[Manuscrit] Vers o, épicarsque roème [feuilleton 8]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

session d’orientation approfondie : adaptation de la technique d’activation du développement vocationnel et professionnel pour adultes (éducation des choix) situations d’éducation cognitive avec supports centrés sur la construction et/ou la mobilisation et l’utilisation efficaces des processus intellectuels la barre des 3 millions de chômeurs est dépassée grilles d’entretien individuel et d’analyse de groupes études de cas jeux de rôles cas de résolution de problèmes grilles d’entraînement logique photo-langage annuaires professionnels le taux français de chômage des jeunes et des plus de 50 ans est le plus important d’europe

 déroulement de l’action 1- séance d’information collective (1 demie journée) la session est présentée par les animateurs de la soa en collaboration avec le correspondant de l’agence concernée à l’issue 5 personnes sont exclues ‘il faut bien sélectionner 2- première phase (3 jours en centre) bilan/exploration en groupe reconstitution des trajectoires personnelles mise en évidence des centres d’intérêts aptitudes dans les domaines : professionnels extra-professionnels personnels travail sur les représentations soi : les métiers le travail entraînement à l’enquête

présentation en dynamique de groupe / françoise, la croque-mort clerc postule pour l’accompagnement terminal / nymphette cadrat, claire, lippue, vire du bar à l’ergothérapie / bionique espère vente d’outils / jeanne-la-puce veut subvenir à son marri comm’aide-soignante / pierre : de graphiste à œnologue / béa, fiancée de frankenstein, vers cosmétique / l’ex-archi hélène, ménopausée à la pina, rêve documentation / yvette, rouleau compresseur bonnasse sautille d’assistante sociale à drh / georges, l’animateur, abhorre vacations / delphine grosse, cul comme porte d’aix / jean-le-jeune et ileli, c’est l’inconnu / ( = panorama cru / dressé au fil par delphine et ileli / morts de rire, les deux / détresse aguerrit / dure vie, eux aussi / ‘ces deux là … / vous mangez ? / pas d’argent (mdr)) / présentation  / (par collectif jugée) / : sens du partage (communiquer) ⇒ construction mesurer capacité d’écoute maîtrise de soi physiquement intellectuellement  / packaging sur humanitudes / savoir se vendre / formateur redynamise / rémi-delphine / sur ban de touche / leitmotiv culpabilisant / rongés, ongles élancent

tchatches en ping-pong / rémi(pour delph’)=jambes de grive / du répondant /  ça chouffe et guinche (Ó machos) / ça branche ça / elle allume :défenses / parer violences quot. quot./ généreuse impatiente simple / nerveuse franche / bon sens ancré / ma foi ‘faudrait m’le dire à moi / italienne aoc / la geste / mains parlent / rires au cargo / (lieu de béton froidard contempourien / bar frêle / personnel hautain / fier du nam jum peik / a coulé / devenu moving) / va cava la rabasso (eccitan)

delph’ cumule / sa pitchounette, perturbée / = marin’océane (préfecture : non homologué) / de père point / parti, poings sur mère / rémi aide sans arrières p. / :main courante contr’ex / au planning / au tribunal (dettes) / bon’appart’ près bougainville / fenêtr’à hauteur de bretelle / voitures vacarmes / sur la suspendue / noir d’industries mortes / face : cours donna / proche puces cabucelle / arenc (rétentions iniques) / intérieur tomettes, mobilier simple / milieu modeste / pièces baignées de lumière / delphine offre peinture

[Manuscrit] Vers o, épicaresque roème [feuilleton 7]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

 

affiliation sécu / rogatons feu état providence / aux chartreux, mêmes sièges qu’à caf / rue d’eugéniste carrel rembourse / (avoir les foies, des lions / amnésique france) / ambiance démocratie populaire / danse de matisse comm’enseigne / farandole laroque / petits rats exécutent pointes pour toutes protections / droits déduits, enregistrés en ricochets / puis mutuelle de la solidarité / : la bimensuelle tombe au gré / jeu de vignettes comme fin de casse-tête / puis la cmu, la vitale et cafouillages administratifs / à nous les dispensaires ! / santé mazel tov slaint abdullah

rémi s’arrime / au palace vide / cloué au judas / : programme du ménager de moins de cinquante ans / panem circensesque / au mieux s’injecter force ars gratia artis / belle vie au dixième /           manger                 déféquer                   dormir                        : destin d’oie / vue sur

slip d’eau   vagues monts pelés   paravents d’ensembles   lycée diderot bleu de fer

symphonie d’alarmes au quartier mort / no man’s land / à l’umbraculum / rémi collectionne voix intérieures / chanter queen tue-tête / ♪ i want to break free / au bord frelons d’haines / voisins ? tarlouze recte à moumoute argentée vieux couple stricte en lien avec d’en face pharmachienne trentenaire et sa famille /vive soyouz des géniteurs/ couloir froid / odeur du dévaloir / sale temps pour les mouches

            temps pourri / avalasse / fi d’essorage / temps bleu / abat d’eau / grand tambour / ipomée pourpre /21h49/éclair!/(grand’o.:≠orage≠tonnerre≠foudre?)/jets/cocijo/d’éloise puis’énergie jusqu’ à lie/éclair!/nervuresbrèves/éclair!/photopsies/rew: fauxdavid , parcdefir/pluieenclaquettes/flashs 24*36/wagnerwagner/gev/tératologie/éclair!/rew: l’urbinate jacte baudelaire/versl’éther/éclair! /sprite/-boule de feu/(fantasmes)-/petit’homme/l’obscurd’éph’/:Τάδε πάνία οίακιζξί κξραυνός/ [frag. LXIV]/ au grand dam dormir / rew    :rêve:cheval                    (         (   longue crinière longue

)          quatre pattes pliées )     pleure     – peau pur’et lisse –       auréolé de fleurs, sur grève ( songe-chante-d’une nuit-carrière-léthé, hante),                 sur                 long long tapis roulant       – ascension, aval –     wet dream / dehors chagrine encore /                                     vie de loire                              est chère

            souvenance pluviôse / nîmes , sous ,, aphone  / ciel sépia : / œil de caïn / horizon sourd / pluies atones / en rabanelles / dâlée,aiguasse,radée,drache,saucée,radache,secouée,rabasse,beurée / crues à lies / égouts vomissent / réveil vasque / vidourlades / rues désertes / plan orsec / aux cuisses eaux / retourner chez / (: quartier richelieu / en quadrille) / rue bons enfants / rémi happé / boire tasse / haut débit / d’eau boue / martial le retient le / voitures déportées / s’entassent / rémi exulte / extirpé ennui / sentir vivre se ~ / voisine crie / eau plafond / père sur route / d’alès gard / rémi martial / sauver meubles / phone coupé / chez rémi / jusqu fenêtre / murs imbibés / odeur âcre / infiltrations / encre bue / commentaire composé / douairières balzac / secours militaires / solidarnösc / nîmes sinistrée / voisine espagnole / profite escroque / insulte l’en face / ‘sale ritals / / théorie des jeux / en acte / devant chez / rémi transi / joxe iznogood + mitterrand spectral / (charisme du machiavélique / à l’aura travaillée / morts autour / pâleur maladive / de celui qui institua / bulletin de santé public / se sachant condamné cancer / soif pouvoir / comme louis XIV / sa pétasse coûta chère / au peuple comme sa bâtarde / génération mitterand / idole brûlée) / que d’eau que d’os / mac-mahonnerie / évacuer limons de l’histoire

plausibles nonantes / siècl’à réactions :1914-1990 ci-gît / rien ne va plus / : grève chez fauchon / femme au volant, distraite / ‘cause mort du tamagoshi sien / se bugne façon césar / le bleu ciel bleu / rémi longe muret de gare / orienté friche (nid’artistes, mao que de col) / ancienne seita / mistral booste vers perpendiculaire / rue national [tunnel] / un préfabriqué de sitcom / accueille soa / trois portes ouvrent sur alphabétisation / maître de concile frais s’affiche / : thomas, marseillais trentenaire, accent conciliant (‘ tout s’arrange ), plongeur costaud, marrons d’yeux / après dingues, opte exclus

 

[Manuscrit] Vers o, épicaresque roème [feuilleton 6]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

fausse, voix off / facile de se la jouer démiurge / son roc, c’est l’albe / angoisse de banquises / en négatif, / coucher noir sur blanc / à défaut d’avec l’autre / elle l’épuise, la numérotée en cantor / sillons taraudent cerveau / doigts de treille sur stylo / sculpter silences / et se lover d’ ℵ / trouver saussure à son pied / “ Il y a aussi la question de la lecture. Nous lisons de deux manières. […] Le mot nouveau ou inconnu est épelé lettre après lettre ; mais le mot usuel et familier s’embrasse d’un seul coup d’œil , indépendamment des lettres qui le composent ; l’image de ce mot acquiert pour nous une valeur idéographique.”1/ auteur : voyeur + voleur / personnages nourris aux mots s’imposent à / conquièrent d’hautes luttes leur place en lettres / lecteur trône : / crée le livre chaque fois renouvelé / roman est mort, vive / suite à page lys, l’artisan / ce condensateur, jubile par pipettes / observe-le en cage clinquante / aspirer virgules

            rémi aux pieds vifs / l’ingambe pratique via / : prendre le temps d’aller vite : / marche sicilienne o all’arrabiata / je trépigne d’impatience au bout / serpe d’encre / sport et règles neufs (march’en ville): / virages écourtés en cordes par petipa / trajectoires en éphémérides / avec vitesse, ileli slalome entre gens / gestion du trafic pour œil de lynx / droitier : pied gauche freine, braque /   stratégie   coordination   réflexe   anticipation / talon scande duende urbain / telle mouette en assiette, suis pente de route / en godille des chevilles fortes / que fluidité domine / figures imposées : / quart tourné pour doubler / latéral pour s’hisser entre / décalé pour se frayer / reculer pour avancer mieux / glisses ∩ rallye / cf. images de synthèse / perspectives filaires / un beau jour à, un black a, beaubourg / lors dépassement serré / révélation : `c’est starsky & hutch ! / être fair / obstacles : chiens enfants vieux handicapés indécis / causes d’heurts, de ralentis par chocs de fourmis / suprême jeu ? / traverser / toro,toro / en passant sous / cul des voitures / veronica aux dunlop / au vestiaire el juli / rémi sauce julienne

désormais, l’institut de la douleur rebelle, proch’arzem / en pleine marche, parfois pétrifié dans /  formes uniques dans la continuité de l’espace / boccioni sic / naufrage de la tétanie / tombe raide comme papet sur banc / a les cambalasses / des heures dans couloir moite d’anonymes, des heures / un nain de jardin option foldingue ausculte in extremis / coups de marteau, impulsions électriques aux cuisses giresse / docteur m’abuse / une semaine après / secrétaire allure kourou lance, tel zeus, graphes / résultat : _

voiles timone / à l’abri aux frais / se reposer monde / flot toujours flux / données submergent en nuées / super mario abdique / roque : comédie urbaine / pour purgatoire troque / un vieux démuni, à côté / ban : assistance publique / râles réguliers / solitude en l’aseptisé / fixe sans plafond cesse / s’accroche aux rideaux mités / avant l’œil du poisson globe / bourdieu, l’isolé / va rendre ses abois / sirène le satellise / marre nuisances sonores / et trou de la sécu : qu’on l’achève! / mais reste de morgue / bienfaits du légume bouilli devant tv /       blancs murs

         gestes réitérés              intemporalité douceâtre                           – éternité laïque

/ parois nosocomiales / ballets d’infirmières enchantent / de riens événements / morts  anonymes sous perfusions / que plis / nouveau lit / border pour achéron / rentabiliser parc

‘hui / un schweitzer initie / au vélo d’appart’ / test d’effort doctoral / pas d’aparté / même couloir / autre service / papillon effleur’oreille / pour sang extraire / dans pommes / prise de tension / mode molière / porte alphaville / le clou : biopsie / infirmière se dévoile / ex phase terminale / ça soufis / omar comme pansements / si jamais je pouvais atteindre le repos, /   toucher enfin au terme de ce long voyage ! / et si jamais, du plus aride voyage, / le vert espoir enfin pouvait jaillir bien haut ! / trou dans peau / rassure pour charcute / jambe virile / résultats : _ / repli sur irm / mercy l’illuminé / d’entrailles d’hosto / à défaut / ponte pioche / dans psychosomatique / éternel retour / théorie de l’humeur  / bout de chair sien / baigne dans bocal / et ascenseur rappelle / exigences gravitation / civière comme / sacs à patates

[Manuscrit] Vers o, épicaresque roème [feuilleton 5]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

enfin lettre de la cli, la lettre / clef pour robinade / s’abuter rien / là sur sol rémi assis dos / la belle vie / adonc hommage au bienfaiteur / proch’hôtel du département  / (demande carte d’électeur ( copie) pour postuler) / :

l’éclipse en Dôme se mire    – insolite
poli
où l’arc vert s’affirme, flou

Face

l’éclipse irradie la verrière immense
par les toiles tamisée
le marbre démocratique
incliné au peuple critique

du lacet, la juste lascive
altière

la Marine-Océane
esquisse ses crêtes saccadées
sa patine jeune
ses timones curves

du lacet, les piliers        – résilles de béton bleu
le        pétale oculaire
étonnent
en     cataractes

l’ellipse s’allie au vast’hall albe
en ovoïde
-galère amarrée

Haut

l’ellipse tapisse l’hémicycle
de l’autel politique
la salle céleste
où célèbres s’amassent

sous dédale, l’aphélie :
vous, pouvoirs, naviguez à vue

je tu il elle on [ileli] nous vous ils elles / fondations vermoulues / déserté bled / peste de l’écri  vain / à  face bacon / intolérable présence-absence dudit / voix for sonne faux / écoute :

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 5 Remise de prix : l’ennui nous appartient

index

       Attente pour le billet de 06h45 à 11h15, pour la queue à l’Amphi 3000 à la Cité internationale : plus d’une heure. Augmentation du tarif jusqu’à 25 EUR cette année. C’est mon premier et dernier prix ! Les peoples défilent en retard (les ambassadeurs, l’aristocratique Desplat, Toni Gatlif, la femme de George Harrison (George Harrison : living in the material world, M. Scorsese, 2011), le beatle dont les deux leaders se foutaient littéralement, Jean-Pierre Jeunet, Matteo Garrone, Souleyman Cissé se distinguant en complet blanc) ; les acteurs de second plan dans les films de Scorsese, Géraldine Chaplin pour Le temps de l’innocence (The age of innocence, 1993) et l’habitué Max von Sidow pour Shutter island (2010). Keitel (le raté film de fin d’étude Who’s that knocking at my door, 1967; Mean streets, 1973; Alice n’est plus ici, Alice doesn’t live here anymore, 1974; Taxi driver, 1976; La dernière tentation du Christ, The last temptation of Christ, 1988), s’il est venu pour la remise de prix à Tarantino, n’a pas daigné venir. Thelma, la monteuse attitrée et veuve de Powell, est venue l’année dernière pour présenter Les contes d’Hoffmann ? Pas cette fois. Le seul de son équipe habituelle, c’est son décorateur, Dante Ferretti. C’est maigre !  La seule amérloque notable présente est celle qui baise avec un richard français, la petite Salma Hayek avec sa robe comme un Colorado de couleurs Opi sur les carioca des Rolling stones Gimme shelter : comme elle n’a jamais tourné avec Marty, il est donc logique qu’elle remette le prix à Marty, ovationné devant son affiche où les photographes shootent. La raison serait une section rétro du cinéma mexicain, mouais. Le bon comédien, sauf dans le film cité, François Cluzet (un membre de l’équipe lui lança excité un « Toi, le figurant, t’es à côté de la star [Dexter Gordon], tu gênes, t’as intérêt à te casser ») est là au titre d’acteur dans Autour de minuit  (Round midnight, 1986) de Bertrand Tavernier, Président de l’Institut Lumière, absent à cause d’une opération … depuis juillet me souffle l’ancien directeur du Zola (autant dire donc que cela sent la « longue maladie » avec la chimio), où Martin a une scène dans un taxi à New York avec 3 pages de textes en peu de temps. Du bien tiré par les cheveux.

       Un Steinway trône, normal il est fabriqué au States. Camélia Giordana, cause de sa voix rauque de clopeuse à Marty en anglais, sans traduction, puis chante en anglais, contrairement à Mireille Mathieu, dans une interprétation sensible et personnelle New York, New York (compositeur : John Kander ; parolier : Fred Ebb). Une vidéo est diffusée : c’est Bob De Niro, en tournage, affalé dans un décor kitsch d’hôtel, qui délivre un message digne de Zidane. Suit un film en noir et blanc à mourir de rire de Kiarostami (à bas Abbas !)  : comme je l’avais prédit à mon voisin, le truc devenant un tic, une bagnole s’arrête, la vitre teintée de la 4*4 se baisse, des chevaux noirs s’ébrouent dans la neige, sous les flocons qui tombent. Pas foulé. Jean-Michel Bernard se colle au thème jazzy de Bernard Herrmann de Taxi driver. Et encore  New York, New York.  Jane Birkin, qui sait chanter comme elle a appris à parler français, massacre ce qui était une chanson de Louis Armstrong, à défaut de New York, New York auquel nous avons heureusement échappé. Le capital sympathie n’excuse pas tout.

       Resnais adorait Laurel et Hardy. Mais il n’arrivait plus à voir de film, il en discutait avec Scorsese. Alors, on se tape un peu drôle extrait de Laurel et Hardy au Far West (Way out West, James W. Horne, 1937) avec danse et cravate de travers, modèle d’Hollande, façon plan hollandais, seule trace laissée par un Président sans relief. Des films Lumière sont projetés comme le Pêche au poisson rouge (1895), une course en sac à patate, Le village de Namo : panorama pris d’une chaise à porteurs (Gabriel Veyre, 1900, n°1296), une vue de New York (Broadway, Alexandre Promio, 1896, n°319), le défilé des policiers à Chicago (Défilé de policemen, Alexandre Promio, 1896, n°336), etc. Bref, exactement le même commentaire mot pour mot de Frémaux que celui lors de la projection à l’Auditorium le 29 septembre, reprise à l’Institut Lumière. Les recettes réchauffées semblent les meilleures. Joie d’avoir payé deux fois … On nous console en nous distribuant un bout de Les affranchis (Goodfellas, 1990), ce qui est toujours mieux que Jeux interdits (René Clément,  1952) à l’ouverture.

