I Diverses versions
Après la commémoration de la mort, voici celle de la naissance : encore un milkShakespeare (1564-1616) pour l’anniversaire du barde de Stratford-upon-Avon ! Pas de chance car, si il y eut Robert Hirsch en Richard III, Ariel Garcia Valdès (Georges Lavaudant, Cour d’honneur festival d’Avignon, 1984), Marcial Di Fonzo (Matthias Langhoff, 1995), Lars Eidinger en Edouard aux mains d’argent plongé dans une ambiance « Orange mécanique » (Thomas Ostermeier, Festival d’Avignon 2015), j’avais déjà eu le malheur d’assister au théâtre d’Oullins à l’excellente interprétation de Dominique Pinon, à la diction parfaite, dans une piètre mise en scène de Laurent Fréchuret, directeur du Théâtre de l’Incendie. Il s’agissait de successions de toiles peintes et de grandes tables rectangulaires d’écoliers pour symboliser ridiculement les batailles, où le seul et limité intérêt était que la première rangée était occupée par les acteurs qui la rejoignent quand ils quittent la scène afin de se rapprocher des spectateurs. Le seul mérite de Fréchuret fut de distribuer un arbre généalogique avant le spectacle.
En ce joli mois de mai, Jolly ne redore pas le tableau, même à l’Odéon, lieu du début de la tournée, où Hugo et Gautier réhabilitèrent Shakespeare.
Côté longue traversée théâtrale, il y eut le « Mahabharata » (Peter Brook, 1985), « Le Soulier de satin » de Paul Claudel, monté dans son intégralité par Antoine Vitez (1987), un « Henry VI », déjà, raccourci à huit heures par Stuart Seide en 1994, ou encore quelques glorieuses épopées du Théâtre du Soleil, d’Ariane Mnouchkine.
Reste à monter des œuvres laissées de côté : « Cromwell » de Victor Hugo, « Empereur et galiléen » d’Ibsen, « l’Iliade » et « l’Odyssée » d’Homère, « Belle du seigneur » de Cohen.
II Mise en scène tonitruante
Première tétralogie : de « Henry VI » à « Richard III »
Le Jolly truand tente de nous forcer à (l’)aimer à coups d’effets sauce Xavier Dolan (« Ce que nous avons en commun c’est que nous faisons ce que nous voulons, quand nous voulons, comme nous voulons sans attendre qu’on nous donne la permission, quitte à se démerder. Nous avons tous les deux la volonté à la fois d’une exigence artistique et d’un cinéma, un théâtre populaires. Ce n’est pas incompatible. Je crois aussi que nous sommes extrêmement liés à la “troupe” avec laquelle nous travaillons. ») dans le prolongement de son désormais mythique « Henry VI » (Festival d’Avignon 2015 ; Molière de la mise en scène 2015; édité en DVD) où il jouait, déjà, à la fin, Richard III.
Plus de 4h20 (avec entracte) n’auraient pas été de trop dans la foulée au regard des 18 heures déjà jouées, même si la tonalité crépusculaire de « Richard III », qui clôt la descente, dénote avec le cycle solaire d’« Henry VI », le tout compris dans le package de la première tératologie (1588-1593) d’un Will jeune. Jolly insiste sur la « continuité parce que c’est la même équipe, parce que ce sont les mêmes personnages, parce que j’ai laissé Henry VI à un endroit où scéniquement et dramatiquement on peut le poursuivre ». La dramaturgie flamboyante, l’allégresse du travail de troupe, les trouvailles cocasses qui créaient le suspense tout au long du marathon de « Henry VI » sont à regretter ici.
Dépoussiérer, dit-il.
Dans un remarquable exercice d’éclaircissement de la pièce grâce à son collaborateur artistique Pier Lamandé et la dramaturge Julie Lerat-Gersant (« Putain, il pourrait être plus clair quand même. […] Sorry, Will. » ; « Mes modifications ont été faites pour essayer de gagner en lisibilité et en clarté, qui étaient mes deux objectifs premiers, sachant que le matériau est à la base assez confus. ») malgré une traduction, moins pire que celle de Bonnefoy pour « Le Roi Lear », ampoulée de Jean-Michel Déprats (Pléiade, Gallimard), les titres tombent des cintres, comme dans une bande dessinée ou un péplum, genre que je déteste, souligné par la typographie des lettres.
