bigger than life / bas couleurs vitrail / ange gradien mate derrière porte / parabole kafka procès / immeubles chagall ensemble jugulent ménagère de moins de / barrière / : protège ? / limite ?

enigma décrypte secrets : niveau 0, O° / pli sur pli / feu follet / 0 est indien / angles mort, rayures, lignes / dehors / dedans / sublimation / être un beau 0, cher walser / rire est chaos dans paume / rire se décline / emoticon smile / anges volent / titi rit /  rouge non de falün / en enfer gris où végétal sourd / gong / 50 ans summer of love / couleurs psyché / l’un dans l’autre / devant derrière / avec épuisette / capturer dedans tableau / papillon / epitecia nabokovi / ne pas épingler / malgré caméléon / plante carnivore / vénus milo beauté en string / sculpte rapa-nui / court derrière / de tout temps / lucky in the sky with diamonds / épopée / transfo chrysalide / fini-pas-sage / sortie mythe caverne platon / ton plat sera galette / ding dong / heure du goûter !

[expo peinture] Cézâne : chou blanc à Martigny

Fondation Gianadda à Martigny : Cézanne (1839-1906), le chant de la terre

index

Nature et bunker

Dans la cuvette émaillée de montagnes édentées, passé le magnifique jardin des sculptures (sensuel Maillol, Moore, Laurens, Brancusi trône et reflète les roches environnantes, étonnant et monumental Tapiès ; quelques atroces Rodin et Bourdelle, Renoir-Guino ; Ipoustéguy, Chillida, Max Bill du cru, Stahly, Etienne-Martin, découvertes de Penalba, Segal, Dubach, Rouiller, Cognet qui répond à Lalanne, un Paul Bury massif qui date, manger des figues du jardin devant Tommasini, etc.) où s’offrent les multiples essences d’arbres (Japon, Amérique du Nord, pays de l’Est, etc.), l’expo Cézanne, qui clôt le cycle impressionnistes (Degas, 1993, peintre qui ne me lasse pas de m’étonner d’être étiqueté ainsi, doute confirmé encore par l’exposition de Degas, être cassant et amateur de putes, et le nu au Musée d’Orsay ; Manet et Gauguin, 1996, Van Gogh, 2000, mais est-il, lui aussi, impressionniste à part une courte période ?, Berthe Morisot, 2002, Monet, 2011, Renoir, 2014), quota de visiteurs garantis notamment avec Monet, sous-titré « le chant de la terre », Malher à lui, s’offre au bunker de septante, digne des pires architectures lyonnaises commandées par Pradel, décliné à toutes les sauces en logo. Forteresse imprenable à la forme primitive entre assyriens et  moyen-âge. Un lieu plus propice aux concerts (cf. Clair, Jean. « Dans l’amitié de la peinture : le « bunker » Gianadda », Le Temps, Opinions/Invités, jeudi 3 octobre 2013), si tu n’as pas vu Cecilia Bartoli avant 50 ans, c’est que tu as raté ta vie, à l’aune du sponsor mentionné en gros, puisque les sièges, en évidence, émergent en position centrale tant leur nombre dépasse celui des tableaux. Une vue panoptique de l’expo ?

Avant, une promenade à l’étage, le long des vitrines remplies de petites merveilles archéologiques quand elles ne sont pas condamnées, bien qu’éclairées, par des sièges. A noter une magnifique sculpture Hercule Léontè enfant (période Hadrien, marbre blanc cristallin de Paros), où personne ne s’arrête malgré la mise en valeur évidente par la lumière, trouvée dans la ville romaine de Martigny, prêtée par le Musée Barbier-Mueller pour commémorer l’anniversaire quadra de la création de l’espace d’exposition alors que son créateur est mort en 2016.

Cette forme en quadrilatère pour des tableaux dans leurs cadres anciens alignés sur fond rouge bordeaux, comme un salon ancien où Cézanne fut souvent refusé, amène à entrechoquer des personnes qui s’esquichent, à slalomer pour espérer avoir une seconde d’intimité, sans recul, devant un tableau souvent ébloui par la lumière, comme au Grand Palais alors qu’ici l’espace est moindre, personnes en surnombre, en apparence seulement, qui, en outre, nous abreuvent de leurs paroles pseudo-savantes, une anglaise parlant français par exemple ou une dame qui me bouscule pour prendre des photos avec son portable et finit par s’excuser au bout de la dixième fois. Possibilité de rejoindre le tatami où des peintures se nichent derrière les piliers. Ainsi, une haute peinture agrandie de Cézanne laissant plus songer curieusement à un Nabis. Une impression d’expo annexe dans un espace aussi grand qu’un quai de gare de La Part-Dieu.

Déçu dessous

Exposition décevante : peu de tableaux finis (les ciels comportent de nombreux blancs non volontaires) où l’huile ressemble plus à de l’aquarelle, beaucoup d’esquisses jusqu’à se demander si Paul savait peindre – ce qui est le comble-, mais douter certainement, les fonds de tiroirs sont grattés pour qui fut chiche avec moins de 1000 tableaux en tout (des dessins dans une pièce annexe décevante pour un Paul qui ne savait pas dessiner au sens classique, comme il fut souligné dans une « Grande traversée » de France culture), peu voire pas du tout d’œuvres majeures (publicité mensongère dans la plaquette : « riche d’une centaine d’œuvres majeures »), une chronologie (1860-1906) respectée initialement puis curieusement chamboulée par des thématiques (paysages, Estaque, Auvers-sur-Oise, Verdon, Valhermeil, Château Noir, Jas de Bouffan dont l’inévitable Sainte-Victoire qui remémore cette magnifique exposition, elle, au Musée Granet), natures mortes avec fameuses pommes et poires où il saisit en un instant la totalité du cycle de vie du fruit, baigneuses dont un tableau quasi baconnien, préfigurant aussi les expressionnistes Schiele et Kokoschka, le coude redressé retrouvé dans Les demoiselles d’Avignon de Picasso, (auto)portraits, etc.), l’inévitable « père de l’art moderne » dont De Staël paraît finalement un héritier évident, un beau titre d’exposition mais peu pertinent dont la justification est tirée par les cheveux (la nature, tout ça).

A prendre

Revers intéressants : voir les chemins de traverses du peintre, ses hésitations. Du jamais vu et passionnant : la mention sur les cartels du premier propriétaire du tableau (Degas, Pissarro, Denis, Signac, Picasso avec ChâteauNoir, Cinq baigneuses et Vue de la cathédrale d’AixenProvence, Gauguin, « brooker » ou financier prospère à la Jeff Koons dont ce tableau de Cézanne acquis en 1883 l’aidait à vivre en lui indiquant la direction, puis dans les mains de Vuillard, comme Montagnes en Provence – Barrage de François Zola, un des rares tableau réussi de l’expo avec paysage au rythme tonique avec des touches rapides et saturées en couleurs où la douceur des plans contraste avec la rude construction des cabanes, toits, peint en 1879 et venue de Cardiff, référence à une amitié plus tard brisée par la publication de L’œuvre de Zola qui qualifiait pertinemment son ami de « géni avorté », etc.) à généraliser dans les autres expos car permet des mises en relation intéressantes.

Autre point positif : des tableaux peu vus comme, par exemple, Objets en cuivre et vase de fleurs en lien avec Ribera. Selon Léonard Gianadda, la nature morte étant à l’inventaire des collections de la Fondation, « L’huile a appartenu à Auguste Pellerin [l’un des plus importants admirateurs de Manet et de Cézanne] et n’avait plus été vue en public depuis 1931. Quand j’ai su qu’elle était à vendre chez Kornfeld à Berne, on travaillait sur le projet Cézanne. D’ailleurs c’est un peu l’essence de notre collection bizarroïde, on achète pour s’éviter de convaincre un prêteur supplémentaire, mais toujours motivés par un coup de cœur. Or, il y a déjà tout Cézanne dans cette toile ! ». Autres exemples : un tableau acheté en 2008 par la famille princière de Monaco, L’arbre tordu, 1888-90 venu du musée d’Hiroshima, L’aqueduc du canal du Verdon au nord d’Aix caché chez un privé suisse ou Le hameau du Valhermeil chez un privé japonais ; Musée Pouchkine, Granet, d’art et d’histoire de Genève, Philadelphia Museum of Art, Fuji Art Museum, etc.

Si les influences de Delacroix (déformation des corps, composition agitée) et le voisin de Martigny, Courbet (touche picturale affirmée notamment dans la période plus impressionniste avec des longues touches de pinceaux quasi tachistes sous l’influence de Pissarro dans Le bassin de Jas de Bouffan, 1878 lieu en marge d’Aix que son père, banquier, avait acquis et que Paul a vendu en 1899 pour s’installer au centre d’Aix, Chemin à l’entrée de la forêt, 1879, La Côte des Jalais à Pontoise, 1879-1881; dispositions massives des paysages), sont prégnantes, les espagnols prédominent tout un côté avec ceux du Siècle d’or, Velazquez et Goya enfin.

Les années 1860 sont bien présentes avec leurs maladresses et les débuts  laborieux, permettant de saisir le long cheminement. Cézanne part de loin ! Voir à titre uniquement informatif la copie scolaire, naïve de Jeu de cache-cache du galant Nicolas Lancret (1690-1743). Madame Cézanne à l’éventail, offre un jeu des volumes, des teintes diverses où transparaissent les tonalités bleutées. La tentation de saint Antoine, 1875-77, avec un fond de Provence rocheuse, rejoint la future exagération flaubertienne, inspirée de Bosch, avec les taches blafardes des chairs, les figurants grotesques réduites à 5 (« facture couillarde » : sombres, sexués, hallucinés, revisités en « période vache » chez Magritte). Progressivement sa palette s’éclaircit (bleu gris, ocre de la pierre aixoise de Rogne, rouge). Les jeux de construction (maisons, arbres, perspectives contorsionnées, etc.) se radicalisent tout comme les lignes directrices du paysage. Compléter ses connaissances, ses goûts : un panoramique tel que La barque et les baigneurs, un Garçon accoudé avec empâtements au couteau, la solitude du Jardinier Vallier, l’une des peintures les plus abouties dans l’exposition avec le portrait (1885-89) de Victor Choquet, nanti grâce aux filateurs lillois, collectionneur amateur de Cézanne et également  admirateur de Delacroix.

Last but not least

L’ampleur du parcours est couronné par le dernier tableau de Cézanne en 1906 : Le Cabanon de Jourdan  avec géométries (plans en transparences, composition désarticulée en aplats, etc.) et touffes de bleu et d’ocre. Ceci annonce Matisse présent dans le couloir sur les photos de Cartier-Bresson avec Giacometti (seul et avec sa maman), Léonor Fini nue, Mauriac, Flaherty et tutti quanti. Dans la dernière section « le père de la peinture moderne », un superbe feu d’artifices de couleurs, que gâche l’inachevé non voulu, préfigurant Kandinsky et Mondrian.

Pour finir

Un couloir inintéressant avec des photographies en face de reproduction de portraits, laisse place enfin à une salle lumineuse où s’offrent de superbes aquarelles sur des murs crème gâchées par de mauvais dessins de Cézanne, probablement à usage personnel, exposés dans une vitrine basse où nous nous penchons pour le pire.

Reste un catalogue mal fait entre les contributions scientifiques, rédigées comme des brouillons, et les « notices techniques des œuvres exposées ».

Produit dérivé ? Un fendant du Valais « Cézanne Le chant de la terre ». No comment.

Mulière : quel cinéma !

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Attention abonnés Lumière !

Ceux qui ne connaissent pas le Musée Lumière à Lyon seront intéressés. Si les membres clubs ont reçu une invit’ de la part de l’Institut Lumière, les abonnés ont une misérable réduction (4 EUR de moins). Pour ces derniers, c’est un attrape-couillon dans la mesure où 95 % des pièces proviennent du musée délocalisé sans le délicieux parquet qui craque. Quand ils arrivent à faire valoir leur droit, non sans mal parfois, à la caisse. Voilà qui est dit pour les futurs entubés de 2017 où l’expo résidera au rutilant Musée des Confluences.

Soufflons les bougies du 120e anniversaire du cinématographe, le gâteau est amer. Le public se pressait au Grand Palais pour découvrir la nouvelle invention et les projections des premiers films en 75 mm lors de l’exposition universelle de 1900 à Paris, Ville Lumière, où les visiteurs avançaient sur des tapis roulants. Vous êtes désormais accueillis par un misérable stand vantant les atouts de Lyon, OnlyLyon, marketing et comm’ obligent puisqu’une ville devient désormais une marque.

« Ils auraient pu s’appeler Abat-jour, mais ils s’appelaient Lumière » ironisait Jean-cul God, croyant une énième fois, faire rire son monde et ses adeptes réunis dans une cabine téléphonique à peu de frais.

Plongeons donc dans l’exposition « Lumière! Le cinéma inventé » consacrée aux frères, dont le directeur de l’Institut Lumière à Lyon et délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux est commissaire avec le critique Jacques Gerber. Après les néons bienvenus, une chronologie, parsemée de plus de cent cinquante brevets déposés (couveuse, tulle gras pour les brûlés, etc.), abstient d’expliquer pourquoi a été retirée au dernier moment l’effigie des frères Lumière sur un billet de banque quand le franc existait encore… Les faits sont têtus : Louis Lumière, ingénieur (physique, mécanique) et artiste (photographie, cinéma), vantait les mérites scientifiques du IIIe Reich devant l’Académie des sciences en 1943 ; son frère Auguste, médecin, fut membre du comité d’honneur de la LVF.

La scénographie signée Nathalie Crinière est intéressante, avec cette pellicule au plafond, plus décorative qu’autre chose, que personne ne voit en détail car mal adaptée au lieu, trop petit et trop haut. L’expo (1 500 m²) est enserrée dans le Salon d’Honneur du Grand Palais, en étau entre Velasquez, JP Gaultier et Icônes américaines. Une maquette de l’usine Lyon-Monplaisir en 1903, avec la découverte de l’émulsion sèche améliorée et le succès des « étiquettes bleues » ou plaques photographiques instantanées au gélatino-bromure d’argent, procédé inventé par Louis à 17 ans, qui a mis la photographie à la portée de tous les amateurs, représente en 1895 une surface de 6 000 m2 et 260 ouvriers à l’emploi puis 4 hectares occupés par 800 employés en 1913 suite à la production de plaques de verre, de papiers sensibles et de produits chimiques.

Avant le cinéma

Dans l’espace « Prélude », s’ensuivent les classiques appareils de pré-cinéma : la lanterne magique ou projection d’images peintes sur des plaques de verre à travers un objectif via la lumière d’une chandelle ou d’une lampe à huile, le polyorama panoptique, le lampadophore boule, la lanterne polychrome, le thaumatrope ou jouet optique, le phénakistikope, le zootrope (étymologiquement, « roue de la vie »), nom de la maison de production de Coppola, le praxinoscope et la chronophotographie mise au point par Etienne-Jules Marey et Eadweard Muybridge. Des boutons servent à animer certains appareils façon Palais de la Découverte. Rêvons du musée d’Exeter alimenté par feu le réalisateur engagé Bill Douglas. Evidemment Demeny et Reynaud sont également présents. Thomas Edison inventa le kinétoscope avec son assistant, William Dickson, le 14 avril 1891 à New York. En 1894, Antoine Lumière découvre cet appareil lourd à Paris où il faut coller son œil sur un œilleton pour observer individuellement l’un des 70 films tournés entre 1891 et 1895 grâce à la création de l’américain, une caméra de prises de vues, le Kinetograph, avec un format 35 mm. « Ce qu’Edison a inventé c’est Canal+. C’est-à-dire que c’est un rapport individuel à l’image. On paye et puis on a son image animée. Les Lumière, ils inventent le spectacle cinématographique », relève Jacques Gerber. En 1895, les français dament le pion à celui qui ruina Charles Cros. Et tac. Quant au 35mm, Quentin Tarantino, Steven Spielberg, Paul Thomas Anderson, James Gray, Philippe Garrel ou Christopher Nolan résistent encore.

L’invention du cinématographe

Louis Lumière synthétise fonctions de prise de vue et projection en un seul appareil : « Pour imprimer des déplacements successifs réguliers, il met au point un mécanisme très similaire à celui de la machine à coudre, qui fait successivement avancer et s’immobiliser le tissu, le temps que le point soit réalisé ».

Le cinématographe, soit « l’écriture du mouvement », sera inventé le 13 février 1895 (brevet du Cinématographe Lumière, n° 245 032) : « Appareil servant à l’obtention et à la vision des épreuves chronographiques ». Il sera fabriqué en série dès la fin décembre 1895 dans les usines des frères. Le cinématographe n° 1, utilisé pour la première projection publique, trône comme un bijou sous verre, éclairé de haut et en rotation. La spécificité était le mécanisme qui permet l’entraînement de la pellicule de façon intermittente. Des modifications seront ensuite opérées, notamment pour réduire les à-coups au visionnage. Une présentation soignée réussie, tout comme le feuilletage virtuel de documents techniques ou catalogue de films. Le génie de Louis Lumière est qu’« Il a tout intégré, du tournage et de la fabrication des films jusqu’à la conception du mode d’exploitation ».

A côté, une grande peinture du père, Antoine Lumière, né en 1840 en Haute-Saône, est très mal exposée, tout en hauteur, inondée de la lumière du spot, quel que soit la position du visiteur, façon empilement XIXe. Après avoir tenté sa chance dans les affaires à Paris puis Besançon, où naissent ses fils Auguste (1862-1954) et Louis (1864-1948), il ouvre un atelier de photographie à Lyon. Si l’associé et néanmoins fils Louis invente, le père, photographe, n’est pas très bon gestionnaire.

Les frères Lumières réalisateurs

Le 22 mars 1895, les frères Lumière présentent leur premier film devant les membres de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, rue de Rennes, à Paris. « Oh la la, ça, c’est l’avenir ! » s’exclama Léon Gaumont, directeur du Comptoir général de la photographie, en assistant à la conférence du jeune Louis Lumière intitulée « L’Industrie de la photographie et la photographie des couleurs de M. Lippmann ». A la fin, incidemment, il présente un petit film de moins d’une minute, tourné trois jours plus tôt à la sortie des usines Lumière à Lyon, rue Saint-Victor, rebaptisée depuis rue du Premier-Film. C’est bien sûr de « La Sortie des usines Lumière » dont il s’agit, soit la première (19 mars 1895, jour de grand soleil pour impressionner les premières pellicules en celluloïd de 17 mètres de long après des giboulées persistantes ; la pellicule a été retrouvée dans les années 80 dans une poubelle du cours Gambetta à Lyon car une personne qui la tenait de son grand-père l’avait détruite pour toucher l’argent de l’assurance) des 3 versions. La caméra était positionnée dans la salle à manger de leur contremaître Vernier, dont la fenêtre donnait sur leur usine.

Le premier prototype se caractérisait par un entraînement de la pellicule à l’aide d’un système à pinces déjà de façon intermittente grâce au système d’excentrique. Le mouvement de la manivelle à l’arbre portant l’excentrique est transmis par l’intermédiaire d’une courroie extérieure avec l’excentrique triangulaire. Ce prototype a servi à expérimenter diverses solutions techniques et a de ce fait subi plusieurs modifications successives. Le prototype n°2 avait des griffes qui viennent s’introduire dans les perforations pour faire avancer la pellicule de manière plus précise, un excentrique triangulaire et un système de transmission du mouvement de la manivelle par chaîne, à l’intérieur de l’appareil. C’est ce deuxième prototype qui a servi à tourner et à projeter la dizaine de films de l’année 1895, qui présentent tous les mêmes caractéristiques : images jointives à angles vifs décalées vers la gauche en raison de la forme de la fenêtre de prise de vue.

Le clou de l’expo, même si la reconstitution de Jacques Grange est un peu froide, c’est le décor orientalisant du Salon Indien, cette ancienne salle de billard du Grand Café (actuel hôtel Scribe, boulevard des Capucines, Paris), lieu de la première projection publique payante, le 28 décembre 1895. Les 33 spectateurs sont subjugués par des films d’autofictions (« le Repas de bébé » ou « vue », puisque c’est ainsi que les Frères nommaient leurs bobines, d’Auguste et de son épouse donnant la becquée à leur fille, « La Pêche aux poissons rouges » « les Forgerons », « la Mer ») et burlesques (« La Voltige » « le Saut à la couverture », « le Jardinier » rebaptisé « l’Arroseur arrosé »). Insatisfaits de la qualité de « La Sortie des usines Lumière » pour une séance publique payante, les frères Lumière tournent deux nouvelles versions durant l’été 1895, demandant à leurs ouvriers de rejouer la scène, un dimanche après la messe notamment. Pour accélérer la sortie, les Lumière demandent à leurs employés de rapidement se disperser vers la droite ou vers la gauche. Dans la version officielle, la troisième, la carriole a disparu, les hommes portent des canotiers et les portes de l’usine ont le temps de se refermer. « Pour tourner ‘La sortie des usines’, il faudrait aujourd’hui cinq assistants, des techniciens partout. Or, ils l’ont filmé à deux. C’est une prouesse incroyable » déclare Tavernier.

Le magicien Georges Méliès, qui a immédiatement compris l’importance de l’invention, se souvint : « A ce spectacle, nous restâmes tous bouche bée, frappés de stupeur, surpris au-delà de toute expression. A la fin de la représentation, c’était du délire, chacun se demandait comment on avait pu obtenir pareil résultat ». Durant cette année 1895, les frères ont tourné sous la direction de Louis Lumière des dizaines de films, principalement à Lyon et à La Ciotat. Pour l’ogre baroque, créateur de la cinémathèque française, Henri Langlois : « il fut un temps où le cinéma sortait des arbres, jaillissait de la mer, où l’homme à la caméra magique s’arrêtait sur les places, entrait dans les cafés où tous les écrans ouvraient une fenêtre sur l’infini. Ce fut le temps de Louis Lumière ». Il témoigne également au côté de Renoir dans un documentaire filmé par Rohmer (« Louis Lumière », 1968). Langlois enchaîne les poncifs désolants et éculés d’époque au marxisme prégnant tels que les pauvres d’antan seraient soi-disant plus proches des personnes d’aujourd’hui que les bourgeois. Il contredit Rohmer sur la caractéristique triangulaire en insistant sur la diagonale pour finir son raisonnement en concédant que Rohmer avait raison : édifiant. L’éponge Renoir, vieillissant, semble plus pertinent, même s’il enchaîne les clichés d’époque, comme à son habitude pour celui qui fut communiste quand il le fallait, antisémite aussi avec cette lettre à Tixier-Vignancour, sans trop se fouler. C’est d’une opération massive de légitimation des inventeurs en artistes dont il est question en faveur des frères Lumière. La critique est tributaire de son temps, elle vieillit mal. Un cocktail, des Cocteau y allait de sa petite phrase dans son style inimitable : le cinéma serait l’« écriture moderne dont l’encre est la lumière ». Parmi les citations sur les murs de l’expo, Maurice Pialat évoquait « le miracle Lumière » : « La vie comme on ne l’avait jamais vue », avec « une ingénuité, une pureté qui s’est perdue ». Sur le côté réalisateur des frères, Thierry Frémaux surenchérit : « Le cinéma des frères Lumière, c’est le cinéma de l’innocence, de la pureté. Leur caméra est curieuse et généreuse. Leur geste inaugural, c’est filmer des hommes et des femmes (…). Lumière a fait de la mise en scène dès le premier film, ‘Sortie d’usine’. Lumière s’inscrit plus dans une veine naturaliste d’enregistrement du réel du monde ».

Ils ne se sont tout de même pas décarcassés dans le salon en rediffusant un film lourdement pédagogique sauce CRDP commenté avec la voix de Michael Lonsdale, en boucle au Musée Lumière.

          Il est possible de visionner les films des concurrents des Lumière – Léon Gaumont dès 1895, Charles et Emile Pathé en 1896 et Georges Méliès – qui contribueront à faire du cinéma une industrie. La France domine le développement du cinématographe jusqu’à ce que les États-Unis prennent l’avantage après la Grande guerre.

Le cinéma, acteur de la mondialisation

Les films tournés à partir de 1896 auront tous la même forme d’image dorénavant standardisée : images à angles arrondies centrées entre les perforations et séparées par une barre de cadrage, et conservent la longueur de 17 m qui correspond à la capacité du chargeur et la largeur de 35 mm.