       Lecture à deux voix (Frémaux/Cluzet) de la lettre non à Elia mais à Martin, le laïc Tavernier multipliant les références à la religion. « Que foutait Dieu avant la création ? » (S. Beckett). Powell voyait en Scorsese un «  Kurosawa de la 42e rue » à propos de Mean streets (1973). Ses films vieillissent bien. C’est un univers pulsionnel d’où ne sourd ni l’exaltation de la violence ni la condamnation pure. C’est avec le regretté M. H. Wilson que l’on redécouvre le cinéma américain. Et Paisà (Païsa, Roberto Rosselini, 1946), Umberto D. (Vittorio de Sica, 1951), etc. Dans A letter to Elia (Scorsese, 2010) émerge une réalité intime comme un miroir de ses propres émotions. Scorsese est pour le patrimoine, contre la colorisation. Tavernier évoque la cinéphilie à Marty avec ce chef d’œuvre inoubliable 24 heures chez les martiens (Rocketship X-M, Kurt Neumann, 1950), une science-fiction pacifiste dont le scénario a été écrit par Dalton Trumbo. La Fondation est citée. Comme Powell, il fait confiance à l’intelligence du spectateur.  Il rappelle que l’un des plus grands connaisseurs de Powell est George A. Romero (La nuit des morts-vivants, Night of the living dead, 1968). Puis, wiki oblige, terminons le discours par une phrase, tombant comme un cheveu sur la soupe, comme chez les politiques : « Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion ». Que Bertrand T. ait une once de talent de son père !

       Malgré le souci d’une certaine tenue par celui qui est habitué au flonflon cannois, Thierry Frémaux, délégué général au Festival de Cannes, il reste un sentiment d’amateurisme où les shows s’enchaînent sans trop de cohérence, au gré des invités, parfois bouche-trou, qui ont accepté de venir, avec un souci de meubler pour contenter le chaland et essayer de lui en donner pour son argent -ce qui n’est pas le cas.

       Discours du récipiendaire : le cinéma a eu un fort impact sur un enfant asthmatique. Il répète un peu ce qu’il a dit lors de la master class. Dans Duel au soleil (Duel in the sun, King Vidor, 1946), vu à 3 ans, il y avait de la vie, de l’amour, de la colère, de la compassion. Il a dévoré La Belle et la bête (Jean Cocteau, 1946), Paisà (Païsa, Roberto Rosselini, 1946), La strada de Federico Fellini (1954). Le cinéma palliait les défauts de communication au sein de la famille. C’est une étincelle, un point d’intimité avec la famille. En vrac Le salon de musique (Jalsaghar, S. Ray, 1958), Misogushi, Les enfants du paradis (Marcel Carné, 1945) ont permis la découverte du monde. Faire des films était inenvisageable en 1959-60 à New York. Désir, colère. Il s’agit de partager cette joie : d’où les films sur le cinéma et sur l’amour du cinéma. Il a découvert la peinture et la littérature à travers le cinéma. Ce qui compte, c’est ce en quoi les jeunes peuvent trouver l’inspiration.

       Le grand malentendu, ce sont les cinéastes qui ont longtemps méprisé le documentaire sur le cinéma. C’était vu comme un signe de misère ultime car il n’existe rien d’autre que la mise en scène. Ils regardaient cela avec condescendance, comme une trahison.  Or, les films ont un sens en soi, sans palmarès. Ce n’est pas la fonction du documentaire : son rôle est un travail d’histoire avec des interrogations comme : par qui est fait et écrit tel film ? Il en est ainsi pour Tokyo-ga (1985) le film de Wim Wenders sur Ozu ou encore le spécialiste du muet, Kevin Brownlow. Il aborde ce sujet car il a vu Tavernier à Paris qui lui a montré une heure et demi de son approche personnelle avec son film sur le cinéma français des années 1920 à 50 (Becker, Renoir, Carné, la musique des années 50) sur le modèle d’Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain (A personal journey with Martin Scorsese through american movies, 1995). Il a raison de relater le cinéma classique français. C’est un travail précieux que celui de Tavernier qui révèle la beauté pure.

       Le problème maintenant est que nous sommes envahis d’images animées. Les jeunes ne connaissent le monde qu’à travers les images. Pour cette nouvelle génération, il est nécessaire d’éduquer le regard.  Il faut réfléchir, resituer l’image dans son contexte.

       La fondation, c’est un travail sur plus de 20 ans. Les complications légales sont légions. Il faut changer l’état d’esprit à Hollywood pour que cela soit encore possible. Il faut faciliter le travail, éviter les complications légales pour pouvoir restaurer les films. Car c’est le rapport à la vie qui est changé par et grâce au cinéma.

       Scorsese présente Taxi driver (1976). Brian de Palma lui a présenté le scénario en 1972 ainsi que Paul Schrader. A l’époque, personne ne faisait grand cas de Scorsese. Tout a démarré avec Mean streets (1973) qui a été aidé par l’Oscar pour Le Parrain (The Godfather, F. F. Coppola, 1972). Selon les studios, l’association entre Marty et Bob était nécessaire. Un petit budget a été alloué. Les conditions de tournage n’étaient pas idéales car une canicule sévissait en 1975, sans évoquer les orages de chaleur, les pointes de violence, les grèves de poubelles. Il s’agissait de l’enfer de New York au XXe siècle : ils y étaient en direct. Le gouverneur de New York était en faillite à l’époque. Pour Scorsese, pragmatique, New York était égal à lui-même. Ce film était à la croisée des désirs et de l’urgence de l’équipe. Il était persuadé que personne ne verrait ce film. C’est l’histoire d’une passion partagée.  Le fameux « You talking to me ?  » de Bob a été improvisé. Martin a eu des problèmes avec le studio et la commission qui évalue le film pour une licence de distribution. Il a toujours été soutenu par le producteur. C’est un film kamikaze où il n’avait rien à perdre. Plus dure sera la chute. Ce qui l’a amusé, c’était d’essayer, de voir ce que cela donne. Chapeau Marty.  Une superbe rediffusion, avant, pendant et après le Festival, pour un son qui magnifie les basses d’Herrmann et le son stéréo.  Déçu d’avoir payé pour cela.

 

[Manuscrit] Vers o, épicaresque roème [feuilleton 4]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-fiction.

-ième cercle / caf cas un / arrêt moretti après dame limite / bienvenue au club, chemin de gibb / loin  saturday night fever / r.a.s. / noire bretelle haute gênes / bus esquive toursky(au ciel, le poète / théâtre homonyme au quartiouse st mauront / lieu d’ananar’ de pacotille, férus du ferré)pour de l’abrupt / (évidemment, passé lacydon, pente domine / à marseille, napoli parfois s’égale / (chacun danse / sur son vésuve) klaxons aux / bris circulation / cœur dense comme calzone ) / placette de quartier / horizon ras sur bitume / tronches cassées / soupirs du bus / arrêt susdit

deux , trois arbustes bien plantés / accompagnent queue d’accrocs / buisson dardant / moulon en leu leu / arbre cache forêt / bobinette cherra / procession des tickets / queue 1 / bureaux aiguillent / : moutons bien triés / folie du fonctionnalisme / chaises clonées / comme babyfoot (invention d’aubagne) alignées / loin cité r(ad)ieuse, celle du fada / unité d’habitation de grandeur conforme / – au toit croulant – / à la guise de godin / du familistère à terre / passe pour queue 2 / en avant-centre 2 puis 4 tronches de faseb tête de platax ( tribord ) 3 grasses en discute l’une son nombril d’or ravag’man sauce rascasse proche 2 madres en touche attentives aux pitchounes pleurnichards 4 mecques en arrière 5 jeunes jaunes d’angoisses disséminés 1 congre / quête d’argent braguette / 2 laborieux guichets sur 6 / panser en surface de réparation / attentes ; implicites connivences / l’hebdo taktik s’use au sablier / le temps de tuer un âne à coups de figues / patience est longu/ enfin chiffre scintille enfin de tous ses leds

se glisse d’un pet vers parloir 2 / hôte rémi s’affaire su-su / hoquète ‘jour peu sincère / rémi rétorque ‘jour d’un souffle / politès, hypocrisie fatigante / (« »: pauvr’imprimeur guillaume) / je viens pour connaître l’état du dossier rmi / pour faire le point sur l’als /                         / stratégie d’une pierre deux / phrase-geyser en crâne lent / pas des matines, le rémi / fonctionnaire taraudé par café sien / lance d’un monocorde ton / numéro de dossier ? / 666003M / pronom ? / ileli / inconnu au fichier / nom ? / mon / pendant qu’hôte s’acharne sur / son clavier dit ergonomique / rémi médite sur / ce riche diablogue  / en sa chambre de discernement / : communiquer ≠ échanger / rémi mon 10 impasse gémi les lauriers 13e ? / confirmé : déménagé depuis 2 mois / dossiers à jour ; vous recevrez ultérieurement une déclaration trimestrielle de ressources / quant à l’échelonnement ? / boudu un qui comprend le français ! / vous toucherez par virement automatique mensualisé sur / en tant que célibataire de / nous le vérifierons / big b. big b. / vous toucherez une als de 1 200f et un rmi de 2 500f / humanité d’hôte / à plier en corbeille d’ordinateur

croquer le marmot / se ronger d’ongles )   ( (   )  / pour ouverture de la demi-droite / blanc seing du check point / nécessaire mais pas suffi / machine tinguely en branle / go vigo / mythe caf  / : enjeux d’argents, gens agrippés / téléphone toujours débranché / ligne rouge nulle pour professionnels / sauf si relations / lobbying social / du bunker salvateur à l’antre, des méandres / l’antipatriote repart via métro national

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 5 Master class du classe et grand master Scorsese

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       Dans une longue queue d’attente, je me hisse au premier balcon. Un habitué Club Lumière me repère et me garde un siège. Jusqu’à la responsable, ils me refusent l’accès en arguant que les places ne sont pas réservées. Las, je vais au poulailler, où un surveillant ignore la synonymie entre poulailler et paradis. Un homme garde une place pour sa femme avec l’acquiescement d’un surveillant : cherchez la cohérence. Du coup, je discute avec des jeunes qui étudient le cinéma à Lyon 3, notamment le cinéma interactif, en développement au Canada et aux Etats-Unis, un peu en France avec Arte et TF1. Les photos seraient interdites, certains surveillent mais cela n’empêche.

40 minutes de retard. Les peoples défilent : Mads Mikkelsen, l’habitué et excellent Max von Sidow, etc. Tout le monde est debout pour accueillir le petit et bossu Scorsese, vêtu d’un costard bleu, cravate bleue claire nouée. Ses cils en circonflexes, moins abondants qu’autrefois, au-dessus de ses lunettes, laissent songer à Woody Allen. Il est accompagné de sa femme, une petite italienne fausse blonde ou Saraghina miniature, et de sa fille, Francesca, qu’il semble aider avec insistance à entrer dans le cinéma. Une grande traductrice d’origine iranienne parlant 18 langues laisse l’ancien asthmatique déballer ses longues phrases en mitraillettes, façon Jo Pesci, pendant un long temps avant de restituer fidèlement ses paroles. Un autre niveau que Frémaux qui pose des questions débiles du genre, The band avec The Last Waltz (1978), les Rolling Stones avec Shine a light (2008), Dylan avec No direction home (2012), à quand Bruce Springsteen, déclenchant un rire de Marty tant le niveau est différent ou encore : il vous reste 25 ans à vivre, combien de films allez-vous tourner ?

       C’est avec ces gestes nerveux des mains, origines italiennes obliges, que « Marty », comme le nomme le people Frémaux dans une complicité factice de show-biz, lance qu’il va vers ses 73 ans. Il vient d’une famille sicilienne (voir Italianamerican, 1974). Le désir de cinéma vient d’une pulsion : faire et voir des films. D’où sa fondation qui a commencé d’abord par le cinéma américain et qui s’étend au cinéma mondial. Il faut beaucoup de forces, d’énergie, de temps pour faire un film. C’est avant tout un travail d’équipe; il est nécessaire d’avoir de bons collaborateurs. Il s’agit de transmettre car sa vie a été changée par le cinéma. Il ne s’agit pas que d’un rapport esthétique. Le cinéma lui a permis de vivre : connaître et découvrir d’autres films, d’autres pays (le Maroc avec La dernière tentation du Christ, The last temptation of Christ, 1988; la Grande-Bretagne, les studios, l’Asie avec le dernier film, Silence), d’autres personnes. Le cinéma, et non la littérature, est une fenêtre ouverte sur le monde qui lui a été proposée dès l’enfance. En effet, à cause de son asthme, il ne pouvait pas sortir, pas courir, il ne pouvait rien faire. Ses parents, d’origine ouvrière (père épicier, mère couturière à la maison) l’ont emmené au cinéma pour l’occuper (La Belle et la bête de J. Cocteau, 1946, Les enfants du paradis de M. Carné, 1945; la découverte, grâce à la télévision, appareil encore rare en 1941, du néoréalisme italien avec V. De Sica, R. Rosselini lors d’un cycle tv sur le cinéma italien le vendredi soir). Un film marquant vu en bas âge : Duel au soleil (Duel in the sun, King Vidor, 1946). Puis, à travers le cinéma, le lien avec les autres arts comme la musique et la peinture s’est établi. Le film, c’est la musique. Si la tv complétait, il a vécu de véritables expériences cinématographiques, la passion de l’art dans les films avec Michael Powell et Emeric Pressburger : Le narcisse noir (Black narcissus, 1947), Les chaussons rouges (The red shoes, 1948). Tout était en noir et blanc, les films étaient reformatés pour la tv. Il ne les a connus dans leur version intégrale que dans les années 80 ! Outre ces films, il a été saisi par la beauté des couleurs comme dans Le Fleuve de J. Renoir (1951). Dans les années 50, il voyait La strada de F. Fellini (1954), Le 7e sceau d’I. Bergman (1957). La nouvelle vague est arrivée et a tout bouleversé. Il s’agissait de découvrir un nouveau langage. Puis est apparu le désir de montrer aux jeunes générations.

       Il a connu une période show bizz façon La valse des pantins (The king od comedy, 1982) après New York, New York (1977). Il a rencontré Warhol dans un dîner mondain. Il est rentré en taxi avec lui, les seules paroles d’Andy étaient pour demander du fric. Avec Altman, il a compris que c’était foutu pour eux. Il a été grillé pendant 10 ans. La dernière tentation du Christ (The last temptation of Christ, 1988) est tombé à l’eau. Il a rencontré Lou Reed. Il a revu le mutique Warhol qui lui lança un « t’es pas drôle ». C’était leur dernier échange. C’était une autre époque, il y revient avec une série tv actuellement. Dans les années 80 (1982-1986), période de dépression lors d’une atroce traversée du désert, il a eu le sentiment d’avoir fait le tour, d’avoir épuisé le cinéma. Il a été au Japon pour se dépayser. Puis est née Francesca, Martin lui a enseigné le goût du cinéma; cela a relancé le désir de tourner. Ce qui intéressait Scorsese, c’était de redéfinir le vocabulaire du cinéma. Mais pas comme Sleep de Warhol (1963), ennuyeux à mourir. Frémaux cite l’anecdote (« ne tweetez pas ! Ne tweetez pas »), car il n’a que cela à dire, où dans les 8 heures de sommeil, John Giorno se retourne, un spectateur cria « concession ! ». Bref, le cinéma expérimental n’est pas sa tasse de thé. En tout cas, il ne faut pas seulement aller au cinéma pour reprendre le b-a ba du langage cinématographique; il est intéressant de tordre le vocabulaire.

       Il a commencé comme monteur sur Woodstock (Michael Wadleigh, 1970). Son parcours démontre qu’il a été un survivant. Il avoue y avoir laissé des plumes. Cela a coûté pour sa santé et pour sa vie personnelle. Ce qui compte, c’est d’avoir gardé les liens avec les gens de cinéma. Il s’agit, en effet, d’être pour et avec eux, d’être sur la même longueur d’onde. Il a tenté mais a enchaîné sur autre chose. Ce qui compte, c’est de garder le désir intact. Avec Mean streets (1973) et The last waltz (1978), ce qui a compté pour lui, dans les années 70-80, c’est la fierté de produire, d’être en admiration. Ils voulaient voir ce type de film à Hollywood : il a accompagné ce désir. L’objectif n’était pas de faire de l’argent mais du vrai cinéma d’auteur qui pouvait rencontrer le public. Dans les années 80, il faut le rappeler, de vrais talents étaient sur la touche. Lui a rebondi, a su se réinsérer, trouver des financements, même pour un film infaisable comme La dernière tentation du Christ (The last temptation of Christ, 1988). Ce qui avait la cote, c’était le New York des avant-gardes (J. Mekas), de Greenwich village. Lui, il venait du provincial Little Italy.

       Il a été influencé par Shadows de Cassavetes (1959), son seul film potable pour moi, ou encore Charlie Clark. Le déclenchement de la flamme, c’était la possibilité d’accéder à l’Université à New York en 1961. Il y avait peu de moyens, des petites caméras. Il n’avait pas le sentiment de faire des films dans la vaine artistique de l’avant-garde new yorkaise mais plutôt dans la ligne d’Hollywood, bien qu’hors de la tradition d’un Scarface (Howard Hawks, 1932) ou de L’ennemi public (William Wellman, 1931). Il cherche un cinéma spécifique à sa façon de faire.  Il se réclame de la scène indépendante mais dans un système imposé [ce qu’il nomme dans Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain (A Personal Journey with Martin Scorsese Through American Movies, 1995) un « contrebandier »]. Il essaye d’être mainstream mais n’y arrive pas. Il souligne l’influence d’Accatone (Pierre Paolo Pasolini, 1961) dans Les Affranchis (The goodfellas, 1990), notamment dans l’utilisation de la voix off. Par contre, Aviator (The Aviator, 2004) est un film à grand spectacle hollywoodien avec la destruction d’un monde trop beau.