Or, la pièce évoque le sanglant XVe siècle : le sous-titre de la pièce indique « le débarquement du comte de Richmond et la bataille de Bosworth ». En fait, en fan revendiqué (« tout le monde a perçu le côté grand spectacle cinéma/série […] je me suis dis “Tiens, il y a quand même quelques procédés narratifs similaires”. Les séries télé ont pompé Shakespeare, il a inventé ce que l’on nommerait aujourd’hui le mainstream. […] Il doit donc accrocher le spectateur) de séries (l’affrontement des Stark et des Lannister dans « Game of thrones » ; « House of Cards », « le Seigneur des anneaux », « Twilight », « Star Wars », « Harry Potter », « Batman » avec un antihéros Pingouin, Jocker, etc.), ceci est prétexte à chapitrer la pièce par actes comme si le spectateur ne pouvait comprendre sans ce surlignage.
Comme dans les séries, il résume de façon incompréhensible lors d’un démarrage laborieux, les épisodes précédents, sans éclairer le propos, par des captations sur écrans de contrôle : « On ne comprend pas forcément, si on tombe comme ça dans Richard III, que cela fait cinquante ans que deux familles se battent et que c’est terminé » […] « on peut retrouver sur scène grâce à une captation, des images du spectacle précédent qui permettent d’avoir des éléments de compréhension ». Cela m’a échappé car trop d’images tue l’image ; heureusement que je connaissais la pièce au lieu d’assimiler ce bloubi-boulga abscons !
Tout ça pour ça
Si le spectateur creuse, il sent l’absence de véritable point de vue d’une mise en scène logiquement et malheureusement bordélique. Il n’y a dans ce Richard ni la séduction du mal, qui est au cœur de la pièce, ni la monstruosité et son énigme, ni la dimension du clown tragique. Toute la complexité du personnage est gommée. La mise en scène très géométrique, très chorégraphiée est sans tension, trop diluée dans le temps, trop autocentrée.
En outre, la conséquence principale est que la longue pièce ne commence pas par la célèbre tirade : « Ores voici l’hiver de notre déplaisir / Changé en glorieux été par ce soleil d’York. » mais, à cause d’un mauvais collage, par le monologue sur la difformité. Tout ça pour ça : redondance.
La seule découverte, c’est le bébé mort-né de Lady Anne : « c’est une fois son enfant mort qu’il devient vraiment un tyran, parce que le pouvoir n’a alors plus de sens pour lui. » Ce ne sont malheureusement pas les seuls gadgets.
III Fiat lux
Lumière-caméra
Le roi siège sur un trône surmonté de 12 écrans de contrôle, au lieu de tapisseries, pour relater le « royaume surveillé, paranoïaque, où tout est contrôlé ». Ce dispositif est réussi d’autant que le metteur en scène critique un actuel état sécuritaire sous télésurveillance n’empêchant pas les attentats. La tour de Londres devient à la fois le symbole de l’enfermement arbitraire et celui de la tour de contrôle. « Ce sont des robots lumineux. Ils ne sont pas là uniquement pour tourner dans tous les sens, ils représentent une société surveillée, un État policier et déshumanisé où la machine remplace l’humain. » Jolly aurait pu éviter la facilité de taper du pied par terre pour éteindre les écrans de surveillance.
Lumière-laser
« Le théâtre est à la bourre quand on voit ce que les éclairagistes sont capables de faire sur ce type de concerts. » Le principal apport du spectacle est l’importation, grâce aussi à François Maillot et Antoine Travert, par le fan de Lady Gaga, Beyoncé et de show télévisés, des lumières de concerts ou show live glam rock voire opéra gothique car « Longtemps, je n’ai pas su quoi faire de ma culture populaire. Au TNB, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de honte à aimer Walt Whitman, Verdi et les Spice Girls ». Le problème est que le specteateur songe plus à « Starmania » de Berger et Plamandon.
La note d’intention de Jolly affine : « Il s’agira de prolonger et d’accentuer ces pistes scénographiques en propsant un univers visuel très contemporain s’appuyant sur la technicité de la lumière : les nouvelles machines, utilisées davantage dans le monde musical sont d’après moi pertinentes dramaturguquement : tout en structurant l’espace de manière quasi-chirurgicale, elles créent, par leur nature robotique, un climat d’oppression, d’angoisse et de sophistication cohérent avec le piège tendu par Richard à ce royaume ».
L’esthétique glacée se fonde sur des effets rasants, des rais traversant la scène ou tombant du cintre, perçant le noir comme des lasers, des projecteurs fixes et articulés, dessine des flèches de lumière violente dans l’obscurité façon « Star wars » pour les « gorges de la mort » avec force son de poignards, aveugle de façon agaçante le spectateur, font de chaque entrée en scène une apparition jusqu’à dessiner la tente de Richard III et son enfermement.