          Louis Lumière employait un langage direct à l’égard de ses nouvelles recrues. Au début de l’année 1896, un an après un accueil enthousiaste, l’inventeur du cinéma cherche des opérateurs capables de sillonner la planète : il veut qu’ils constituent un catalogue d’images en mouvement afin de diffuser le cinématographe dans le monde entier. « Ce n’est pas un métier que nous vous offrons mais plutôt un travail de forain, de batteur d’estrades, lance alors Louis Lumière. Cela peut durer six mois, plus peut-être ! ». Parcourront le monde parmi 31 pays actuels avec la précieuse caissette de 5 kg, Gabriel Veyre (Mexique, Cuba, Venezuela, Colombie, Canada, Japon, Chine et Indochine comme « Le Village de Namo » tourné en 1900 au Vietnam à partir d’une chaise à porteurs où pointe le sourire d’un enfant courant après la caméra), diplômé de la faculté de médecine et de pharmacie de Lyon, Félicien Trewey, prestidigitateur, Félix Mesguich, membre d’un régiment de zouaves et permissionnaire à Lyon, Alexandre Promio intriguant pour être présenté à Louis, auteur du premier travelling de l’histoire du cinéma, Constant Girel, Marius Chapuis, etc. L’un des rares intérêts de l’expo au regard du Musée Lumière est la présentation du fonds Gabriel Veyre (« Gabriel Veyre, opérateur Lumière », de Philippe Jacquier et Marion Pranal, Actes Sud/Institut Lumière, 1996). Selon Philippe Jacquier « Lorsque le sultan de Marrakech fait venir Gabriel Veyre dans son harem, en 1901, c’est pour que les femmes de ce harem puissent, par l’intermédiaire des images Lumière, découvrir le monde entier. A ce moment précis, les Lumière ont gagné ». En moins de neuf mois, l’apport à une nouvelle étape de la mondialisation est essentiel en se fondant sur la diffusion industrielle des produits photographiques des usines Lumière à partir de comptoirs à l’étranger. L’humanité atteint au stade du miroir. « La mondialisation des images, c’est la création d’une nouvelle mémoire et d’une captation du temps, estime Jacques Rittaud-Hutinet, historien du cinéma et auteur du « Cinéma des origines. Les frères Lumière et leurs opérateurs » (Champ Vallon 1985). Ce sont des films d’une minute, et on a le sentiment que la mort est vaincue par la science. Nous allons nous voir revivre éternellement ». Pouvoir et image étant intimement mêlés depuis des siècles, les souverains et monarques saisissent l’importance du fait d’être filmés. Le cinématographe est présenté le 5 juin 1896 à Belgrade au roi Alexandre Obrénovitch et à la reine mère Nathalie, le 12 juin à la reine d’Espagne et le 3 août au tsar Nicolas II. Intéressant est ainsi le mur proposant la mise en regard d’une quinzaine de films tournés dans des villes étrangères par les opérateurs Lumière et des prises de vues en direct de ces mêmes cités aujourd’hui, désormais saisies en webcam. Bref, puisque le dossier de presse insiste lourdement, il s’agit d’« apporter le monde au monde » selon le cinéaste et Président d’honneur de l’Institut Lumière, Bertrand Tavernier. 1422 films seront tournés entre 1895 et 1905. Bien que quantité ne rime pas avec qualité, symptôme de notre époque, ils sont présentés en split screen sur 10 mètres de haut et 6 de large. Cette présentation serait sensée nous ébaubir : « On va pouvoir dire en sortant : ‘ J’ai vu tous les films Lumière ’ » selon Thierry Frémaux. Tu n’as rien vu dans cette fresque : trop d’images tuent l’image. Je suis plus sensible à un aplatissement du monde où rien n’est hiérarchisé, tout se vaut.

La figure du spectateur mondialisé dans l’instantanéité spéculaire émerge. « Le public est dans un premier temps subjugué par le cinématographe, raconte Jacques Rittaud-Hutinet. Puis, avec le temps, il entre dans un rapport original avec cette invention : ce qu’il voit lui appartient. Il veut voir dans sa ville son propre train, puis il veut voir sa propre image, il veut entrer dans un rapport de possession avec celle-ci. » N’eût été le syndrome du doublon, il est possible de regarder des films du catalogue Lumière grâce à des visionneuses verticales high-tech en verre comme des totems. Chacun peut choisir sa ville (Marseille, Lyon, etc.), sa thématique : interactivité, personnalisation.

Autres inventions et perfectionnement des Frères Lumière

            Le photorama est inventé en décembre 1900 par les frères Lumière à l’aide de prises de vues réalisée avec le Périphote. Il s’agit du premier procédé permettant en un unique cliché, à l’instar de la mode du panorama au XIXe siècle, créé en 1787 par le peintre irlandais Robert Barker (1739-1806), de projeter sur un écran cylindrique une photographie à 360 degrés. Malheureusement, ce n’est pas ici concluant, à cause de légers décalages d’appareils. Dommage.

            La photographie couleur était enfin à la portée de tous grâce à l’autochrome (brevet du 17 décembre 1903), premier procédé en couleur développé de façon industrielle s’imposant pendant 30 années. Louis Lumière considérait l’autochrome comme son véritable chef-d’œuvre. L’art est ici évident au point de penser à des peintures de Claude Monet ou Gustave Caillebotte. Trop complexe, trop fragile avec ses plaques de verre, l’autochrome a périclité. Il reste ces images projetées comme celle de personnes en maillots de bain rayés de la famille Lumière à la plage aux couleurs chatoyantes, obtenues à partir de la fécule de pomme de terre. C’est avec une magnifique photo de que Tavernier rendit hommage à ce merveilleux procédé dans son meilleur film, selon moi, « Un dimanche à la campagne » (1984) d’après le livre du scénariste Pierre Bost « Monsieur Ladmiral va bientôt mourir ».

Si en février 1935, Louis Lumière invente le cinéma en relief ou 3D avec des lunettes anaglyphiques à verres bleus et jaunes pour l’anniversaire du quarantenaire en créant plusieurs films dont une nouvelle version de l’ « Arrivée du train en gare de La Ciotat », la seule et belle surprise de l’expo est la diffusion dudit film sans lunettes par une société française, pionnière en matière d’écrans stéréoscopiques, Alioscopy. Une réussite totale pour une première mondiale. Une façon de mettre en valeur le savoir-faire et l’inventivité français. James Cameron étudierait l’utilisation de ce nouveau procédé.

Pour compléter le tableau, ils inventent également, ne l’oublions pas, la stéréophotographie et l’hologramme.

De l’argentique au numérique

            Le parcours confronte ensuite les cinéastes d’aujourd’hui au cinéma des origines : une misérable pellicule, pièce unique provenant de la Cinémathèque, peu prêteuse, l’abandon du 35 mm avec le DCP (Digital Cinema Package) de 2015 de « La Dolce vita » de Fellini à côté des onze boîtes de 1960, des anciennes caméras de Lelouch à sa dernière caméra numérique, rare autre apport de l’expo par un passionné du cinéma plus qu’un réalisateur marquant. Joie du numérique, un documentaire passionnant, « Side by side » (2014) même si parfois technique, de Christopher Kenneally et produit par l’acteur et réalisateur Keanu Reeves, confronte l’avis des professionnels sur le passage de l’argentique au numérique avec l’abandon afférent du format 35 mm. Malheureusement, la salle est fermée car le matériel est en panne !

Différents artistes interrogent le statut de l’archive, de la caméra et du réel. Sur un écran géant défilent les remakes de « Sortie de l’usine », devant l’Institut Lumière, construit sur le site de l’usine de la famille Lumière à Lyon, classé en 1994 par Jacques Toubon alors Ministre de la Culture, par six réalisateurs dont Quentin Tarantino, Pedro Almodóvar et Xavier Dolan avec le gotha de la grande famille du cinéma de Jean-Pierre Marielle à Tahar Rahim, en passant par Irène Jacob et Tim Roth. Dommage que le people Frémaux n’ait pas songé à diffuser les remakes tournés avec les abonnés-acteurs le fameux jour anniversaire, le 19 mars 2015. Cela aurait été un bel hommage à ceux sans qui le cinéma ne pourrait exister : le spectateur. Isabelle Huppert, Monica Bellucci, Gaspard Ulliel, Jacques Audiard, Claude Lelouch, Jean-Pierre Marielle, Virginie Ledoyen, Jerry Schatzberg, Claudia Cardinale, Paul Belmondo, Chiara Mastroianni, Costa-Gravas étaient présents au vernissage… . Louis Lumière fut le premier président du Festival de Cannes en 1939, qui n’aura finalement pas lieu. Le logique hommage au terne Festival de Cannes 2015 s’est, quant à lui, fendu d’une célébration de la fraternité derrière la caméra, puisque Paolo et Vittorio Taviani (85 et 83 ans, Palme d’or 1977 pour « Padre, Padrone »), Jean-Pierre et Luc Dardenne (64 et 61, Palmes d’or respectivement 1999 et 2005 pour « Rosetta » et « L’Enfant »), Joel et Ethan Coen (61 et 57 ans, Palme d’or 1991 pour « Barton Fink » et présidents du jury cette année) ont été invités. Si les Wachowski (« Matrix », 1999) étaient absents, ils ont une excuse de taille : depuis que Larry est devenu Lana, Andy n’a plus de frère, mais une sœur !

            La trace de l’esthétique Lumière est présente chez Robert Bresson, garant du cinématographe, Maurice Pialat, William Klein (3 photographies noir et blanc en grand format à la fin de la courte expo : « Wings of the Hawk », « 42nd Street », « Selwyn et Apollo »), Crasneanscki.

 

Cueillons la marguerite au 104

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Forza Païni

Dans un brouhaha autour des arts urbains où de jeunes danseurs de hip-hop répètent dans les coursives, une expo gratuite dans l’immense nef centrale dans une antique fabrique de marbres funéraires à la limite d’Aubervilliers (XIXe arrondissement) rend hommage à la firme à la marguerite, du prénom de la mère de Gaumont, la plus ancienne société cinématographique du monde : « 120 ans de cinéma : Gaumont, depuis que le cinéma existe ». Dominique Païni, ancien directeur de la salle Studio 43 (Paris), ex-distributeur et producteur de films (Philippe Garrel, Jim Jarmusch, Jean-Marie Straub, Jean-Luc Godard, Juliet Berto, etc.), anciennement curateur au Centre Pompidou (l’essentiel « Hitchcock et l’art », 2001 ; « Voyage(s) en utopie », 2005) et au Louvre, ancien directeur de la Cinémathèque française, directeur de collection cinéphile chez l’éditeur Yellow Now et critique dans Art Press ou aux Cahiers du cinéma, est le commissaire de cette exposition. Son intelligente griffe se ressent. Catherine Millet, la rédactrice en chef d’Art Press, le compare au regretté Harald Szeemann. La scénographe, Nathalie Crinière, la même que pour l’expo « Lumière ! Le cinéma inventé », reprend l’idée ludique de la salle de projection, tente gardée ici par des cariatides en stuc, dans la vaste verrière où il convient de suivre les tapis rouges. « Au Grand Palais, c’est le cinématographe qu’on célèbre, ici, c’est le cinéma », résume Dominique Païni.

Gaumont fait son cinéma

« Le cinéma n’est pas né dans les salles, mais sous les tentes des fêtes foraines, rappelle Dominique Païni. Au début, c’était une attraction. » Les films présentés sont signés, entre autres, d’Alice Guy (« La fée aux choux », 1896 pour contrer « L’arroseur arrosé » des Lumière et afin de fidéliser les forains qui ont acheté les projecteurs), l’assistante de Léon Gaumont qui en réalisa des centaines dès 1896, de Louis Feuillade qui lui succéda à la direction de la production, créant des feuilletons (« Bout-de-zan », « Judex », « Fantômas », « Les Vampires », etc.) afin de conserver un public accroc. Sur le côté, un piano en libre accès permet à tous d’accompagner les extraits. Les actualités Gaumont (l’empereur François-Ferdinand chasse ; les Américaines portent des montres sur leurs souliers ; le président Taft est à Paris ; l’aéro-traîneau est promis à un grand avenir ; les chapeaux de Doucet font l’admiration des Parisiennes ; le défilé de mi-carême passe place de la République ; lord Kitchener est élégant ; un parc d’attractions est créé à Milan ; la Seine est en crue ; la manif du 1er mai est interdite ; en 1914 on fait du ski à Chamonix, l’aviateur Jules Védrines s’envole dans un aéroplane fabriqué avec du papier de soie et de la colle blanche, un inventeur présente l’Equilibre-Freineur, dispositif qui permet d’allumer sa clope sans tomber de vélo, des soldats français confiants s’installent à Verdun, le sourire aux lèvres), projetées avant les films dès 1910, défilent.

Tout sur Léon

Léon Gaumont (1864-1946) est un self-made-man, lancé dans la vie active à 16 ans « en tant qu’arpète, chez un fabricant de jumelles. Issu de la toute petite bourgeoisie parisienne, ce matheux s’est formé au progrès de la science dans les sociétés savantes ». Il fabriquait à partir de juillet 1895, grâce à trois commanditaires dont Gustave Eiffel, en reprenant le Comptoir général de la photographie des frères Richard, des appareils de projection et de prises de vues (échec du procédé commercial de prise de vue trichrome, le « Chronochome », pourtant moins coûteux que la peinture à la main des pellicules) avant de se diversifier rapidement dans la production d’abord aux Buttes-Chaumont (le même XIXe arrondissement). « Je fais le pari qu’il n’a pas encore l’idée du cinéma à ce moment-là », avance Dominique Païni. « À ce moment-là », Gaumont flaire surtout les affaires, vend aux forains des appareils de projections concurrents de ceux des Lumière. Avec l’aide de l’artiste et photographe Georges Demenÿ, il travaille leur sonorisation et la couleur. Il privilégie ensuite la distribution. Sa société s’essoufflant, il l’abandonne à d’autres, au tournant des années 1930, pour finir ses jours à Sainte-Maxime (Var) en faisant de petits films « sur les recherches scientifiques et techniques. Pour s’amuser ». « La maison a changé de propriétaires plusieurs fois, elle a une histoire longue de 120 ans et complexe. Mais elle est la doyenne, de fait elle retrace une grande partie de l’histoire du cinéma français », a déclaré Ariane Toscan du Plantier, directrice de la Communication et du patrimoine chez Gaumont. A côté, trônent les reliques des premières salles de cinéma, notamment le célèbre Gaumont Palace, écrin de 3 400 places (jusqu’à 6 000 places) construit en 1910 sur l’hippodrome de la place de Clichy à Paris, longtemps le plus grand cinéma du monde, avant d’être détruit en 1973.

Trésors

Parmi les 3 salles, pénétrons dans l’historique, la salle des trésors de la Gaumont. Un buste de Léon Gaumont nous contemple, un Stéréospido, appareil photo 8×16 « pour voir en relief », datant de 1900 est exposé en vitrine. Dans la pénombre, un magnifique diorama, ancêtre de la photo inventé par Louis Daguerre en 1822, prêté par le musée des Arts forains, se révèle. Il s’agit d’une toile peinte translucide dont l’image, un port de pêche au pied d’un volcan – l’Etna, en éruption, se modifie avec la lumière projetée derrière. « Pour la première fois dans l’histoire humaine, le temps est restitué comme une sensation » selon Dominique Païni. Magnifique découverte. Des affiches représentent « Prométhée enchaîné », le film de frères Gaziadis (1927), ou « Salammbô » de Flaubert, revu par Pierre Marodon (1925). « On y observe le passage de l’Art déco à l’Art nouveau, l’art et l’industrie ont toujours été étroitement liés », précise Dominique Païni, A côté, un dessin animé aussi beau qu’une œuvre de Paul Klee, créé en 1910 par Emile Cohl tourne en boucle. Un petit film en couleurs tourné à l’aide d’une caméra trichrome montre Trouville et Deauville en 1913 façon Boudin. Une « lettre dessin » de Cocteau adressée en 1944 à Pagnol lui demandant, sans résultat, de produire « La Belle et la Bête » (1946), un « conte de fées sans fées » selon le poète, d’après la nouvelle de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Là, un éventail qui permettait de se rafraîchir dans les salles surchauffées.

Les livrets des « Grands Films artistiques Gaumont », époque du muet, incitent au rêve : « Le Collier vivant » (Jean Durand, 1912), « Les Mystères des roches de Kador » (Léonce Perret, 1912), « La Force de l’argent » (Léonce Perret, 1913), « La Petite Danseuse » (Louis Feuillade, 1913), etc.

Les photos s’étalent dont celle de la mythique Musidora, première vamp du cinéma, qui a été l’objet d’une rétrospective au Festival International de cinéma du Film de la Rochelle 2015.

Féru de communication, Gaumont table sur les objets publicitaires : du petit manuel pour comprendre les dialogues des « Tontons flingueurs » (Georges Lautner, 1963) où la publicité de l’époque s’applique à traduire le langage fleuri de Michel Audiard, aux faux lingots pour « La Soif de l’or » (Gérard Oury, 1993) en passant par les boîtes d’allumettes Astérix (« Astérix & Obélix contre César », 1999), les cartes à jouer « Carmen » (Francesco Rosi, 1984), un faux œuf Fabergé pour « Fantôme avec chauffeur » (Gérard Oury, 1995).

Soignant ses campagnes publicitaires, la Gaumont commande des affiches marquantes, dont celle du « Printemps » (Feuillade, 1909), en écho à l’art nouveau, celle, célèbre et inestimable, de « Fantômas » (graphiste anonyme), un pied sur Paris, celle de Ram Richman, fasciné par l’Extrême-Orient, pour un film peu connu mais qui ne semble pas impérissable, « Daïnah la métisse » (Jean Grémillon, 1931), laissant songer aux œuvres de Picasso ou de Man Ray, dont un extrait est présenté avec Charles Vanel et Laurence Clavius pour symboliser l’arrivée du parlant avec « l’Atalante » (Jean Vigo, 1934). Défilons également devant « Roman d’un tricheur » (1936) avec un Sacha Guitry à silhouette cubiste, « Zéro de conduite » (Jean Vigo, 1933), affiche ornée de taches d’encre et précisant « avec Jean Dasté et les cinquante gosses du collège », « Extase » (« Ekstase », Gustav Machatý, 1933), avec le visage d’Eddy Kiesler qui deviendra, à Hollywood, la « plus belle femme du monde » sous le nom d’Hedy Lamarr (Hollywood Babylon !). Plus loin, deux affiches figurent côte à côte : « Lancelot du lac » (1974), de Robert Bresson, dessinée par Savignac, le grand affichiste, et « JLG/JLG, autoportrait de décembre » (1994) de Jean-Luc Godard avec, en lieu et place du nom du producteur, la mention suivante : « Les héritiers de Léon Gaumont présentent ». Et l’affiche signée Andy Warhol pour le film « Querelle » (1982) de Fassbinder, d’après le roman de Jean Genet ou encore celle du film de Luc Besson, bien à l’honneur, en anglais toutefois : « The Fifth Element » (1997).

En boucle, Pialat lance son éternel « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. » sous quelques huées lors de la remise de la palme d’or à Cannes en 1987 pour son film « Sous le soleil de Satan ». Un peu plus loin, deux lampes Gallé (66×40 cm) en pâte de verre avec pied en fer forgé de Brandt font office d’éclairage TSF qui donnent « des sons agréables dans un objet élégant ». Un autre haut-parleur à air comprimé brevet Lumière fabriqué par la Société des Etablissement Gaumont (Circa 1925), installé sous l’abat-jour dont la publicité vante les mérites.

Apparaissent alors les costumes de « Belles de nuit » (René Clair, 1952), de « La Famille Fenouillard » (Yves Robert, 1961), sympathique adaptation de la bande dessinée de Christophe (1893), de son vrai nom Colomb, justifiant ainsi le choix de son pseudo (ah ah ah !), nonobstant professeur de physique de Marcel Proust, des « Visiteurs » (Jean-Marie Poiré, 1993) accompagné des moulages issus des effets spéciaux, de « Grosse Fatigue » (Michel Blanc, 1994), la robe noire et dorée de « Jeanne d’Arc » (1999) de Luc Besson, les figurines promotionnelles d’« Oss 117, Le Caire nid d’espions » (Michel Hazanavicius, avec Jean Dujardin et Bérénice Bejo, 2006), emblème de la nouvelle politique de coproduction de Gaumont, ici avec Mandarin. Un dessin préparatoire de Jean-Paul Gaultier pour le film de SF de Luc Besson, allié à Columbia, « Le cinquième élément » (1997).

Gaumontrama

Une salle surprenante, bien pensée, Gaumontrama. C’est une grande pièce garnie de costumes sur les murs et de 15 toiles suspendues au plafond où sont projetés 140 extraits de films parmi les classiques du catalogue Gaumont de 1897 à nos jours. Ils défilent selon des thématiques : toits de Paris (« Fantômas », André Hunebelle, 1964 ou Belmondo dans « Peur sur la ville », Henri Verneuil, 1975 avec cet œil de verre, le nœil lnœil de Verneuil tombant sur le toit qui hanta mon enfance, etc.), le Moyen Age (« Lancelot du Lac », Robert Bresson, 1974 ; « les Visiteurs », Jean-Marie Poiré, 1993, etc.). Et, au hasard, le « Rendez-vous de juillet » (Jacques Becker, 1949), « French Cancan » (Jean Renoir, 1954), « Un condamné à mort s’est échappé » (Robert Bresson, 1956), « Bande à part » (Jean-Luc Godard, 1964) ; « L’homme-orchestre » (Serge Korber, 1970) où Louis de Funès répète dans une ambiance ultra-kitsch ; « La Folie des grandeurs » (Gérard Oury, 1971), le « Grand Blond avec une chaussure noire » (Yves Robert , 1972), « Mais où est donc passée la 7e compagnie » (Robert Lamoureux, 1973), « La Boum » (Claude Pinoteau, 1980) avec une Sophie Marceau en début de carrière qui rachètera à Gaumont son contrat d’exclusivité pour un million de francs en 1982 ; le « Guignolo » (Georges Lautner, 1980), « Sauve qui peut la vie » (Jean-Luc Godard, 1980) ; « La Chèvre » (Francis Veber, 1981), symbole d’une comédie française populaire de qualité avec le duo Depardieu-Richard ; « Subway » (Luc Besson, 1985), « 37°2 le matin » (Jean-Jacques Beneix, 1986), le « Péril jeune », Cédric Klapisch, 1994, etc.

Les costumes de films scintillent : celui du « Schpountz », (Marcel Pagnol, 1938), d’ « Elena et les hommes » (Jean Renoir, 1956), celui de « Signé Arsène Lupin » (Yves Robert, 1959), celui, chatoyant, de « Don Giovanni » (Joseph Losey, 1979), interprété par Ruggero Raimondi et taillé par Anna Lisa Nasalli Rocca, celui de « Léon » (Luc Besson, 1994), celui en charcuterie d’« Il reste du jambon », d’Anne Depetrini (2010), créé par Justine Lacroix et signé Carlotta Saracco, interprétée par Anne Marivin, proche de la robe en viande de l’artiste Anna Sterbak Vanitas (1987) ou de celle portée en 2010 par Lady Gaga. Un résultat éblouissant.

Installations

Une autre salle, interactive celle-là, se nomme « La Cueillette des marguerites ». Conçue par le cinéaste plasticien et écrivain Alain Fleischer, elle permet au visiteur muni d’un lourd miroir de faire apparaître sur les murs, le sol ou le plafond, les centaines d’étoiles, acteurs, comme Jean-Pierre Cassel, et actrices (Catherine Deneuve, Béatrice Dalle, Bernadette Laffont, etc.) qui constellèrent les films Gaumont durant plus d’un siècle tandis qu’une voix égraine leurs noms. « C’est au spectateur de convoquer les acteurs », s’amuse Dominique Païni. C’est tout aussi vain que l’installation inintéressante d’Annette Messager. Concernant la primée de la Biennale de Venise 2005, deux installations se battent en duel dans un recoin : « Chimères » (1982) prolongerait l’imaginaire des premières fictions Gaumont, comme « Les Vampires » (Louis Feuillade, 1915) ; « Histoire de robes » (1990) inviterait au souvenir de stars qui enflamment les films produits et diffusés par Gaumont depuis 1895. Ceci suggèrerait la nostalgie de l’artiste pour des personnages et des actrices de cinéma dont le costume aurait contribué à la mythologie. Écho aux vrais costumes de cinéma, de l’espace intitulé « Gaumontrama ». Mouais.

Bien que modeste, cette exposition est bien plus inventive et réussie que celle intitulée « Lumière ! Le cinéma inventé » sentant la naphtaline bien qu’utilisant des nouvelles technologies.

 

Delubac is back !

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Vernissage, et beaucoup de vernis hier, de l’expo « Jacqueline Delubac, le choix de la modernité » aux Musées des Zobars de Lyon. Jacky n’est pas étrangère au tissu car la lyonnaise est issue d’une famille liée à l’industrie de la soie. Dans les 20’s, elle monte de Valence à Paris pour devenir danseuse. Elle débute au cabaret l’Empire dans une revue où elle imite Joséphine Baker. Elle deviendra actrice en commençant véritablement sa carrière tant sur les planches que sur la toile avec Sacha Guitry.