       Il a refait un film de gangsters, Les infiltrés (The departed, 2006) qui lui a valu un Oscar. C’est une occasion de mettre un terme à une thématique, à un genre; c’est un dernier constat sur la pègre, sur la violence de cet univers. C’était une belle soirée que celle des Oscars car ce prix est loin de ses intentions de départ, l’idée étant de faire un film actuel sur une période récente. La remise de prix a été dans les mains des 3 du Nouvel Hollywood : Coppola, Spielberg et Lucas. Cela a été l’occasion d’une photo générationnelle. Puis arrive Shutter island (2010). Tout ce qu’il souhaite, c’est que chacun rentre dans ses frais, sans plus. A chaque fois, il veut partir mais il est sous contrat avec une proposition alléchante qui lui pend au nez.

       Entre écrire, tourner et monter un film, l’étape préférée est sans conteste la troisième. En effet, déjà enfant, il montait des scènes car il était enfermé dans sa chambre à cause de son asthme. Il ne veut pas faire pleurer dans les chaumières mais c’était une ambiance à la Los olvidados (Bunuel, 1950). Il était dans un cocon à dessiner des histoires dans sa chambre à l’aide de Magic pulse, de dessins de journaux. Il composait des histoires à l’aide d’images fixes. C’est ainsi qu’il a appris la compréhension du vocabulaire du récit. Tout est dans le montage. Il se retrouve enfin entre quatre murs avec sa monteuse attitrée depuis le début, Thelma Schoonmaker, la veuve de Michael Powell. Elle est la cheville ouvrière. Le montage s’effectue à la maison, il peut dormir et se réveiller quand il le souhaite. C’est un rapport d’intimité et de proximité avec l’image. Le film est fabriqué à ce stade. C’est une véritable euphorie lors d’une vision d’une image en rapport avec une autre image. Quand cela fonctionne, apparaît une troisième image qui n’a rien à voir avec les deux, source d’émotions.

       Avec son grand âge, le problème est les conditions difficiles de tournage. Pour lui, c’est l’histoire qui compte avant tout, avec les conditions qui vont avec. L’histoire prime et guide le reste. Dans les années 80, Spielberg, Lucas et Coppola étaient affublés, dans un livre, de l’expression « sales gosses du cinéma ». C’est faux. Si certes ils n’ont pas vécu le Vietnam, ce n’est pas pour cela qu’ils ne savent pas en parler. Il n’est pas obligatoire de vivre les choses pour savoir en parler.  Dans Les Affranchis (The goodfellas, 1990), il s’agit de personnes connues dans son enfance. Tout est dans le livre de Pileggi. Ce fut une coïncidence heureuse avec le scénariste et le roman.  Il n’a pas pu avouer les vrais noms des protagonistes dans Mean streets (1973), son film le plus autobiographique. Trop de personnes étaient impliquées. Encore maintenant, il a tellement tout intériorisé qu’il n’arrive pas à prononcer leur nom. Ils étaient juste à l’étage au-dessus, les cadors l’entouraient. Cela lui a permis de mieux vivre ses rapports avec ses gens, de passer devant tout le monde pour faire la queue pour du pain par exemple. Ce qui l’intéresse, c’est la dimension intérieure de ces personnages, de vivre dans ce milieu. C’est un film noir avec de l’humour, de la joie même. Cela lui a tout de même valu d’être blacklisté : pour certaines personnes, il faisait l’apologie du crime; pour d’autres, il crachait sur la communauté au point de ne plus pouvoir rentrer dans certains restaurants italo-américains.  La question ne se posait même pas. Ce qui le passionnait était ce qui attirait ces gangsters, leur motivation.

       Il travaille beaucoup, cela prend du temps. Il a deux projets à la fois : une série tv sex, drog & rock’n roll au rythme frénétique (New York 1973 : Led zepp, Rolling stones, Blondie; du fric et des talents abusés) sur HBO dès janvier 2016, Vinyl [la bande annonce du pilote ou trailer est projeté], coécrit avec Mike Jagger en 1998 avec qui il devait tourner un long métrage, produite par celui qui s’occupa des Soprano; Silence qui va bientôt sortir, sur des jésuites en Asie. Après le succès du Le loup de Wall street (The wolf of Wall street, 2013), il tenait à ce projet depuis longtemps, il veut faire le film qu’il veut. Il n’a pas choisi son calendrier. Il a perdu beaucoup de temps avec les producteurs. Trop de temps a été perdu à cause du processus d’acquisition des droits du livre alors que le scenario est écrit depuis 2006. Il a appris que c’était possible après Hugo Cabret (2011) mais avec un budget nettement inférieur. Enfin, l’annonce du tournage de The irishman avec Bob De Niro déclenche un tonnerre d’applaudissements, même s’il insiste sur la difficulté de caler leurs emplois du temps ainsi que les problèmes de financements. Ce qui compte, c’est l’enchaînement des films, qu’ils rencontrent leur public et que son désir rejoigne ceux de son équipe.

 

[Manuscrit] Vers o, épicaresque roème [feuilleton 3]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-fiction.

entre deux cercles d’ennui / passage au level 2 du donkey / jouabilité maximum / hong kong est un grand singe / direction ccas / vento maï, tanto sai / bus frénétique, retord / détour par technopôle / château-gombert / kits high tech / antipolis en jivaro / imt axa bull iusti / puces sur la rose / avenue einstein / espace nobel / macadam acrylique / pour pépinière / odeur toys / façades d’histogrammes / et lieu au ban / vies circonflexes / le long des ronds-points / ligne vingt-sept / émaillé de violences  /  barbelés de béton brut / arrêt aux lilas près merlan / végétal, animal pour qui végète / j’ (oui, j(di)eu, cet hôte, cet écu à autrui – jenous poux cailloux) ai parfois désirs de saumon face aux néantis, j’hais / et puis

ensemble de tours crades / étiques à nikommok / tachetées de paraboles / ces nouvelles boussoles / invasions de signes / déclin d’allégories / sur mur, deltaplane peint  / illusion liberté pour rivés / pir’à haïti  / : ici, à chacun son judas, son magnéto, sa chaîne, ses nike / télé, crack du peuple  / l’opium au moins faisait bander / gravit avec  légèreté du ptérodactyle, le rémi / squ’au bucolique vento maï / tentative d’haies garde / quelques s’approchent / sans tambourins ni trompettes / attentes au rez, carrelé blanc / sourires d’édentés / corps simples / rides d’alcool / vies fatiguées / rémi tombe d’haut / retirent paquets de survie / retour du BOF / pas vu à la tv / l’empathie, sous virtuel a ses limites / faire bien contre volonté d’autrui ? / sur ces considérations, assistante sociale / généreuse de corps (    ) et d’éveil / la botero l’accueille le rémi / ‘programmé pour l’ena, pointe à l’anpe / blasée, l’icelle débite renseignements

il repart déchargé, vers / empire voisin consommation / étoile noire / par cette tournée des popotes teintées d’appoints / se sacrifie aux débordements rayons / trinité riz – patates – pâtes  / hypostase du pauvre / promo boudd  ha bababel viand’allah soldes prix casher produits syncrétiques  / soja modifié tomates hors sol gonflées à l’hélium bananes au goût d’éther viande nourrie à la chair d’idem comme poissons / café sans caféine thé sans théine partenaire zéro défaut compilations enfants blonds aux yeux bœufs / revanche pâtes molles / et choco sans cacao las / il fait sa tête de gondole, rémi / caméras enregistrent ennui amusé / derrière caddies de bouches pleines / fi du bio au discount  sbam la geste calculée  sbam des caissières abruties  sbam de chiffres sam sous timing / en étau de gavage / théâtre cdn merlan / 80 boutiques passionnément / ciné face busserine / merlan : illuminez vos achats / au carrefour de sa vie, il séropositive / se retrouve par selve obscure

dans rame rtm / cador du craignos 16e / (note : à l’inverse de lutèce) / se moque du malhabile rémi / ♪ mais pourquoi les kiwis m’empêcheraient-ils d’être sarin ? / écrasé de courses / sueurs front / à travers fenêtre / rayée de tags / contemple d’esquive / autoroutes sciées – îlots de verdure – échafaudages rouillés – ensembles da silva / frais vallon ou val d’enfer? / tout n’est pas que beau, sic estaque  / avant, ici, cabres et bovins paissaient / astheure que vigiles / carmina nulla canam ; non, me pascente, capellae, / florentem cytisium et salices carpetis amaras / un huggy top frime / détourne attention / :manches sauce comanche / funky pas family / :marabout vaudou / zébra 3 / blaxploitation / sweet sweetback’s baadasssss song / trois jeunes cacous isolés / hurlent en toute intimité / ‘sur la mecque, la prochaine fois qu’tu m’traites d’nyctalope / j’te nique ta mère grave / un gars© casquette B t-shirt fruit of the loom  veste oxbow  jean denîm  reebok / : pur’intériorité / l’attentif roule son pét’ / rude retour au terrier

[Musique] Nuits de Fourvière 2016, Lyon Polnareff a du nerf !

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Chloé Delaume a son jardin secret de goth avec Indochine, moi, c’est Polnareff – ce qui me valut les sarcasmes de Rodolphe, excellent sculpteur de crânes et commissaire d’expo telle qu’à la Demeure du Chaos, rencontré par hasard dans le métro. J’assume ! Moins chichiteux que Björk et Radiohead, Polni nous laisse nos coussins, spécificité des Nuits de Fourvière, qui seront amplement lancés au point, fait notoire, que Michou en prendra un dans ses mains en chantant en chœur avec le public, sur un karaoké désynchronisé à l’arrière, l’ultime On ira tous au paradis. Même les rangées de réservés, pour une fois pas hués, font la hola.

Après l’album studio de 1990, Kâma Sûtra (1989, Sony Music, composé au bar du Royal Monceau), avec le désormais classique Goodbye Marylou, ici réduit, avec des aigus squizzés, il y a eu deux albums live (Live at the Roxy, 1996 et Ze re Tour 2007, 2007), des compils (1998, 2003), le livre de 2003, la chanson inédite Ophélie flagrant des lits en 2006, la tournée triomphale de 2007 (avec un passage dans la région à la Halle Tony Garnier à Lyon et au théâtre antique de Vienne), l’inauguration in vivo de la PolnaExpo au MuPop de Montluçon (« Quand je me suis vu sur les photos, effectivement, je ne reconnaissais pas l’individu qui portait mes lunettes… »), l’autobio Spèrme (2016), le single numérique sorti en décembre, L’homme en rouge (qui évoque « la solitude de beaucoup dans ce monde, notamment à l’occasion des fêtes de Noël »), cible de railleries sur les réseaux sociaux, un album tant attendu pop rock et gai avec voix démultipliées, voix de tête, voix de reverb, claviers déments, chœurs et cordes, qui traîne (allongement du temps d’enregistrement au studio ICP de Bruxelles où officièrent, entre autres, Bashung et l’ « ami » Renaud: « j’aime faire des choses compliquées avec une écoute facile » ; l’humidité nuirait aux voix et aux doigts ; difficulté à trouver un bon climat pour l’auto-producteur ; des musiciens ne s’entendaient pas entre eux ; des ingénieurs du son ont dû être remplacés), Polni continue sa tournée de 70 dates (Epernay, Marne ; Bercy, Paris avec la controverse qualifiée d’ « accident industriel » suite aux révélations de l’hebdomadaire économique Challenges avec Gerra qui en rajoute une couche drolatique; le Zénith de Rouen ; plusieurs festivals comme les Vieilles Charrues, Carhaix ; les Nuits de Fourvière, Lyon, etc.).

       Après une bande son d’attente qui commença bien (Karma Police, Ok computer, Radiohead ; Teardrop, Liz Fraser, Mezzanine, Massive attack), une musique ringarde avec nappe synthé nous brise les oreilles. Dans la fosse, il y a 3 fans, dont un couple, en perruque blonde et lunettes blanches.

Sous la tronche iconique de Polnareff, sur l’écran et la grosse caisse, un compte à rebours, repris en chœur par le public, clignote sur les écrans « 10, 9, 8, 7, 6… ». Le septuagénaire peroxydé (moumoute ?), éternelles lunettes en montures blanches et carrées avec verres opaques inventées du temps des yéyés en 1968 par l’opticien parisien Pierre Marly pour le myope opéré d’une double cataracte, médaille dorée autour du cou, ceinture de boxer pour le biker bodybuildé et bedonnant, malgré une nutritionniste qui le suit partout, buriné sous le soleil de Californie à faire rougir Séguéla, costard noir et chemise blanche débordant en queue-de-pie, approche sous les ovations des tempes majoritairement grises. Il entonne La poupée qui fait non (1966, son premier carton qui le lança : « C’est une poupée qui fait non / Toute la journée, elle fait non / Elle est tellement jolie que j’en rêve la nuit.») puis Je suis un homme (« Les gens qui me voient passer dans la rue / Me traitent de pédé / Mais les femmes qui le croient / N’ont qu’à m’essayer (…) Je suis un homme / Quoi de plus naturel en somme / Au lit mon style correspond bien à mon état civil. »), créée contre l’accusation d’homosexualité à cause de son exceptionnelle voix de tête que reprendra son « pire ami » Obispo. Chargé d’anabolisants et ayant musclé son périnée, il est souvent en arrêt, jambes écartées, tel un jockey sortant d’un western, et micro renversé façon rockeur en transe, n’hésitant pas à appuyer l’effet.

Polni renoue avec l’« époque des débuts, j’étais l’Amiral, lié à ses moussaillons… Nous avions inventé notre langage ludique (merci se disait mer sea, bye-bye s’écrivait baille baille, on n’était pas OK mais au quai, etc.), avons vécu une expérience formidable, ludique, amusante. » (Interview de Polnareff par Philippe Manœuvre, qui a collaboré à un livre sur l’artiste, Polnareff par Polnareff, Rock and Folk, n° 584, 01/04/16, p. 62-69).

« Beaucoup de gens se plaignent qu’il n’y a pas de nouvel album mais, s’il y en avait un, cela ne changerait pas la construction du spectacle. Le public a envie d’entendre les chansons qui lui rappellent ses propres souvenirs », a expliqué le chanteur. Comme Monk, Coltrane ou Zappa le perfecionniste revient sans cesse sur son œuvre en la revisitant pour la parfaire. Ainsi « la version live 2016 de « L’Amour Avec Toi » n’a plus rien à voir avec l’original de 1966 ! Mais les bonnes chansons traversent le temps et les styles. La sauce change, pas le plat principal. » (Rock and Folk, n° 584, 01/04/16, p. 62-69). Si le tout est de bonne tenue, c’est la première fois que j’assiste à un massacre d’une chanson, Le bal des Laze, un désormais classique de la chanson française avec le laborieux Pierre Delanoë aux paroles (« Dans le château de Laze / Le plus grand bal de Londres / Lord et Lady de Laze / Recevaient le grand monde / Diamants, rubis, topazes / Et blanches robes longues / Caché dans le jardin / Moi je serrais les poings / Je regardais danser / Jane et son fiancé »), toute en dépouillement – qui fut un bide à sa sortie et interdit de radio à cause des pendus, par son compositeur et interprète, avec forces nappes synthés et guitares ainsi que les choristes en torsions ridicules et surannées sauce caricaturale Motown. Je me suis fortement esclaffé tout le long de la chanson. Si à l’époque, il lui fut préféré la face B, la chanson country blague, Y’à qu’un ch’veuY’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu / Il n’y a qu’une dent, il n’y a qu’une dent / Y’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu / Y’a qu’une dent dans la mâchoire à Jean. »), elle vire ici soit à la colo soit, vu les tempes grisonnantes, à Age tendre et tête de bois. Polni s’amuse comme un fou ! C’est communicatif.

C’est un show à l’américaine, scénographié par Thomas Dechandon. A l’arrière, trône un écran en polygone avec projo, me remémorant lointainement le dispositif quadriphonique de Pink Floyd pour la tournée au début des années 90 de A momentary lapse of reason. Des figures 3D vintage imitant les hologrammes dessinent un chêne centenaire sur Qui a tué grand’ maman, une femme anamorphosée pour Goodbye Marylou. 2 claviers dont Nick Smith, 2 batteries (dont une avec percus, le seul Français de la troupe, Mino Cinelu, qui se donna à cœur joie pour un laps exotique ; Virgile Donati). Outre les deux derniers nommés, deux autres survivants de la tournée 2007 – c’est dire si ils sont bons tant le perfectionnisme de Polni est connu – s’activent, Brad Cole, chef d’orchestre et claviers, et Tony MacAlpine à la guitare, bras droit de … Steve Vai, qui fait le jam, avec Freddie Fox dans les électriques Dans la rue, Tam tam (l’homme préhisto) (Bulles, 1981), Tout, tout pour ma chérie (1969), plus réussie que lors de la tournée 2007, présentés avec de bizarres enchaînements, un long interlude de guitares heroes de variet’ , un peu ridicule, pour Smoke on the water de Deep purple – où les croulants se ridiculisèrent à le rejouer à Montreux cette année avec le fils de Zappa qui s’en est pourtant bien sorti, permettant à Polni de se faire la malle, ou encore Purple rain de feu Prince au milieu de Je t’aime. Pas de Radio ! De temps en temps, les intermittents s’activent dans la pénombre pour amener un piano à queue où Polni laisse majestueusement jouer ses doigts boudinés à la Fats Domino en voulant parfois démontrer en force sa virtuosité (Love me, please love me, l’un des « saucissons » ou tube, mot de Prévert, de 1966 grâce au sorcier d’Europe n°1, Lucien Morisse, terminé suicidé : « Devant tant d’indifférence / Parfois j’ai envie de me fondre dans la nuit / Au matin je reprends confiance Je me dis, je me dis / Tout pourrait changer aujourd’hui ») mais laissant toujours transparaître son plaisir de jouer. 4 choristes sur tabourets de bar(fly) dont 3 femmes noires aux longs cheveux ondulés, 1 canadienne de Vancouver – Polni se trompant sur sa localisation tout comme, ensuite, dans la présentation où il omet le bassiste malgré nos insistantes demandes, 2 de LA. Il insiste lourdement sur le mec.