Ce croisement entre hi et low cultures (Richard III est un « grand méchant comme Hollywood sait en faire », sans compter les blockbusters; tv, jeu vidéo, BD dont manga, etc.) serait intéressant si Jolly, fils d’imprimeur et d’infirmière, n’abusait pas d’un procédé passionnant qui devient lassant à force de répétitions et de démonstrations de force. « Si Shakespeare était vivant aujourd’hui, ce serait une sorte de James Cameron ou de Peter Jackson, quelqu’un qui fait du très grand spectacle, à très grande échelle et très populaire » déclarait Jolly pour « Henry VI ». Ceci dit, pas une lampe n’éclaire la scène de face !
Un décor classique
L’usage plus classique de grands rideaux de soie couleur de suie est gracieux. De même, le décor se compose d’échafaudages, comme clin d’œil aux tréteaux, d’un escalier de bois et des tubulures escamotables. Le cheval de bois deçoit : je m’attendais à un vrai canasson comme chez Castellucci.
Si l’ascension de Richard vers la couronne est un hiver glacé, crépusculaire, où se déclinent toutes les nuances de noir, je préfère Soulages, donc Claude Régy, que ce galimatia grand spectacle Grand-Gignol (scène ratée de batailles, dont celle de Bosworth, avec tromblon à confettis rouges ou l’éternel problème de la représentation de la violence au théâtre) dans un trop petit théâtre à l’italienne, celui des Célestins à Lyon.
Boule à facettes
L’acmé serait un show vulgaire et kitsch, scène de chauffe de la salle avant l’entracte, où Richard III/Jolly queer en star glamgoth au Crosby House pour son avènement techno-rock chante « I’m a dog, I’m a toad, I’m a hedgedog » (Clément Mirguet) avec clips et théâtre à l’italienne des Célestins transformé en discothèque. L’idée serait bonne sans claudettes ou choristes gothiques en robes d’inquisiteurs à gants blancs, jouées en outre par des hommes, et gogo-dancer charnu, à la tête de sanglier, venu montrer ses fesses et tendre des doigts d’honneur, héritage de la guerre de Cent ans. L’idée de montrer ses fesses est très shakespearienne au Théâtre du Globe mais pas dans le dispositif ici choisi.
Quelques pépites
Une scène onirique réussie toutefois sur le plan visuel : Richard III foudroyé par les spectres de ses victimes en éclairs de sang. Par contre, les immenses photos de famille York et Lancaster au réalisme tape-à-l’œil n’apportent rien. Jolly devrait s’inspirer de Castellucci mu par une vraie pensée visuelle proche de l’installation de l’art contemporain.
Une scène amusante avant l’effroi immédiat : des exécuteurs de basses œuvres, Bruno Bayeux (également Lord Rivers et duc de Norfolk) et François-Xavier Phan (également duc de Buckingham) se comportent comme des gamins dans la cour de récré et rient à se rouler par terre avant de commettre sur ordre de Richard III un assassinat sur son frère Georges, duc de Clarence (Damien Avice) dans la tour de Londres.
IV Un texte peu audible
Quel texte ?
« Je ne regarde que le texte ». Des coupes, rares, ont été opérées : le texte n’est donc pas intégral. Curieuse méthode : « j’ai interverti quelquefois le sens des scènes pour gagner en suspense, j’ai coupé deux scènes qui n’apportaient vraiment rien à l’action et puis j’ai corrigé toutes les erreurs parce que le texte de Shakespeare est bourré de fautes ». Les inversions de Déprats ressortissent plus de Yoda que de la traduction fidèle : elles sont faciles pour évoquer le temps passé.
Des répliques pirates sont glissées dans le dialogue : le très nécessaire « Thank you » (référence au livre de Torreton « Thank you, Shakespeare ! » en hommage à Shakespeare ?) ; une allusion à Nuit debout.
Où est Shakespeare ?
La musique tech hardcore est tellement forte que le texte est inaudible, même si les acteurs braillent, profèrent sans subtilité, sans vivre de l’intérieur. L’énergie constante de ce théâtre gueulé irrite ou fatigue, râpe la sensibilité des textes effacés dans leur lettre, leur force et leur beauté, pire, jusque dans leur signification. Tout en surface, l’effet, pléonastique, triomphe. Une musique lancinante hollywoodienne, digne de mélo, gâche certaines répliques.