            En 1935, Sacha offre à Jacqueline Delubac le rôle de Marie Muscat, une jeune blanchisseuse qui gagne à la loterie, dans son premier film, Bonne chance. Le regard, la grâce et le côté grande mondaine parisienne de cette ravissante brune au jeu moderne à l’américaine a su séduire l’auteur réalisateur aussi bien dans la vie qu’à l’écran, et Sacha Guitry dirige à dix reprises son épouse. Femme d’un croupier magouilleur dans Le roman d’un tricheur (1936), Loulou dans Mon père avait raison (1936), Joséphine de Beauharnais dans Les perles de la couronne (1937), Flora dans Remontons les Champs-Elysées (1938), Jacqueline Delubac ravit à chaque fois par son jeu étonnamment moderne et sa classe naturelle. Elle est une petite servante, étourdie et maladroite, dans Le mot de Cambronne (1937) ; une grande bourgeoise qui fantasme sur son valet de chambre dans Désiré (1937) ; une journaliste malicieuse et équilibrée qui doit affronter, pour l’amour d’un homme, la grande actrice Gaby Morlay dans Quadrille (1938), dont un long extrait est projeté dans l’exposition. Mais, dans la diversité de ces rôles, elle reste pour tous les spectateurs la Parisienne type. Après son divorce avec Guitry, sa carrière s’essouffle. « J’étais tellement guitrysée au théâtre comme au cinéma que les metteurs en scène avaient peur que je ne me déguitryse point « , explique-t-elle. C’est avec les Guitry, père et fils, qu’elle s’initie à la peinture classique et à celle du XIXe, des dessins de Tiepolo, un pastel de Quentin de la Tour, puis Renoir, Braque, Cézanne, Matisse, des bronzes de Degas (+ superbes pastels de danseuses) et Rodin. Nous avons droit à un portrait de Lucien (Guitry), le père de, ami des artistes. Des salles un peu fouillies avec pléthore de photos de cinémas et de théâtre où elle parade en Paquin et Schiaparelli. D’où également la présence des couples Chardère et Chirat, dont les femmes respectives sont d’origine arménienne, ainsi que d’autres membres de l’Institut Lumière qui a fourni photos et affiches de cinéma et qui projettera des films où Jacky joue. Elle divorce de Guitry en 1939, année de la date de fabrication de la malle Vuitton, l’homme qu’il aime quand « il lui fait mal-le » aux initiales du planqué au service de son art, défendu par Huster, à la voix nasillarde. Souvenons-nous de l’exposition et de la rétrospective Sacha Guitry à la Toubianathèque en 2007.

            Si Jeunes filles en détresse (1939) de Georg Wilhelm Pabst se contente de la parer des atours d’une grande vedette et de lui faire faire la coquette, Dernière jeunesse de Jeff Musso – premier rôle dramatique de l’actrice – lui permet de nous offrir la même année son jeu probablement le plus brillant. Fille perdue, elle rend fou le vieil homme qui veut la sauver. Elle joue encore les héroïnes perfides : L’homme qui cherche la vérité d’Alexandre Esway et Le collier de chanvre de Léon Mathot en 1940 ; Fièvres (1941) de Jean Delannoy. Elle joue dans un film passé inaperçu, J’ai dix-sept ans (1945) d’André Berthomieu, puis, quatre ans plus tard, dans un policier et une comédie de Raymond Leboursier, La vie est un jeu, avant de s’éclipser définitivement du monde du cinéma en 1950. Mais nous sommes loin de la Garbo.

            Jacqueline Delubac décide de se consacrer à ses collections d’objets d’art. Collectionneuse avertie, elle rassemble des toiles de grands maîtres qu’elle lègue au musée des Beaux-Arts de Lyon parce que Paris, le MNAM notamment, n’en a pas voulu, Képénekian dixit, devenu premier adjoint au maire ! Bref, elle se maque avec un diamantaire arménien, Myran Eknayan, plus féru d’impressionnistes et de peintres du début du XXe. Ceci nous vaut un superbe Déjeuner sur l’herbe de Monet (1865-66, en dation au Musée d’Orsay, joie ed la défiscalisation), un fragment d’une composition audacieuse (6*4,6m) que l’artiste laissa inachevé et redécoupa lui-même en 1884. La peinture trône dans un magnifique salon rouge cramoisi. Myran lorgnait également du côté d’un inattendu Corot, Saint Sébastien et un Picasso de jeunesse, Le nu aux bas rouges (Paris, 1901). Trois bronzes de Rodin ont été légués à Lyon.

Elle fréquente assidûment les galeries avec un œil expert, car elle n’est pas Miró. A New York, elle trouve les Deux femmes au bouquet (Fernand Léger, 1921) et La femme au chevalet (G. Braque, 1936). Elle possède ainsi plusieurs œuvres du même artiste : 2 peintures et une composition à l’encre du superbe art brut Fautrier, une toile, des gravelures et une aquarelle de Picasso, 2 tableaux de Léger, idem pour Poliakoff, Lam et Dubuffet sans causer de Francis Bacon. La salle la plus réussie, car le parti est de reconstituer l’appart’ sur le quai d’Orsay, papier peint et moquette léopard compris, est la salle à manger, vert émeraude. Chaque cartel, assez éloigné des œuvres pour laisser le papier peint dans son jus mais ne permettant pas de comprendre, resitue l’appartement d’époque avec les œuvres. Ainsi, les invités mangeaient leurs œufs et autres nez à nez avec un énorme Bacon, Etude pour une corrida n°2 (1969), végétariens, végétaliens et vegans s’abstenir ! La grande découverte est un artiste encore vivant bien que né à Istanbul en 1931 : Bitan. Elle a commandé un magnifique diptyque abstrait pour lancer sa carrière. La lumière rend justice à cet écrin. Dès décembre 44, elle achète à la galerie parisienne Louis Carré son premier tableau, L’atelier aux raisins de Dufy : Raoul au violon ! A partir de 1951, les achats s’accélèrent pour des œuvres d’artistes renommés : Braque, bénéficiant il y a peu d’une juste rétrospective, Picasso, qui a beaucoup volé à ce dernier, Léger, Miró. Une étonnante nature morte de Rouault. Artung, la pétillante se rend directement dans l’atelier. Ainsi, elle achète un Hartung (T. 1955-33) directement chez le producteur.

Une fois le diamantaire clamsé en 1985, notre rock’n roll de diamants, se lâche : un dessin de Mathieu par-ci, deux sculptures de Germaine Richier par-là, des peintres à sujets plus ardus comme Lam, un Yves Tanguy, deux surréalistes que j’adore, un Brauner. En 1982, elle achète Carcasse de viande et oiseau de proie de Francis Bacon (1980).

L’art déco est déroutant au milieu de ces peintures et sculptures exposés, certes tel qu’en son appartement, façon superposition XIXe (voir la fondation Gustave Moreau dans son atelier). Elle a confié les aménagements à un décorateur en vogue dans les années 70, Henri Samuel. Des chenets en bronze doré trônent au pied de Le Verre d’eau V de Jean Dubuffet (1967). Nous restons sur notre soif. Que dire des chaises-sculptures noires de Ruth, façon orange mécanique (Homme, Ruth Franken) autour du Bacon acheté en 1982. A côté, il y avait des sièges du XVIIIe ayant meublé le grand salon du château d’Abondant dans l’Eure. Cela a très mal vieilli, tout comme cette lampe dégoulinante de … César !

Comme avec la Récamier, nous pénétrons dans l’intimité de Jackie : sa chambre à coucher. Allons à la Vogue, journal qui la sélectionna comme l’une des 10 femmes les plus élégantes avec ses larges pantalons « slacks », ses fourrures et fourreaux de soie. Les robes sont cousues par Paquin, Chanel, Lanvin, Ungaro, Alaïa et Cardin. En détournant le chapeau de Sacha, elle lance la mode du couvre-chef masculin pour les femmes. Parée de ses atours digne de la Pompidou, elle est conviée aux soirées mémorables comme le « Bal My fair lady » d’Hélène Rochas (1965), le mythique « Bal Proust » des Rotschild (1971), un « Dîner des têtes surréalistes » au château de Ferrières (1972) en robe rose de Cardin avec le visage masqué par une pomme pendant d’un chapeau melon Magritte en référence au Fils de l’homme (1964). Un Manet pour clore, peintre que je goûte peu, Jeune femme à la pèlerine (1881). Premier jour d’expo : carte blanche en nocturne à Alexis Mabille, couturier haute couture originaire de Lyon, collaborateur avec Yves Saint Laurent et modernisateur du nœud papillon, car un rien l’habille.

Jusqu’au 16 février, Musée des Beaux-arts de Lyon.

Waow Star wars identités/identities

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Commémoration des 120 ans de l’invention du cinéma à l’Institut Lumière à Lyon avec les abonnés, dont l’un en invalidité pour avoir travaillé dans la chimie comme ouvrier chez Lumière, et bien d’autres, qui reconstituent La sortie de l’Usine Lumière à Lyon, comme à chaque festival Lumière (par Cimino, Tarantino, etc.). Raison de plus pour aller côté Méliès, selon la stupide classification, en rangeant son chapeau pour l’expo à la Sucrière de Lyon, Star Wars identities. 19,5 EUR l’expo, ça vaut le coup d’avoir TF1 et RTL en logo sur le billet ! Pas de vestiaire cause Vigipirate.

L’expo est petite mais riche, très intelligemment scénographiée. En effet, à l’entrée, un bracelet est distribué ainsi qu’un capteur de téléguidage pour commentaires. Le bracelet enregistre chaque info au fur et à mesure. Vous composez votre identité numérique, virtuelle, au cours de l’exposition (origine, apprentissage, environnement, rencontres, valeur, etc.) : vous pouvez la visionner à la fin grâce au bracelet et se la faire envoyer par mail moyennant une charte de conditions d’utilisation draconienne (droit à l’image, etc.). Chaque salle est introduite par un bref extrait de film et un prêchi-prêcha pas inintéressant pour les enfants et ados. Surtout à l’heure du virtuel (pseudos sur Facebook, Tinder, twitter ; avatars dans les jeux comme Second life, etc.). Ce qui m’a gêné, c’est l’idéologie en arrière-fond : le comportement selon le big 5, une probable théorie psychosociologique anglo-saxonne ; l’évacuation du problème du genre. Car l’expo est clairement anglo-saxonne, une voix québécoise nous guide parfois. Seulement devant la vitrine Darth vador, la langue originale gâche presque l’audition de la traduction, le niveau sonore entre les 2 versions ayant été mal réglé. Si l’autre est présent avec les nombreux extra-terrestres et androïdes, les conceptions sur l’identité, sujet éminemment politique et polémique, posent questions au regard de l’expo concomitante sur Bowie à la Philarmonie de Paris.

Tout y est, sauf les images de films, peu présents à part de rares extraits sur l’apprentissage, avec possibilité de s’asseoir enfin sur un banc. La voix de Sir Alec Guinness, acteur de Lean, en Obi-Wan Kenobi. Manque un sabre laser allumé. Nous apprenons que Lucky Skywalker, qui était auparavant une femme pour devenir un homme flanqué d’une sœur jumelle, avait un autre nom. Nous apprenons que Chewbacca était vert avec des oreilles pointues pour devenir celui que nous connaissons, sa voix étant un mix de morse et d’ours. Nous apprenons que Darth vador avait une cape de bédouin avec un casque allongé vers l’avant. Si le casque allemand est évoqué, aucune mention concernant les samouraïs. Nous apprenons que les yeux de Yoda sont calqués sur ceux d’Einstein. Les études avant maquette animée sont passionnantes. Beaucoup de droïdes (C-3PO, où l’acteur a fortement souffert au point de se coincer contre un mur entre chaque prise; R2-D2, etc.) dont Lucas serait à l’origine de la dénomination. Lucas, droïdes, Fellini, paparazzi ! Des extraterrestres combattant l’Etoile noire lors de la Bataille de Yavin étaient des marionnettes animées par quelqu’un du Muppet show (Jim Henson).

Les costumes sont tous présents : par exemple ceux de Nathalie Portman en Padmé Amidala à différents stades. L’un des costumes, blanc, est un rappel de Leia Organa d’Alderande qui trône d’ailleurs en captive de Jabba. Son costume du premier épisode remémore Courrèges, l’escrime et l’astronautique. La scène de Jabba le Hutt sur Tatooine est reconstituée : Han Solo est figé, avec les empreintes réelles de la tête et des mains d’Harrison Ford. Le Hutt était campé sur deux pieds avant d’être l’atroce limace.

La galerie de vaisseaux spatiaux est fascinante. Plus loin, l’un d’eux est un mélange d’hamburger et de mandibules avec un dessin très précis. Le véhicule de course de Luke avec des rayures bleues sur le modèle de la voiture de sport de Lucas. Le plateau est sonorisé avec des jeux de lumière au néon. Les beaux dessins de McQuarrie, qui avaient rassuré les studios à l’époque, et d’autres. La musique manque grandement en ambiance.

A la sortie, une boutique avec produits dérivés, tous plus laids les uns que les autres. Très attaché à la première trilogie (1977 à 1983), décroché après. Un attachement particulier pour l’Episode IV, « La Guerre des étoiles » (1977) : un évènement à l’époque, même si « 2001 l’Odyssée de l’espace » (S. Kubrick, 1968) avait déjà établi les fondements du genre. A l’heure des clones, des avatars et des images de synthèse, le côté artistique semble oublié. Pas d’âme dans les trilogies suivantes. Peut-être une question de génération. Reviens Ray Harryhausen ! Le meilleur film de Lucas n’est-il pas « THX 1138 » (1971) en passant par « American Graffiti » où l’amour des voitures est déjà présent (1973) ?

John Giorno au Palais de Tokyo : Jour J pour John ou le tout-à-l’ego

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C’est dans une ambiance d’état d’urgence en pleine Cop 21 que je me faufile dans ce foutoir qu’est devenu le Palais de Tokyo, avec ses murs décharnés jusqu’au béton brut de pseudo squat, réservant toutefois une salle pour soirée privée VIP – un scandale, qui n’a l’air d’étonner personne, pour un musée public.

John & me

Comme ici le nombril trône, profitons. John Giorno, j’avais lu avant lui, dans la même fournée, à Expoésie en 2006 à Périgueux (Hervé Bruno, Féroce Marquise) : la poésie faite corps avec passation d’énergie même si nous ne comprenions rien, en absence de traduction, malgré son élocution claire et douce. Je lui avais demandé comment prononcer « Joseph Paul Jernigan », un texte répétitif contre la peine de mort au Pays sans nom, sur un condamné à mort tranché et scanné millimètre par millimètre pour servir de modèle numérique pour un CD–ROM éducatif d’anatomie humaine, « Visible man », à partir d’un reportage glaçant sur Arte. J’avais dû assurer mes arrières auprès du sympathique fauve au sourire carnassier pliant son visage de lune avec force fossette et nez à la Cæsar d’une famille basilicate du XIVe siècle.

Intentions

« John est le symbole d’une époque, un court moment dans les années 60 où une communauté d’artistes, de danseurs, de poètes a travaillé ensemble à créer la culture américaine moderne, résume Rondinone. C’est l’un de ses derniers représentants. » Pour John, le dernier, c’est plutôt Patti.

Rondinone décrit sa scénographie : « J’ai imaginé l’exposition en 8 chapitres qui représentent chacun une facette de l’œuvre foisonnante de John Giorno. L’ensemble reflète son processus de travail et permet de comprendre la double influence de la culture américaine et du bouddhisme sur sa vie et son art ».

Marketing John

          L’accueil de l’expo commence par un cliché : le « I love NY » de Milton Glaser détourné en « I love John Giorno » en rouge par Scott King. Un artiste n’est pas là pour se faire aimer mais pour s’exprimer. Ce kitsch m’énerve d’emblée. Disons que l’amoureux plasticien et vidéaste Ugo a créé en 4 ans un mausolée éphémère, le Taj mâle. En sont-ils à vendre un t-shirt en produit dérivé avec cette phrase éculée et vide au temps du marketing omniprésent, répété par Andy, l’un des plus grands fumistes du XXe siècle (« Andy était un habile politicien », J. Giorno dans « Sleeptalking », Pierre Huygue, 1998), objet d’une exposition en face au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris ? Une charmante fille en patin me distribue le violet « God is man made » (2013, 14’), évidemment non traduit, qui fut notamment performé par JG au vernissage de l’expo « John Giorno » en avril 2015 au Flux Laboratory  (Carouge, Genève, Suisse). Ici, c’est la réactivation, dans le cadre du festival d’automne, de la performance « Street works » (1969).

Rentrer dans la ronde des mots

La première salle immersive est un hommage de l’excellent artiste suisse Ugo Rondinone : dans l’installation vidéo, toujours soignée, tournée en gros plans, plans épaule, américains ou larges en écrans diffractés, au théâtre du Palais des Glaces en 2011, John, chat noir chat blanc, fardé et accoutré d’un smoking 27 fois noir ou blanc, pieds nus, tel l’étrange et terrifiant Al dans « Lost highway » (D. Lynch, 1997), éclairés par une poursuite, « danse sur place » (selon l’expression du regretté Bernard Heidsieck, son ami et facilitateur en France) son texte aigre-doux écrit en 2006 pour ses 70 ans, « Thanx 4 nothing » (« Merci pour rien »). Lola Montès prend le pouvoir : amour (« Bob, Jasper, Ugo »), sensualité et sexualité, drogue, liberté jusqu’au suicide, consommation jusqu’au poison, glas des rêves perdus, amis disparus, amitiés trahies, mauvais sentiments dissipés par le temps qui passe (« Amérique, merci pour le manque d’égards »). Magnifique exercice d’admiration de l’amant, sans omettre ce « merci d’exploiter mon ego énorme » par trop présent. Un journal de traductions peut être pioché par le visiteur à l’entrée.

John (Giorno) chez Jorge (Borgès)

La salle suivante, que même un nyctalope ne peut trouver, est une section archives. L « exposition visuelle », l’ « installation monumentale », « The archive of John Giorno (1936-2015) » (Ugo Rondinone, 2015) se compose de 11 751, selon les syndicats, à 15 147 documents, selon la police, sous forme de feuilles plastifiées de papier de format A4 en fac-similés réunis dans de grands classeurs.

Très jeune, Giorno voulait être poète. « Mais bien sûr, on te soutiendra ! » répondirent sa modiste de mère et son père intellectuel qui lui permirent de vivre comme il l’entendait. « Ils avaient cette naïveté propre à la seconde génération d’immigrés italiens qui pensaient que leurs enfants pouvaient devenir président. Alors, imaginez, poète… » Si les références homosexuelles étaient Gide et Genet, les écrits de Jack Kerouac étaient « le miroir de [ses] aspirations », la lecture de « Howl », cri libertaire d’Allen Ginsberg contre la bienséance puritaine, fut un tel choc à sa sortie en 1956 qu’il s’orienta derechef vers la poésie d’avant-garde en abandonnant l’« objectif corrélatif » de T. S. Eliot et la New York school of poetry. Une question me trotte dans la chambre de discernement : et si John Giorno était un sous-Ginsberg tant leur parcours sont identiques (études universitaires, contre-culture, engagement, oralité, musique – Dylan d’un côté, le punk rock John Giorno Band de l’autre, homosexualité combattive, l’amant Burroughs, le bouddhisme dont la création et la direction d’un centre bouddhiste tibétain) ? La contribution dans le remarquable catalogue de Daniel Kane (« »Pourquoi est-ce si ennuyeux ? » : John Giorno, le « Pornographic Poem » et les inepties de l’Ecole de New York de poésie ») est éclairante : alors que l’ouvrage de Ginsberg était une alternative radicale au maniérisme de Frank O’Hara, poète Camp à abattre selon Giorno (« Avec la mort de Frank O’Hara, l’Ecole de New York de poésie a pratiquement disparu, avec ses marchandages et sa stupide écriture poétique » lettre de Giorno à Burroughs), le « »Pornographic Poem » rejette le style grandiloquent d’Allen Ginsberg, qui insistait pour élever la sexualité gay au rang de sacrement ». Cependant, la récente production de Giorno rejoint la révélation mystique de Ginsberg.

Trop d’info tue l’info pour le maniaque de l’archivistique depuis 1965, battant Yves Bonnefoy dans le domaine : déglingue, création, famille ; coupures du « New York Times » ou d’autres feuilles de choux (« Ce concept de magazine littéraire est arrivé à ce moment-là [début des années 1960] […]. La version élémentaire en était le magazine imprimé au miméographe (ou duplicateur à pochoir) »), programmes de rencontres de poésie, de performances (Tanger, Polyphonix, etc.) ; couvertures de « Gay Sunshine », « le journal de la libération gay » ; ephemera, flyers de levée de fonds pour son maître tibétain, photos de lui en polo blanc, au Chelsea Hotel shooté par Burroughs ; lui avec sa mère en vacances à Atlantic City, photos des voisins, de voyages, de vie mondaine, lui, lui, lui, etc. Le tout est encadré de poèmes visuels en couleurs de John Giorno, entre Laurence Wiener et Ben, tapissés sur les murs : les premières sérigraphies militantes des années 60 et 70 (« A Youth winces », « Un jeune grimace » ; « Black cock », « Pine noire », « Buddhas and Bodhidattvas », etc.), la série « Welcoming the flowers » (« accueillir les fleurs », 2006) ainsi que les récents « Rainbows paintings », très gay friendly (le célèbre « Life is a killer », « La vie est une tueuse » ou « La vie est une tuerie », 1989 ; un facile « Just do it »)  dans une ambiance colorée pas du meilleur goût. Le mécanisme qui amène à cette pratique est intéressant : « Lorsque vous les interprétez, vous voyez quels vers illuminent le public. Et là, vous vous dites : « Oh, ça, ça va fonctionner en peinture »». Mais il s’agit plus de « poèmes slogans » (Marcus Boon), proche du « Flag » de Jasper Johns, que de poésie visuelle ou concrète.

Andy à tout-va

Après des études à Columbia, JG devient agent de change à Wall street. Là, il rencontre Andy lors de sa première exposition personnelle à la Stable Gallery de New York après un vernissage le jour d’Halloween en 1962 pour la première expo pop à la Sidney Janis Gallery. Le « pédé radical » (« Qui est John Giorno ? », Ugo Rondinone) décrit la grande perche de publicitaire à perruque : « Andy aimait uniquement faire des pompiers et encore occasionnellement. […] Mais Andy était simplement difficile. Et ses pompiers n’avaient rien de bien formidable […] Surtout quand tu manques de pratique (rires) […] La chose intéressante que tout le monde ignore, c’est que Andy avait un corps magnifique et une grosse queue » (interview de John Giorno par Rob Pruitt). De quoi vous casser un mythe ! Voilà qui augure en tout cas de la rédaction actuelle des mémoires de Giorno.

John sera le héros mondialement connu du premier long métrage d’Andy, « Sleep » (1963) selon le principe bazinien de l’ « impassibilité de l’objectif » (« L’ontologie de l’image photographique », 1948), piniolade comprise. Voici donc le film de plus de 5 heures, avec un montage donnant l’illusion d’un long plan-séquence, de son amant endormi. En résonance au concert de John Cage en septembre 1963, la première dudit film au Gramercy Arts Theatre était agrémentée par Warhol d’une diffusion des « Vexations » (1893) d’Erik Satie. Cette double peine nous est ici infligée. Plus loin, dans « Sleeptalking » (1998), une vidéo du plasticien et vidéaste français Pierre Huygue, Giorno dort avec le même cadrage avec beaucoup d’années de décalage. Il raconte le contexte de création de « Sleep » sans oublier au passage : « En 1964 […] Andy Warhol s’est débarrassé de moi. Vous avez entendu parler de la manière dont Andy Warhol laissait tomber les gens quand il lui semblait qu’il ne pouvait plus rien obtenir d’eux ? ».

Dans ses premiers courts métrages, d’environ 4 minutes et sans titres, «  Andy le Warhola au nez rouge » filmait déjà John allongé lors de fêtes ou week-ends amicaux, notamment en été 1963 dans la retraite rurale et rustique d’Old Lyne (Connecticut) avec E. Ward, la galeriste de Warhol, et son ami peintre W. Chamberlin. Comme dans un Brakhage, John, surexposé, s’étend à poil dans le hamac. Dans un autre film de 16mm en noir et blanc de la même année (4’’30), John, nu et décomplexé, nettoie le matin les plats de la cuisine d’un repas arrosé de la veille. Passionnant et décisif pour l’histoire de l’art ! Dans ses « Screen Tests » (1964-66), Warhol creuse le portrait : statique, muet, noir et blanc, ni narration ni action. Dire que ce sont ses longs métrages underground qui furent la cause de leur rupture. Bref, John sous toutes les coutures.