Il faut dire que le décontracté Polnareff ne manque pas d’humour, notamment en jouant, tout en finesse digne de Bigard, sur le chiffre du département ou en insistant sur son nouvel album alors qu’il s’agit d’un défilé de ses anciens tubes. Se détache un Polnareff très généreux, frisant parfois avec le mauvais goût voire la vulgarité. Malgré sa légende tenace et ses casseroles, Polni n’a pas les nerfs sur scène. Toutes les facettes du personnage, authentique bien que show-biz, sont là. Re-à poil. A prendre ou à laisser.

       Avec ce best-of réorchestré d’1h45, les mélodies sont impeccables, les arrangements musclés, la voix de tête miraculeusement conservée. Seul regret : la limitation des aigus, notamment pour Lettre à France (1977) où l’introduction a carrément disparu : « Depuis que je suis loin de toi / Je suis loin de moi / Oui, j’ai le mal de toi parfois / Même si je ne le dis pas, je pense à toi tout bas. »).

Malgré des gouttes de pluie pour l’attente, nous pouvons dire que nous avons entamé les Holidays (paroles : Jean-Loup Dabadie, désormais académicien). S’il se sent français à LA, il capte encore bien l’esprit du temps : « J’ai le sentiment de voir un pays qui perd un peu son identité » déclare-t-il justement à propos de la France au Figaro (interview de Bertrand Saint-Vincent, Le Figaro, n° 22290, Le Figaro et vous, 09/04/16, p. 28).

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 4 « Olivia » (Jacqueline Audry, 1951)

Olivia (Jacqueline Audry, 1951, 95mn, n & b, 1:37)

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       Beaucoup glosent sur le féminisme, gender, queer, LGBT, lesbien et tutti quanti. Considérons le film en tant que tel sans ce parasitage nocif et tendance. Ce qui fait tout de même rire, c’est de voir Simone Simon en lesbienne rejetée par son hétaïre amoureuse, alors qu’elle fut réellement virée d’Hollywood pour avoir fait l’amour avec trop d’hommes en choquant le puritanisme WASP, une vamp’ qui doit fuir l’échotière Louella Parsons qui lui reprochait une liaison avec un homme marié. Renoir, avec qui elle tourna La Bête humaine (1938), disait d’elle : « une chatte, une vraie chatte avec un poil bien soyeux qu’on a envie de caresser, un petit museau court, une grande bouche un peu suppliante et des yeux qui n’en pensent pas moins ».

       Petite-nièce de Gaston Doumergue, nommé ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts et ultérieurement le treizième président de la République Française (1924-1931), sœur de l’écrivain Colette Audry, collaboratrice des Temps modernes et amie de Beauvoir, dont elle adapta la pièce politique de 1956 Les fruits amers / Soledad (1966, avec Emmanuelle Riva et Laurent Terzieff), Jacqueline Audry (1908-1977, décédée d’un accident de voiture)  fut couturière, employée chez une antiquaire, dactylo, avant d’être scripte en 1933 (Tourjanski, Decoin, L’Herbier, Siodmark) puis assistante pour Ophüls (Le roman de Werther, 1938), Pabst (Jeunes filles en détresse, 1939), Georges Lacombe, Yves Mirande et Claude Heymann (Paris–New York, 1940), Delannoy (L’assassin a peur la nuit, 1942). Elle a intégré le CATJC, ancêtre de l’Idhec, à Nice, pendant la guerre. Elle adapte la Comtesse de Ségur (Les malheurs de Sophie, 1945), Colette (Gigi, 1948 qui attire trois millions de spectateurs, soit trois fois plus que la version de Minnelli, et révéla Danielle Delorme; L’ingénue libertine, 1949 et Mitsou, 1956) et Sartre (Huis-clos, 1954 avec Arletty).  Elle a tourné 16 longs métrages entre 1945 et 1969. Elle fut aussi la première réalisatrice membre du jury à Cannes, en 1963. Oeuvrait à la même époque Andrée Feix, Solange Térac, Denise Tual, Nicole Vedrès.

Son mari, Pierre Laroche, journaliste et scénariste, a travaillé avec Prévert sur Lumière d’été (Grémillon, 1943) et Les visiteurs du soir (Marcel Carné, 1943). Il dialogue avec vivacité et ironie Olivia.

       Fin du XIXe siècle, dans une pension de jeunes filles près de Fontainebleau. Mademoiselle Julie (Edwige Feuillère) et Mademoiselle Cara (Simone Simon) sont les directrices de l’établissement, leur relation ne souffrant aucune ambiguïté, ce qui est novateur en 1951. Depuis quelque temps, l’harmonie ne règne plus et la pension est divisée entre deux clans. Une nouvelle venue, Olivia (Marie-Claire Olivia), se rallie à Mademoiselle Julie, objet de tous les désirs, et lui voue amour et admiration.

       Colette Audry recommanda à sa sœur Olivia, le roman anglais autobiographique de Dorothy Bussy, épouse du peintre français Simon Bussy. C’est une grosse production audacieuse avec un gros budget. Ecouter et voir Edwige Feuillère lire des textes classiques, comme Bérénice de Jean Racine, est exquis d’autant que l’on songe à Athalie écrit par Racine pour les demoiselles de Saint-Cyr, collège créé par Mme de Maintenon (cf. Saint-Cyr, Patricia Mazuy, 2000). Elle me met littéralement en transe avec une fluidité parfaite pour lire les vers.  C’est le MaternA (Hélène Bessette) du cinéma avec un charme suranné. Il est passionnant de voir devant soi les divers rapports entre femmes. La ménagère est le contrepoint comique. Le décor de Jean d’Eaubonne, les costumes de Marcelle Desvignes et Mireille Leydet nous attirent par leur charme. La photo de Christian Matras est parfaite dans ses nuances, son cadrage. A noter Claude Pinoteau (La boum, 1980, 1982 !) en assistant de réalisation et Philippe Noiret en amoureux sur un banc public.

       Le film sera mal reçu par une presse très machiste et homophobe : le film manquerait cruellement d’hommes. Le film est qualifié de pervers, scabreux, trouble ! André Janson, critique à Nice-Matin  (17 mai 1951), contre-attaque : «  L’on se trouve devant une de ces œuvres maîtresses dont le retentissement se prolonge pendant de longues années, un de ces films qui marquent une date dans l’histoire du cinéma. Ce chef-d’œuvre fait honneur au cinéma français. ».

       Une espèce de Maude d’Harold et Maude (Hal Ashby, 1971), ancienne actrice, offre des commentaires savoureux à côté de moi au cinéma Opéra. Merci Tavernier pour cette découverte. L’école des cocottes (1958), quant à lui, est un vaudeville (Odette Laure, Bernard Blier, Jean-Claude Brialy, Darry Cowl), remake de la version 1934 de Pierre Colombier.

 

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 4 « Les ailes » (« Krylya », Larissa Chepitko, 1966)

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Les ailes (Krylya, Larissa Chepitko, 80mn, n & b, 1966, 1:37)

       Après Alice Guy (2012), Germaine Dulac (2013), Ida Lupino (2014), la section Histoire permanente des femmes cinéastes est consacrée cette année, harissa sur le couscous, à une malheureuse oubliée, Larissa Chepitko. Plaisir de la découverte, présentée par Joël Chapron, connaisseur du cinéma soviétique et russe, notamment des productions de la Mosfilm. En 1995, il est nommé responsable des pays d’Europe centrale et orientale à Unifrance, l’organisme de promotion du cinéma français à l’étranger. Il collabore depuis plus de quinze ans au Festival de Cannes pour lequel il établit une présélection des films de l’ex-URSS et des pays de l’Europe de l’Est. Depuis 2006, Joël Chapron présélectionne également des films des pays d’Europe de l’Est pour le festival de Locarno.

En 1963, Larissa Chapitko (1938-1979), ukrainienne d’origine, sort diplômée du VGIK (Institut national de la cinématographie) où elle avait étudié dans les classes de Dovjenko, d’origine ukrainienne, et Tchiaoureli. Les ailes est son premier long métrage abouti, en dehors du VGIK. Son cinéma, souvent en noir et blanc, à l’exception d’un film (Toi et moi, Ty i ya, 1971), détonne car, après le dégel krouchtchtevien  suite au 56e Congrès du PCUS, la glaciation reprend ses droits sous Brejnev à partir de 1964. La rareté du film tient à sa thématique : les difficultés sociales sont esquissées avec les enfants, avec l’intégration d’anciens soldats, avec la difficulté de vivre tant psychologiquement qu’économiquement. Elle manie les gros plans et les travellings de main de maître. Le mari de Chepitko est le réalisateur Klimov, chantre de la Pérestroïka, ici aux dialogues. Elle a suscité nombre d’épigones jusqu’en fin 1960. Récompensée de l’Ours d’Or à la Berlinale pour L’ascension (1977), elle a été un nouvel espoir du cinéma russe jusqu’à son accident de voiture avec une partie de l’équipe en 1979 lors du tournage de Les Adieux à Matiora, que son mari terminera. Au Festival Lumière de Lyon, c’est la première rétrospective en France. Très peu d’articles lui ont été consacrés. Il n’existe aucune édition DVD de ses films.

       Si la copie 35mm de Les ailes a craqué 3 fois au CNP, elle n’a pété qu’une fois à l’Institut Lumière avec projection à l’ancienne en double poste. La salle était comble, la Directrice du Festival expérimentale (biennale) Les Inattendus était devant moi. Etait-ce une copie, assez abîmée, de la cinémathèque de Toulouse, fort pourvue en copie de films de cinéma soviétique ? Il semblerait qu’elle vienne directement de la Mosfilm. La célèbre et belle actrice Maya Bulgakova, aux nombreux rôles, joue remarquablement une « morte parmi les vivants » (Gianni Buttafava). C’est un magnifique portrait de femme du niveau, dans un autre genre, de Barbara Loden. Les notations quotidiennes sont présentes : un bus bondé, un plat avec saucisses partagé avec une commerçante, etc. La condition d’un garçon dans l’institut pour enfant qu’elle dirige en dit long : fils battu par son père, un frère absent car en prison. Un musée visité par des enfants la cite, au même titre que des os de mammouth ou des animaux empaillés à côté, comme héroïne d’aviation, alors que son compagnon a été abattu. Les scènes sont coupées de visions aéronautiques (nuages, plans inversés de looping, vues panoramiques, etc.). La force du film est de creuser un personnage qui est encensé par les autorités mais n’est pas respectée par les enfants dont elle s’occupe (« Je la hais » dit un garçon) dont elle ne comprend plus la génération pour laquelle elle s’est battue, n’arrive pas à digérer son passé dynamique et héroïque de pilote. Elle n’est heureuse qu’en avion : poussée par des amis, avec son visage mouillé de larmes, elle finit par s’envoler en leur faussant compagnie. La fin est ouverte. Le vide est creusé derrière la croûte officielle. Un film gâché par un vieux saxon qui s’amusait à bouger un sac plastique contenant un livre sur ses genoux. Peut-être sucrait-il les fraises pas sauvages.

 

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 4 Le raté « David Golder »

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David Golder (Julien Duvivier, 1931, 91mn, n & b, 1:20)

Affre de la nouveauté du Festival avec les ambassadeurs : Philippe Garnier s’y colle en avouant que le cinéma français n’est pas son hobby. C’est le premier film parlant de Duvivier et cela se voit tant c’est poussif. Duvivier notait lui-même : « Certaines scènes de David Golder ont été tournées en muet, il fallut les couper car elles fichaient tout par terre. ». C’est plus un film intéressant pour observer l’évolution de Duvivier. Il avait trente-trois ans, une quinzaine de films muets à son actif et une réputation d’honnête artisan. Une scène émouvante dans un bateau, où l’on songe tant à Exodus  (Otto Preminger, 1960) qu’à Et vogue le navire (E la nave va, Federico Fellini, 1983), où Golder, de retour de l’ultime voyage d’affaire, expire dans les bras d’un jeune arriviste qui lui remémore sa jeunesse.

David Golder est adapté du roman à succès, publié un an plus tôt, de l’apatride Irène Nemirowski, nom écorché par Garnier. Le roman – le père d’Irène était un banquier d’origine ukrainienne –  fut accusé à l’époque de n’être « qu’un » scénario. Elle a passé quatre ans à écrire ce brûlot sans concessions. Heureusement qu’une juive a décrit certains aspects, bien de leur époque toutefois, car sinon le soupçon d’antisémitisme (« Juif pour antisémite » selon L’Illustration juive) aurait plané. C’était l’un des rares films non antisémites de l’époque, paraît-il. Pourtant Soifer, le spéculateur joué par Paul Franceschi, n’échappe pas à un certain antisémitisme des années 30 : pingrerie en économisant ses chaussures ou la lumière avec les bougies, nez crochu, rouerie. Comme à son habitude chez Duvivier, les femmes sont pires que les hommes. L’écrivain Colette, au goût sûr, adorait le film.

       C’est le premier des sept films que Duvivier et Harry Baur  tourneront ensemble. Les deux hommes avaient en commun un sale caractère et une misanthropie à toute épreuve. Harry Baur, cet immense acteur, joue lourdement un financier juif dont la seule fonction semble, au-delà du fait de ruiner ses ennemis jusqu’à son ancien associé, d’être pompé jusqu’à l’os par son entourage, notamment sa femme et sa fille (les féministes apprécieront : l’homme gagne l’argent, la femme le dépense – rires et exclamations dans la salle !). Une vraie vache à lait entourée de parasites. Grasset songeait au Père Goriot de Balzac. Golder n’en finit plus de mourir : ce jeu théâtral a terriblement vieilli. Chirat y voyait une admirable scène de grand cinéma, ben voyons. La méchanceté et la férocité de Duvivier sont déjà présentes. Philippe Garnier les rattache au Faucon maltais (The maltese falcon, 1941), le premier film de John Houston, mais cela semble tiré par les cheveux. Pour Harry Baur, acteur de théâtre connu, âgé ici de cinquante ans, le film apporta la consécration au cinéma. Dans le portrait qu’Irène Nemirowski avait fait de Gloria Golder (Paule Andral), la femme cupide et haineuse du vieux financier, elle réglait des comptes avec sa propre mère. Grande scène que celle de la grande explication entre Golder, en plein malaise, et sa femme, où les visages s’affrontent, suants, convulsés et crachant la fureur et la haine comme deux scorpions dignes de Les rapaces (Greed, E. von Strohem, 1924). Philippe Garnier souligne la force des rôles secondaires, Jackie Monier qui joue la fille, Joyce Golder, est présente également dans le rôle d’Yvette dans Quatre de l’infanterie (Westfront 1918 : vier von der infanterie, G. W. Pabst, 1930).

       Il faut noter tout de même les gros plans, des mouvements de caméra, un découpage très nerveux, un montage rapide, des contre-champs, une souple utilisation du son. Philippe Garnier note que Duvivier a été l’assistant de Feuillade. Certaines scènes de bourse rappellent L’argent (1928) de Marcel L’Herbier, d’après Zola. A la photo, nous retrouvons Armand Thirard, le même que pour Quai des orfèvres de H.-G. Clouzot (1947) ou encore chez Korda, qui fut le chef opérateur de beaucoup de films de Duvivier, réalisateur réputé pour la diversité de ses films (Paquebot Tenacity, 1934). Un plan détonne avec un homme qui occupe moins d’un quart de plan comme pour signifier la petitesse.

Quant aux dialogues, Duvivier précise : « Un ami qui a vu David Golder m’a dit qu’il l’aimait parce qu’on y parlait peu – or, on y parle tout le temps. Je crois donc que l’animation des images, leur changement, permettront au dialogue de passer. Ce dialogue était nécessaire : je défie qu’on y trouve trois phrases  qui ne soient pas indispensables. ».

       Le film fit partie de l’un des 5 de la sélection française à la toute nouvelle Exposition internationale d’art cinématographique de 1932 à Venise ou Mostra en concurrence avec La Terre  (Земля, Zemlia, 1930, 72mn, n & b, muet, 1:33) d’Alexandre Dovjenko. Un film redécouvert au Cinéma de minuit de Patrick Brion en 1977 lorsque France  3 se nommait FR3.