Jolly Richard III
Jolly se taille la part du lion en jouant logiquement Richard III, le rôle le plus long chez Shakespeare. Richard III est « Dépêché avant terme dans ce monde à peine à moitié fait, si boiteux et si laid, que les chiens aboient quand je les croise en claudiquant ». La diction de Jolly ne correspond pas : comment une personne hyper lookée, très efféminée et maniérée dans son élocution (voix haute, parfois nasillarde de fausset, tics, etc.) peut incarner un sanguinaire Richard III, duc de Gloucester, « crapaud du diable » ? Aucune crédibilité pour celui qui oscille entre le bourrin en forçant sa voix et le mignon-giton. Nous n’y croyons pas à la perche-gringalet. Il respire très mal malgré sa grande colonne d’air due à sa taille imposante (« — ma — »). Il court en vain derrière son rôle interprété sans subtilité.
Pire, Peter Pan, qui rêvait d’être danseur étoile, emporté par son énergie, virevolte alors que Richard III est handicapé ! Claudiquer de temps en temps avec son attelle ou jambe sanglée dans une armature de fer détournée en accessoire punk à la Pete Doherty, ne suffit pas.
Le costume de Sylvain Wavrant, styliste inspiré par la taxidermie, est décalé avec sa parure plumes, bois, coquillages, bec d’oiseau et roche dans la bosse (« odieuse montagne ») car Richard III a un « rapport avec l’animal, le végétal ou le minéral ». Pourtant, dans le programme, il est simplement noté : « parure animale de Richard III ». Jolly ajoute que pour le « costume du tyran, nous nous sommes inspirés des représentations médiévales du diable et de ce qui est écrit dans le texte ».
Et les autres
Le nombre des personnages a été réduit. Bien que la mise en scène déborde de moyens, le meneur de la Piccola Familia avoue : « La première modification a été pratique, je n’avais pas suffisamment d’acteurs. J’en avais 21 et ce n’était toutefois pas assez donc j’ai effectué des réunions de personnages, de plusieurs ducs je n’en ai fait qu’un ».
Si Jolly raffole du plan large (épopée, batailles, scènes de groupes), les scènes de dialogues paraissent trop longues et manquent de nuances, l’hystérie cannibalise le registre émotionnel et les personnages secondaires peinent à exister.
Le jeu des acteurs, frais car ayant l’âge des rôles, parasite le texte. « J’ai eu recours à une doublure, ce qui m’a permis de travailler les réglages et avec les autres acteurs et je ne suis intervenu que dix jours avant la première sur le plateau. » Malgré cette technique, le jeu des acteurs, autonomes, est hétérogène. Ils ne sont pas au diapason car il manque à ce spectacle une direction. Peut-être est-ce dû à la méthode employée : les acteurs présentent des spectacles sur un thème ou un personnage abordé dans la pièce. « Ce n’est pas une sous-traitance, cela permet aux acteurs de s’approprier la matière. Les acteurs sont les créateurs. » En outre, « Je ne me considère pas comme un metteur en scène mais comme un acteur qui en fait jouer d’autres ». Jolly doit serrer de plus près sa direction d’acteurs.
Un jeu passéiste
Le phrasé tragique des acteurs est trop tonitruant. La scène, pourtant centrale, avec Lady Anne, transformée en vamp tendance Morticia Addams, est totalement ratée. Il est difficile de croire que le monstre séduit celle dont il a tué l’époux, qu’il la charme par la langue puisqu’elle est surjouée. Les acteurs crient beaucoup, dans ce Richard, en un jeu qui essaie de passer en force. La scénographie, qui se veut contemporaine, ne saurait masquer le jeu éculé des acteurs qui déclament, comme jadis, Marie Bell. D’ailleurs le défaut du théâtre contemporain est patent : la scénographie prend le pas sur le texte. La gestuelle à coups de mains nerveuses d’Emeline Frémont en reine Elisabeth est ridicule. Que les acteurs ne s’inspireraient-ils des recommandations d’Hamlet à l’égard de la troupe de comédiens d’une pièce dans la pièce !
Les effets sonores, globalement réussis, quoique parfois redondants, produisent une indéniable efficacité cinématographique (delay, effet cathédrale, etc.). Le problème global est que l’empilement de codes, styles et genres jusqu’à l’indigestion noie le texte.