Du pop art à la beat generation

Giorno passe de la pop, avec l’utilisation de l’ « image trouvée » (« found images »), dans les journaux ou ailleurs, par Bob Rauschenberg, Jasper Johns ou Andy, à la Beat (Allen Ginsberg et Jack Kerouac en 1958, William Burroughs en 1965, Gregory Corso) avec le cut-up et les poèmes permutés (delay, feedback) de Brion Gysin dès « Subway sound » (1965), le « dialogue précognitif » de Burroughs. La transition semble fructueuse : « mis à part l’art et leur carrière, Andy et les artistes pop ne s’intéressaient à rien. William s’intéressait à la politique ». Ils vécurent donc dans le Bowery, ancien quartier crasseux devenu tendance, dans un immeuble qui fut occupé par un Y.M.C.A., lieu de drague homosexuelle, par un marchand de meuble, par Fernand Léger en exil. Burroughs vivait au sous-sol, le « Bunker », avec une fenêtre … condamnée, entouré d’une machine à calculer Burroughs, une machine à écrire, des peintures, son arme et des cibles de tirs dans le gymnase. Le grand Bill disait : « John Giorno élève les questions au niveau presque insupportable d’un cri de reconnaissance surprise. Ses litanies issues des couches souterraines de l’esprit se réverbèrent dans votre crâne et ventriloquent vos propres pensées ». Dans le « Bunker », le défilé des rock stars, comme Patti Smith, David Bowie, Iggy Pop, était fréquent. C’est là, encore, que Mark Rothko a peint ses « Seagram Murals ».

Une salle très réussie plastiquement : les apophtegmes noirs et gris de John (« Just say no to family values », « Dites simplement non aux valeurs familiales » ; « Everyone is a complete disappoinment », « Chacun est une déception totale » ; « Don’t wait everything », « N’attendez rien ») avec des téléphones à cadran mobile en bakélite noir aux quatre côtés. Après « Dial M of Murder » (« Le crime était presque parfait », A. Hitchcock, 1954) en 3D, Dial-a-poem, avec une majorité de poésie politique radicale (Diane di Prima par exemple, auteur des « Revolutionnary letters » offrant le mode d’emploi de la fabrication du cocktail Molotov), était un service téléphonique qui proposait en 1968 des poèmes lus par leurs auteurs aux personnes qui composaient un numéro, en même temps que la diffusion des « Basketball diaries » de Jim Carroll. C’est après une très ennuyeuse conversation téléphonique, raconte Giorno, que lui est venu l’idée du vaste projet alors que la poésie avec 50 ans de retard. « J’avais anticipé un phénomène, celui de la publicité au téléphone. Vous faites un numéro, et vous avez au bout votre horoscope, du sexe ou les cours de la Bourse » explique-t-il. Une nouvelle relation poète-public, avec un texte sorti de la page, était née, principal apport de Giorno. Des disques Fluxus à « Ubuweb » (Kenneth Goldsmith), en passant par la revue « Où » (Henri Chopin) ou « Dock(s) » (Blaine/Akenaton), la lignée est fructueuse. Bien qu’un téléphone soit en panne, je suis tombé sur les canadiens déjantés de « Four horsemen », pionnier du Language poetry. Un partenariat avec nos amis Orange permet d’écouter Nathalie Quintane, Stéphane Bérard, etc. pour la partie française en composant le 0800 106 106. Le succès fut tel qu’il édita rapidement des disques vinyl dans la série Dial-a-poem.

Bouddha open bar

Sensibilisé dès ses études à Columbia, Giorno a versé depuis les années 70 dans le bouddhisme tibétain tendance nyingmapa, remontant à Padmasambhava. Diverses peintures et sculptures tibétaines du XIIIe au XIXe siècles proviennent du voisin Musée national des arts asiatiques – Guimet. Le moulage de la cheminée à taille réelle (« Still.life (John’s fireplace) », Rondinone, 2007), coulée dans le bronze et peinte de façon réaliste, devant laquelle se recueille maîtres et disciples bouddhistes pour la cérémonie traditionnelle du feu, fait face à l’autel de Giorno orné de brocart de Bénarès. « De manière générale, on peut considérer le poème comme un mandala, en ce qu’en son centre, en tout concept, se trouve l’esprit du Bouddha, et ce qui l’entoure forme son mandala, son palais » explicite Giorno, proche de Düdjom Rinpoché, qu’il a accueilli chaque année dans son loft du Bowery. L’utilisation de colonnes (« Balling Buddha », « Cancer in my left ball », « Grasping at emptiness », etc.), de double vers ou de répétitions (« orientations dans le temps » Burroughs, boucles ou loops sur magnétophone comme Max Neuhaus et Steve Reich), de l’aléatoire peut être inspirée de sa pratique bouddhiste. Il creuse la nature vide de ce qui l’entoure, des mots et des images en liberté (esthétique, politique, spirituelle) et en correspondance. Reste à trouver le décentrement d’un moi omniprésent dans cette exposition. Lu et non approuvé par le label bouddhiste.

Influences

          D’atroces portraits de Giorno, d’une confondante naïveté, par la scène new-yorkaise (Billy Sullivan, Verne Dawson, Elizabeth Peyton qui tente « de faire une image qui saisirait la John-ité douce et radicale de John », Judith Eisler) accueillent le visiteur. Les photos en noir et blanc (« Serrer les poings et sauter comme un chat »; lui, souriant dans un polo blanc à col roulé) de Françoise Janicot sauvent le tout. Le Thaïlandais Rirkrit Tiravanijab a transposé du 16mm au DVD sa dizaine d’heures de prise de vue au plus près d’un Giorno lisant. Si nous évitons l’autoportrait, rien n’indique en quoi la façon d’énoncer de Giorno, sa poétique, aurait influencé les générations ultérieures. Et pour cause, car tel ne fut pas le cas : son intonation, travaillée, lui est propre. Restera sa générosité (humaine, Dial-a-poem, GPS, divers combats) son énergie et sa fréquentation de l’underground new yorkais. Las, nous pouvons admirer, à la sortie, les diverses expressions de J. Giorno dans un clip de l’une des dernières chansons du groupe de M. Stipe, R.E.M., We all go back tu where we belong, John (2011).

          Reste à nous affaler dans un pouf en explorant sur tablette, grâce à Angela Bulloch (« Happy Sacks »), les GPS (Giorno Poetry Systems) fondé en 1965 lors du mouvement pour les droits civiques et la guerre du Vietnam avec 55 albums et 150 collaborateurs (poètes, performeurs, musiciens) produits. C’était « une façon pour un poète de se connecter à des millions de personnes. Comme la vidéo. Ou les CD. On peut jouer les albums chez soi, mais aussi les entendre à la radio » (« Chicago review », 40, 2/3, 1994). Et devinez quoi ? Un album s’intitule « Big ego » (1978). Tel aurait pu être l’intitulé de cette exposition monographique.

Les à-côtés

En novembre, Giorno, jambes fléchies et bassin souple, est venu performer ses textes, tel un conférencier motivationnel, un comique ou une pop-star. La machine s’emballe, il se plante sur . Dommage.

J’ai fait le yoyo entre l’exposition et un marathon « Lectures ! », organisé par Véronique Hubert au-dessous avec Mariane Alphant, Laure Limongi, Stéphane Bérard, Paul Armand Gette, Daniel Foucard. Je suis tombé pendant un ridicule « Aérobic de genre Paul B. Preciado Non mixte » (Pascal Lièvre), la soporifique Nina Esber et le docte Arnaud Labelle Rojoux, « Récit de la vie de Michelangelo Merisio, dit le Caravage ».

Pour en finir avec

Cette exposition non chronologique n’est claire que pour des personnes connaissant déjà John Giorno et les diverses périodes traversées. Je n’ai pas ressenti l’effervescence et la richesse de la scène underground new yorkaise, de la Factory au punk en passant par la Beat generation. L’ambiance sonore ne se réfère nullement au rock ou punk rock.

John Giorno pourrait enfin conclure : « merci pour me laisser être un poète / un noble effort, voué à l’échec, mais le seul choix » (Thanx 4 nothing, Merci pour rien, Ugo Rondinone, 2011). Beckett était plus radical car moins dans le divertissement. « Quand je parle de performance, je veux parler de DIVERTISSEMENT ! Vous comprenez qu’il s’agit de l’industrie du divertissement, en fait ! Et je trouve ça fascinant » (J. Giorno, Chicago review, 40, 2/3, 1994).

 

[Expo] WieBo oui : let’s dense !

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Introït

Une exposition remarquable, venue du Victoria and Albert Museum (V&A ; commissaires : Victoria Broackes et Geoffrey Marsh, directeur du département « Spectacle vivant » ; mise en scène : agence Clémence Farrell ; éclairages : Atelier Audibert) à Londres et adaptée à la sauce française (là-bas : plus mode et design ; ici : plus musical ; 100 mètres de moins ; plus de recul pour apprécier les visuels, ambiances moins confinées mais parcours plus labyrinthique ; salle finale moins impressionnante que l’effet cathédrale au V&A ; sous-titrage des vidéos, traduction de tous les textes ; coin rajouté sur le rapport entre Bowie et la France), dans un nouveau lieu, un étron comprimé, imitation Frank O. Gehry, entre deux blocs de béton avec fonte d’alu en jeux de lumière, La Philarmonie de Paris, flanquée d’une étrange attèle rouge. Les travaux continuent. L’entrée avec ses pics au plafond laisse songer en des temps pompidoliens éloignés et démodés. A l’instar de Nouvel, je me suis demandé également si un procès pouvait être diligenté concernant la signalétique indigente où il est de bon ton de ne pas indiquer où est la billetterie, agrémentée d’un panneau « guichet fermé », quoiqu’ouverte, alors que nous tentions de prendre un billet. Des filles avec un anneau dans le nez, des filles qui ressemblent à des garçons et réciproquement, des acteurs-trices, des fans de la première heure et les générations suivantes, des John Do pas Jones, etc. Présent dans les starting-blocks le dernier jeudi à 11h, 15 mn de queue. Le catalogue de l’expo, traduit par Jérôme Soligny, écrivain, musicien, compositeur pour Etienne Daho et journaliste havrais, est déjà épuisé. Autre indice : le millionième visiteur a été repéré le 5 mai à Paris. L’heureux fan, un instituteur niortais, reçoit en cadeau le catalogue d’exposition dédicacé The man who sold the world par David Bowie en personne. En dernière ligne droite, les horaires étendus à minuit.

Pourquoi ce succès ? Si le risque est l’iconisation (nombreuses citations ; mouchoir en papier portant la marque du rouge à lèvres de la star sauvé de la tournée Diamond Dogs en 1974 ; la fiche anthropométrique, face et profil, du matricule 59.640, prise par la police de Rochester (USA), le 25 mars 1976, date à laquelle Bowie fût arrêté pour détention de cannabis puis rapidement libéré ; le trousseau à clefs de David & Iggy à Berlin en 1977 au 155, Hauptstrasse ; une cuillère à coke ; un croquis sur un paquet de Gitane éventré, etc.), trait de notre époque, David Bowie est, comme Hitch, « la toile blanche sur laquelle nous dessinons nos rêves » selon le sociologue britannique Simon Frith. Le caméléon parle à tout le monde grâce à la culture pop et à l’interdisciplinarité, faisant feu de tout bois en captant ses diverses époques. Une des rares personnes à faire bouger les lignes, comme il est dit aujourd’hui, en surfant sur de véritables transgressions, pas celles serinées actuellement aux Beaux-arts.

Bowie is. This is it (M. Jackson): les identités. It = ileli, bien avant la théorie des genres (cf. Oscar Wilde, Jean Genet que Bowie a rencontré et fêté dans The Jean Genie d’Aladdin Sane, Devine chez Waters, etc.). Coup de tonnerre : silhouette élégante, David Bowie, affirme en 1972 sa bisexualité au magazine Melody Maker. 3e sexe : la (post-) modernité est décidément androgyne. L’intitulé concernant l’expo Hugo à la BNF pourrait être également appliqué : « L’homme-océan ». Ou alors The world of David Bowie comme le titre de sa première compilation, en mars 1970 chez Decca.

Un nouveau concept d’expo déjà entrevu à Starwars identities ; mais ici, c’est plus grand et nettement moins cher. La thématique n’est pas éloignée. Bowie a exploré avec une hyperactivité créative, jusque dans ses excès, les recoins de ses diverses identités (homme/femme/3e sexe/extraterrestre ; les avatars : Ziggy Stardust, Aladdin Sane, Halloween Jack, The Thin White Duke, Nathan Adler). Un système de casques est distribué. La société allemande Sennheiser a mis au point le système : « Chaque boîtier contient un identificateur qui reconnaît les ondes transmises dans les différentes salles, explique Robert Généreux, directeur commercial de la marque. Quand vous bougez, le signal s’éteint, et le suivant se déclenche. » L’avantage est le côté immersif. L’inconvénient est de tomber sur des autistes qui gueulent leurs impressions, voire chantent faux, vous percutent car absorbés par l’audio au point de devenir aveugle. En outre, entre le son de la salle et celui du casque, qu’il est possible toutefois d’enlever, le tout peut se révéler cacophonique en simultané. D’autre part, l’ajout proliférant d’adjectifs ou noms en rouge n’ajoute absolument rien, voire brouille le message.

A l’entrée, nous tombons nez-à-nez avec une performance drolatique du couple mythique Gilbert & Georges avec english humour : le thème de l’identité est posé, l’anglais avec son excentricité, la question de la sexualité. Le costume taillé par Yamamoto (Kansai pas Yoji), une combi Tokyo Pop (1973), inspiré du théâtre Kabuki, qui ressemble tant à un disque vinyle qu’à un clown blanc à rayures, sert d’enseigne de l’expo, outre l’éclair d’Aladdin Sain de Brian Duffy, de la même fournée – qui n’a d’ailleurs jamais été porté en tournée. Ce sera notre oncle Ronald pour celui qui est coté en bourse ! Pour situer à quel niveau de maigreur le workaholic se trouvait alors : il n’a pas été possible de faire rentrer « la brindille », Kate Moss, lors d’une récente séance de photo, dans le costume d’Aladdin Sane ! Bowie avait découvert le travail du nippon lors du défilé londonien du créateur en 1971, très théâtral et remarqué. Il s’agissait au départ d’une création pour femme. Mais « Bowie ne laisse jamais les idées des autres ni les normes sociales interférer avec ce qu’il veut faire », souligne Victoria Broackes. « Bowie représente une idée de liberté : être qui l’on veut, s’habiller en homme ou en femme, être homosexuel ou hétérosexuel, c’est un message extrêmement important et libérateur ».

So young

La première pièce cause jeunesse dans le contexte historique et social de l’Angleterre de l’après-guerre avec la grisaille de l’époque et ses maisons détruites avec tickets de rationnement : la pupille gauche dilatée (les yeux ne sont donc pas vairons, voyons !) à cause du coup de poing de son copain George Underwood à l’âge de quinze ans, le passage du quartier défavorisé de Brixton à l’upper class, le déménagement du jeune photogénique à la branchée Soho en faisant le tapin (The London Boys, une chanson sur la drogue, l’aliénation, la compétition), devenir connu pour ambition, il pastiche l’acteur et chanteur maniéré Anthony Newley, il traîne dans divers petits groupes (une publicité en 1966 pour l’un de ses premiers groupes, Kon-rads avec sa tenue « mod » avec cravate et costume de velours en gardant une coiffure années 1950 ; le show théâtral de Riot Squad avec maquillage à la Arthur Brown dont il fit souvent la première partie ; jouer du sax, bottes hautes et chemises froufroutantes, cheveux longs et vestes de tweed, lorgnant côté Pretty Things ou Downliners Sect avec la morgue rhythm’n’blues en sus dans King Bees ; Manish Boys ; Liza Jane, qui ne devait plus rien au gospel qui l’a inspiré, digne des Kinks au sein d’un groupe nommé Lower Third, chanson reprise aux USA pendant la tournée Reality sur le riff détourné de Smoke on the water de Deep Purple, etc.) dont il maîtrise l’image (croquis de tenue de scène d’un groupe du début, Delta Demons : dessins de costumes, des esquisses de décors), l’apprentissage du mime et du théâtre avec Lindsay Kemp, avec qui il couche tout en mettant les bouts avec sa maquilleuse et sa costumière Natasha, rencontré grâce à Twink, le batteur fou des Pretty Things, la revendication de pouvoir porter des cheveux longs (à la tv à 17 ans, cravate op art et coiffure à la Marriott, pour défendre la Société contre la cruauté envers les chevelus ; cf. plus tard La coupe à 10 francs, Philippe Condroyer, 1975). Tout y est : do 7e majeur, suspendus, descentes de basse chromatique et inversions, le modal siphonnés des Beatles ; mélodies fortes sur des harmonies outrées ; la spécificité bowienne est le travail fin des transitions, des ponts, le travail de la voix de tête et, avec l’âge et la clope, de la voix de poitrine en modulant sur une longue colonne d’air.

Contexte familial : ses tantes Una, Vivienne et Nora ont subi des internements, des électrochocs et des lobotomies ; sa mère, Peggy, ouvreuse de cinéma, avouait volontiers être « folle ». ; le père, un héritier, dilapide le patrimoine d’une fabrique familiale de chaussures du Yorkshire en se rêvant patron de night-club. Le demi-Frère ? Terry Burns, le bien nommé, de dix ans son aîné, étiqueté schizophrène, s’échappe d’un institut psychiatrique du Surrey pour finir, en 1985, par aller s’allonger sur des rails de chemin de fer. Jump, they say (Black tie White noise », Savage, mai 1993, LP produit par Bowie et Nile Rodgers ; un disque que ma mère m’avait offert en référence à mon cousin, qui lui-même sera tardivement diagnostiqué schizophrène, amateur de Bowie). L’évocation était déjà présente dans All the Madmen (The man who sold the world, 1971). L’influence de Terry a été déterminante. Il fut le premier héros du jeune Bowie. Musicalement, il a fait découvrir à 13 ans les clubs de jazz et de rock londoniens, l’énergie du live. En littérature, il l’a introduit aux poètes de la beat generation, ces Allen Ginsberg et William Burroughs, que Bowie côtoiera plus tard. Mentalement, il l’a initié à l’instabilité psychique. « C’est un homme venu de nulle part, appelé David Jones, probablement le nom le plus commun que vous pourriez avoir en Angleterre, qui est devenu une superstar. Ses hauts et ses bas, la façon dont il a travaillé pour se développer sur le plan artistique, musical et personnel, il y a beaucoup à apprendre de tout cela », explique Victoria Broackes. Elle rajoute : « Ce n’est pas seulement une histoire créative, mais une histoire démocratique d’ascension sociale, qui parle au commun des mortels. »

Des vitrines multimédias en 3D composent des tableaux mobiles et musicaux avec incrustations d’objets (guitare Framus à 12 cordes, saxo blanc en plastique du même type que celui de Charlie Parker, un blouson vert). Bowie déclare : « Cela aurait pu tourner autrement, j’aurais pu devenir Elton John ». Disons-le, David Robert Haywood Jones était un petit kéké à chapeau ou wanna be qui a réussi grâce à son intelligence et à ses rencontres. Il avoue lui-même dans une interview qu’il faisait exprès de glisser des livres dans sa poche pour frimer en intello ; sauf qu’il finissait par les lire. Sa grande influence est non pas Elvis mais le génial et oublié Little Richard qui s’est reconverti en prêtre malgré ses tenues folles d’antan.

Le spectateur s’esquiche en file indienne pour espérer lire les légendes avec des pièces disposées un peu en fouillis. Cafoutche et auto tamponneuse ! Là : une lettre du 17 septembre 1965 dans laquelle il annonce à son manager son changement de nom : M. Jones devient Docteur Bowie en référence au couteau à deux lames de James Bowie, mort à Fort Alamo ; il se démarque ainsi de Davy Jones, le chanteur des Monkees, un groupe de pop US passé aux oubliettes. De façon générale, la légende française est difficile à relier avec la pièce tant les objets sont nombreux (300, soit 120 caisses, piochés dans plus de 70 000 documents, dont au moins 60 000 photos, à 95 % extraits d’archives personnelles du méthodique Bowie, The David Bowie Archive, où une personne est affectée spécialement) ; pire pour les indications anglaises, bien du plaisir !

Major Tom pousse

Une vraie éponge, voire un opportuniste, comme Picasso ou Andy. Bowie a une propension, jugée fâcheuse par certains, à voler au secours de ses idoles, en plus ou moins bonne posture, artistique ou financière. Ainsi, il a produit (avec Mick Ronson) Transformer de Lou Reed, All The Young Dudes de Mott The Hoople (pour qui il a également signé la chanson-titre de ce LP) et Raw Power d’Iggy And The Stooges. Ses influences : le Velvet (voir le « test pressing » du premier disque du Velvet Underground and Nico, offert en 1966 par Andy Warhol qu’il rencontre en 1971 à la Factory, fiasco mondain où l’icelui est qualifié par l’anglais de « poisson froid », accusation dont il fait également l’objet : quand Bowie lui joue en acoustique son « Andy Warhol » (Hunky Dory, RCA, décembre 1971, LP produit par Ken Scott, un ingé son des Beatles, et David Bowie), le pape du pop art pète les plombs: « Il avait envie de rentrer sous terre ; je pense qu’il s’est senti dénigré dans la chanson… ») et la faute à Dylan. Il invente des processus de création, ses textes manuscrits de chanson comportant assez peu de ratures, parfois avec une écriture de bon élève, selon son état.

Ce sont les images du premier voyage sur la Lune de la mission Apollo 11 et de la Terre vue du ciel, qui vont faire décoller sa carrière. Il écrit alors Space oddity, en résonance au film 2001, l’Odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, 1968) de Stanley Kubrick. La partoche est présente ! Accompagnant les images de l’alunissage qui tournent en boucle sur la BBC quelques mois après le début de la mission Apollo, le titre aux évocations spatiales va, après du temps pour s’imposer, connaître un immense succès. L’affiche du film est ici, nous planons. Le clip n’est pas encore inventé même si le scopitone existe, le mime fait fureur : Major Tom décolle, Bowie est en orbite. L’opportunisme de Space oddity a déplu à Tony Visconti, l’ami américain, qui a refusé de le produire. Tant pis, il accédera au Top 5 anglais. Le fond de la couverture de l’album est emprunté à Vasarely (op art ou art cinétique), que Bowie rencontra, qui me berça à Aix-en-Provence outre les magouilles du doyen Debbasch. Plus loin, le jeune publicitaire Bowie s’amuse à détourner l’image de la pochette des Beatles, Sgt pepper’s lonely hearts club band.

Si les connexions entre arts sont constantes, selon le principe de Lavoisier que rien ne se perd et tout se transforme « Son œuvre est très interconnectée avec elle-même, poursuit Victoria Broackes. Par exemple, dans l’expo, on peut voir le croquis du dos de la pochette de « Space Oddity », son deuxième album. Dessinée par la main de Bowie, y figure l’image d’un clown blanc à côté d’une vieille dame. Des personnages (l’Auguste d’Halloween Jack, costume créé par Natasha Korniloff) et une situation que l’on retrouvera dans le vidéoclip de « Ashes to Ashes », dix ans plus tard. Les idées cheminent dans l’esprit de Bowie, qui ne se contente pas de produire une chose après l’autre : ses créations relèvent d’un cortex sophistiqué et aux ramifications multiples ». Les connexions apparaissent alors comme des évidences : la proximité des pochettes de Heroes et de l’album The idiot d’Iggy Pop, les passerelles subliminales derrière les visuels de Scary monsters ou de The next day » avec son carré blanc que nous décrit son concepteur graphique.

L’odeur des sixties et du Swinging London est palpable pour l’ancien résident au Marquee (Blow Up, Michelangelo Antonioni, 1966). John Stephen, l’arbitre des élégances et son His Own Clothes à Carnaby Street plein de pantalons rouge sang, de turtleneck lilas et des shoes de daim gazon trouvés chez les gays new-yorkais ou italiens. Les affiches de concerts, un petit dessin bouddhiste, émouvant, placardé dans sa mansarde, les pochettes originales, le graphisme étant capital chez Bowie, contrôlant tout de A à Z. La guitare Gibson Les Paul, popularisée par Link Wray luit de mille feux.

Ziggy et alii

L’ensemble molletonné de Ziggy Stardust, réalisé par Freddie Buretti, un artiste rencontré dans la boîte gay, Le Sombrero, accentue, en 1972, la posture androgyne de Bowie qui était ici inspirée par le Droog Alex (Malcolm McDowell) d’Orange mécanique (A Clockwork Orange, S. Kubrick, 1971, d’après un texte de l’inventeur langagier Anthony Burgess). D’où la signalétique constamment orange.

Changeant totalement de look et multipliant les déclarations tapageuses, Bowie pique sans vergogne à Vince Taylor, à l’enseigne Ziggy dans l’East side. L’et, aux cheveux rouges, grâce à la femme de Mick Ronson, à l’ensemble veste-pantalon ajusté avec des bottines rouges à lacets, une guitare bleue, des ongles vernis de blanc, devient l’idole des teen-agers anglais, à l’instar de Marc Bolan de T. Rex, avec qui il travaillera (affiche du concert de Tyrannosaurus Rex, dont Bowie assure une première partie avec un spectacle de mime façon Marceau en soutien à la cause tibétaine ; dans leur seul enregistrement officiel, il couche un solo dans The prettiest star, Mercury, juin 1970, 45T produit par Tony Visconti, même si l’ambiance n’était pas au poil aux studios Trident ; lorsque, trois ans plus tard, Bowie réenregistrera la chanson avec les Spiders from Mars pour Aladdin Sane, Ronson dupliquera le solo de Bolan à la note près) avant de se brouiller. Ziggy évolue, avec son groupe rebaptisé les Spiders from Mars, dans des décors réalisés par George Underwood, au rythme des chorégraphies de Lindsay Kemp et dans des costumes extravagants de Natasha Korniloff (« l’ultraviolence en tissu liberty »). Une émouvante photo avec un Bowie en bleu électrique, cheveux rouges et platform boots en vinyle, qui chante Starman à la télé anglaise pour Top of the Pops le 6 juillet 1972 en tenant par l’épaule le regretté guitar heroe mort d’un cancer du foie, Mick Ronson : Bowie fédère dès lors les adolescents mal dans leur peau, les parias, les hétéros frustrés, les gays refoulés ou non et tous les déprimés, pour qui il devient un dieu. Il plonge alors la pop dans « une ère faite de mode, de théâtralité et de sexe ». Dès le lendemain, raconte Marc Almond, l’ancien leader de Soft Cell, tout le monde se demandait dans la cour de récréation « s’il était queer parce qu’il avait aimé ce Starman androgyne ».