[Manuscrit] Vers o, épicaresque roème [épisode 2]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-fiction

à septante pourcent, rémi investi d’une mission /: parcourir arcanes bétonnés d’administrations / pas mort labyrinthe le nôtre / ça tilte ça / pléthore formulaires / gâchis de bouleaux / insert coins / je d’arcade / tableau 1 niveau 1 / inscription anpe / (agence née du libéral von chirac) / lieu : chutes lavie /  dans brouhaha, rémi obtient quelqu’ / explications d’un cerbère peu loquace                                                      ? !      : – (        :     “ _ ”  :

‘ inscription, c’est assedic  / parce que déchargées,  anpe mécontentes / chacun tire  couverture du pauvre à soi / combats de tyrannosaures / ici, dazibaos attirent regards en quête / même rengaine : commercial par ci, informatique par là / lavis et murs bleus d’avilis / litanie :

                                expérience           motivation             dynamisme

emplois jeûnes / contrat aidé (à force d’être jeune, devient vieux) / tintement du compteur monotone / son aigrelet électrifie torpeur ambiante / scansion sur éclatantes frustrations / appels du babillard / à l’orée, une discrète salle de lecture / confirme  fractales tautologies en bas relief / et, syllogismes éculés / voire anti m’aime / cercle vicieux, ce recte fil barbelé / enroulé autour du moyeu d’un papier cul / finies caresses / mines renfrognées d’habitués / saoulé de scolastique / notre gadjo met les adjas

2.01- calfeutré, le rémi, à malpassé, loin du centre / gratuité transports ? que nenni / les boules / salauds de pauvres / manif’ à estrangin puis canebière / pour intéressés paraît-il / combien en périphérie ? / combien isolés comme rémi ? / à marseille, tu ne t’en tires pas, tu pointes / attente d’octroi / des prisonniers de bonnes consciences / les boules / rémi : 20 m² pour vivre / acariens en moquette / du gödel en lorraine du sud / estaque gare estaque plage / chichi pour euromerditerranée ressassé / supions de satan au petit naples / plus fort taux de chômage d’hexagone, l’un des ~  / quartier mythique crève de faim / flanqué du plus grand hypermarché d’europe / fissuré, s’affaisse / matisse en silos ruinés / cézanne en conserves rouillées / massilia, c’est fossé / oublieuse, ville palimpsestes de 2600 ans / oublie cliché pastis-boules

 rémi vit au limes / chute à berlin 89, murs en têtes / station d’épuration près jarret / kant à   boîte aux lettres désossée / sommes publicitaires concurrencent rappels bureaucratiques / style encéphalogramme plat / gavages d’eux

loin iguazù, loin / ramer contre courants / remontée aux chutes lavie / finie l’aventure comme rainbow a. / envies amputées / conseillère pragmatique à force / oriente en tre par soa / : entretien au cordeau  démonstration d’aptitudes   exiguïté d’audience / entretien vaut mieux deux tu l’auras / ne va pas d’soi / numéro d’identifiant (4553270Q) canalise bétail / tous chemins mènent au rome / désirs : libraire = vente produits culturels et ludiques (14225)  /  longu’attente  /  au sortir, rémi jett’œil vague sur listings d’annonces / comme d’hab’ / photocopieuse en panne / rémi part, décapsulé / pat en 6 coups selon t.r. dawson / : 1.Ff3+Txf3 2.c*d5g4 3.Re6 Rg3 4. Re5 Rh4  5.e6 Tg3 6.T*g3 f*g3 == ! / dixit club d’échecs marseille duchamp / hélas ! pauvre yorick !

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 3 Le beau « Joe Hill » (Bo Widerberg, Suède, États-Unis, 1971)

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Joe Hill (Bo Widerberg, Suède, États-Unis, 1971, 113mn, 1:66, couleur, Eastmancolor)

Saint Malavida qui nous gratifia l’année dernière lors du Festival Lumière de l’excellent et surprenant Trains étroitement surveillés (Ostre sledované vlaky, Jirí Menzel, 1966). Cette année, nous avons droit à un réalisateur passionnant, caractère de cochon, notamment avec les femmes, qui lui valut de ne pas tourner pendant 20 ans à part à la tv, et anti-Bergman autodéclaré, Ingmar étant perçu comme le « bourgeois irresponsable » ou « le cheval de Dalécarlie » (Visions pour le cinéma suédois, Visionen i svensk film) : le suédois Bo Widerberg (les très bons Ådalen 31, 1969, Prix spécial du jury à Cannes en 1969, et Elvira Madigan, 1967, Pia Degermark, Prix d’interprétation féminine à Cannes en 1967). Pour Jan Lumholdt, Bo était « incroyablement créatif, passionné, joueur, franc et énergique, mais aussi têtu, parfois brutal, provocant et volontiers conflictuel, peut-être un peu paranoïaque, et sans aucun doute bipolaire ». Malavida est donc présent au Festival Lumière depuis 2 ans.

Un petit mot sur Malavida tant leur travail est magnifique. Réalisatrice et productrice, Anne-Laure Brénéol co-fonda Malavida en 2004 avec Lionel Ithurralde, après plusieurs expériences dans la distribution. S’ils scrutent du côté des pays de l’est et de la Scandinavie, ils ont été motivés pour créer Malavida par le film politique de Widerberg qui nous occupe. Ce film a pu être diffusé grâce à l’aide de réseau associatif (Ligue des droits de l’Homme, etc.). Il a fallu travailler une dizaine d’année sur les films de Bo Widerberg, à l’aide de Mårten Blomkvist et Nina Widerberg, de l’Institut suédois du film (Svenska Filminstitutet), de Lars Karlsson, d’autant que la copie de Joe Hill  était perdue. Un négatif a été retrouvé à Nice. Ils ont travaillé à partir de 2 négatifs. Le son a été récupéré sur bandes magnétiques partielles complétées par du son optique 35. Il a été étalonné avec comme référence une copie 35mm en bon état. Autant dire que le film revient de loin. La possibilité d’introduire le film avec la chanson de Joan Baez, qui l’a chanté lors de Woodstock (« I dreamed i saw Joe Hill last night, Alive as you and me ») a permis de donner une grande audience à ce film qui a recueilli un grand succès à Cannes, auquel Bo Widerberg était abonné, et à sa sortie.

Anne-Laure Brénéol présente de façon passionnée le film au CNP dans une copie nickel. C’est le seul film de Bo tourné hors de Suède. Le tournage a été tendu : alors qu’il était à Hollywood, il ne voulait pas travailler avec l’équipe américaine. 3 étudiants de Berkeley l’ont donc aidé. Ensuite, la ville de New York, sa mairie, ses habitants ont été hostiles au tournage. Ils n’étaient pas contents au point de renvoyer des rayons dans les caméras à l’aide de miroirs ! Un gang a volé la caméra. En fait, c’est en revoyant les rushs, que Bo Widerberg s’est remis à finir son film … en Suède.

Gérard Camy est professeur et historien du cinéma, membre du syndicat français de la critique de cinéma. Il est aussi l’auteur d’un livre sur Sam Peckinpah (Ed. L’Harmattan), ainsi que de Western que reste-t-il de nos amours ? et 50 Films qui ont fait scandale aux éditions Corlet. Il est président de l’association Cannes Cinéma et responsable du Cinéma de la plage pendant le Festival de Cannes. Widerberg a une filmographie dense. C’est un film Paramount. Thommy Berggren est l’acteur fétiche de Widerberg. Les autres acteurs sont tous amateurs et ne font généralement qu’une seule apparition. Joe Hill est une source d’inspiration pour Bob Dylan. C’est un film politique, frère de Bread and roses (Ken Loach, 2000 ; Ken Loach a été Prix Lumière 2012).

        En 1902, deux immigrants suédois, Joel et Paul Hillstrom, arrivent aux Etats-Unis. Ils doivent faire face aux amères réalités, une langue nouvelle et l’effroyable pauvreté qui règne dans les quartiers de l’East Side à New-York. Joel devient membre du syndicat anarchiste et révolutionnaire IWW (Industrial Workers of the World) qui connut des succès importants et qui visait directement au renversement du capitalisme. Paul quitte la ville, Joel y reste, amoureux d’une jeune Italienne. Mais l’aventure est de courte durée. Rien ne le retenant à New-York, Joel, devenu Joe Hill, se met en route vers l’Ouest, tel un hobo pour retrouver son frère. La date de resortie du film de Bo Widerberg n’a pas été choisie au hasard puisqu’il s’agit du centenaire de la mort de Joe Hill. Le militant a été assassiné le 18 novembre 1915 par un peloton d’exécution dans la cour de la prison d’Etat de l’Utah. Il avait été accusé d’avoir tué un épicier de Salt Lake City et a donc ensuite été condamné à mort. Sa condamnation avait d’ailleurs entraîné des manifestations importantes et violentes.

        « Un type qui fait des discours, c’est bien, mais un type qui chante, c’est fichtrement mieux.» déclara le metteur en scène. Heureusement pour moi, Widerberg « déteste les films de procès » : je partage cet avis. Il s’est agi de « reconstituer ce qui s’est passé pendant l’instruction » à l’aide de coupures de journaux d’époque. « Pour ce qui suit l’exécution de Joe Hill, les gens peuvent bien danser pendant qu’on le pend, parce que le socialisme sans la joie n’est rien. » (Conférence de presse, Cannes 1971. Jeune Cinéma, n° 57, Spécial Cinéastes suédois, septembre-octobre 1971).

        Ce film magnifique, à la perfection technique irréprochable, Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes en 1971, relègue le pompeux Sacco et Vanzetti (Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971) à un niveau très éloigné. Les couleurs sont chatoyantes, nous avons l’impression de vivre le mythe du hobo en direct (cf. En route pour la gloire, Bound for glory, Hal Ashby, 1976 avec David Carradine). Une vraie splendeur.

 

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 2 « La Terre » (« Zemlia », Alexandre Dovjenko, 1930)

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La Terre  (Земля, Zemlia, Alexandre Dovjenko, 1930, 72mn, n & b, muet, 1:33).

Affre de la nouveauté du Festival avec les ambassadeurs : Philippe Garnier s’y colle en avouant que le cinéma français n’est pas son hobby. C’est le premier film parlant de Duvivier et cela se voit tant c’est poussif. Duvivier notait lui-même : « Certaines scènes de David Golder ont été tournées en muet, il fallut les couper car elles fichaient tout par terre. ». C’est plus un film intéressant pour observer l’évolution de Duvivier. Il avait trente-trois ans, une quinzaine de films muets à son actif et une réputation d’honnête artisan. Une scène émouvante dans un bateau, où l’on songe tant à Exodus  (Otto Preminger, 1960) qu’à Et vogue le navire (E la nave va, Federico Fellini, 1983), où Golder, de retour de l’ultime voyage d’affaire, expire dans les bras d’un jeune arriviste qui lui remémore sa jeunesse.

David Golder est adapté du roman à succès, publié un an plus tôt, de l’apatride Irène Nemirowski, nom écorché par Garnier. Le roman – le père d’Irène était un banquier d’origine ukrainienne –  fut accusé à l’époque de n’être « qu’un » scénario. Elle a passé quatre ans à écrire ce brûlot sans concessions. Heureusement qu’une juive a décrit certains aspects, bien de leur époque toutefois, car sinon le soupçon d’antisémitisme (« Juif pour antisémite » selon L’Illustration juive) aurait plané. C’était l’un des rares films non antisémites de l’époque, paraît-il. Pourtant Soifer, le spéculateur joué par Paul Franceschi, n’échappe pas à un certain antisémitisme des années 30 : pingrerie en économisant ses chaussures ou la lumière avec les bougies, nez crochu, rouerie. Comme à son habitude chez Duvivier, les femmes sont pires que les hommes. L’écrivain Colette, au goût sûr, adorait le film.

        C’est le premier des sept films que Duvivier et Harry Baur  tourneront ensemble. Les deux hommes avaient en commun un sale caractère et une misanthropie à toute épreuve. Harry Baur, cet immense acteur, joue lourdement un financier juif dont la seule fonction semble, au-delà du fait de ruiner ses ennemis jusqu’à son ancien associé, d’être pompé jusqu’à l’os par son entourage, notamment sa femme et sa fille (les féministes apprécieront : l’homme gagne l’argent, la femme le dépense – rires et exclamations dans la salle !). Une vraie vache à lait entourée de parasites. Grasset songeait au Père Goriot de Balzac. Golder n’en finit plus de mourir : ce jeu théâtral a terriblement vieilli. Chirat y voyait une admirable scène de grand cinéma, ben voyons. La méchanceté et la férocité de Duvivier sont déjà présentes. Philippe Garnier les rattache au Faucon maltais (The maltese falcon, 1941), le premier film de John Houston, mais cela semble tiré par les cheveux. Pour Harry Baur, acteur de théâtre connu, âgé ici de cinquante ans, le film apporta la consécration au cinéma. Dans le portrait qu’Irène Nemirowski avait fait de Gloria Golder (Paule Andral), la femme cupide et haineuse du vieux financier, elle réglait des comptes avec sa propre mère. Grande scène que celle de la grande explication entre Golder, en plein malaise, et sa femme, où les visages s’affrontent, suants, convulsés et crachant la fureur et la haine comme deux scorpions dignes de Les rapaces (Greed, E. von Strohem, 1924). Philippe Garnier souligne la force des rôles secondaires, Jackie Monier qui joue la fille, Joyce Golder, est présente également dans le rôle d’Yvette dans Quatre de l’infanterie (Westfront 1918 : vier von der infanterie, G. W. Pabst, 1930).

        Il faut noter tout de même les gros plans, des mouvements de caméra, un découpage très nerveux, un montage rapide, des contre-champs, une souple utilisation du son. Philippe Garnier note que Duvivier a été l’assistant de Feuillade. Certaines scènes de bourse rappellent L’argent (1928) de Marcel L’Herbier, d’après Zola. A la photo, nous retrouvons Armand Thirard, le même que pour Quai des orfèvres de H.-G. Clouzot (1947) ou encore chez Korda, qui fut le chef opérateur de beaucoup de films de Duvivier, réalisateur réputé pour la diversité de ses films (Paquebot Tenacity, 1934). Un plan détonne avec un homme qui occupe moins d’un quart de plan comme pour signifier la petitesse.

Quant aux dialogues, Duvivier précise : « Un ami qui a vu David Golder m’a dit qu’il l’aimait parce qu’on y parlait peu – or, on y parle tout le temps. Je crois donc que l’animation des images, leur changement, permettront au dialogue de passer. Ce dialogue était nécessaire : je défie qu’on y trouve trois phrases  qui ne soient pas indispensables. ».

        Le film fit partie de l’un des 5 de la sélection française à la toute nouvelle Exposition internationale d’art cinématographique de 1932 à Venise ou Mostra en concurrence avec La Terre  (Земля, Zemlia, 1930, 72mn, n & b, muet, 1:33) d’Alexandre Dovjenko. Un film redécouvert au Cinéma de minuit de Patrick Brion en 1977 lorsque France  3 se nommait FR3.

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 2 Princesse Sophia Loren

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Toute de rouge vêtue (Versace ? Lacroix ?) avec son sac noir de gala, elle se déplace aidée de Thierry Frémaux et l’ambassadeur Régis Wargnier qui lui déclare son admiration (« Elle incarne le plus beau de l’Italie. Le sud de l’Italie La beauté de la terre, de la lumière. »). A l’invitation de ce dernier elle parle, à la demande de Wargnier, en dialecte napolitain où la drôlerie et la comédie sont inhérentes. Elle évoque aussi le ciucio : le fait d’être là au bon moment. Son fils, Eduardo Ponti, qui signe des autographes, n’est pas loin. Les questions de Frémaux sont bêtes (« ça fait quoi d’être actrice ? », etc.) au point que la Loren le souligne franchement, à la napolitaine. Si certes, elle déclare avoir beaucoup travaillé, elle se fend sans modestie d’un « Quand on fait quelque chose dans la vie qu’on réussit très bien, on s’attend à ce genre d’accueil ».  Plus tard, elle nuance : « Quand je ne réussis pas une scène, je suis malheureuse ».

Sofia Lazzaro indique qu’elle vient d’une famille précaire ; elle a perdu sa mère jeune. Elle parle de son grand amour, le producteur Carlo Ponti qui l’a considérablement aidé dans sa carrière. « Il m’a compris et accompagnée. Je n’aurais jamais été ce que je suis sans lui. C’était ça l’amour. » Elle n’a pas assez de mots gentils envers Vittorio de Sica qui l’a fait débuter à 17 ans dans L’or de Naples (1954). « Vittorio m’a appris beaucoup de choses. Tout ce qu’on faisait était un plaisir. » Elle relate sa relation avec Marcello, une dizaine de films ensemble, un ami, comme une moitié : « c’était pour moi comme ma famille. Mais on ne se fréquentait pas. Quand il est parti, j’ai perdu un bout de moi-même ».

 Elle écarte les sous-entendus de Frémaux, dont on se fout  éperdument, à l’égard de Belmondo qu’elle trouve bon acteur mais est plus mitigée sur le reste, tout comme pour Brando. L’échange est assez décevant à cause des interrogateurs. Elle termine en disant que l’avenir est devant elle. En effet, puisqu’elle tourne à 81 ans une pub pour Dolce & Gabana avec Giuseppe Tornatore (Cinema Paradiso, 1998).