V Un théâtre plus populiste que populaire
Nécessaire actualisation
Comme le metteur en scène ressasse le côté « populaire et exigeant », les médias relayent. Jolly a également subi le traumatisme du second tour de la présidentielle de 2002 : « Ce mécanisme politique, d’un roi qui se sert d’un climat délétère et de la fragilité d’un peuple pour parvenir à ses fins… C’est très actuel tout ça ! » (cf. le florentin ou machiavélique Mitterrand de l’Observatoire, entouré de suicidés, de Bousquet et de la hausse du FN; la façon de gérer de Sarkozy; le DSK de New-York); « Je crois également que monter Richard III à l’aune des élections de 2017 et dans le contexte d’une poussée du Front national est important. Dans les prochaines années, je vais m’atteler à poser sur la scène un monstre politique »; « Dans Richard III, Shakespeare décrit un royaume divisé, une génération traumatisée, un climat d’angoisse post-crise » ; « Une fois au pouvoir, il n’a pas de vision et ne veut que conserver son statut, ce qui provoquera sa chute. Le personnage évolue, alors qu’il est le plus souvent présenté de façon statique » ; nous sommes dans « une période troublée et en friche. Nous ressentons le besoin d’avoir du récit au long souffle, de l’épopée. En politique, il n’y a plus de récit. Les personnages politiques aujourd’hui sont assez fades, peu importe les partis ». Le metteur en scène fait le pari d’une analogie avec notre époque, reconnaissant que nous sommes à un autre tournant de l’histoire humaine, basculant dans une ère nouvelle grâce à des mutations techniques inédites, sans que nous sachions encore quel horizon inconnu se présente à nous.
Res populum
Le paradoxe est que si cette pièce dénonce le populisme, le metteur en scène y a recours par divers procédés (lumière, musique, participation du public, éclairage de la salle, etc.). N’importe quel spectateur avisé, et il en est bien peu, se demandera s’il est bien raisonnable d’applaudir le tyran pour son couronnement. D’autant qu’un « simple greffier de justice résume l’époque : « Le beau monde que voilà ! Qui est assez grossier / Pour ne pas voir ce palpable artifice ? / Mais qui est assez hardi pour dire qu’il le voit ? » ». Le dispositif s’était révélé bien plus efficace dans « L’ennemi du peuple » d’Ibsen monté en 2013 par Ostermeier au TNP. Il faut dire que le public pouvait débattre en direct et non taper seulement dans ses mains pour adhérer et faire passer le temps.
Un succès surprenant
Par contre, il est louable qu’enfin les techniciens saluent à la fin avec l’ensemble de l’équipe. Une comédienne lira un texte en faveur des intermittents et contre la loi El Khomeri.
Le public debout ovationne plusieurs fois, comme en 2002 à Marseille le pitoyable « Sakountala » de Pietragalla, une bouillie pour grand public draguant les poncifs sur la folie en prenant Camille Claudel comme caution. L’analyse sociologique s’impose.
Faire connaître à tous prix ?
Si le résultat est de faire connaître et lire Shakespeare à des jeunes, c’est déjà beau, même si le texte est considérablement dénaturé. Voici ce que Jolly, cheveux peroxydés, dit à propos d’ « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier sur France 2 : « C’est important d’avoir eu une telle fenêtre sur la télévision publique qui mette en valeur le théâtre public. C’est une belle initiative, Laurent Ruquier l’avait déjà fait avec Joël Pommerat. Tout le monde avait vu la pièce et on dispose d’un vrai temps de parole dans ce talk show qui dure 4h30, même s’il y a quelques coupes au montage. L’impact après la diffusion a été énorme, sur les ventes de places dans les théâtres sur le DVD de Henry VI… ». Il oublie les produits dérivés (compte Twitter et page Facebook Richard III ; container R3M3 de 6 m² avec imprimante 3D, souris velue, hologrammes, projections, écrans interactifs, skype ; « L’Affaire Richard », spectacle de quarante minutes, joué chez l’habitant par deux comédiens de la troupe) en pro du marketing. On en a pour son argent comme un gros hamburger ; il s’agit plus de spectacle, de divertissement que d’art théâtral ou dramatique.
Les projets
Quel sera le résultat pour l’enfant gâté et prodige, tout autant que prodigue, tels que Stanislas Nordey, son maître, Patrice Chéreau ou Olivier Py, avec « Fantasio », un opéra-comique en 3 actes et 4 tableaux de Jacques Offenbach d’après un livret de Paul de Musset fondé sur la pièce-éponyme de son frère, Alfred de Musset, avec des phases préparatoires ouvertes au public, « Eliogabalo », un opéra baroque façon théâtre vénitien, de Cavalli jamais monté en France, la trilogie autour de « Thyeste » de Sénèque, auteur dont s’inspire Shakespeare (« dolor, furor, nefas ») ? Ces pièces « représentent un retour aux sources du théâtre, à l’essence de cet art. Pourquoi est-il né ? Pourquoi ce genre artistique est-il présent depuis 2 500 ans ? Sénèque est un auteur qui permet de questionner l’humanité dans ce qu’elle a de plus magnifique et aussi d’examiner ses aspects les plus laids ».