Bowie tue Ziggy Stardust au sommet de sa gloire dans un mythique concert à Londres, dans un Hammersmith Odeon sold out, le 3 juillet 1973 où le public admire une avalanche de satin, de soie, de couleurs flashy, de maquillages outranciers, de chaussures à semelle compensée et de poses équivoques. David Buckley dans la biographie fouillée David Bowie, une étrange fascination, explique : « Le petit garçon de 3 ans s’est découvert une fascination ‘contre nature’ pour la trousse de maquillage de sa mère. « On aurait dit un clown, déclarait Peggy, sa mère, en 1985. Quand je lui ai expliqué qu’il ne devait pas se maquiller, il m’a répondu : ‘Tu le fais toi.’ J’ai dit oui, mais que ce n’était pas pour les petits garçons. » ». Les gays sortent du placard (John i’m only dancing) à qui il fait un clin d’œil en mimant le sexe oral avec la guitare de Mick Ronson. Qui sait que Jeff Beck a joué (The Jean Genie, Love me do, Round And Round), bien qu’absent du film de DA Pennebaker (Ziggy Stardust and the spiders from Mars, 1973)? La qualité de son jeu ou sa tenue ce soir-là en seraient la cause, mais la pingrerie du manager Defries était telle qu’il est fort possible qu’ils ne se soient pas mis d’accord sur le salaire que le musicien devait obligatoirement percevoir pour sa participation à un concert filmé.

       Derrière une vitrine, Bowie fait encore scandale en apparaissant trois fois en travesti dans le clip drolatique Boys keep swinging. Un très beau costume noir sobre avec chaussures à talons discrets, le tout n’aurait pas été renié par YSL. « Ladies and gentlemen and others ». Une tenue stricte portée lors de la remise d’un Grammy Award à Aretha Franklin, dont il ne se sentait pas digne, à l’Uris Theatre de New York le 1er mars 1975 : https://www.youtube.com/watch?v=xUu-_F9vWnk . Et un Hamlet sans casser les œufs avec crâne comme vanité au pied.

Le glam avant la tempête

Passons au glitter ou glam. Un mix remarquable empiète sur les chants au casque. Trop de db sur DB ! Au passage, I’m afraid of americans » (album Earthling, 1997 où Trent Reznor de Nine Inch Nails, dans un remix, zone et file à donner des sueurs froides dans le clip boosté de Dom et Nick) avait été mis à fond lors du 11 septembre 2001, date d’ouverture dudit XXIe siècle, avec The star-spangled banner repris par Jimi Hendrix. J’aurais pu mettre à fond aussi This is not America avec le guitariste de jazz Pat Metheny et son acolyte pianiste, Lyle Mays, extraite de la BO du film de John Schlesinger The Falcon And The Snowman (Le jeu du faucon, 1985). Bowie côtoie nos vies et l’histoire avec sa grande hache aspirée. Des costumes de Yamamoto, avec force kimono avec, au dos, David Bowie en idéogrammes, le styliste témoignant avec un atroce collier corail et une veste multicolore à faire rire. Beaucoup de costumes ont été créés à une période par Buretti. Un clip dada avec Joey Arias et Klaus Nomi au chœur, repéré comme mannequin vivant dans une vitrine de magasin, pour un Hypnotic performance au SNL (1979). Engoncé dans son costume de Brooks Van Horn inspiré du Cœur à gaz de Tzara mélangé avec la géniale Sonia Delaunay, les deux folles robotiques aux voix d’or transportent Bowie jusqu’au micro … Le génie côtoie le ridicule : ils y vont à fond ! (« The man who sold the world » : https://vimeo.com/49104160). J’avais découvert cette chanson grâce à la reprise de Nirvana dans leur célèbre MTV Unplugged à New York en 1994.

Le plus impressionnant est le verbasizer, un logiciel développé spécialement pour Bowie dans les années 90, générant des phrases aléatoires : il pioche au hasard dans les 5 colonnes lors de ses concerts. Il retrouve ainsi le cut up de Burroughs (voir le manuscrit de la chanson Blackout sur Heroes, RCA, octobre 1977, LP produit par Bowie et Visconti ; un moment, il pose lors d’un shoot – photo ! – avec un jean grunge devant une photo en noir et blanc de lui avec le pape du beat). Interconnexion, encore et toujours.

Passés une lettre d’hommage (1976) d’Elvis, bourré d’amphét’ avec couronne hawaïenne, à Bowie, des échanges entre Bolan et Bowie, des scénos de Baal d’après Brecht (téléfilm diffusé en 1982 par la BBC ; cf. Volker Schlöndorff, 1970 avec Rainer Werner Fassbinder) dans une fraîcheur toute rimbaldienne teintée de romantisme allemand. Sa veste anthracite de 1982 (Baal, RCA, février 1982, EP de 5 chansons, produit par Visconti et Bowie) repose sur une table. La photo de Lily Marlène façon Harcourt. Une belle fille se trouve mal et se repose sur un trop rare siège. Un storyboard arty d’un projet inabouti autour d’Hunger City. Baste, elle rate le costume de l’Union Jack lorsque Bowie a sollicité le génial et regretté Alexander McQueen, alors jeune diplômé de la Saint Martins School de Londres, pour cette création portée sur la tournée Earthling en 1997. L’artiste a été inspiré notamment par la veste aux couleurs du drapeau britannique de Pete Townshend des Who. « Il a mélangé une esthétique très punk, ces déchirures, ces brûlures de cigarette, avec cette tradition du tailleur britannique classique, ce qui est très Bowie », commente Victoria Broackes. « A l’époque, Alexander McQueen n’était pas encore très connu du grand public. Mais Bowie a toujours su travailler avec les gens les plus extraordinaires et intéressants ». Arrêt sur musique : Earthling (aux manettes Reeves Gabrels et Mark Plati, 1997) est l’album enthousiasmant, mis en boîte à New York aux studios Looking Glass, qui m’a fait redécouvrir un énième Bowie en revisitant son album complémentaire Outside (BMG, septembre 1995, LP produit par David Bowie, Brian Eno et David Richards ; encensé par Françoise Hardy ; le tripal A small plot of land, le liquide et crooner The motel, l’ambiancé d’Eno pour Wishful Beginnings, I’m deranged choisi magnifiquement par David Lynch pour l’ouverture sidérante de Lost Highway, 1997) dont la pochette est peinte par Bowie himself. Le concept était inédit : l’album était, sur internet, découpé en segments dans chaque chanson, un studio virtuel était reconstitué et chaque internaute pouvait composer son album. Comme Pete Gab’, Bowie et les NTIC. Toujours avec un déclic d’avance, la critique a été désarçonnée face à cet album jungle-drum’n bass. Les délires guitaristiques et claviéristes rappellent le piano rock de Mike Garson de la chanson-titre sur l’album Aladdin Sane. J’étais tellement aux anges que je voulais voir la tournée de Bowie mais c’était à Toulon dont la mairie était FN à l’époque. Ethique de conviction.

A côté, le costume toile d’araignée à fausses mains inventé par la costumière Natasha Korniloff en 1973, arboré par Bowie lors d’un spectacle diffusé sur la télévision américaine, deux mains dorées viennent recouvrir la poitrine. Composé d’un filet noir évoquant une toile d’araignée révélant largement le corps, cette tenue comportait à l’origine une troisième main sur l’entrejambe. Mais jugée indécente par la chaîne, cette main a finalement été remplacée par une sorte de legging. A côté des maquettes de la tournée, la censure rôde dans Diamond dogs où le sexe aurait dû apparaître sur la pochette de l’album, planche contact à l’appui. D’ailleurs, la dystopie, hantée par l’expressionisme de Metropolis (Fritz Lang, 1927), dont l’affiche est présente, Diamond Dogs (RCA, mai 1974, LP produit par David Bowie, mixé par Tony Visconti), avec Halloween Jack, est né du refus des ayants-droit d’adapter 1984 de George Orwell. Censure aussi sur le papier peint Laura Hashley dans les années 90 où Bowie tenait à représenter des sexes en dessinant des personnages ! L’artiste est aussi protéiforme que le génial Kurt Schwitters, du design papier à en-tête jusqu’au metzbau en passant par la marqueterie, la poésie sonore ou écrite, les collages et tableaux. Un artiste à part entière, un adepte du rock théâtral et de la performance au même titre qu’Alice Cooper.

Ciné, théâtre, mime

Une salle projette des extraits de films, où Bowie se révèle meilleur qu’Elvis mais n’apparaît pas comme un immense acteur.

L’homme qui venait d’ailleurs (The man who fell to earth, Nicolas Roeg, 1976, adapté d’un roman de l’Américain Walter Trevis, L’Homme tombé du ciel, 1963), où David Bowie incarnait de façon plaisamment étrange, Thomas Jerome Newton (cf. le pendant féminin Scarlett Johansson en The Female dans Under the Skin, Jonathan Glazer, le film le plus important de 2013), vu à l’Institut Lumière. C’est en regardant Cracked Actor, le documentaire d’Alan Yentob sur la tournée Diamond Dogs, que le cinéaste Nicolas Roeg a eu l’idée de faire appel à David Bowie. Ce film est important car il contribuera au processus de reconstruction amorcé par l’artiste dès 1975. Conscient que pour échapper aux abus qui lui détruisent la santé il va devoir regagner l’Europe, Bowie utilisera l’album Station to station comme véhicule. Pour la scène, il va inventer un nouveau personnage, le fameux Thin white duke, qui doit beaucoup à l’extraterrestre du film. Bowie mettra une photo de Thomas Jerome Newton en couverture de l’album et de son successeur (Low en 1977). A la fois perdu et déterminé, le Thin white duke, comme Newton, porte un costume sombre (avec ou sans veste) sur une chemise blanche et va tout mettre en œuvre pour échapper à son destin. Aussi, parce qu’on lui refusera la possibilité d’en signer la bande originale, Bowie virera son manager d’alors et trouvera l’équilibre, notamment budgétaire, en présidant à son destin. Enfin, et même si très peu de ce qu’il avait enregistré pour le film avec Paul Buckmaster s’est retrouvé sur Low (quelques pistes du morceau Subterraneans), il est possible d’affirmer que les faces B des deux premiers albums du triptyque européen, sous influence krautrock, doivent leur caractère de musique de film à The man who fell to earth.

En 1983, en voie de starification globale assumée, David Bowie publie en avril l’album commercial Let’s dance que Nile Rodgers-l’homme-qui-touche-de-l’or-avec-sa-basse (de Chic à Daft punk), produit avec bisbille en sus avec Stevie Ray Vaughan. Avant de partir en tournée mondiale marathon, Bowie passe par le festival de Cannes pour le rôle du Major anglais Jack ‘Strafer’ Celliers, avec une scène de mime lourde dans sa geôle, tout comme celle de ses débuts projetés à côté (que Cassavetti juge, à juste titre, neuneu dans The mask (a mime), de 1969, dans lequel David joue le visage blanc) dans Furyo (Merry Christmas Mr Lawrence, 1983, le transgressif, politique et colérique Nagisa Ôshima avec la célèbre musique de Ryûichi Sakamoto, leader de Yellow magic orchestra, et une des premières apparitions de Takeshi Kitano). Lors de la tournée Serious moonlight tour, il s’inspire du personnage de Celliers : la chromie légèrement passée et dominante du film (le beige des uniformes, le gris-vert de la forêt, l’orangé du sol) va se retrouver dans les costumes pastel portés durant la tournée et l’éclairage de la scène, bien plus chaud que les néons crus.

Le voici en Jareth the Goblin King, « Your eyes can be so cruel, just as I can be so cruel » dans le dispensable Labyrinthe (Labyrinth, Jim Henson, 1986) produit par Lucasfilm, loin du magique Dark crystal (The dark crystal, Jim Henson, Frank Oz, 1982, revu en copie 35 mm à un Epouvantable vendredi à l’Institut Lumière avec le prince du mauvais genre, Fabrice Calzettoni, en présentation). Une musique écrite par Bowie.

Le kitschissime Absolute beginners (Julien Temple, 1986), d’après un roman culte de Colin MacInnes avec cette épouvantable chanson-titre enregistrée à Abbey Road avec, pourtant, l’excellente chanteuse Sade en duo, qui tournait sans cesse à la radio jusqu’à la saturation. Digne d’une prestation d’Elvis, hum, bon, né le même jour, un 8 janvier.

Sollicité par l’artiste/réalisateur Julian Schnabel (Basquiat, 1996), Bowie interprète Warhol jusqu’à porter, sur le tournage, perruque, lunettes et blouson ayant appartenu au maître de la Factory.

Plus surprenant, alors que Ashes to ashes cartonne, un extrait de la pièce The Elephant Man à Broadway, carton d’invit’ à l’appui, où Bowie se révèle sidérant en Merrick, figure qui est également visible dans Under the skin (Jonathan Glazer, 2013). La lettre d’hommage de John Hurt, excellent dans Elephant man (The Elephant Man, David Lynch, 1980), à Bowie est émouvante. Sont exposés l’austère pagne en bure porté au théâtre pour « The elephant man, les modestes sandales portées dans La dernière tentation du Christ (The last temptation of Christ, 1988) de Martin Scorsese.

Clips clac

Perclus de fatigue, je me hisse à l’espace clips. Là, des diffusions de clips sur écrans à l’ancienne, selon votre disposition physique sur l’échiquier. Des gens se disposent inévitablement devant moi, je les hèle à la main. Une masse façon banquier Stern sans latex, une nana sévèrement lookée se déhanche.

Le clip de DJ (musique d’Eno et Carlos Alomar, sur Lodger, RCA, mai 1979, LP produit par Bowie et Visconti), que je ne connaissais pas, assez simple, dans une rue où Bowie se fait rouler des patins par les deux sexes, à l’improviste, à Londres.

Où l’on apprend que lors d’Ashes to ashes (Scary monsters), le clip le plus cher de l’époque avec force couleurs solarisées et noirs et blancs, des gens ont été recrutés à la va-vite dans un night-club pour jouer sur une plage. Steve Strange, du groupe Visage, mort récemment, et les Blitz kids de Berlin y apparaissent avec bulldozer dans le dos. Major Tom se révèle junkie.

Le clip de David Mallet pour l’insupportable Let’s dance, avec Bowie fringué en homme d’affaire Mugler, en mémoire de son pitoyable groupe Tin machine lors de sa traversée du désert (Tin Machine,       EMI, mai 1989, LP produit par Tin Machine et Tim Palmer ; Tin Machine II, Victory Music, septembre 1991, LP produit par Tin Machine, Tim Palmer et Hugh Padgham). Jump they say (Black tie white noise) avec son look de salaryman (il venait de se marier avec la mannequin Iman Abdulmajid qui lui fit rencontrer Al B Sure pour la chanson-titre de l’album). Au passage, une reprise du Moz Morrissey (I know it’s gonna happen someday) est à tomber. Un remix Fame ’90 clippé par Gus Van Sant, paru en single en 1990 à l’occasion de la sortie de la compilation ChangesBowie.

Je chante les basses sur Hallo spaceboy (Earthling) remixé par Pet Shop Boys, une redécouverte très enfouie. Du même album, Floria Sigismondi se colle le speed Little wonder avec un luciférien Bowie dans son costume noir présenté à côté : délire assuré. Dans un autre clip de l’icelle sur The stars (are out tonight) (The next day, ISO, mars 2013, LP produit par Bowie et Visconti et enregistré à New York), digne d’un film, avec crédits au générique (comme Thriller de John Landis avec M. Jackson le 02 décembre 1983), Tilda Swinton, le pendant physique de Bowie, pète les plombs avec les cheveux explosés tout en coupant une volaille façon Massacre à la tronçonneuse.

L’artiste Tony Oursler, vu au Jeu de Paume, aux commandes du clip de la chanson lente au refrain sépia We are we now (The next day), avec les retrouvailles avec Berlin (Potsdamer Platz, KaDeWe) tourne dans la tête avec persistance. Voilà pour les années MTV, aucun média n’échappant à Bowie.

Heureusement, nous avons échappé au ridicule Dancing in the street filmé par David Mallet en 1985 avec Mick Jagger, un single caritatif enregistré à l’occasion du Live Aid repris du classique de la soul popularisé par Martha And The Vandellas, où ils ont font des tonnes à London Docklands en multipliant mimiques, simagrées, gambades et sauts de cabri façon jogging.

Pas de Never let me down (EMI, avril 1987, LP produit par Bowie et David Richards), chanson-titre en hommage à l’assistante de Bowie, Coco Schwab, avec l’inévitable Mondino. Ouf !

I & US

Terrorisé par le souvenir de ses débuts, Bowie est obsédé par l’idée de renouvellement. Il file donc aux Etats-Unis avec force gomina (Dapper Dan ?) et coco dans les naseaux. Il se penche sur la musique noire préfigurant la disco favorite du milieu gay et décide de sortir un album dansant, Young americans, qui laisse tout le monde perplexe mais séduit les Yankees en 1975. Il côtoie l’Apollo Theater et recrute les meilleurs choristes. Bien qu’aguerris, ils comprennent mal la façon, déconstruite, d’écrire du « godardien » Bowie. Disons-le, ils en baveront en studio (sur Arte : David Bowie en cinq actes de Francis Whately GB, 2013, 60 min). Lennon participe au chœur sur l’hypnotique Fame, une reprise des Flares, qu’il coécrit avec le fameux riff funcky d’Alomar. Désormais exilé à Los Angeles où il vit dans une maison encombrée d’objets liés à l’occultisme égyptien, il détruit sa santé, maigrit, voit des sorcières, fait exorciser son logis et pense que Jimmy Page, le guitariste de Led Zeppelin, adepte d’Aleister Crowley, lui veut du mal. Enfermé dans sa chambre, les rideaux noirs invariablement clos, il lit The spear of destiny de Trevor Ravenscroft qui présente le nazisme comme une société secrète née de l’occultisme XIXe siècle, se passionne pour Goebbels « à cause de la façon dont il a utilisé les médias » et est fasciné, comme Dali, par les nazis pour « leur quête du Graal ». En 1976, cette photo de Bowie période The man who fell to earth, revenant de tournée à Victoria Station, et faisant un salut nazi devant sa cohorte de fans, avait terriblement choqué. Quelque temps auparavant, dans une interview à Playboy, il avait expliqué qu’Hitler était la première rock star avant Mick Jagger. Il parle de Golden dawn dans certaines de ses chansons, sans oublier la notion de surhomme chez Nietzsche, présente très tôt (After all dans The man who sold the world , 1971). Cette partie sombre, démontrant la complexité du personnage, est gommée de l’expo, dommage. Et, pour cause : Bowie a fait supprimer des agences de presse toutes les photos compromettantes. Entouré d’un aréopage de serviteurs censés le couper du monde, l’artiste, à qui il arrive de ne pas dormir pendant une semaine, est en chute libre. Hautain, agressif, maladivement avare depuis qu’il a compris que son manager, Tony Defries, lui a fait signer un contrat qui garantit de le ruiner, Bowie enregistre néanmoins un chef-d’œuvre moderne, Station to station. Celui qui a peur de l’avion et se surnomme désormais le « Mince duc blanc », fantasme sur le Vieux Continent.

BerlIggy

Passant donc de la coke de la californication à l’héro dans la ville divisée en deux, le squelettique et blafard Bowie, amateur de la période de Weimar, se rassérène en Europe. La salle berlinoise, l’une des plus réussies, avec un plan de Berlin mangé par les pas et prolongé par des écrans avec diffusion de musique influencée par Kraftwek et autre kosmische musik (Can, Faust, Neue, etc.), expression plus pertinente que Krautrock. La trilogie, faussement berlinoise, est nommée, selon Bowie et Eno, adepte de la Stratégie Oblique, trilogie européenne. Seul l’album Heroes a été intégralement enregistré à Berlin, aux studios Hansa, près du mur. Le synthétiseur analogique AKS à l’origine de la trilogie Low, Heroes et Lodger (enregistré à Montreux et mixé à New York), offert à Bowie en 1999 par Brian Eno, trône, majestueux, après le Stylophone pour Space oddity », le Mellotron et autres machineries. Le romantique germanophile appréciera les photos du chanteur en apnée expressionniste, d’un Iggy Pop au piano, peint par Bowie de façon peu originale mais très Die Brücke, avec images originales à l’appui (Erich Heckel), ou du studio installé entre deux miradors. Sur le côté Iggy, la collaboration de Bowie avec Pop est aussi d’un intérêt bien compris : Bowie accompagne l’iguane comme claviériste lors de sa tournée de 1977. Au milieu des années 80, Bowie reprend à son compte certaines des chansons écrites à quatre mains, mais avec davantage de succès (China girl).

France

Bonus. La salle française, prétexte à conf’ de Soligny. Une longue histoire d’amour pour Bowie, dont l’un des regrets est de ne pas être sorti avec Françoise Hardy. Un registre manuscrit stipule la venue de David Bowie & The Lower Third à la discothèque parisienne le Golf-Drouot, les 31 décembre 1965, 1er et 2 janvier 1966, pour « 2 000 F, hôtel en plus ». Un publi-rédactionnel extrait de Golf-Drouot Actualité, où Robert Madjar fait la promotion dudit Bowie et d’un autre jeune chanteur, Arthur Brown : « Vous ne serez pas déçus après les avoir découverts. Et comme les jeunes Anglais du Marquee, vous les réclamerez à nouveau, j’en suis sûr ». Qu’on se le dise, Bowie s’est produit à Paris dès 1965 ! Cocorico même : la France est le premier pays où il tournera en extérieur.

Les enregistrements épiques de Pin ups  (juillet 1973), The idiot d’Iggy, produit par Bowie, Low (septembre 1976 ; titre de travail : New Music : Night And Day ; méthode de travail : rythmiques jetées sur bande à la hâte, beaucoup de temps consacré à l’enrichissement du son, prises de voix rapides) au milieu des années 70 s’effectuèrent au château d’Hérouville, un studio créé par le musicien opportuniste Michel Magne, vers Pontoise, près de Paris. Matons le livre d’or du château d’Hérouville avec les paroles d’une chanson enregistrée in situ. Laurent Thibault, ingénieur du son audit château, se remémore les séances d’enregistrement. Il s’amuse de l’image bisexuelle de Bowie : « Je n’ai jamais vu un homme courir autant après les femmes ». Bowie est même passé au Havre, embarquant sur le France en avril 1974. Côté people et glamour, c’est un grand amoureux de la France, de sa littérature (le précieux ronsardien Jean Genet en particulier), de Paris où il a demandé Iman Abdulmajid en mariage sur un bateau-mouche. Etape fondamentale que la France : il se débarrasse des sales tics chopés aux USA entre 1974 et 1976, ainsi que d’un management jugé aussi néfaste qu’inefficace. Au tournant de la décennie, Bowie va également rompre avec Angie, obtenir la garde de leur fils, Zowie, et devenir maître de sa carrière, notamment sur le plan pécuniaire. 2004 : crise cardiaque. Bowie a essaimé via Suede, Placebo et tant d’autres.

Coda

Dépôt des casques. Une salle hallucinante en clôture : 21’ de bonheur sur 360° avec trois extraits de concert (dont Ziggy évidemment, le très rock The Jean Genie avec Bowie à l’harmonica). Deux vieilles braillent pour continuer la conversation. Un couple d’étudiants rit de leurs amis asiatiques. Je me cale en diagonale sur d’immenses pouffes pour jouir de la vue, une belle cuivrée se pose à côté de moi. Encore des costumes (Alexander McQueen, Thierry Mugler, etc.) éclairés en son et lumière pendant le passage des concerts, des objets, encore des objets, une maquette pop délaissée car le décor était trop onéreux ainsi que celle du pharaonesque Glass spider Tour (1987) avec son araignée géante au-dessus de la scène, ses musiciens (Peter Frampton à la guitare !) et ses six danseurs (parmi lesquels Melissa Hurley, petite amie de ces années-là).

Was is will. Sortie à 17h après 6 heures d’immersion Bowienne. Les sens ont été convoqués. J’ai peut-être mal lu, mais il manque la référence fondamentale à Scott Walker, que Bowie tenta d’imiter comme crooner, allant jusqu’à lui piquer sa petite amie et à chanter Brel lui aussi ! Tout le parcours du rocker, décrit par Cyrille Martinez dans Musique rapide et lente (collection Qui vive, édition Buchet-Chastel), est respecté.