        Elle a évoqué Fellini en regrettant de n’avoir jamais tourné avec lui : « Fellini n’a jamais pensé à moi comme une actrice qui pouvait coller à son cinéma. J’aurais aimé travailler avec lui ».  Il faut dire que Sophia ne va pas au-devant et attend les propositions. Il en est ainsi de la Ciociara dont le rôle principal devait revenir à la Magnani. Sa fille avait dans le film une dizaine d’années pour permettre un décalage suffisant entre la mère et la fille. « Ça a été un moment très important de ma carrière. »

[Manuscrit] Vers o, épicaresque roème [feuilleton 2]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

ogrammé pour l’ena,    ileli    pointe à l’anpe / valses des sigles pour destin haut bas fragile / pauvre pichoune si tu savais    / face à la drue    ,fœtus,    piqués au vif, s’adonnent au seppuku / comme cadeau, ce monde fou / certains s’entichent des choux / nombre abdique________________________________________________________________________
_____________________________________________________________contons

l’odeur du temps est baygon / pile relance face crise / l’éclipse n’est pas totale pour tous / pourris les pilotis / ileli    :ses ongles incarnés , unique lieu de mémoire / ileli n’oint d’aucun baptême / ileli conçu sur 33 1/3 1969 / in a silent way de miles / CBS S 63630 (CS 9875) 63630 A / vingt déménagements: vain, son pays, la lãg / désormais : pudding chômé / alors ileli verse en vice de la généalogie / réversibilités / un jour se joindre / recherches en arborescences / résultat : un traître / : malgré descendant de frères mendiants , cherche travail / époque épique / ileli : hétérhomo / ileli aime mon nom est personne / coté mère, formatrice pour chômeurs / après $ainte-marie d’invalides / : un roi polonais d’un jour / marxien au quarantième degré / passionné d’héraldique pour un laps / ileli esquisse l’emblème    (trois cloportes) / dessous,devise

se faire faisant

ileli = rémi (il):globules blancs 7.6*103/mm3 globules rouges 4.74*106/mm hgb 13.7g/100ml hct 40.8% mcv 86.1 μ3 mch 28.9 pg mchc 33.6 g/100 ml rdw 12% plaquettes 256*106/mm3 mpv 7.5 μ3 pct 0.192% pdw 16.3 unité c polynucléaires neutrophiles 51% 3876/mm3 ~éosinophiles 5% 380/mm3 ~basophiles–lymphocytes35%2660/mm3monocytes9%684/mm3sédimentation1ère heure23mm 2ème heure 51 mm cpk 55 ut/h transaminases sgot 11 ut/h transaminases sgpt 10 ut/h protéines totales 81g/l albumine 54% 43.7 g/l alpha 1 5% 3.9 g/l alpha 2 9% 7.2 g/l bêta 12% 9.3 g/l gamma 21% 16.9 g/l rapport alb/glob 1.17 urée 3.8 mmol/l 0.23 g/l acide urique 387 mcmol/l 65 mg/l glycémie à jeun 5.2 mmol/l 0.93 g/l cholestérol 5 mmol/l 1.92 g/l triglycérides 2 mmol/l 1.75 g/l lipides totaux 6.6 g/l fer sérique 11 mcmol/l 64μg/100ml 2.46 g/l d’igm 18.7 g/l d’igg 2.04 g/l d’iga protéines c réactives 40 mg/l aldolase 8.7 u/l mnt: igm + igg + antigène hbs – anticorps anti-hbs – anticorps anti-hbc – anticorps anti-hav igm spécifiques – détection des ac antihiv1/hiv2 recherche par eia recombinant technique ortho – technique bio mérieux + cytomégalovirus-sérologie(eia) igg<200u

et navré va / avec force formalités / cède pour l’aristocratiqu’existence / se royaumer / temps de guerre et gelée / privilège de rire à la face des stagnants / rew : cursus par méandres / prépa’ lettres n’accueille que scientifiques ? / prépa fric / vogue au gré concours d’entrée / vers quelconque grand’école / du tiercé : provençal’iep / gangrené par brune / ♪ u’ can’t touch this // en fac, philo titube sous scolastes sans amour / épistémologie, fierté d’ammonites / feu nyctalope tutube / fil perdu / rémi chômeur diplômé mention longue durée / par brouettes, diplômes se ramassent à la pelle / du temps à profit

père échaudé / (gens cons de saillies / jaguars type E / : viré car de l’ouvrier) / : ‘fils, 25 ans ne se fête qu’une fois / à 18, tu deviens citoyen / maintenant, le rmi te consacr’homme / (rêve du patriarche : / être balayeur / ‘vivre heureux vivons c____, rmi aubaine dixit) / requinqué, l’adoubé / cathédrants bénis pour d’inutiles redoublements / d’âge vingt-cinq exacts / : accès rapid’à l’empyrée / selon best-seller, derniers seront premiers / préaux inégaux / major à lille cancr’à chambéry / émasculée, la douance / hussards noirs, derniers castrateurs / baste des camaifs / bon prof est prof mort / pauvres géniteurs d’apprenants

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 2 « Je ne regrette rien de ma jeunesse » (« Waga seishun ni kuinashi ? », Akira Kurozawa, 1946)

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« Je ne regrette rien de ma jeunesse » (« わが青春に悔なし », « Waga seishun ni kuinashi ? », Akira Kurozawa, 1946, n & b, 1:37)

        Public : passez votre chemin à travers les champs de rizières. Il est des films qui devraient rester inédits. La fille, actrice qui n’a pas réussi à se faire encore un prénom, fille d’Isabelle Huppert fait une présentation sans relief en omettant les informations principales. Lolita Chammah ne laissera pas un souvenir impérissable.

        C’est le premier film de l’après-guerre pour Akira Kurosawa. Il est réalisé après la défaite du Japon et l’avènement de l’occupation américaine. Il profite de l’air ambiant, furieusement à gauche, pour montrer les dégâts de la junte militaire sur les « forces vives » du Japon. Ce film politique se fonde sur les histoires vraies de professeur libéral persécuté Yukitoki Takigawa dans le début des années 1930 et d’un étudiant expulsé Hotsumi Ozaki qui a été exécuté pour trahison en 1944.

Le scénario est modifié par le  comité de supervision de scénarios du syndicat des employés de la Toho en intégrant un autre scénario traitant du même sujet. Kurosawa se révolta mais en vain. Le film n’a été visible en Amérique qu’à partir de  1980. Cela s’en ressent. Si la première partie est crédible, la deuxième n’appartient plus à Kurozawa pour aboutir à un film sans fin, trop long, un ratage. Quelques délicatesses comme un état d’âme symbolisé par des fleurs coupées dans l’eau.

Filmé en 1946, juste après la guerre, la plupart des acteurs et l’équipe vivaient une vie très pauvre, souffrent de la faim. Un des acteurs a rappelé une histoire personnelle avec son grondement d’estomac pendant le tournage, inspirant la scène. Le reste des « étudiants » ont été joués par tous les directeurs adjoints dans un effort pour maintenir les coûts bas. Les thèmes de Kurosawa sont présent bien que dans le désordre, avec un montage raté : la condition sociale, l’honnêteté, la nécessité de la pédagogie (Madadyo, le maître, Maadadyo, A. Kurozawa, 1993).

Le rôle-titre est détenu par l’admirable Setsuko Hara, bien connue des amateurs d’Ozu. Si elle sauve le film et joue au piano le dernier mouvement (La Grande Porte de Kiev) de Tableaux d’une exposition par Modeste Moussorgski et le Prélude en mi bémol majeur, opus 28, n° 19 par Frédéric Chopin, elle est blanchie par Kurozawa de son engagement politique discutable dans la vraie vie.

 

UN ÉDITEUR AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON

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Louons cet éditeur consciencieux qui non content d’annoncer la parution d’un livre dans Livres Hebdo n° 619 du 28/10/05 (notice 01332 p. 143, entre Luis Mizon et Jean-Luc Parant) tout en rompant un contrat qui n’a jamais été signé, inventa à l’insu de son plein gré le premier LIVRE VIRTUEL.
S’il insulte les auteurs-fonctionnaires pour leur confort, exclut toute correction de fautes d’orthographes, disparaît régulièrement dans la nature, se flanque d’un graphiste bras-cassé qui ne peut travailler parce qu’en garde alternée et exploite certains poètes en manque de reconnaissance en VRP, il ne se gêne pas pour participer à une soirée hommage à Bernard Heidsieck à la Maison de la Poésie alors qu’il fit rentrer l’exquis poète sonore dans une colère noire, tout comme il entuba Eric Suchère et tant d’autres.
Que l’argent de l’Etat et des collectivités territoriales est bien employé !

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 2 « Larmes de clown » (« He who gets slapped », Sojström, 1924, 71mn, n & b, muet, 1:33) et « La bataille du siècle » (« The battle of the century », Clyde Bruckman, 1927, 20mn, n & b, muet, 1:33)

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La bataille du siècle (The battle of the century, Clyde Bruckman, 1927, 20mn, n & b, muet, 1:33)

Serge Bromberg (Canal +, Lobster) présente La bataille du siècle (Clyde Bruckman, 1927) en développant les indications américaines de restauration non traduites. La première partie est consacrée à la boxe, inspirant Chaplin. Le lien est un assureur. Deux photogrammes voire photos en absence de film puis, suite à une insistante peau de banane, une bataille de tartes s’active à l’aide de plus de 3 000 pâtisseries pour une version de 10mn au lieu des 3mn connues. L’histoire est la suivante : en 1957, Robert Youngstone remonte 3mn pour sa collection personnelle ; le négatif original se décompose. Au MoMA, des bobines ont été retrouvées le 15 juin 2015. En effet Bromberg se promenait avec un collectionneur, Jon Mirsalis, compositeur de musiques de films, qui lui avouait avoir une copie 16mm : elle s’avéra intégrale. En septembre 2015, le film a été projeté au festival de Telluride. Toutes les couches de la société sont explorées dans l’anarchie pâtissière. Un homme s’échappe avec une poubelle qui recouvre le corps sauf les jambes et les bras. Du pur slapstick jouissif. De quoi nous consoler de la scène finale de Docteur Folamour, ou: Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe (Dr Strangelove or : How I learned to stop worrying and love the bomb, Stanley Kubrick, 1964) qui a été coupée au montage. Selon Bromberg, avec Big buisness, c’est l’un des meilleurs Laurel et Hardy. A noter un certain Georges Stevens à la photo; Hal Roach est à la production. Une série de nouveaux Keaton vont suivre grâce au crowfounding. Bromberg se colle au piano avec de légères dissonances.

        Et pour cause : le piano était préparé pour le trio Rives avec clarinette, bandonéon et percussions, un musicien jouant des deux derniers simultanément. C’est l’une des musiques improvisées les plus intelligentes que j’ai entendu, laissant des silences sur des scènes fortes. Les 3 musiciens matures qui ne payent pas de mine cassent la baraque. Une musique à la hauteur du chef d’œuvre. Pourquoi une personne avertie viendrait-elle présenter un immense film si tôt le matin ?

Larmes de clown (He who gets slapped, Victor Sjöström, 1924)

Larmes de clown (He who gets slapped, Victor Sjöström, 1924, 71 mn, n & b, muet, 1:33)

Le suédois Victor Sjöström, devenu Seastrom aux Etats-Unis dès 1924, était considéré par Chaplin (Les feux de la rampe, Limelight, 1952) comme le meilleur metteur en scène du monde. La MGM vient d’être fondée, à partir de la fusion de plusieurs sociétés de production. Larmes de clown est le premier film qui y est produit. Le studio, qui a préféré patienter pour sortir le long métrage à une date parfaite, a préparé et diffusé d’autres films en attendant, mais c’est au début de Larmes de clown qu’apparaît pour la première fois le légendaire logo du lion rugissant. C’est la première rencontre également entre la jeune Norma Shearer et la MGM, dont elle deviendra l’une des vedettes, suite à son rôle avec Greta Garbo dans La chaire et le diable (Flesh and the Devil, Clarence Brown, 1926). Elle épousera Irving Thalberg en 1927.

Larmes de clown est adapté d’une pièce du russe Leonid Andreïev. Le carton qui ouvre le film indique : « Dans la comédie douce-amère de la vie, on dit avec sagesse : rira bien qui rira le dernier. ». Le scientifique Paul Beaumont est sur le point de faire un discours devant ses pairs de l’Académie, afin de rendre publiques ses recherches sur l’origine de l’homme, menées à terme avec le soutien de sa femme Maria et le mécénat du baron Regnard. Mais ce dernier lui vole ses notes et accapare devant l’Académie le mérite de la découverte, grâce à Maria, en réalité sa maîtresse et complice. Réalisant tout cela, publiquement humilié, Beaumont choisit de disparaître. Il refait sa vie dans un cirque, où il est, sous le sobriquet de « HE » (Celui ou Lui), un clown recevant chaque soir, devant un parterre hilare, quantité de gifles. Un de ses collègues du cirque, l’écuyer Bezano, est amoureux de sa nouvelle partenaire, Consuelo, fille du comte Mancini, dont Paul Beaumont tombe amoureux (« Un instant, j’ai cru que tu étais sérieux » réplique-t-elle au perdant bon joueur). Ce dernier voudrait la marier à un ami, qui s’avère être le baron Regnard. Le clown transforme ses souffrances et ses blessures en une nouvelle force.

Il s’agit d’un mélodrame King Size doublé d’une histoire de vengeance. Ce mélo, genre à l’origine du cinéma jusque dans son essence, est d’une poignante beauté (image finale saisissante du globe terrestre en écho à l’ouverture : un pourtour de scène devient le socle du globe, ce dernier devenant un ballon qui tourne sur lui-même, laissant songer à Méliès), avec des oxymores (sous le masque hilare du clown se cache un éminent savant ayant renoncé à son identité pour échapper à ses souvenirs), de nombreux contrastes (somptueux noir et blanc), les fondus enchainés (le public du cirque rappelant les académiciens scientifiques). Les autres clowns autour de LUI forment un chœur antique. C’est la description d’un cirque de l’étrange avant Tod Browning (Freaks, la monstrueuse parade, Freaks, 1932 : ici en coulisse, c’est un bestiaire des sentiments humains qui se dessinent ; L’Inconnu, The unknown, 1927; Les révoltés, Outside the Law, 1927), chez qui Lon Chaney, « l’homme aux mille visages » (roulement des yeux, grimaces, froncements de sourcils), est devenu l’acteur fétiche. A l’Etrange Festival, Alejandro Jodorowsky offre son point de vue : « ”Ô, âme, comme tu fais de ma chute une ascension”, dit un ancien texte kabbalistique. Lon Chaney, de façon géniale, perd tout, femme, ami, œuvre, dignité. À toucher le fond de l’abîme, le final de ce film dépasse le court de Fellini sur le cirque. ». Chaney a d’ailleurs souvent dit que son personnage dans Larmes de clown était son préféré, alors qu’il venait de jouer dans le marquant Notre-Dame de Paris (The hunchback of Notre Dame, Wallace Worsley, 1923).

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 1 Ouverture

Après les défilés de peoples sur tapis rouge shootés par des photographes sur fond de Rolling Stones et retransmis sur grand écran, un film est projeté : avec un public à 500m, un format carré (1:37) sur un énorme écran dans une salle froide qui résonne encore du sang des bêtes, la Halle Tony Garnier, un ancien abattoir donc, par un immense architecte, reconverti en salle de concert. Je plaisantais en disant qu’on aurait un Don Camillo (Le petit monde, 1951 ; Le retour, 1952) de Duvivier mais je n’ai pas tapé loin. Et là, je suis très vénèr. Il s’agit de l’admirable et crépusculaire Fin du jour (1938), film de patrimoine exigeant, que Lindon présente comme n’étant pas son préféré. Mon problème est que j’avais pris un billet à 5 EUR pour le voir dans la semaine. Ici, 15 EUR avec flonflon. Or, c’était l’un des rares films inconnus ou surprises  avec celui du prix Lumière. C’est la première année en 7 Festivals Lumière qu’ils projettent en ouverture un film rediffusé après dans le cadre du même festival. Ne pas profiter d’un grand format pour une salle qui fut utilisée pour un festival de Scope est du gâchis. Notons que des jeunes filles sont tout de même restées calmes lors de la projection alors que le film ne les intéressait que moyennement. C’est beau de faire découvrir un patrimoine exigeant, estampillé malencontreusement « qualité française » au tout public mais pas au détriment de certains spectateurs qui perdent de l’argent.

        Le seul intérêt de cette soirée fut la projection de l’une des versions de La Sortie des usines Lumière (1895) avec le projecteur d’époque pour les 120 ans du cinéma sur un trop petit écran. Laurent Gerra a imité Johnny, Godard et Tavernier, ce dernier n’étant pas présent à cause d’un cancer et sa chimio afférente. Rires assurés. C’était triste et émouvant de voir Belmondo avec ses problèmes d’élocution suite à AVC et Bébel, acteur physique, avec sa démarche avec béquilles pour qui fut venu présenter Un singe en hiver (Henri Verneuil, 1962) en ouverture l’année dernière. Un hommage, par mention écrite, à Chantal Akerman, dont le film simple, sans moyens, en noir et blanc et plans fixes, Je, tu, il, elle (1976), est présent, tout comme à la Biennale de Venise, son installation Now, et le regretté Raymond Chirat qui n’aurait pas renié le Duvivier du soir. Un passage assez ridicule sur l’Euro, dont Frémaux est l’ambassadeur, où des spectateurs venus de la salle shoot dans des ballons sur des peoples. Le retour des sans-culottes après la chemise arrachée sur un DRH d’Air France ? Un type se vautre en tentant d’en rattraper un. Une personne âgée a été évacuée par des pompiers. Stupide et dangereux. Les seuls sifflets seront réservés pour Aulas, le Président de l’OL, le capitaine de l’équipe féminine, Wendie Renard, étant, elle, acclamée. Lol. Distribuer un bout de Jeux interdits (René Clément, 1952) ne rattrape pas le reste. Lindon, authentique et émouvant se révèle touchant et redit les mêmes choses que dans ses présentations d’autres films de Duvivier. Honneur est fait aussi à John Lasseter, donc à Pixar, prix de la chemise la plus atroce, bien que vouée au marketing Pixar, honoré de la mention « Walt Disney du XXIe siècle », ce qui laisse songeur. L’imposant Refn est là également mais sa filmographie me paraît chiche, et Drive surestimé, pour porter un jugement. Il nous gratifie de sa collection d’affiches érotiques dans le hall de l’Institut Lumière, en lien avec la sortie d’un livre et de son film sur ce sujet. Effet drôle : quand les ex regardent leur moitié du passé sur écran, la Seigner pour Gerra, Kimberlain pour Lindon. Et puis Jacques Audiard, Pascal Thomas, Régis Wargnier comme ambassadeurs, l’italien Dario Argento avec sa fille Asia, Stévenin, Lutz, Elbaz, Mélanie Thierry et son insupportable mec, le chanteur Raphaël, qui se ressemble s’assemble.

La fin du jour

        Un film cruel, sur un hospice de vieux acteurs, avec un défilé de grands tels Jouvet, Simon, qui se détestaient dans la vie, Francen, Dorziat, Ozeray, etc. Un hommage aux acteurs.

        L’honorable Jean Douchet, chantre de la Nouvelle vague, pestait avec malice contre La Fin du Jour, présenté en ouverture, trop « jeu de massacre » à son goût. Un autre critique y voyait déjà un « Un film-cabot d’un pathétique complaisant ».