Las des produits dérivés, livres en pagaille, 45t pressés pour l’occasion, dont Heroes, en vinyle bleu sous pochette semblable à celle de l’époque, chanté en français, la belle affaire ! L’homme d’affaire Bowie, excellent marketeur, en a profité pour caler la sortie de The next day avec l’expo anglaise. Une visite filmée de l’exposition version V&A, David Bowie is happening now (Hamish Hamilton, Katy Mullan, 2013), est projetée dans plusieurs dizaines de salles de cinéma Gaumont Pathé en France. Wiebo, une commande, est un concert performance imaginé par Philippe Decouflé et composé de reprises de chansons de Bowie interprétées par Sophie Hunger, Jehnny Beth et Jeanne Added avec artistes de cirque et danseurs. Une orchestration in vivo de 2001, l’Odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, 1968) de Stanley Kubrick à la Philarmonie. Ce week-end SF inflige en before un travail indigent de Jeff Mills, l’ancien DJ d’Underground resistance à Detroit en quête de légitimité, avec chorégraphie nullissime à la Cité de la Musique sur fond de monolithe rose … L’expo part en Australie (Melbourne) puis aux Pays-Bas (Groningen).

LouBez m’attend à la Cité de la Musique avec des Paul Klee provenant de collection particulière, une trilogie Bacon de la Tate modern, jamais vue malgré la rétro à Pompidou, des magnifiques Vieira da Silva, des photos en noir et blanc de Lucien Clergue, une installation sonore multicanale de Repons, joué à la carrière Boulbon à Avignon, des partitions, l’émouvant original d’Un coup de dé jamais n’abolira le hasard de Mallarmé de chez Doucet !

Biennulle du design à Saint Etienne

Les sens du beau, l’essence du beau. Thème tentant. Recta au resto éphémère à la Téci du design malgré une grève annoncée qui n’existe pas, un problème de caténaire à vif, un suicide sur la plus vieille ligne de France TER ! Une tonne de docs pas très développement durable. Signalétique zéro pour s’orienter. Un bras pour performance culinaire dans un lieu fascinant, comme un Le Bec réussi ou un Cerise et potiron avec cachet. Des signets abstraits (plat, entrée, dessert) où un garçon nous indique comment tricher nonobstant une carte absconse aux bons soins de l’Institut Bocuse (tarte au citron déstructurée façon aquarium, nouilles à l’encre de seiche, etc.). Des plaques réfléchissent un faisceau en plein jour, idée lumineuse d’un étudiant de l’EASDSE. Nappes blanches rigides.

Le plus réussi est coréen : bois, faïence, céramique travaillés de manière fine, entre art traditionnel et méditation. Une merveille : « Vitality 2014, beyond craft & design ». Une vidéo présente à chaque fois leur méthode de travail. La classique tradition/modernité. Le patchwork sans wok « Proust coreana » de Mendini n’est pas des plus réussis dans la série des sièges atroces Proust par Mendini.

« Serial beauty » est assez classique : un designer pour des produits chics vendus dans le commerce. Encore moins bien, « No randomness », la cohérence des formes, une pseudo explicitation du design ordinaire : le losange pour le stop, le pantone x pour l’orange de sécurité, le système métrique, les œufs en barre. Inintéressant.

Même pas vu « Ça aurait plus », déconseillé par un congénère in vivo.

Très amusant : A-T-T-E-N-T-I-O-N, quoique misant sur la jeunesse ludique entourée d’appareils électroniques (la fameuse interactivité). Les lunettes anti reconnaissances faciales sont sympathiques. J’ai adoré « Nonfacial mirror » (Shinseungback Kimyonghun), un miroir qui se désoriente dès que vous tentez de vous mirer. Inutile mais drôle avec une technologie complexe : Duchamp aurait adoré (j’ai songé au « Portrait d’un imbécile » de Soupault, un simple miroir).

« Cabane » : pipeau. Un français : Des Moutis mutandis. Une cabane de bois, l’enfance. « Walden » de Thoreau pendant feuille par feuille … Nullissime. Une classe de maternelle s’ébat dans une rue intérieure.

L’atroce « Vous avez dit bizarre » ou comment se forcer à montrer et exposer le mauvais goût (Bart Hess et Alexandra Jaffré) où quelques rares belles pièces réussissent à transpercer, des têtes de flamands par des danois par exemple.

« L’essence du beau » (commissaire : Sam Baron). J’en attendais beaucoup, j’ai été déçu, même si la scéno est belle. Tombé dans le piège de la définition de la beauté, les français se distinguant dans l’utilisation de concepts abstrus qu’ils ne maîtrisent pas (du Derrida au pays de Descartes). Belle faïence et verre réunis par un libanais. Une chemise en soie soi-disant attractive-répulsive. Une cuisine originale façon alchimiste de Nimbus. Les écoles de design européen ont encore à se creuser la tête.

L’inévitable « Artifact ‪#‎H » peut-être évité, à part le « No stop fourniture » de Sophie Vaugary avec table et chaise en tiges d’acier pour béton. Facile mais efficace.

Plus loin, « Réserve déboussolée » laisse beaucoup attendre pour peu de résultat : des belles sérigraphies d’Elza Lacotte où l’on pointe du doigt avec i-pod pour écouter des musiques de la plateforme indé 1D touch (« Sunshine everyday » de Swell et plein d’autres), des photos en noir et blanc ma foi pas mal de Richard Bellia.

L' »art-lab : connexion » laisse vraiment sur sa faim pour un pseudo participatif. Peut-être n’était-ce pas le bon moment.

A la Platine, « hypervital » est remarquablement scénographiée, même si certains objets sont inutiles car n’ont jamais fonctionné, comme cette caméra sur plusieurs angles comme une mouche. Ceci est mis en regard avec des manuscrits datant parfois du XVIe siècle. Ainsi  » L’onanisme, dissertation sur les maladies produites par la masturbation » par M. Tissot avec l’atroce appareil empêchant le bambin de se masturber. Une section espace amusante avec nourriture lyophilisée, combinaison, etc. Un « bestiaire », pour les enfants, dispensable pour les adultes.

Plus loin, le classique mais intéressant « Beauty as unfinished business » (commissariat : Kim Colin et Sam Hecht). Ce miroir d’aluminium qui se tend et se distend selon votre geste des jambes à l’aide d’une cellule photoélectrique est excellent. Une bouteille d’une marque discount trône sans intérêt.

Sans trop d’intérêt mais permet de respirer du vert : « Née dans les fougères Recherche en territoires ». A côté la superbe petite médiathèque dotée de mobilier mobile, de carrés monochromes de couleurs différentes et d’une matériauthèque jonchée d’objets mis à la file.

Même au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne, les coréens déçoivent (Hye-Yeon Park et Seung Yong Song) : des cubes insignifiants devant un panneau qui laisse furieusement songer à Lawrence Weiner. Puis la cata Lee « Red » Bull : du monumental où l’on marche sur des dalles de miroirs. Le coup de la grotte avec du son amplifié avec écho, un palais des glaces kitch pour fête foraine ratée, des dessins atroces d’étude ou non. A côté, de l’arte povera, no comment. L’excellent Jochen Gerz laissé avec aucune explication : ça tombe à l’eau. Le seul intérêt aura été d’apprendre qu’Hermann Nitsch a continué à créer dans les années 2000. L’expo à l’étage relève plus du graphisme facile que de l’art. La ruine et la modernité, gnagnagna …

Enfin, « Rolling club » à l’Hôtel de Région à Lyon Confluences, une première extension de la Biennale pour une première fois. 3 circuits (Objets d’art, objets de design, objets singuliers) où il est possible de circuler sur les bords mais non à l’intérieur. Dommage. La création de son paysage perso et du croisement est pipeau, même si l’interrogation essentielle est celle de la porosité des taxinomies (un objet d’art peur être aussi celui du design et inversement, etc.). Ils se sont creusés la tête pour avoir des objets de petite taille (carotte de trottoir, cartes à jouer ou de crédits, du Journiac, du Pommereulle, du Janssens, un petit Arp, Valensi, un Gina Pane, des objets surprenants du scientifique Jean Painlevé, le génial coupe-papier « Benbecula », 1961 d’Enzo Mari, l’inutile « Rondel Holder », 2002 d’Oskar Zieta aussi fonctionnel que le presse-agrume de Starck, l’incroyable bouteille d’eau collector Ty Nant de Ross Lovegrove, un « Bikini frit », 2015 de Vincent Labaume, un couteau apache, l’excellente et mythique Lava lamp « Mathmos astro », 1963 d’Edward Craven-Walker, etc.). Bref, plus un inventaire à la Prévert.

Biennale de Lyon, Archéologie du futur : la Sucrière fond au soleil

13e Biennale, chiffre fatidique. Le New-Yorkais Ralph Rugoff, sémioticien ou expert dans l’analyse des signes visuels, directeur depuis 2006 de la Haywardv Gallery à Londres, un lieu public dans l’une des pires architectures digne du « brutalisme », s’y colle. « J’y ai appris à utiliser l’architecture sans lutter contre. C’est ce que j’ai voulu faire aussi à La Sucrière. » L’axe principal, « La vie moderne », le premier volet d’un triptyque sur 3 Biennales, s’articule autour de « la nature de notre époque et des dialogues qu’elle entretient avec le passé ». Sont questionnées l’actualité (les crises économiques, les inégalités sociales, l’immigration, le néocolonialisme, etc.), l’évolution de la société (le numérique, le virtuel, le travail, les loisirs, etc.), l’art lui-même et ses conditions d’exposition.

C’est la dèche : une misérable feuille A5 pour présenter les artistes ; un catalogue à 5 EUR ; 20 % d’artistes de moins que les éditions précédentes ; moins de pièces d’art contemporain. L’avantage est que le peu de pièces est exposé dans un grand espace sans effet d’accumulation. Il n’est pas certain qu’une autre biennale ait lieu, eu égard à l’amoindrissement des subventions municipales malgré Thierry Raspail déclarant que le «  budget artistique de la Biennale est stable, autour de 1,1 million d’euros depuis cinq ou six éditions ». Thierry Raspail, sur la retraite, allonge la sauce de deux ans. Les chaises vides s’accumulent, ce qui est plutôt agréable pour s’asseoir bien que laissant une impression désagréable de vide à occuper à tout prix.

Une soixantaine d’artistes qui viennent de 30 pays différents (Afrique, Asie ou Amérique latine), 65 % ont reçu des commandes. 20% des artistes sont français. La communication insiste sur le travail des artistes avec la région lyonnaise, avatar de la crise, ce qui n’empêche pas Collomb de parader, façon Christophe et son œuf, à Confluence, ce quartier aseptisé pour bobo, dans « Métropolis » d’Arte.

Les silos de la Sucrière sont pollués par la femme guerrière du dessinateur de l’underground américain, Robert Crumb, prince du mauvais goût. La Sucrière, ancienne usine reconvertie en 2003, s’ouvre aux visiteurs avec « Enigma » (Liu Wei, 2014), un labyrinthe de matières quotidiennes (mousses géantes, cordes, toiles) entourant parfois un tuyau à incendie rouge de pompier. La métaphore de la mégalopole inhumaine laisse songeur. Un jeu sur les sens : l’orientation, l’odeur des matières, les jeux sur la couleur verte. L’énigme, c’est un projecteur inutile et bruyant, censé dessiner un carré de lumière, qui utilise le plus d’énergie de toute l’expo. Le miroir est le minotaure : « Portrait d’un imbécile » de Philippe Soupault ?

          Le spéculaire reflète une œuvre simple et réussie, créée pour la Biennale : « Upside down … » (Haegue Yang, Corée du Sud, 2015). Il s’agit d’un remake de « Structure for 3 towers » (Sol Lewitt, 1986) avec 3 cubes de 500 stores vénitiens suspendus éclairés par des néons.

          Quand l’art devient socioculturel avec l’italienne Marinella Senatore, c’est-à-dire sans intérêt et plein de bons sentiments. D’une part « The world community feel good », une création 2015 : une photo des usagers de clubs de lecture des bibliothèques de Vaux-en-Velin et Saint-Cyr-au-Mont d’Or avec les livres choisis (A. Gavalda, A. Nothomb mais aussi M. Darwish, V. Woolf en allemand, etc.) lus (2 écouteurs et chaises). Un avatar du pipeau art relationnel. D’autre part, une photo a saisi une chorale d’aveugles chantant la chanson des canuts, composée par Aristide Bruant, qui évoque la révolte des ouvriers tisserands de la soie à Lyon en 1831 : « Pour gouverner, il faut avoir / Manteaux ou rubans en sautoir / Nous en tissons pour vous grands de la terre / Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre… ». Elle a eu les plus grandes difficultés pour faire chanter la chorale avant les discours officiels lors du vernissage. Des cartels traduisent les paroles en anglais et en braille.

Julien Prévieux accumule dans un humour simplet des balles de golf ou gants de boxe truqués, des raquettes de tennis à double cordage, des baskets à ressorts, la crosse de hockey incurvée pour mieux contrôler le palet et autres inventions qui ont permis à certains athlètes de contourner les règlements pour une « Petite anthologie de la tricherie » (2015, création). Une pluie de voix relate les magouilles sportives. La vaseline trône : « C’est l’aspect corrosif de notre société compétitive », souligne le commissaire Ralph.

          Toujours dans le gadget sonore, le niçois Céleste Boursier-Mougenot, artiste représentant la France au pavillon français aux Giardini à la Biennale de Venise, présente le bruitiste « Aura » (2013-2015). Il utilise comme détecteur « l’aura électromagnétique des portables des visiteurs » à leur passage. « Je ne dénonce rien ! Je fais une proposition, c’est un message de liberté », dit-il. Les averses de noyaux de cerise sur une batterie en noyer sont générées par les mobiles des visiteurs entrant dans le cercle électromagnétique. Bruyant.

A côté, le grec Andreas Lolis a placé son « Permanent residency » devenu « Monument to the Greek » (2014-15, création), un provisoire abri de SDF avec palettes de bois, cartons, plaques de polyester, bois de chantier sculptés en marbre. Ce « monument dédié à la crise grecque » dénonce « le matérialisme » et le « vide de l’existence humaine ». « On peut faire d’autre chose et le nommer aussi ‘modernité’. Jusqu’ici, les sculptures étaient en marbre pour être admirées par les gens. Je montre des cartons, des boîtes et des palettes pour faire découvrir aux gens ensuite qu’il s’agit d’une sculpture en marbre. C’est une manière ‘moderne’ d’expliquer. J’invite les gens à toucher la sculpture. Seulement en touchant on peut comprendre ce qui se passe. Seulement regarder n’est pas suffisant, il faut le sentir. » J’ai demandé s’il était possible de toucher : impossible.

Le néo-Zélandais Simon Denny présente l’installation la plus grande de l’expo, « The personnal effects of Kim Dotcom », 2014. Il s’agit de saisie en 2012 des effets personnels (voitures immatriculées France, un jet-ski, des objets de luxe, une sculpture de samouraï en fer avec des accessoires de voitures moulés) du créateur de Mégaupload, l’escroc Kim Dotcom. Comment exposer ce qui provient du net ? Pas convainquant.

Anna Ostoya, « Yellow, red, blue » (2015, création). Enfin de la peinture mais ici une trilogie très photoshop. Images retravaillées façon « Nu descendant l’escalier » de Duchamp : la manifestation en soutien de Charlie Hebdo place de la République ; Falconetti en bleu dans la « Passion de Jeanne d’Arc » (Dreyer, 1928).

Nguyen Trinh Thi, « Landscape Series #3 », 2013. Photo et diapo : séance diapo autour de la mémoire au Vietnam (blessures cicatrisées, etc.). Préférence pour Coralie Trinh Thi.

Daniel Naudé, « Photos animalières » : photos de vaches à Madagascar, en Afrique. Rapport à l’animal. Inintéressant.

Camille Blatrix (France) avec « Liberté, amour, vitesse », (2015, création) offrirait un travail ironique sur l’objet, ici un distributeur automatique de billets. Bien que s’agissant soi-disant d’hommage direct à Tati, l’humour du distributeur sentimental à la tristesse du monde tombe à plat.

Klaus Weber (Allemagne), « Emergency blanket » (2015, création). En aluminium, un homme en taille réelle est recroquevillé dans une couverture de survie sur un tapis de yoga.

« Clock rock » est une horloge en marbre mais sans indications horaires à balancier.

Les silos sont occupés pour la première fois : les artistes se sont battus pour se les voir attribuer.

Cameron Jamie expose ses totems de céramiques ou terre émaillée tentaculaires et crûment polychromes sur socle de couleur et de formes différentes (2014-15). La salle ovale laisse songer à celle de l’orangerie.

L’artiste international qu’affectionne Bowie, Tony Oursler, a créé pour la Biennale « Weak-classifers » : le silo devient chapelle ou planétarium avec des sièges cosy Fatboy. Des visages (une blonde aux yeux bleus, un black) sont projetés avec, en superposition, les techniques de reconnaissance faciale généralisées comme constellations. La surveillance devient beauté. Le son confine à la poésie sonore avec une partition de paroles.

Otobong Nkanga, une nigériane d’Anvers, offre un simple mais efficace « Weling you go do ? » (« qu’allons-nous faire ? »). Les cordes lient entre elles les sphères de béton car tout est connecté. Pour évoluer, il faut tout bouger. La poésie sonore (« Savez-vous combien nous sommes ? » ; parcours de vie et forces rassemblées) est également présente avec une bande-son à la last poet et un inévitable « I have a dream » de King.

          Au premier étage, Kader Attia, franco-algérien né en 1970 à Dugny et installé à Berlin, ne se foule pas trop avec ses agrafes clouées dans le béton. Réparation, reconstruction avec « Traditional repair, Immaterial injury » (« Réparation traditionnelle, blessure immatérielle », création 2015).

« Réparer l’irréparable » est un labyrinthe cacophonique de bureaux en open space (une table, une chaise, un écran, un casque audio ou deux haut-parleurs) : en une vingtaine d’ordinateurs des interviews de guérisseurs, griots, thérapeutes, praticiens, ethnologues, psychanalystes voire ethnopsychologistes, philosophes, théoriciens, quelques patients aussi, offrent un discours complexe sur les notions de réparable, et donc d’irréparable, telles qu’elles peuvent s’écouter d’une société à l’autre (du Nord au Sud).

          Le Nigérian Georges Osodi esthétise les détritus du downtown ou des bidonvilles de la mégalopole Lagos, symbole du boom démographique et des contrastes abyssaux riches/pauvres. Les photos sont attendues et pourraient, bien qu’établies sur une réalité existante, conforter le discours misérabiliste sur le Tiers-monde, concept du démographe Sauvy.

Le pékinois Guan Xiao présente une installation-pieuvre inintéressante, « One the rest of all » (2015), à l’aide de tubes en aluminium, avec trois sculptures et dix écrans : « Pour moi, les sculptures et les vidéos sont deux médias différents. Il n’y a pas de lien direct, mais il y a incontestablement un lien. Souvent des choses perçues comme contradictoires sont les mêmes choses. C’est notre manque de connaissance qui fait que les choses anciennes soient considérées comme différentes des choses ultramodernes. » Les écrans diffusent en continu des images dénichées sur le net de toutes natures : apparaissent alors un parking souterrain, un œil qui tourne ou « There’s nothing here ». « La vie moderne est une vie remplie de plein de choses. En quelque sorte, c’est la même chose que le vide. Les idées contradictoires : le bien et le mal, le nouveau et l’ancien, l’artisanat et le high-tech, tout cela est pour moi la même chose. »

La roumaine qui vit à New York, Andra Ursuta, a sculpté « Sculptures n°1 et n°2 » (2012). Il s’agit, d’après des images photographiques, de deux statues de marbre de jeunes femmes roms en voie d’expulsion, vêtues de gilets en pièces de petite monnaie (cents obtenus à coups de « ‘xcuse pour la dérang’ »), dérisoires cottes de maille. Son « Commerce extérieur mondial sentimental » est un atroce panneau de basket, flanqué d’un Fritz (« Scarecrow »), la mascotte allemande lors de la coupe du monde de foot, à la place de l’aigle conquérant allemand en guise de panier.

Passons les photos créées pour la Biennale de Marina Pinsky, pour observer l’œuvre facile de Mohammed Bourouissa (création 2015). Des photographies de chevaux, héritage de la frontière et des pionniers américains, sont imprimées sur des capots et autres pièces de carrosserie customisés, symbole de la société américaine, à partir d’un travail sur certains quartiers de Philadelphie (Northwest notamment).

          Le canadien Jon Rafman a construit pour la Biennale une bruyante cabine de visionnage translucide (« Glass troll game ») afin de diffuser d’atroces vidéo dénuées d’intérêts (« Erysichthon », 8’04’’ ; « Community feel good »).

A côté, le taïwanais Lai Chih-Sheng se ridiculise avec une simple icône bureautique symbolisant le contenu multimédia en cours de chargement (« Instant », 2013). Comment perdre son temps devant un écran en général mais aussi devant cette pièce nullissime.

L’Anglais Mike Nelson explique que sa création 2015 est une « œuvre [qui] n’est pas particulièrement apocalyptique. C’est une autre incarnation de mon travail que j’avais commencé à Birmingham avec M6, du nom de l’autoroute qui passe par la ville. À Lyon, j’ai intitulé mon travail alors A7, la route du Soleil. Pour faire cette œuvre, nous avons collecté les pneus crevés et déchiquetés au bord de l’autoroute. Après, je les mets en scène sur des socles de fer et de béton, mais la signification est inhérente à ces objets. C’est un matériel naturel, issu de la terre. Avec ces objets on expose toute l’histoire des empires, des colonies, l’exploitation de gens, l’exportation des matériaux, l’accélération de l’histoire grâce aux technologies, le transport vers l’Afrique, l’Amérique, l’Europe. C’est une combinaison entre Histoire et technologies, jusqu’à ce que cela collapse et explose… et atterrit en tant que résidus au bord de la route, comme des ready-made existentiels. » Duchamp a encore une fois bon dos. Brancusi n’a qu’à bien se tenir !

Encore un étage, le bon, car il sauve le reste. Au gré d’un parcours spacieux, Tatiana Trouvé semble s’inspirer de Charlotte Perriand pour présenter avec force dessins et collages, ses aménagements intérieurs enserrés dans des fers forgés à la Mondrian. A la fois moderne, sur le confort moderne, et en référence à une école désormais classique.

L’allemande Hannah Hurtzig diffuse une vidéo « Ecologie des morts » et « Leçon de nuit n°2 » avec un étrange dîner, entrecoupé de propos philosophiques pointus de la belge Vinciane Desprets en train de faire la cuisine (mort/vivant, cru/cuit). Humour noir assuré sur fond d’effroi. La mort n’est pas tant évacuée de la modernité, elle est conçue autrement.

Le recyclage permet d’accéder enfin aux balcons en jouissant de la vue sur la Saône. En réponse aux détritus qui encombrent la planète, Michel Blazy, né en 1966 à Monaco, fait un usage potager des ordinateurs, des lecteurs DVD, des caméras numériques, des baskets en les transformant en jardinières qui prennent l’air. Un tableau en forme de basket est composé de pulls, pantalons et chaussettes, parfois teints.

Pénétrons enfin dans les installations immersives. L’odorat est le sens qui fait appel au cerveau primaire. C’est l’avenir de l’art contemporain. A l’instar de Penone (« Hypnos » avec ses feuilles de lauriers), Hicham Berrada, né en 1983 à Casablanca et installé à Paris, pour qui « tout existe dans la nature, et que nous en faisons partie » présente « Mesk-Ellil » : « C’est un jardin de nuit, un jardin clair-obscur avec des jasmins à floraison nocturne. C’est la plante qui a l’odeur la plus forte de tout le règne végétal, mais elle ne fleurit normalement qu’à partir de dix heures le soir. Pendant l’exposition, on inverse simplement le cycle jour et nuit pour offrir cet odorat aux visiteurs pendant les jours de l’exposition ». « C’est un jardin de nuit, un jardin clair-obscur avec des jasmins à floraison nocturne. C’est la plante qui a l’odeur la plus forte de tout le règne végétal, mais elle ne fleurit normalement qu’à partir de dix heures le soir. Pendant l’exposition, on inverse simplement le cycle jour et nuit pour offrir cet odorat aux visiteurs pendant les jours de l’exposition. » Il ajoute qu’il fait « des expériences pour montrer ce que l’homme fait sans trop réfléchir. Ici, par exemple, on se coupe de la nature avec une seule espèce dans des terrariums clos, sans prédateurs. Dès qu’on est coupé d’un écosystème, des milliers d’autres problèmes apparaissent et on doit rentrer dans quelque chose d’extrêmement chirurgical qui fait presque peur, avec un contrôle de dizaines de paramètres… ». L’installation en lumière bleutée fonctionne d’autant, grâce à l’écho du travail sonore d’autres pièces à côté. Hicham Berrada a reçu à la Biennale de Lyon le prix de l’artiste francophone 2015. La révolution de jasmin réside encore dans nos têtes.

          L’Égyptien Magdi Mostafa, né en 1982, a construit « The surface of spectral cattering » (2014) avec une vue aérienne et nocturne du Caire à l’aide de 10 000 LED et quelque 23 000 connexions alimentées par quinze sources d’électricité qui reconstituent foyers et édifies. Le tout est baigné dans le noir. Une passerelle est à monter pour admirer plan, cartographie et paysage nocturne. « Cinquante pour cent de l’œuvre sont très réalistes, l’autre moitié, le côté sonore, vous embarque dans un rêve. » La bande-son minimaliste, issue d’un espace imaginaire, évolue d’une insoutenable cacophonie au silence. « Je suis né à Tanta, une petite ville dans le nord de l’Égypte. Pour moi, de déménager en 2000 au Caire, c’était le début d’une nouvelle vie moderne. La troisième vie moderne commençait quand j’ai voyagé et découvert plusieurs capitales internationales. Pour moi, la vie moderne est très liée aux grandes capitales. » « Pour moi, la modernité n’est peut-être ni positive ni négative, mais simplement intéressante. C’est un choix. J’essaie de vous faire méditer à l’intérieur de la technologie, de travailler plus vos sentiments que votre cerveau. » Rien de bien neuf cependant.

L’américain Alex Da Corte (création, 2015) avec « Taut Eye Tau », (« œil tendu par la protéine Tau ») s’inspirerait de Kubrick et Lewitt en réfléchissant sur le bleu, dominant, et le jaune à partir de la maladie des morgellons qui aboutirait à Alzheimer. Vu les installations culturistes et la vidéo d’un cyborg musculeux aux pieds rouges, préférons Alzheimer à Al-Qaïda ! Les bananes, le schtroumpf ne donnent pas la banane. Le son ne sauve rien. Mauvais goût assuré.

Les sculptures « Mid-sentence » (2015) de la suédoise Nina Canell pètent des câbles électriques sous terrains fondus sous la forme de monticules rabougris et désactivés : ils ressemblent, baignés dans du béton, à des bonbons anglais. Le son est amusant au contact éloigné d’autres installations ailleurs qui prennent leur ampleur à leur contact.

Avec le turc Ahmet Ögüt is no good avec « Workers taking over the factory » (création, 2015), ses machines mêlent deux industries lyonnaises : textile et cinéma avec les 120 ans de l’invention Lumière avec pellicule sur machine à coudre, des socles-visionneuses. Un t-shirt, en vente en produit dérivé, clame « 100% sans patron ». Lors de la commémoration de la « Sortie d’Usine » (Lumière, 1895), des personnes arboraient des logos d’entreprises sinistrées comme Fralib’, etc. En partenariat avec l’Institut Lumière. Amène le sourire : ne mange pas de pain.

          Enfin un très bon film, « Landscape for energy » (2014) du taiwanais Yuan Goang-Ming avec des panoramiques par drone sur une musique électro minimale lardée de boîte à musique sur un manège abandonné. Les baigneurs insouciants des plages de South bay à Taïwan, près d’une centrale nucléaire façon Fukushima, se retrouvent en affiche à la Martin Parr. Aussi fort que Gursky mais en film.

Parti à 18h, une femme de ménage actionne un appareil à laver sur sol lisse : la plus belle œuvre, la vie moderne, quoi.

Biennale de Lyon éphémère : passez votre chemin

Nothing at Halle Girard

Cet espace éphémère, dans la tradition de la biennale de la friche, était une ancienne chaudronnerie (1857), devenue un espace de stockage d’essence et de gasoil, reconvertie en espace à paintball, traces de peintures faisant foi, de concert pour les Nuits sonores (Kraftwerk en 2015 avec projection 3D !) pour finir en parcours de BMX puis dans le tertiaire. Une rue peinte comme à Sète, une porte latérale en planche de bois pourris, un haut façon grange. La plus belle œuvre de ce Palais de Tokyo décentralisé, est une grue rouillée d’origine agrippée à l’intérieur. 11 artistes curatés par Hilde Teerlink, virée du Frac Lille pour devenir directrice du Magasin de Grenoble. Comme de bien entendu, pas de « Vie moderne » sans modernité donc sans Baudelaire. D’où le « parfait flâneur », en slalomant entre les putes au bord du no man’s land et les voitures affairées avec le dino, la structure intitulée Musée des Confluences, en point de mire. L’amatrice de Modiano, la sinistre technocrate de la Culture, Fleur Pellerin, serait passée non officiellement, probablement suite aux conseils d’Hollande et Valls pour qui il faut se taper de l’art et leur dire que c’est bien car ils sont sensibles, ces artistes. Passerait-elle car la Fondation Pierre Bergé finance, le même qui file du fric au PS ?

          Une misérable rosace de mousse polyuréthane, « lointains intérieurs » (2015) de Sarah Fauguet et David Cousinard (ENSBA) accueille les visiteurs. Rodolphe, le commissaire d’expos et artiste aux mille crânes, est obligé de prévenir de ne pas marcher sur les dalles blanches crades.

          Ce fut le cas pour une visiteuse happée par les écrans. « Entre chien et loup » (2015, 5’44’’) d’Anne-Charlotte Finel est très réussi avec un grammage noir et blanc façon « Blairwitch » sur le rapport entre les animaux (cerf qui perd ses bois, biches) et la ville proche à l’aube ou au crépuscule. La bande son invite à un envahissement vengeur de la faune (comme les renards ou sangliers à Berlin sur le Kud’am) mais la foulée d’un jogger rassure. En résonance, « Veillée » (2015, 6’33’’) rendent les arbres luisants. Cette lauréate du prix vidéo de la Fondation Sommer issue de l’ENSBA sait créer une ambiance.

D’hideux panneaux publicitaires à LED s’amusent à faire des figures comme si nous étions à Noël. Si ils sont d’Arash Nassiri forçant à s’arracher, sa vidéo « Tehran-geles » (2014, 18’09’’), projetée sur un mur, passionne, grâce à son passage au Fresnoy. Il s’agit de la communauté iranienne à Los Angeles, avec vue de drone sur la skyline, l’entrelacement de routes. Des témoignages d’iraniens sont en décalage avec les vues sur la ville-circuit électronique.

          Une œuvre assez réussie, le gonflé « Gonflable … » (2015) est celle de Vivien Roubaud : des lustres qui virevoltent, grâce à des moteurs, dans des sphères de PVC. Les machines célibataires attirent. Féérique et drôle. Lauréat du prix Révélation Emerige.

          Passons les maquettes indigentes de Mengzhi Zheng, les photos de Pierre-Olivier Arnaud, le poussif « Exsangue » (2015) d’Anne-Charlotte Yver, l’installation lamentable de Rodrigo Matheus, une œuvre ratée « La grâce et la nature » autour de la mouche par Marie-Luce Nadal, pour nous concentrer sur « Can we see well enough to move on ? » (2014, 1’50’’) par le collectif Polar Inertia, né de la scène techno underground, exploite le couloir pour offrir un tunnel avec lumière stroboscopique (attention épileptique). Rappel de la période des raves et des free parties.

          Ils sont 11, comme l’équipe de l’OL en déroute cette année. Plus flanc que flâne.

Docks art faible

          A côté du cube orange (duo d’architectes Jakob et Macfarlane), nouvellement investi par Euronews, se dresse la tête de gondole d’OnlyLyon, siège du groupe GL Events, conçu par l’architecte Odile Decq : chaises et canapés design, Bocuse en gros plan qui sucre les fraises. Pour ma première, bien qu’il s’agisse de la 5e édition, c’était, comme on dit, déceptif, parfois du niveau d’une dernière année d’étude d’Ecole d’art, et encore. C’est parti pour les « solo shows » : une galerie, un artiste, sauf pour White Project (Paris) qui n’a pas tranché entre Laurent Roux, peintre sur carton, avec notamment un autoportrait terminé le jour de l’ouverture, Nicolas Moneim, un ancien des Beaux-Arts de Saint-Etienne qui teint des savons d’autrefois et le Canadien Talwst, qui enferme les contradictions du monde actuel dans de petites boîtes à bijoux. Même les bonnes galeries Chartier (Lyon) et Fille du Calvaire (Paris) exposent des artistes peu convaincants. S’en tirent Alan Goulbourne représenté par la Galerie Louvet (Paris), même si l’alu et la forme font songer à une resucée des années 70 ; l’Allemagne renforce sa puissance avec les troublants portraits peints d’Harding Meyer (Galerie Voss, Düsseldorf) ; les collages d’impressions textiles à partir d’images numériques, suite à une résidence à Pierre-Bénite du Colombien Andrés Eamirez (« LL / A moon garden », Galerie Escougnou-Cetraro, ex Galerie See studio), dont une légitimement achetée par la Ville de Lyon. Thomas Cristiani et Antoine Roux ne cassent pas des briques pour Un-Spaced Gallery (Paris). La cène de l’ENSBA Lyon, représenté par Octave Rimbert Rivière, diplômé des Beaux-Arts de Lyon en 2013, est indigente (bananes pourries, etc.). Reste la belle vue sur le dragon Musée des Confluences de la mezzanine. Du cul qui ne choque même plus avec les photos quotidiennes de Patrick Wokmeni (Galerie Olivier Robert, Paris). Le projet spécifique de Robert Suermondt, proche de l’art conceptuel s’inspirant du cinéma, sauve du marasme. A retenir, d’autant que la jeune galerie bruxelloise a coulé. Reste à se réfugier vers l’hommage à l’abstrait Stéphane Braconnier (1958-2015) qui n’est pas sans rappeler l’Ecole de Nice. Pailhas de Marseille, reviens parmi nous !

Biennale de Venise 2015 : è pericoloso sporgersi

Préférer le billet Intero Special 2days à peine plus cher car tout voir en un jour, Arsenale et Giardini, est quasi mission impossible à moins de voir l’expo Van Gogh à la vitesse d’Artaud.

1-Préliminaires

Le peuple de la Sérénissime « vit dans l’indifférence de la Biennale », confie un élu local. Allergique à la moindre manifestation ostentatoire de l’art contemporain dans la ville, ils se sont battus, sans succès, contre la construction d’un nouveau pont à Venise par l’architecte catalan Santiago Calatrava et ont réussi à faire démonter « Le Garçon à la grenouille », œuvre de l’américain Charles Ray, que la collection Pinault avait installée à l’extérieur de la Punta della Dogana, elle-même concession de seulement 30 ans, remplacée depuis par le réverbère qui préexistait depuis le XIXe siècle. Longue est l’histoire du vandalisme, Napoléon n’étant pas tendre avec Venise.

1.1 chiffres

Evacuons les chiffres : 89 pays (contre 58 en 1997) ; 136 artistes dont 89 qui exposent pour la première fois ; 16 artistes viennent de pays africains. 159 œuvres, un nombre exceptionnellement élevé, ont été spécialement créées pour la Biennale. 11.000 m2. 44 événements collatéraux. La Biennale, avec près de 3 millions de visiteurs, enregistre deux fois plus d’entrées que le palais des Doges. La 56e Biennale de Venise sera la plus longue de son histoire car elle a été inaugurée avec un mois d’avance pour la faire coïncider avec l’Expo universelle de Milan. La Biennale d’art contemporain de Venise a 120 ans. Elle est confiée pour la première fois à un commissaire d’origine africaine.

Si le Vatican est présent pour la deuxième fois, outre les pays nouveaux venus (du Mozambique à l’île Maurice, de la Mongolie aux Seychelles), la Biennale marque le retour de vieux candidats, comme l’Équateur (absent depuis 1966), les Philippines (depuis 1964) et le Guatemala (depuis 1954).

Un Lion d’or a été décerné au Ghanéen El Anatsui à la Biennale de Venise. Voilà pour le dossier de presse.

1.2 piments

Evacuons les scandales :

1.2.1 décès

Jane Farver, longtemps curateur du Queens Museum, qui travaillait sur l’œuvre et le catalogue de Joan Jonas, artiste présente à cette Biennale au Pavillon américain, rebelle féministe, réputée proche de Richard Serra, a disparu brutalement.

Le peintre allemand Ekkehard Drefke s’est noyé en glissant dans le Grand Canal lors d’un repérage vers le Palais des Doges.

1.2.2 mosquée no, mosquito si

L’expo du pavillon islandais dans l’église désaffectée datant du Xe siècle, Santa Maria della Misericordia, où l’artiste suisse Christoph Büchel a recréé une mosquée en action avec tapis de prière, salle d’ablutions, mihrab (la niche de prière indiquant la direction de La Mecque) et minbar (la chaire du prédicateur) a été fermée pour désordre public car la communauté musulmane, avec qui l’artiste a travaillé, venait prier. Souvenir de la bataille de Lépante où Cerventes perdit une main gauche ?

1.2.3 parce que Danh Vo bien

Le vietnamo-danois Danh Vo, traumatisé par le catholicisme, est le commissaire du pavillon Danois et de l’expo « Slip of the Tongue » chez Pinault, alla Punta della Dogana, réhabilitée de façon épurée par l’architecte japonais Tadao Ando, où il scie l’embase d’une Vierge en bois de l’entourage de Nino Pisano (XIVe siècle) pour l’emboîter dans le fragment d’un sarcophage romain en marbre du IIe siècle également retaillé. Il débite un torse grec d’Apollon (IIe siècle) pour l’enfermer dans une boîte en bois.

1.2.4 YBA in YMCA

« Allez voir le pavillon anglais : exceptionnel ! » s’esclaffe François Pinault. Sarah Lucas, figure de la YBA (Young British Artists) Generation, n’amuse qu’elle-même avec ses corps féminins nus tronqués appuyés sur des cuvettes de chiotte, cigarettes plantées dans l’anus dans un pavillon Grande-Bretagne total look jaune vif. Notre princesse des élégances a invité un duo féminin explosif punk, « 100% Beefcock & The Titsburster » (« 100% queue de bœuf et l’exploseur de nichons »). La mort du « Colonel » Kurt a enterré le revival punk. « Trop sage, pas assez naughty girl » selon Anish Kapoor.

1.2.5 Crimée

Panique au Pavillon russe, foi de Mistral, lorsque des artistes ukrainiens sont venus en treillis avec stickers « on vacation » (en vacances), occuper pacifiquement les lieux lors du vernissage de l’artiste Irina Nakhova. En 2013, le pavillon avait été envahi par des militants gays. Les ukrainiens exposent dans un pavillon transparent à l’arrivée du vaporetto arrêt Giardini : « Hope ! » avec l’équipe de la Pinchuk Foundation de Kiev.

1.2.6 tchin-Chine

Enfin, le Kenya, déjà coutumière de la chose à cause de Paola Poponi, et la République de San Marino présentent dans leurs murs les œuvres d’artistes uniquement chinois. L’argent n’a pas d’odeur.

2- Sombre est le monde qui sombre

« All the World’s Futures », soit « Tous les futurs du monde », expression passe-partout dans un contexte mondialisé à force de globish, par le curateur américano-nigérian Okwui Enwezor, formé à la New Jersey City University, directeur de la Haus der Kunst à Munich, commissaire de la Documenta XI en 2002 à Kassel, de la Biennale de Séville en 2007, de la Triennale de Paris en 2012. Le commissaire s’inspire « d’un paysage mondial à nouveau brisé et en plein désarroi, marqué par des troubles violents et paniqué par les spectres de crise économique ». Trois sous-chapitres: « Le vivant : une durée héroïque » ; « Jardin du désordre » et « Capital : lecture en temps réel ».

Le côté positif est l’introduction en masse de pays dits émergents au sein dei Giardini et à l’Arsenale (le In). Ils ne sont plus cantonnés dans le reste de la ville. La peinture et le dessin sont également présents, les photos et les vidéos sont envahissantes, souvent pas pour le meilleur.

2.1 guerres à tous les étages

« Diverses époques ont eu ainsi leur grand conflit, qu’elles n’ont pas choisi, mais il faut choisir son camp » (Guy Debord, « In girum imus nocte et consumimur igni », 1978)

La prise en compte du monde actuel est prégnante grâce à une vision politique assumée : la guerre est omniprésente avec, à l’accueil de l’Arsenale, les couteaux-nymphéas d’Adel Abdessemed en écho aux néons « War » « Death » « Pain », du « Raw War » datant de 1970, acmé de la guerre du Vietnam, de Bruce Nauman ; « L’ambassade », 1973, un court métrage de Chris Marker sur la prise de la Moneda au Chili, un film projeté en hommage à la très politique Biennale de Venise 1974 qui commémorait ce triste évènement ; n’eut été un cartel indigent, les cinq écrans avec ballon crevé de la cinéaste belge Chantal Akerman, « Now », installation provenant de la collection du Jewish Museum de New York, évoque le conflit israélo-palestinien, par l’utilisation de la vitesse d’un paysage qui défile et une bande-son rugueuse ; Gonçalo Mabunda, célèbre pour avoir transformé en sculptures les armes de la guerre civile qui a ravagé le Mozambique; les vidéos tournées clandestinement, entre documentaires célébrant la vie quotidienne des Syriens ordinaires et logiques d’auto-production avec l’esthétique idoine, par le collectif syrien Abounaddara, etc.

Un Lion d’or politique remis à l’Arménie, sise sur une île éloignée (San Lazzaro degli Armeni, pavillon monté par la mécène Adelina Cüberyan von Furstenberg), à l’heure de la commémoration du génocide arménien, est un peu gros. La bien-pensance est tenace avec un Sarkis présent tant chez les turcs que chez les arméniens avec deux grands arcs-en-ciel de néon. Amen.

Dans le pavillon serbe, Ivan Grubanov expose des drapeaux amassés tels des chiffons destinés à recueillir un mélange de couleurs sur l’horizon des murs immaculés où figurent les dates de naissance et de mort de ces « United Dead Nations », parmi lesquelles figurent celles de l’empire Ottoman (celui qui dura le plus longtemps), de la Yougoslavie (1918-2003), de la RDA (1949-1990), de l’Empire austro-hongrois (1867-1918).

La guerre est intérieure aussi au Vénézuela avec des cagoules de cartel ou de guérillero dans des films qui valent à peine une présentation de fin d’étude aux Beaux-arts. A côté, un inévitable jeu sur les signes indigènes, barque à l’appui. Du pavillon Israël, nous ne retiendrons que les pneus sur le pavillon, une manière intelligente de se distinguer.

Même l’excellente Jenny Holzer ne convainc pas au Museo Correr, en collaboration avec la Fondation de l’Art Ecrit de Frankfort, avec les grandes toiles de la série « War Pantings » où elle utilise des documents anti-terroristes et militaires déclassifiés des Etats-Unis comme fondement de sa réflexion artistique. Une autre œuvre, incongrue dans ce musée, dénonce le big brother qu’est devenu internet. Dommage que la porte d’entrée du couloir NTIC soit cassée, surveillée par des gardiens rochons : réparer ne doit pas être dans le programme.

2.2 échouer

Difficile de ne pas évoquer les vagues actuelles de migrants, a fortiori en Italie : les valises entreposées du « Western Wall » de l’Italien Fabio Mauri en 1993, un artiste à la marge de l’Arte povera ; le photographe Tobias Zielony expose dans le Pavillon Allemand (« Fabrik » ) des coupures de journaux africains et diffuse un reportage au cours duquel il a suivi des réfugiés illégaux, notamment érythréens, manifestant sur les toits de Berlin ; l’algérien Massinissa Selmani dessine, en s’inspirant d’images d’actualité – des réfugiés syriens, par exemple ; les belles cartes géographiques peintes en pointillés colorés par Tiffany Cheung reflètent l’accélération des déplacements de réfugiés ; l’hymne allemand interprété par une chorale de réfugiés africains chantant chacun dans leur langue maternelle, dont le yoruba, une œuvre du Nigérian Emeka Ogboh ; la bannière du collectif Gulf Labor alerte sur les conditions de travail déplorables des ouvriers asiatiques sur le chantier du futur musée Guggenheim d’Abou Dhabi. Chez un particulier, Palazzo Donà Brusa, nous traversons la cuisine dans un Pavillon privé Campo San Polo(-nais) pour aboutir au destin d’un esclave moderne qui fait le ménage : « Dispossession ». Le fameux « plombier polonais » n’est pas loin.

2.3 le retour du refoulé

Si, certes, l’esclavage était et est atroce, nous renvoyer dans les dents systématiquement un retour de boomerang hargneux fatigue, d’autant que les acteurs des conflits actuels (selon l’arc sunnite/chiite, Daech au Moyen orient et en Afrique qui recrute des occidentaux qui commettent les pires atrocités ; à noter que le pays d’origine du commissaire, Enwezor, est celui qui est envahi par boko haram ; l’interland asiatique avec les talibans et les tchétchènes, sans évoquer l’eurasisme prôné par Poutine, en accord avec Pékin) épousent le même discours. C’est oublier également que certains africains du Nord ont été également d’affreux esclavagistes à l’encontre de l’Afrique sub saharienne. Tablons toutefois sur une soit disant prise de conscience de visiteurs qui ignoreraient l’ignoble traite des noirs tant ils vivent sur une île par temps de mondialisation, elle-même génératrice d’autres types d’esclavages.

La pièce la plus réussie est le film de l’écrivain ghanéen John Akomfrah, « Vertigo sea » : la triple projection relate l’échouage de bateaux négriers et d’esclaves les fers aux pieds, la noyade des boat people vietnamiens, le massacre des bébés phoques. Cette dénonciation, nécessaire, aboutit à une bonne conscience politiquement correcte assez dérangeante in fine tant dans sa forme que dans son contenu.

Les poncifs sur l’Afrique sont produits par les artistes dits indigènes eux-mêmes, pas besoin de la bonne conscience occidentale en phase (post-)colonialiste : l’art de la récupération au pavillon Angola au Conservatoire ; les toiles de jute déchirées tissées ensemble du ghanéen Ibrahim Mahama le long d’un couloir monumental entre deux murs de 10 mètres de hauteur au sortir de l’Arsenale ; le dessin d’animation d’une femme forcément épuisée sous le poids du monde de la Kényane Wangechi Mutu, artiste soutenue depuis longtemps par le commissaire Enwezor ; le pavillon Belge, le premier construit (1907), exposent des artistes indigents autour de l’histoire sanglante du Congo « Personne et les autres » (musique du cru, foutoir, etc.).

A propos d’indigène, on ne coupe pas à l’art du cru mâtiné de sociétal, « Le Temps de la mauvaise façon » : Fiona Hall expose des œuvres réalisées avec des tisserandes aborigènes de façon muséale. Atelier macramé exotique. Moi qui suis féru d’art aborigène, je n’ai pas du tout accroché. Dommage, d’autant que le Pavillon australien, le dernier construit, est un superbe grand parallélépipède noir inspiré des sculptures minimalistes de Richard Serra. Nous préférerons le hall à Hall !

La vidéo panoramique des polonais C. T. Jasper et Joanna Malinowska « Halka/Haïti, 18° 48′ 05″N, 72° 23′ 01″W », inspiré du « Fitzcarraldo » de Werner Herzog, donne à voir longuement un « Halka » en plein air en Haïti. Bon, so what ?

La mise en évidence du racisme fascine avec les grands dessins au graphite et à l’encre de l’Américaine Lorna Simpson. « True Value » joue sur le stéréotype de la femme noire comparée à un félin. « Three Figures » rappelle les émeutes raciales.

Le caricaturiste danois Lars Vilks résume tout : « Les artistes africains qu’on voit ici ne sont pas transgressifs. Ils obéissent aux règles édictées par l’Occident. Et c’est l’assurance du succès. Ici, avec le blanc-seing d’un commissaire d’exposition réputé, on se dit que c’est de qualité. Ils peuvent être lancés, mis sur le marché ». Le commissaire Enwezor serait-il l’alibi d’un Occident qui l’aurait adoubé pour mieux se laver les mains de ses actions sur un continent ?

2.4 das Kapital

Dans le même ordre d’idée, dénoncer le capitalisme alors que la publicité a été énorme autour de l’achat (30 millions d’euros par Pinault aux galeries Gagosian, Thaddaeus Ropac et White Cube ; la Biennale est un immense marché où une dizaine de collectionneurs, arrivés en yacht de préférence, font la loi et imposent leur – et donc le – goût) des huit immenses toiles de Georg Baselitz, autoportraits inversés, superbement exposées comme dans l’abside d’une cathédrale en fin de parcours à l’Arsenale, alors que le tout sent le recyclage d’argent sale à plein nez, c’est un peu fort de café stretto. En 1980, les sculptures de Georg Baselitz accompagnaient les peintures d’Anselm Kiefer… Maintenant, c’est Hans Haacke, avec un voile bleu au milieu dont on ne voit pas le rapport avec la choucroute. Le manque d’explications est évident. Ce sont les merveilleuses photos (bourse, grandes surfaces, etc. ) d’un artiste inconnu qui attirent l’attention : Andreas … Gursky !