[Manuscrit] Vers o, épicaresque roème [feuilleton 1]

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

pré face

“ Sı votre chomage se rapporte a votre plumage
Vous etes sans nul doute le Phoenıx des hotes de ces boıs ”
Jean de là

tout comme tentatıve de suıcıde experıence du chomage enrıchıt

ces deux morts en tangence confrontent l &tre aux mıroırs

l accule s abandonne au trefonds d obscure foret

en sa solıtude l ındıvıdu se scrute a chacun son chomage

peau socıale pose probleme de cıvılısatıon

travaıl est ıl tenant d &tre eclate

en nous demeure la reponse

toute dıgressıon agace

qu ıl en soıt aınsı

exıstence abhorre corsets

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 1 « L’Enfer de la corruption » (« Force of evil », Abraham Polonsky, 1948)

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L’Enfer de la corruption (Force of evil, Abraham Polonsky, 1948, 78mn, n & b, 1:37)

L’ambassadeur Philippe Garnier, qui a rencontré Polonsky, présente. Il évoque A. de Toth qui définissait Studio Enterprise, fondé par des aristocrates partis de la MGM, à l’inverse de ce qui existait : politesse, salaire raisonnable. Polonsky est revenu sur cet échec commercial car il souhaitait une adéquation entre les images et les paroles. La voix off et les répliques sont poétiques, voire bizarres jusqu’au grotesque, au point qu’un critique a évoqué un « dialogue en vers libres ». Il a été précurseur de ce qui lui est arrivé en glissant la phrase : « On peut passer sa vie à regretter ce qu’on a dit ». Gros bug de Phil : le charme du film reposerait sur un Bosley à la voix Welles, Tucker, dont il est toujours question mais qui ne serait jamais là. Or, le personnage apparaît bel et bien, plutôt deux fois qu’une. On pardonne cette erreur car elle est la preuve que Garnier parle de mémoire tant sa culture underground est immense. La copie 35mm a été restaurée par les labos d’UCLA et mentionnée « Founding Scorsese » (avec ses fonds personnels), avec une traduction en sous-titrage de « What do you mean » en … « What do you mean ». You talking to me ? Vive les bilingues car le phrasé-mitraillette du new yorkais Marty se retrouve ici dans les moindres recoins pour nous enchanter.

        Un film défendu par Bertrand Tavernier qui œuvra, en tant que « macmahonien », avec Pierre Rissient, comme attaché de presse, pour sortir le film en France … en 1967. « Voilà, là encore, un homme qui a beaucoup compté à certaines heures de la cinéphilie mondiale et qui est aujourd’hui un quasi-inconnu, même des jeunes passionnés de cinéma » écrit Tavernier dans Amis américains. Il s’agit d’un  film qui « décrit très bien comment fonctionne l’Amérique ». Il pense même que « Le Gabin du Bronx », John Garfield (1913-1952), blacklisté, mort d’une crise cardiaque après des années d’alcoolisme par manque de tournage dès 1951, bénéficiant d’un enterrement digne de Valentino, qu’il a plus qu’influencé la seconde partie de carrière d’Humphrey Bogart. A voir. Garfield a un jeu moderne, habité et sobre, annonçant les compositions futures d’Harvey Keitel ou Russell Crowe. Tavernier, dans le cadre de sa carte blanche au sein de la rétrospective qui lui était consacré, demanda la projection au grand public de L’Enfer de la corruption à l’Institut Lumière en janvier 2009.

Pour Martin Scorsese (Voyage à travers le cinéma américain, A personal journey with Martin Scorsese through american movies, 1995), dont le film, par l’exposition d’un New York sordide, est une influence majeure, notamment pour Raging Bull (1980) : « Certains films, en particulier L’enfer de la corruption allèrent encore plus loin. C’était toute la société qui était corrompue. Le visage de John Garfield, avocat de la pègre, était un véritable paysage de conflits moraux. C’était le corps social lui-même qui était atteint ! Le dialogue d’Abraham Polonsky était inhabituellement poétique, mais ce qu’on voyait imploser sous nos yeux, c’était une société rapace, pourrie. C’est la violence du système qui devient le sujet, plus que la violence individuelle. ». Les thèmes scorsesiens sont présents : mafia, ascension, chute et rédemption.

Robert Aldrich a été l’assistant à la réalisation du blacklisté Joseph Losey, de Charles Chaplin, de Jean Renoir et d’Abraham Polonsky dont il disait sur le film qui nous occupe : « Un film étonnant, à la fois réaliste et poétique, baigné dans une ambiance typiquement juive. ».

        Joe Morse, jeune et ambitieux avocat, gère les affaires de Joe Tucker, puissant gangster new-yorkais contrôlant les paris. Il cherche à réunir, en une organisation tentaculaire, les différentes branches familiales de la pègre. À cette fin, il échafaude une vaste machination dont sera victime son propre frère Léo, petit malfrat ruiné. Dévoré par la haine et les remords, Joe Morse décide alors de se venger et témoigne contre la mafia.

        Parmi les 3 films du new-yorkais de l’East Side, Polonsky, L’Enfer de la corruption, son premier long métrage, est un classique du film noir. Le maccarthysme a fait une autre victime : le « sinon stalinien, du moins très militant » Polonsky, dénoncé par Sterling Hayden, son ancien camarade des services secrets pendant la Seconde Guerre mondiale, à la commission des activités antiaméricaines (HUAC). Il a été, comme il le dit lui-même, « mis au frigidaire ». Dur pour un ancien avocat de syndicats. Le hargneux ira jusqu’à déclarer : « Kazan est un génie de la mise en scène. Mais s’il était devant ma voiture, je l’écraserais. ».

L’échec commercial du film contraint son auteur à rester scénariste à la Twentieth-Century Fox. Il a écrit sous pseudonyme pour le cinéma et la télévision. En 1968, il est enfin crédité sous son vrai nom au générique de Police sur la ville (Madigan, Don Siegel, 1967). L’année suivante marque son retour à la réalisation avec Willie Boy (Tell them Willie Boy is here, 1969) s’inspire de faits réels pour raconter la traque, au début du siècle, d’un Indien, joué par le Robert Blake de De sang-froid (In cold blood, Richard Brooks, 1967) coupable de meurtre ; Robert Redford joue également. En 1971, il réalisera Romance of a horse thief (Le Voleur de chevaux) avec Yul Brynner et Jane Birkin. En 1984, il préparait une adaptation, qui n’a jamais aboutie, du roman de Thomas Mann, Mario le magicien. Phil Garnier évoque la même anecdote drôle que dans son article de 1999 dans Libé pour la nécro de Polonsky : victime de la chasse aux sorcières, il a habité McCarthy Drive.

Polonsky a été un romancier réputé (The world above, The season of fear, Guilty by suspicion, Zenia’s way) et l’un des scénaristes les plus côtés du moment grâce au fulgurant et unique succès pour le Studio Enterprise, Sang et or (Body and Soul, 1947), film de boxe, tourné avec Garfield, aux studios Liberty, de Robert Rossen, scénariste, lui-même, avec un script et un dialogues percutant d’Abraham Polonsky, valeur montante d’Hollywood. Les Studio Enterprise, responsables du film de Rossen, n’hésitent pas à confier plus d’un million de dollars à Polonsky, débutant derrière une caméra, pour mettre en scène son nouveau script tiré d’un mauvais roman, Tucker’s people (ou The underworld) d’Ira Wolfert, prix Pulitzer pour ses reportages dans le Pacifique en 1943, flanqué des plus grands techniciens du moment : Richard Day, chef décorateur chez Goldwyn au grand sens du détail, George Barnes, directeur photo pour Losey, Capra, Leo McCarey ainsi qu’Hitchcock (la photo de Rebecca, 1939 ou La Maison du docteur Edwards, Spellbound, 1945). Polonsky a montré des peintures d’Edward Hopper à George Barnes qui décida de filmer avec une source unique de lumière, crue, projetant ainsi de grandes ombres à côtés d’à-plats de lumières blanches. Certains plans sont à tomber par terre : le début sur New York (l’église coincée entre des gratte-ciels), la scène vers le Verazano bridge est encore plus belle que dans Sueurs froides (Vertigo, Hitchcock, 1957), Pas de Printemps pour Marnie (Marnie, Hitchcock, 1963) ou dans Manhattan (Woody Allen, 1978), la scène de bar, les jeux d’ombres, etc. Le montage alterne affrontements psychologiques (l’avocat et la secrétaire), l’irruption saisissante de la violence (le meurtre du comptable) et les envolées poétiques inattendues (la recherche finale dans les docks). Les dialogues, peut-être trop présents, fusent avec une ironie mordante et jubilatoire, notamment le monologue sur la vie de Leo Morse, dans le restaurant. Le scénario complexe, aux multiples implications, repose sur le mythe biblique d’Abel et Caïn dans le monde du film noir, le frère de Joe Morse mentionnant l’opposition fondamentale. Tout le monde est corrompu et victime du système ; les personnes honnêtes sont tuées. Ce film est hors norme : l’action n’arrive jamais, même quand le spectateur l’attend ; les clichés (la femme fatale, Marie Windsor, ex-Miss Utah, formée au théâtre, déjà garce dans L’ultime razzia, The Killing, 1955 de Stanley Kubrick ; le cambriolage du bureau de Joe Morse vu depuis une encablure de porte ; la justice équivoque ; une virulente critique sociale ; le gunfight final et nocturne entre les trois malfrats) du film noir sont vidés de toute substance. Il se situe dans la lignée des réalisations de Richard Brooks, Robert Aldrich et Jules Dassin. Polonsky choisit de ne pas représenter la loi car « elle n’est qu’une représentation de plus du mal général dans lequel nous vivons ». Les seconds rôles sont puissants : la mystérieuse Beatrice Pearson, avec deux films seulement à son actif, dont le jeu va à l’encontre de toutes les actrices de son époque ; le Roy Roberts des grands jours ; Thomas Gomez, star de Broadway et grand acteur de composition, bouleversant d’humanité, qui illumine chaque scène de son talent.

Ce film a influencé La nuit nous appartient (We own the night, James Gray, 2006) tourné en 35mm. Laurent Gerra, homme de poids accompagné d’une belle dame, s’assoit à côté de nous, fait du grabuge au point de se fendre d’un « Je vous demande de vous arrêter » à la Balladur puis repart au bout de 30mn. Peut-être a-t-il confondu Polanski et Polonsky … La salle sent encore le neuf. La belle quadra, ancienne administratrice de la Maison de la Danse, a supervisé les réfections de La Fourmi et du CNP.

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon, Jour 1 Voici le temps des assassins (Julien Duvivier, 1955)

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Voici le temps des assassins (Julien Duvivier, 1955, 115mn, n & b, 1:33)

        Inédit : une projection de film est interrompue pour laisser Mossieur Vincent Lindon parler. Le Comœdia est abonné aux impairs, toujours différents à chaque fois : une bêtise par an pour être poli. L’année dernière, le jeu était de placer des personnes munies de billet d’une énorme salle à une petite avec une projection gâchée par des tumultes au mieux techniques. Lindon insiste sur le fait que Duvivier, auquel Renoir rendait régulièrement hommage, est actuellement sous-estimé. Ses films, dont une dizaine, ont marqué le patrimoine du cinéma français, sont modernes.

Paris, les Halles (le parler parisien, l’art culinaire d’autrefois avec ces quenelles au brochet avec, ce qui me choque légèrement, un Gewurtz 1928, excellente année, paraît-il ; l’alignement des têtes de veaux qui n’attendent plus que la sauce gribiche ; ce grand moment où Gabin développe le menu consacré au coq chambertain), reconstituées en studio à Billancourt. La jeune Catherine retrouve Chatelain, restaurateur réputé du « Rendes vous des Innocents ». Elle est la fille de son ancienne femme, qu’elle dit décédée, et vient chercher du travail à Paris. Celui-ci lui propose, en attendant, de l’héberger au-dessus du restaurant. Chatelain a pris sous sa protection Gérard, un étudiant en médecine qui travaille dur pour payer ses études. Chatelain présente Catherine à Gérard. Ce dernier fait à la jeune fille une cour maladroite, tandis que, étrangement, Catherine lui confie des sentiments mêlés à l’égard de Chatelain. Quelques jours plus tard, Gérard, Chatelain et Catherine se rendent dans l’auberge « Au repos du pécheur » tenue à la campagne par la mère de Chatelain. Cette dernière a toujours détesté l’ancienne femme de son fils, et fait à Catherine un accueil plutôt froid. Au cours du week-end, Catherine s’arrange pour dénigrer Chatelain devant Gérard, et Gérard devant Chatelain, pour les dresser l’un contre l’autre. Pour affermir sa position auprès de Chatelain, Catherine feint de vouloir partir, et obtient en attendant mieux la responsabilité de la caisse du restaurant. Gérard ne vient plus voir Chatelain, et Catherine « entreprend » celui-ci sur la question du mariage. Alors qu’elle se rend à un rendez-vous, Catherine est abordée par un inconnu qu’elle repousse brutalement. Celui-ci se jette sous un camion et meurt. En fait, Catherine va retrouver dans un hôtel sordide sa mère, Gabrielle, bien vivante, monstrueusement droguée. L’homme était un ancien « client » des deux femmes. Celles-ci ont monté une machination pour amener Chatelain à épouser Catherine afin de lui prendre sa fortune ; pour cela, il faut aussi à Catherine écarter Gérard, qu’elle considère comme son rival auprès de Chatelain. Sur le conseil de Gabrielle, Catherine simule son départ. Chatelain se brouille définitivement avec Gérard et devient odieux avec son personnel. Mme Chatelain mère arrive à la rescousse, et Catherine revient, feignant d’être ivre. Mme Chatelain essaie de la chasser, mais Chatelain lui propose le mariage. Elle accepte. Le soir de son mariage, Catherine essaie de circonvenir Gérard, que Chatelain a invité en signe de réconciliation. Il se défausse, elle dresse à nouveau les deux hommes l’un contre l’autre. Catherine est reconnue par un de ses anciens clients, qui ne laisse à Chatelain aucun doute sur ses activités passées. Catherine l’apprend, s’affole. Gabrielle lui conseille de faire assassiner Chatelain. Catherine réussit à apitoyer Gérard sur son « sort ». Chatelain et Gérard se battent, tandis que Gabrielle, en manque, fait appeler au restaurant, où l’hôtelier tombe sur Chatelain. Celui-ci retrouve alors Gabrielle, mais n’en dit rien à Catherine. Celle-ci, qui a tout compris, projette d’organiser un accident de voiture pour se débarrasser de lui. Elle séduit (enfin) Gérard et le convainc de l’aider. Chatelain amène Catherine chez sa mère, pour lui faire subir un interrogatoire. Catherine charge Gabrielle ; Chatelain  confie Catherine à sa mère, avant de statuer sur son sort. Catherine convoque Gérard à l’auberge, et s’empêtre dans ses mensonges en voulant le pousser à tuer Chatelain. Il finit par comprendre que Catherine l’a manipulé. Pour éviter qu’il n’aille tout raconter à Chatelain, elle l’endort avec le soporifique destiné à Chatelain, et pousse sa voiture dans la rivière. Pendant ce temps, Chatelain a décidé de garder Catherine. Il assiste sans comprendre à la découverte du cadavre de Gérard, et, de retour à Paris, oblige Catherine à attirer Gabrielle chez lui. César, le fidèle chien de Gérard, qui n’est tout de même pas un pitbull, d’où la scène suggestive tant le fait est peu crédible, commence à s’en prendre à Catherine. Chatelain ne réagit pas : un appel de la police vient de lui faire comprendre que c’est Catherine qui a assassiné Gérard. Catherine, fuyant le chien, rejoint Gabrielle à l’hôtel au moment où celle-ci sort de sa chambre. Le chien l’égorge, Chatelain arrive trop tard. Il laisse Gabrielle à son sort : « Comme ça elle fera plus de mal ».

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p style= »text-align:justify; »>        Le titre du film est emprunté aux Illuminations d’Arthur Rimbaud, dernière phrase de Matinée d’ivresse :
« Petite veille d’ivresse, sainte ! Quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t’affirmons, méthode ! Nous n’oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours.Voici le temps des Assassins. » « Le sujet n’a pas été facile à trouver. Notre premier scénario est tombé à l’eau : Gabin montait un hold-up au Casino d’Enghien. […] Nous imaginons ensuite une histoire de garagiste, que Gabin refuse. L’acteur n’était pas facile ; il voulait jouer autre chose, il avait déjà été garagiste, il refuse tout, dit toujours non.Revenant de Saint-Tropez, où nous [Duvivier & Bessy] nous étions installés pour travailler, nous nous arrêtons dans un grand restaurant de Saulieu. Et tout à coup l’idée nous est venue ; nous avions notre histoire. Gabin aime la bonne bouffe, me dit Duvivier, il acceptera de jouer un restaurateur. » selon le scénariste Maurice Bessy, journaliste, critique de cinéma, fondateur de la revue hebdomadaire Cinémonde en 1928. Ce dernier l’a romancé et publié en 1956 sous le titre Voici le temps des assassins aux Éditions France-Empire. Il écrivait en 1968 sur son ami Julien : « Il ne croyait pas au style que beaucoup de réalisateurs s’attribuent en recommençant dix fois le même film. Créer, pour lui, c’était tenter. C’était aussi se tromper, pour mieux réussir ensuite. C’était disposer d’un faisceau de lignes de force et les utiliser toutes … Il était on ne peut plus maladroit avec les journalistes, se bornant à déclarer qu’il n’avait rien à dire, qu’il était un conteur d’histoires et que les metteurs en scènes qui bourraient leurs ouvrages de considérations métaphysiques, esthétiques ou autres, le faisaient doucement rigoler …».