C’est Canadissimo (BGL) avec un dépanneur (épicerie) à l’identique ; un atelier de peinture qui laisse songer à celui de Bacon. Passé un atroce échafaudage, chacun compose une fresque à partir de pièces de monnaies lancées dans un jeu de domino. Ludique.

Escrime au bord de l’eau avec des asiatiques façon skywalker avec des fibres de verre démontables.

C’est un pavillon grec laissé en l’état où Maria Papadimitriouis transplante la boutique qu’un artisan de Volos en faillite lui a cédée pour qu’elle puisse alerter le monde. C’est une parodie, bien composée, avec motion capture entrecoupée de breaking news sur un drone maléfique, dans un cube froid façon Tron dans un pavillon allemand. Dommage que le public reste passif sur des chaises longues avec une odeur de terrain de tennis synthétique ; l’interactivité aurait été intéressante. C’est l’œuvre, égale à elle-même dans la laideur, du suisse Thomas Hirschhorn, hanté par l’éternelle flemme, en nous épargnant les odeurs de pneu. Sa dénonciation tombe comme d’habitude dans le vide en confortant le système dans lequel il s’insère. Ce sont, malgré de banales maquettes autour, les saisissantes photographies de Walker Evans pendant la Grande dépression, déjà vues au RIP d’Arles. Ce sont les chansons populaires et des textes issus de luttes ouvrières dans les travaux de Jeremy Deller et Charles Gaines : tiens, c’est la « Carmagnole » qui passe ! C’est la perf’ à l’Arena à partir de Luigi Nono, « Non Consumiamo… (à Luigi Nono) », un leitmotiv sorti de « Musica-manifesto no1 : un volto, del mare ; Non consumiamo Marx », une œuvre de Luigi Nono conçue à partir des protestations qui accompagnèrent la Biennale de Venise en 1968.

C’est « Kapital » (2013), une vidéo sur deux moniteurs d’Isaac Julien sur un dialogue avec le théoricien marxiste David Harvey en 2012. Le commissaire explique que cette lecture « fouillera dans « l’état des choses » et questionnera « l’apparence des choses », se déplaçant de l’énonciation gutturale de la voix à la manifestation visuelle et physique entre les œuvres d’art et le public. » Ben voyons. La dernière œuvre d’Isaac Julien à Venise était commandée par Rolls-Royce … C’est la lecture de « Das Kapital » de Karl Marx, « une épopée, comme l’Akhand Path des Sikhs qui se récite sans discontinuer » selon Enwezor. Cela fait rire quand l’on voit que des pays pauvres ou en faillite (cf. Pavillon espagnol à coup de … Dali et … Amanda Lear entourés de jeunes obnubilés par la question du genre alors qu’Almodovar a déjà tout dit dans la movida) se ruinent littéralement pour exposer à Venise. Sans parler des personnes payées au noir par le pays du Pavillon national, souvent des artistes eux-mêmes, travaillant dans la Biennale pendant plusieurs mois.

Un pays inconnu : une marque de montre suisse (« In Switzerland they had brotherly love – they had 500 years of democracy and peace, and what did that produce ? The cuckoo clock. » Orson Welles/Harry Lime dans « Le troisième homme », « The third man », Carol Reed, 1949), mécène officiel. Un pavillon comme un revêtement de tuyau de clim’, façon serre andalouse dans « 2001 », qui abrite des belles fleurs technologiques par Vasconcelos, une portugaise née à Paris, comme son nom l’indique.

Switcher en se sustentant d’un witch dégueu au milieu d’un beau mobilier d’un design italien connu en buvant un café d’une marque de café bien connue. Discuter avec une spécialiste française de l’art brut qui vit à Taiwan, visitant la Biennale depuis 16 ans. Elle est déçue par le pavillon central ai Giardini. Ruminer que le capitalisme, grand Moloch, remâche tout car fondé sur le désir.

3- Un peu de beauté dans ce monde de brut

Dénoncer, c’est bien. Faire œuvre en même temps, c’est mieux.

3.1 Asie en force

Le pavillon japonais fait l’unanimité : dans « The Key in the hand », Chiharu Shiota a fait pendre pendant 2 mois 400 km de fil rouge avec plus de 100 000 clefs suspendues. Une mère a apporté les clés de son voyageur de fils, décédé. Les barques sont une transition de la vie à la mort, plus côté shinto que grec (Achéron). Certains évoquent les bateaux échoués de migrants en Méditerranée ou ailleurs, pourquoi pas. Simple et évocateur. Certainement le Lion d’or du public : ce prix devrait être créé. Glenn Lowry, le puissant directeur du MoMA (Museum of Modern Art), est resté longtemps en arrêt. De Mircea Cantor, l’artiste franco-roumain, prix Marcel Duchamp en 2011, à Guy Bärtschi, le galeriste genevois, de Georgina Adam, plume redoutée du « Financial Times » à Nicolas Bourriaud, directeur lourdé des Beaux-Arts de Paris, tous se sont arrêtés pour contempler l’installation.

L’œuvre n’a toutefois pas pu être admirée dans des conditions normales car le toit était en réparation en plein jour. La pièce, normalement plongée dans le noir était … lumineuse. Enfin, à chaque instant, la structure risque de s’effondrer, comme l’indique les nombreuses fissures aux murs trop fins.

La Corée fait coup double avec un pavillon ai Giardini, « The ways of folding space & flying » de Moon Kyungwon & Jeon Joonho, une œuvre futuriste totale rappelant Kubrick sur fond de taoïsme (chukjibeop, bihaengsul), seule commande – où une femme solitaire aux airs robotiques évolue dans un univers blanc clinique – répondant finalement au thème général imposé, et un magnifique pavillon privé « Dansaekhwa » au Palazzo Contarini-Polignac (attention : jusqu’au 15 août !), avec Lee Ufan (1936-), autour de l’art abstrait, minimal et monochromatique de Chung Chang Sup (1927-2011), Chung Sang Hwa (1932-), Ha Chong Hyun (1935-), Kim Whanki (1913-1974), Kwon Young Woo (1926-2013) et Park Seo Bo (1931-), maître de Lee Ufan, dont les œuvres proviennent du Musée privé Samsung. Les amateurs se pressaient, lors du dîner féerique offert par la galerie Kukje (littéralement « international »), pour acquérir leurs œuvres minimalistes dont la cote va exploser, au-dessus de 500 000 dollars. Passionné par l’Art déco, le couple Américain Gary et Nina Wexler ne jure plus que par Ha Chong-Hyun, qui pousse sa peinture derrière la toile, ou les écritures systématiques de Park Seo-Bo. Un Lee Ufan lui-même pas très inspiré au regard de ses intéressants confrères.

Au magnifique Palazzo Morosini, propriété d’une banque italienne connue, Zheng Guogu et le Yangiang Group, déjà vus à la Biennale de Venise 2003, à Documenta XII en 2007, à la Biennale de Lyon 2009 et à la Triennale d’Auckland en 2013, transforment une ancienne usine de chaussures en faillite en installation où la cire blanche recouvre chaussures, étagères, travail à la chaîne et volonté mercantile d’une épaisse couche de cire neigeuse (« Last day. Shop of frozen entities »). « Das Kapital Football », un océan de très gros ballons sur lesquels les citations de Marx sont écrites en chinois, laisse perplexe. Un vigile surveille de façon comique. Plus loin : « Nietzsche is dead ! Suicide after sale ! …» Bon, bon.

A noter que la présence des chinois s’étend également à l’Arsenale en tant que pavillon national In croissant d’année en année. Jusqu’au café Florian avec une belle œuvre, bien intégrée, de miroirs, qu’une femme de ménage s’échine à nettoyer, où les clients peuvent consommer dans une étrange atmosphère de palais des glaces versaillais.

3.2 turpein !

La Roumanie est représentée par Adrian Ghenie, né en 1977. Il peint (oui, de la peinture, enfin ! Cela existe encore ! Ouf !) : des autoportraits ; des portraits de Charles Darwin, d’autres d’Hitler et de Lénine ; de grandes compositions qui tiennent du paysage dont une vue d’un sous-bois de bouleaux enneigé (« Miniature persane ») par temps d’apocalypse. L’une des œuvres les plus connues de l’artiste trône : « Les Funérailles de Duchamp II » (2009). Le corps est allongé parmi les couronnes de fleurs et de feuilles, les draperies et les plissés, peu reconnaissable. La toile est délibérément inachevée. Avec ses tableaux travaillés au couteau, Bacon n’est pas loin.

La beauté, c’est aussi « Land sea » de l’irlandais Sean Scully, une valeur sûre, au Palazzo Falier, la fenêtre donnant sur le Grande Canale. L’odeur de la peinture à l’huile se mêle aux exhalaisons iodées de la lagune. Les peintures monumentales ont été réalisées spécifiquement pour l’occasion. Une intégration parfaite avec Venise. Rêvons d’une expo Rothko/Scully.

3.3 nature

Rêvons « Rêvolutions » au Pavillon français avec Céleste Boursier-Mougenot, un sétois, ancien compositeur de la compagnie « Side one posthume théâtre » de Rambert. Il nous avait réjouis avec « From here to ear » à la Biennale de Lyon 2013, avec des oiseaux dont les déplacements sur des cordes de guitares sauce perchoir produisaient de la musique. Ici, dans la lignée de la « Troisième révolution industrielle » de Rifkin, les arbres, des pins sylvestres, se meuvent sur roulettes dans leur motte de terre grâce à l’émission de leur propre énergie (leur métabolisme, la circulation de la sève et leur sensibilité au passage de l’ombre à la lumière) à bas voltage ou courant différentiel à basse tension. Avec ce principe de transmutation, du son est émis par l’interaction entre les arbres ainsi que leur comportement dans et avec la nature, à savourer assis par terre dans une ambiance que Terry Riley ou La Monte Young n’auraient pas reniée. « J’aime rendre perceptibles les choses invisibles qui nous entourent, un peu comme un médium », explique l’artiste, en confiant s’être inspiré « des théories du botaniste Francis Hallé pour qui les arbres ont des émotions et sont capables, par exemple en cas de stress, d’émettre des composés organiques volatils afin d’avertir leurs semblables ». Un mécène australien a mis la main au porte-monnaie. A retrouver également à la Biennale de Lyon en septembre.

Dans le Pavillon américain, Joan Jonas, représentée par la galerie Yvon Lambert, qui a mis la clef sous la porte tant Yvon est dégoûté du monde actuel de l’art contemporain, est une artiste célèbre, pionnière de la vidéo et de la performance de la fin des années 60. Je n’ai pas été sensible à ses installations vidéo, composées également de dessins, d’objets et de sons, à l’univers parfois enfantin, en lien avec les ateliers que l’artiste mena dans des écoles new-yorkaises, en relation avec la nature.

Dans le trip nature (culture/nature, tradition/modernité), la « Città irreale » du petit jeune Mario Merz, dit Capt’aine igloo, à la Gallerie dell’Academia expose (1966-1994) ses inévitables espaces virtuels à partir d’éléments pauvres comme pain, fils de fer, néon et verre cassé. 8 igloos dans un couloir. Aucune surprise.

Herman de Vries (1931-), le néerlandais dans un pavillon allemand offre « To be all ways to be », entre land art, herbier et Pennone, sur fond de Gassendi, jeu d’odeurs naturelles compris (rosa damascena), ponctué de poésie visuelle. Possibilité d’accéder à la Madonna del monte en vaporetto. Des asiatiques s’extasient à coup d’appareils photos devant un pauvre scarabée vivant échappé du bosquet : la nature peut être plus belle que l’art – cf. Jan Fabre.

               Au Pavillon Aalto de la Finlande Visa Suonpää et Patrick Södelund (IC-98) nous plonge dans le noir afin d’accéder à une magnifique vidéo contemplative « Abendland hours, years, aeons » où la nature est exaltée en un panthéisme rehaussé par la musique de Max Savikangas.

3.4 des sens

               La suisse Pamela Rosenkranz envelopperait dans un délicieux rose laiteux un parterre d’eau avec une odeur de peau de bébé. Le vert végétal serait par endroits produit par la lumière et le rose chair par une salle remplie d’eau colorée. Bien que doué d’un odorat fin, rien senti. Probablement daltonien aussi. Passé complètement à côté, peut-être la pluie a-t-elle altérée l’œuvre. A cause du manque de geyser genevois ?

Côté odeur, « The dialogue of fire. Ceramic and glass masters from Barcelona to Venice » au Palazzo Tiepolo Passi, près de l’arrêt de vaporetto Sa’ Toma. Des flacons de parfums, avec échantillons, en verre de Murano, odeurs vénitiennes en prime. Nombreuses assiettes peintes par Joan Brossa, Roland Topor et bien d’autres. Des coussins de verre où il est impossible de se lover tant l’envie pointe. Ponton sur la lagune : un trafic de fou d’où « Nave no » ou « venezia è una laguna » sur des banderoles pendues à des balcons de particuliers).

Le pavillon Pays nordiques (Norvège) ai Giardini présente de belles architectures de verres brisés de l’afro-américaine Camille Froment, « Glass harmonica », avec concert façon Björk comme à la cour de Marie-Antoinette mais, heureusement, sans Sofia Coppola. Un retour contemporain vers la Venise du XVIIIe.

Du verre toujours, avec l’excellente expo payante « Glastress Gotika » dans le magnifique Palazzo Loredan, celui d’un banquier du XVIe, transformé en Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti. Au milieu des illustres Murano lustres, des commandes spéciales en verre sont en résonance avec des pièces provenant de l’Hermitage (armes, bijoux, heaumes). Ainsi ces casques de tortures en verre remémorent Abou Ghraib. – Cette pièce paraît beaucoup plus pertinente que ce qui est présenté au Pavillon Irak dans la Cà’ Dandolo près de l’arrêt de vaporetto Sa’ Toma (une vidéo de réactions au discours de T. Blair ; des belles photos noir et blanc) – . Wim Delvoye s’en donne à cœur joie avec son vitrail d’x. Un russe réalise un magnifique lustre … de moules de caméras de surveillance « Big Brother ». En haut, l’ancienne banque est transformée en banque de semences afin de sauvegarder les espèces, clin d’œil aux anti-Monsanto, une alerte écolo. Plus bas, passées une bibliothèque de tranches de livres en verre par un chinois et une mandibule géante, des russes projettent une vision guerrière SF, entre la saga « Starwars » et « Blade Runner » (Ridley Scott, 1982). La Russie a d’ailleurs l’un des pavillons les plus réussis ai Giardini avec une dame, de la clique d’Ilya Kabakov – ce dernier étant présent à « Glastress Gotika » – qui offre un panoptique/panorama avec vitraux en panoramique en jouant sur la persistance rétinienne et sur la hauteur.

L’Autriche est très « less is more ». Heimo Zobernig gomme l’architecture avec arche de Josef Hoffmann et Robert Kramreiter à l’aide d’un vaste plafond noir et un sol qui a été nivelé et noirci. L’artiste a renoncé à placer la seule sculpture qu’il avait envisagée. L’ouverture à tous vents oblige le gars payé au noir à tout nettoyer quand il pleut. Un pavillon qui fut parfois plein à craquer d’œuvres exposées.

Fi des nationalités, l’écrivain russe Vladimir Sorokin, avec « Genia Chef », renverse la perspective en créant le pavillon de « Telluria », un pays qui n’existe pas.

4- Il conto per favore !

Plaisir de retrouver un artiste argentin vu à la Biennale de Lyon 2013 : l’intrus continue à s’occuper d’aéromodélisme grâce au balsa et au plastique.

4.1 en marge

Chez Pinault à la pointe, simple richart dans son Fest-noz accompagné de son art advisor à l’isola San Giorgio Maggiore où les invités sont priés de montrer patte blanche trois fois, de précieux cocons se fabriquent dans un aquarium où les talentueuses larves de trichoptère de l’artiste Hubert Duprat agrègent patiemment les particules d’or et les pierres précieuses qui scintillent autour d’elles, non loin des pages tirées d’ouvrages superbement enluminés par des moines copistes vénitiens mais dépecées et vendues à la découpe par les armées napoléoniennes, à côté d’un Giovanni Bellini, d’« Iris » de Rodin aux cuisses ouvertes, des chandeliers de l’hôtel Majestic, où furent signés les accords entre Américains et Vietnamiens en 1973 ainsi que des œuvres de Lavier (canapé en formes de lèvres rouges géantes dessiné par Salvador Dali, un énorme congélateur, etc.) ou Broodthaers (meuble avec coquilles d’œufs, symboles de la préparation de la peinture classique). « Carnation Milk » est la marque du lait concentré américain que Danh Vo a bu enfant. L’ « Achrome » (1962) de Manzoni, le « Tamerlano » (1968) de Luciano Fabro, les pièces de Tetsumi Kudo laissent froid tandis que « Work » (1961) de Sadamasa Motonaga (Gutaï) intrigue. Envie de plonger du « Powerless structures, fig. 13 » d’Elmgreen & Dragset. Le titre de l’exposition (« slip of the tongue » signifie lapsus, langue qui fourche) est emprunté à celui de l’une des œuvres de l’artiste Nairy Baghramian, née en 1971, dont sont présentées trois installations peu marquantes. Ce panorama laisse sceptique malgré les valeurs sûres. « De toute façon, on traverse une époque comme on passe la pointe de la Dogana, c’est-à-dire plutôt vite. Tout d’abord, on ne la regarde pas, tandis qu’elle vient. Et puis, on la découvre en arrivant à sa hauteur, et l’on doit convenir qu’elle a été bâtie ainsi, et pas autrement. Mais déjà nous doublons ce cap, et nous le laissons après nous, et nous avançons dans des eaux inconnues » dit la voix sur un travelling sur l’eau au travers della Punta della Dogana où suivent les portraits des dadaïstes en groupe, du cardinal de Retz et du général von Clausewitz dans « In girum imus nocte et consumimur igni » de Debord qui fit se dérouler la VIIIe Conférence de l’Internationale Situationniste à Venise.

Délaisser le Palazzo Grassi avec les néons de Raysse, déjà rassasié de « Nemausus », la fontaine à Nîmes et de ses expos au Carré d’art.

Pour happy few, car Venise sera toujours Venise, l’hôtel Marriott, construit par Matteo Thun, repose sur une terre artificielle, l’île des Roses, sortie des eaux au XIXe siècle. De nombreuses pièces sont disséminées dans le jardin. Comment y accéder sinon en bateau-taxi ? très démocratique !

Moins loin et desservi par le vaporetto, la fondation Cini, sur l’île San Giorgio Maggiore. Elle présente plusieurs expositions, dont celle d’Enki Bilal, « Inbox », nouveau venu à la Biennale : chambre noire, immersion, images floues. Avec le soutien de la maison de vente aux enchères Artcurial.

A côté, le photographe japonais Hiroschi Sugimoto, connu pour ses clichés noir et blanc, a réalisé sa première œuvre architecturale, le « Salon de Thé Mondrian ». Conçu pour faire écho au Stanze del Vetro (« les chambres de verre »), une installation culturelle dédiée à l’art du verre qui se trouve sur la même île, ce pavillon de verre s’inspire des principes édictés au Japon au XVIe siècle pour la construction des salons de thé. Il se compose de deux structures : une cour ouverte et un cube de verre lumineux, dans lequel le maître de thé peut officier pour deux invités.

La Peggy Guggenheim Collection (« Energy made visible ») expose les toiles monumentales de Jackson Pollock (« Mural », 1943) et examine l’influence de photographes telles que Barbara Morgan sur son « dripping ». Loin le temps où Peggy devait prendre l’alcoolique et dépressif Pollock, peu reconnu à l’époque, sous son aile aimante.

Cette année, à la Galerie d’Art Moderne de Venise et à l’Espace Don Perignon, ce sont 60 œuvres, dont ses 4 dernières toiles, de Cy Twombly, mort récemment, qui sont exposées dans la Sérénissime.

Installée dans le Palazzo Fortuny, l’exposition « Proportio », créée par la fondation Axel & May Vervoordt, propose d’explorer l’omniprésence des proportions universelles dans l’art, la science, la musique et l’architecture : les chiffres sacrés, la suite de Fibonacci, la quadrature du cercle, le Modulor de Le Corbusier. Des œuvres commandées pour l’occasion à des artistes majeurs tels que Marina Abramovic, Anish Kapoor (quatre grands disques concaves au gris de plus en plus sombre, regardent une roche en bronze inspirée à Giacometti par « La Mélancolie » de Dürer), Massimo Bartolini, Rei Naito, Michael Borremans, Izhar Patkin, Maurizio Donzelli, Otto Boll, Francesco Candeloro, Riccardo De Marchi et Arthur Duff côtoient des créations connues d’artistes comme Ellsworth Kelly, Sol Lewitt, Carl André, Agnes Martin, Fausto Melotti Mario Merz et Ad Ryman.

4.2 l’addition

Au total, quelques pépites dans un océan de banalités même si le commissaire prône un « projet dévolu à une nouvelle évaluation de la relation de l’art et des artistes à l’état actuel des choses ». Même le génial Steve McQueen, avec « Ashes » déçoit par un dispositif peu adéquat (projection sur les deux côtés d’un écran), un split screen étant plus pertinent. A l’avers, un pêcheur rayonnant des Grenadines, surnommé Ashes, à l’avant d’un bateau flottant sur les Caraïbes, se pavane. Au revers, deux hommes creusent une tombe blanche avec son nom gravé dessus dans un cimetière à flanc de colline où viennent paître les chèvres, à poser un grillage et à cimenter l’ensemble pour accueillir la dépouille d’Ashes, tué lors d’un règlement de comptes mafieux. Grave. D’après des faits réels : rencontré en 2002, disparu après avoir découvert de la drogue sur la plage.

Le jugement global de Lars Vilks, auquel j’adhère, tombe : «  C’est de qualité, mais c’est aussi à l’arrêt. Il n’y a rien de neuf, rien de courageux ».

L’expo ne fait qu’avaliser une évidence que tous cachent : nous sommes en guerre. Alors nous avons droit à un catalogue des horreurs : Ebola, guerre civile, trafic humain, catastrophe naturelle, destruction environnementale. Pourquoi pas mais l’Arsenale se présente comme une accumulation labyrinthique, pas toujours cohérente.

Flâner dans i Giardini est un plaisir, même si un photographe padouan en free-lance pour des chinois tempête contre le mauvais entretien du sol et de la pelouse suite aux pluies intermittentes. Par ailleurs poser des œuvres de Parreno en néon en plein jour au milieu des chemins n’est peut-être pas la meilleure condition pour voir les figures de l’artiste français.

Découvrir i padiglioni laterali est un must go on : être chez l’habitant sur les pas d’une Venise secrète.

Au centre d’une scène immense avec des gradins sur deux étages, appelée l’Arena, au Pavillon central assez décevant, conçue par l’architecte britannico-ghanéen David Adjaye sur le modèle rectangulaire du Parlement britannique, il est possible de voir des films. Une médiatrice m’assure que Straub et Huet (« Geschichtsunterricht », 1972, « Klassenverhältnisse », 1984 et Fortini/chiens, 1976) sont allemands … Dégât de la mondialisation et de l’arasement. Un Chris Marker est projeté uniquement en anglais …

Si le peintre figuratif écossais Peter Doig, né en 1959, Prix Turner 1994, exposé à la Tate Britain et au Musée d’Art Moderne de Paris en 2008, laisse pantois au Palazzetto Tito, avec ses peintures sombres et tourmentées avec des jeux sur la matière, les variations de texture et d’épaisseur, inspirées du romantisme allemand en confrontant l’homme à une nature sauvage et non-identifiable, teintées de mise en abyme comme les maîtres anciens, c’est le bonheur de rencontrer au hasard d’un workshop le poète sonore et visuel Giovanni Fontana qui explique sa poétique épigénétique. Il évoque au détour son intervention récente lors d’une soirée hommage à Bernard Heidsieck à la Maison de la Poésie de Paris : c’était le seul étranger invité. Il conte sa performance à Rome avec son ami Ennio Morricone pour les 150 ans de l’Unité italienne.

Pour l’ancien directeur du musée d’art moderne de la Ville de Paris et organisateur des « Magiciens de la Terre » au Centre Pompidou en 1989, cette Biennale est « moins novatrice qu’elle n’y paraît, avec beaucoup d’artistes confirmés. Dommage que son commissaire se soit révélé davantage un chien de garde qu’un chien de chasse ». La Biennale peut être résumée par la vidéo « L’Homme qui tousse » (1969) de Christian Boltanski placée dans un recoin du Pavillon central : sur des images tournées en pellicule, un homme, assis au sol, crache et tousse à n’en plus pouvoir. Il étouffe, crache, vomit son sang. A moins que ce ne soit de la peinture rouge. Vain. Un artiste confirmé pourtant. Boris Achour tombe lui aussi à plat. Mais peut-être est-ce dû à la disposition des œuvres.

Bref, il ne pourra pas être affirmé : « Das Kapital » ! « That’s all folks ! ».

http://www.franceculture.fr/emission-la-dispute-d-ete-arts-plastiques-speciale-biennale-de-venise-all-the-world-s-future-2015-08