Duvivier, lié à la carrière de l’acteur bourru, utilise Jean Gabin alias Jean Moncorgé (notamment dans La Bandera,  1935 ; Pépé le Moko, 1936, et La Belle équipe, 1936) une septième et dernière fois. Gabin ne voulant plus jouer les criminels. Duvivier qui avait autrefois tourné deux adaptations de Poil de carotte (en 1925 et en 1932 d’après le roman à succès de Jules Renard) avait le projet ferme d’une troisième version, en couleurs, avec Jean Gabin dans le rôle de Monsieur Lepic. Il ne l’a jamais réalisée. Duvivier retrouve sans difficulté sa place de réalisateur de premier plan après avoir émigré pendant la Deuxième guerre mondiale (voir la scène de remise de prix avec la déclaration patriote : « Vive la France »), tandis que la carrière de Gabin peine à trouver un second souffle. Le rôle de Chatelin a été écrit expressément pour Jean Gabin. « Je crois que nous sommes entourés de monstres comme ça. On n’a qu’à lire les journaux, c’est quelque chose d’effrayant. Je crois que nous sommes comme ça depuis vingt ans, nous sommes au temps des assassins. Nous sommes absolument entourés de monstres et je connais, moi, des jeunes filles qui sont exactement pareilles au personnage de Catherine, je crois avoir fait quelque chose de violent, mais tout à fait logique.» déclare Duvivier. Gabin, qui louait Renoir pour sa direction d’acteur, ne tarit pas d’éloges sur Duvivier : « C’est Duvivier qui m’a appris ce que j’ignorais encore de la technique du cinéma. Il m’a expliqué les objectifs et selon le choix qu’on en faisait pour un plan ce qu’on pouvait en attendre. J’ai bien retenu la leçon et ensuite j’ai su adapter mon jeu ou une certaine façon de me déplacer devant la caméra, en fonction de l’objectif choisi. ». Alors qu’un perchman capte sur un haut-parleur haut perché le son émis par le cinéphile Vincent Lindon (ancien prix Jean Gabin), que l’on ne présente plus même s’il était mal peigné au naturel, ce qui l’intéresse, car les artistes sont des pompeurs, c’est la manière de bouger (la façon de prendre un poulet, lorsqu’il s’essuie sur son tablier, etc.) de Gabin, ses silences. La justesse, soulignée par ailleurs par Tavernier, est admirable dans la lignée des J. Wayne, J. Dean, M. Clift (Une place au soleil, A Place in the Sun, Georges Stevens, 1949) et R. De Niro. Lindon souligne que Gabin a été 3 fois star : jeune, entre 1957 et 1965 et enfin avec le Président (Henri Verneuil, 1961), vers la fin de sa vie. Sur 11 films avec Duvivier, 9 sont devenus des classiques. Il insiste sur le côté émouvant pour un acteur de retrouver un metteur en scène : le dialogue est repris là où il en était exactement. Il ne dirige pas de la même manière Jeannot et le Dab’. Si les répliques fusent, nous ne retiendrons que celle-là lorsqu’une dame huppée américaine commande un Coca à une table où coule le Vosne-Romanée : « Ici, on n’est pas une pharmacie ».

Ce qui intéresse Duvivier et Bessy en Delorme, qui, en retour, trouve le metteur en scène « impressionnant, sec, précis », c’est l’effroi des hommes menacés par des femmes qui deviennent libres,  qui s’affranchissent de leur emprise. Julien Duvivier, Maurice Bessy et Charles Dorat prennent ainsi le contre-pied du motif qui a servi de matrice à la littérature française du 19ème de Balzac à Proust en passant par Flaubert, celui de l’impossible place faite aux femmes dans une société dominée par les hommes. Puisqu’elle hésitait à jouer ce rôle terrible avec sa belle plastique que rehausse un léger strabisme, Duvivier la convainquit avec cet argument : « Ce rôle est pour toi. Il y a des blondes, il y a des brunes… Ton personnage a quelque chose de détraqué. Elle est comme ça sous sa gueule d’ange. Il faut que tu la joues très gentille. ». « De tous les metteurs en scène que j’ai connus, Duvivier était le plus directif. Je pensais que c’était tellement bien qu’il n’y avait qu’à se laisser faire. » ajoute la Delorme. Elle est fabuleuse avec ses expressions passant rapidement de la plus grande bonté à la plus grande folie meurtrière.

Dans un café parisien, Duvivier a aperçu, accoudé au bar, un jeune homme qui pourrait correspondre physiquement au personnage du jeune Gérard Delacroix. C’était Gérard Blain, un jeune acteur aux cernes et au visage à la Jacques Brel, qui a déjà fait quelques figurations au cinéma. Ce sera son premier rôle important avant d’être réellement révélé deux ans plus tard par Claude Chabrol dans Le beau Serge (Claude Chabrol, 1957). Ici Gérard exerce une activité syndicale et contestataire, quinze ans avant mai 68. L’UNEF, syndicat étudiant, entrait dans la « bataille » contre la guerre d’Algérie

Jean-Paul Roussillon, plus connu au théâtre, joue Amédée, le « premier » en cuisine de Chatelain. Emouvant.

Germaine Kerjean, dotée d’une dureté à toute épreuve, fut la concierge tyrannique de Fernandel dans L’Armoire volante (Carlo Rim, 1948), terrifiante « chouette », dans la meilleure version des Les mystères de Paris (Jacques de Baroncelli, 1943) d’Eugène Sue, la voix française de Mrs Danvers dans Rebecca (Alfred Hitchcock, 1939) et celle de la Reine de Cœur dans Alice au Pays des Merveilles (Alice in Wonderland, W. Disney, 1951). Ici elle manie le fouet dont elle use aussi bien pour tuer les poulets que pour dresser la vilaine poule de Catherine (Danièle Delorme). Chers habitants de Seine et Marne, le restaurant de la mère Chatelain, « Au repos du pécheur » (un flipper, une mention Coca Cola), laissant songer au repos du pêcheur, qui se situe à Lagny sur les bords de la Marne, a aujourd’hui disparu. Nous replierons-nous sur « La vache rieuse », une affiche publicitaire dans le film ?

La menue Gabrielle Fontan, minuscule, ratatinée avec son visage osseux,  ruisselle de malice et de causticité avec ses remarques coupantes. Elle incarne une superbe gouvernante réprobatrice que Chatelain est obligé parfois de rabrouer. L’un des plus beaux seconds rôles, je l’adore. Elle a été une pédagogue importante, transmettant l’enseignement de Dullin.

Le chef décorateur Robert Gys, collaborateur attitré de Christian Jaque, travailla à cette occasion pour l’unique fois avec Duvivier, réalisant de superbes planches mise en valeur sur le plateau par l’éclairage astucieux du talentueux photographe Armand Thirard. Il a réussi notamment une belle et réaliste reconstitution du marché du vieux quartier des Halles de Paris aujourd’hui disparu (Pavillon Baltard). Par contre, les effets de transparence, lors de la conduite de voiture, ont vieilli. L’image noir et blanc est contrastée, le gris est fort présent afin de laisser ressentir la noirceur de l’être humain. Le premier plan restauré en numérique est granulé. L’ancien Directeur du Zola m’indique la raison : c’est un stockshut en 16mm transposé. Un plan du comptoir, quasi à la El Lissitsky, l’hôtel sordide photographié en un parallélépipède parfait et cruel, une composition à 3 personnages suggérant les futurs problèmes amoureux saisissent par leur beauté. L’éclairage est quasiment toujours artificiel puisque le soleil est absent du film.

L’école russe est encore présente : Michel Roumanoff, assistant mise en scène ; Georges Kougoucheff, administrateur Régisseur extérieur.

Sous Mendès-France, dont il est fait allusion en servant un verre de lait du temps de l’honni bouilleur de cru, à un gars travaillant au ventre de Paris, donc sous la 4e République, le film est sorti dans les salles françaises en avril 1956, soit quatre mois avant Bob le flambeur (1955) d’un Jean-Pierre Melville préfigurant la Nouvelle Vague, qui a injustement étrillé Duvivier, estampillé « Qualité française », afin de s’affirmer (« Duvivier a tourné 57 films ; j’en ai vu 23 et j’en ai aimé 8. De tous, Voici le temps des assassins me semble le meilleur. », François Truffaut), et 10 mois avant L’homme à l’imperméable (1956), adapté de James Hadley Chase, avec toutefois le lourd handicap d’une interdiction aux mineurs de moins de 16 ans à cause de l’immoralisme des personnages. Le film de Duvivier suinte cette ambiance politico-économique de ce milieu des années 50, à deux ans de la fin de la 4e République et au bout de la première décennie des 30 Glorieuses. Un roi du sucre happé pour le démon de midi porte une croix de Lorraine.

Voici venu le temps des assassins n’est pas stricto sensu un film noir. S’il comporte quelques thématiques (femme fatale, différente du cinéma noir américain, usant d’un amant pour arriver à ses fins, éclairages assez sombres) malgré l’absence d’enquête policière, il semble qu’il s’agisse plus d’un drame social réaliste. Les signes concrets foisonnent : du charbon est glissé dans le poêle, le téléphone noir, un énorme bottin, les termes de cuisine, etc. La formule du regretté Raymond Chirat est limpide et sans appel : « Du Zola sans lyrisme » (Premier plan n°50, décembre 1968).

        Jean Wiener s’occupe de la musique. Le hautbois est particulièrement bien vu lors d’une scène dramatique. En clin d’œil, il est même cité à la radio alors qu’un concert classique se termine. La chanson originale de film, La complainte des assassins, écrite par Julien Duvivier lui-même, est chantée par la chanteuse et actrice Germaine Montero. Le temps des assassins :

Voici le temps des assassins

Le temps du poison, de la corde

Où l’on a plus d’miséricorde

Pour l’existence de son prochain

C’est le temps du bouillon d’onze heure

Qu’la femme fait boire à son mari

Pour trouver des ivresses meilleures

Dans les bras d’son nouveau chéri

Pour trouver des ivresses meilleures

Dans les bras d’son nouveau chéri

Voici le temps des assassins

La vieille pour punir sa famille

Quinze personnes qu’étaient pas gentilles

Leur fait passer le goût du pain

La fille mère qui s’trouve un matin

Un p’tit bâtard tout près à naître

N’ayant pas envie de le connaître

Pour lui s’transforme en assassin

N’ayant pas envie de le connaître

Pour lui s’transforme en assassin

Voici le temps des assassins

L’amant fatigué d’sa maîtresse

Lui envoie en guise de caresse

Une bonne décharge de 6.35

Le fiston zigouille son vieux père

La mère, la fille et c’est humain

Y’a pas plus tueur qu’une belle mère

Voici le temps des assassins

Y’a pas plus tueur qu’une belle mère

Voici le temps des assassins.

        Une restauration Pathé exécutée par le laboratoire L’immagine Ritrovata à partir du négatif image nitrate et d’un négatif son optique. Un chef d’œuvre de noirceur.

[Ciné] Festival Lumière 2015, Lyon Introït

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6 ans que nous attendions Scorsese, le voici enfin : pour voir le restaurant à son nom à Lyon vers la toute renouvelée Fourmi ? Le vendredi soir précédent le Festival, l’électricien n’a pas terminé les travaux du tout nouveau CNP Bellecour. Si le catalogue s’est considérablement amoindri, nous épargnant les anecdotes d’Allo ciné, le nombre de films projetés a beaucoup augmenté avec nombre de projections uniques. Il est possible, selon une fuite, aussitôt démentie, qu’à l’avenir, le Festival se déroulera sur 2 semaines (ce qui permettrait de coïncider avec les vacances de la Toussaint). Des ambassadeurs tels que l’Indochine (1992) Régis Wargnier, le bougon et taciturne mais bien attachant Phil Garnier, écrivain, journaliste à Libé, grand connaisseur de la culture et du cinéma américains jusque dans ses recoins les plus undergrounds, et co-fondateur de la mythique émission tv Cinéma cinémas, et quelques autres ont été désignés afin de présenter un paquet de films sur une semaine. Certains films scorsesiens, période Di Carpaccio (Aviator, The Aviator, 2004; Les Infiltrés, The departed, 2006; Shutter island, 2010, le premier et le dernier étant absents du Festival), ont été projetés avant le Festival, sage initiative renouvelée. A noter l’absence de After hours (1985), Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain (A Personal Journey with Martin Scorsese Through American Movies, 1995), Kundun (1997), A tombeau ouvert (Bringing out the dead, 1999), No direction home (2005), ce qui commence à faire beaucoup comme manques. Paraît-il que c’est Scorsese lui-même qui ne voulait pas les diffuser; étrange puisqu’ils sont dans la rétrospective de la Cinémathèque française.  Mon petit doigt me dit que Les affranchis (Goodfellas, 1990), certes hors contexte de clôture, et Casino (1995) de Scorsese ainsi que quelques Duvivier seront projetés dans des conditions moins torrides et à un prix moindre pour les abonnés et club à l’Institut Lumière après le Festival et ce, jusqu’au 11 novembre. Des séances sont parties très vites comme La Ciociara (Vittorio De Sica, 1960) avec la présence de Sophia Loren, dont un spot de pub pour Dolce & Gabbana avec elle, tourné par Giuseppe Tornatore,  est diffusé en Italie, ou le prix Lumière qui n’a tenu qu’une minute sur le net avec plus de 70 000 connexions. Raging Bull (1980), l’un des meilleurs Scorsese, est présenté par Salma Hayek. Par contre des séances comme Les frissons de l’angoisse (Profondo Rosso, 1975), pourtant présenté par Dario en personne, reste sur le paletot peu avant le Festival, tout comme la Nuit de la peur, présentée par cet immense connaisseur de films d’horreur, Alain Chabat. Au village, le week-end, vendredi soir compris, Melchior Liboa joue avec un guitariste émérite connu à Lyon, un peu le Dadi local, un rock old school de bonne facture, pourtant spécialiste de musique réunionnaise. Ma charmante voisine de palier, blonde aux yeux bleus, bien élevée à l’Ecole de la Légion d’honneur, travaillera à la plateforme en tant que bénévole jeudi. You talking to me ? C’est elle qui m’indique le seul livre ancien, les livres d’occasion étant supprimés pour la deuxième année par manque de personnel : la revue dirigée par Bernard Chardère Premier plan  (n°50, décembre 1968 ; 6F=6 EUR) consacrée à Julien Duvivier du regretté Raymond Chirat, qui m’a appris qu’il existait un Lucien dans la famille, critique de cinéma, qu’il a connu à la fin de sa vie.

[Ciné] Un magistral film d’art martial

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« The assassin » (Nie Yinniang, Hou Hsiao-Hsien, 2015)

Après 8 ans d’absence Hou était où ? Hou Hsiao-Hsien, 69 ans, chinois de l’ethnie Hakka, confirme une fois de plus qu’il est plus qu’un cinéaste : un maître. Si chaque plan est magnifique dans sa fine composition, son cadrage, il est systématiquement une grande leçon de cinéma.

Une Chine éternelle

Ce film, dont le tournage a duré 18 mois et la production a démarré depuis 2010, est un projet qui date de 1989 avec, déjà, l’écrivaine Chu Tien-wen, auteure de la majorité des scénarios des films de Hou Hsiao-Hsien, accompagnée ici par sa nièce, professeure d’histoire de moins de trente ans.

Si Hou a débuté dans la comédie commerciale, nous sommes ici au IXe siècle sous la dynastie Tang (618-907), fondatrice d’un âge d’or de l’histoire et de la puissance chinoise vacillant toutefois sous la pression des puissants gouverneurs des provinces. La guerre civile sévit avec la révolte du général An Lushan en 755. Cette période passionne Hou depuis l’enfance. C’est un film d’arts martiaux, wu xia pian, de sabres précisément, sans effet, contrairement à Ang Lee (Tigre et dragon, Wo hu cang long, 2000), Zhang Yimou (Le Secret des poignards volants, Shi mian mai fu, 2004), John Woo (Les Trois Royaumes, Chi bi, 2008) et Wong Kar-wai (The Grandmaster, Yi dai zong shi, 2013). La sobriété, notamment au début, ressortit plus aux Sept samouraïs (Shichinin no samurai, 1954) de Kurosawa, amateur de cinéma américain, comme Hou; le maître japonais influença en retour de nombreux cinéastes hollywoodiens, du western à la saga Star wars.

Une princesse, « oiseau bleu », symbole de l’isolement d’une personne prisonnière (L’oiseau bleu et le miroir est un récit ancré dans la culture populaire; « L’oiseau bleu résume bien le destin mélancolique et solitaire de l’héroïne », note Hou Hsiao-Hsien.), fend un bijou de jade – symbole de rupture déterminante, promesse jadis de fiançailles, entre son fils (Chang Chen/Tian Ji’an) et une jeune fille (Nie Yinniang, traduction : « la femme secrète et embusquée »). Pour des raisons d’alliances politiques, le fils se marie finalement avec une autre femme afin de devenir le gouverneur capricieux de la province de Weibo (l’actuel Hebei, le reste étant tourné en Mongolie intérieure et dans le nord-est de la Chine). La fille est confiée à la prêtresse blanche dans un couvent taoïste. Elle lui donne pour mission, en cette période trouble, d’assassiner son ancien fiancé tant aimé et néanmoins cousin. Cinéaste du fragment, du souvenir, des longs plan-séquences et de la sensation, Hou n’est pas étranger aux films historiques avec notamment Les fleurs de Shanghai (Hai shang hua, 1998), situé dans la Chine de la fin du XIXe siècle. Ici, le raffinement le dispute à la cruauté comme Le métier des armes (Il mestiere delle armi, Ermanno Olmi, 2001) lors de la Renaissance italienne mêlant humanisme et guerres avec condottieri.

Le cinéma comme art

L’actrice fétiche de Hou, Shu Qi (Nie Yinniang), qui débuta dans des films érotiques et des publicités, incarne de façon impassible une figure mythique de la Chine, une justicière, à partir d’un récit traditionnel bref ou chuanqi (Pei Xing, IXe siècle), peu connu de la population, selon une chinoise. L’actrice doit se colleter au vieux chinois et oublier ses bleus lors de scène d’arts martiaux le plus souvent coupés au montage.

En un format 1:37 (l’alternance avec le 1:85 a été abandonnée pour des raisons de distribution ; tourné en 35mm puis en numérique en post-production ce qui implique parfois un fort grammage), le film débute en noir et blanc. Les premières séquences sont filmées en 2010 à Nara, au Japon, dont les temples sont bâtis selon l’esthétique de la dynastie Tang. Les scènes sont coupées par des fondus au noir dans une ambiance shakaespearo-kurosawaienne. La guerrière de noir vêtue, qui manie les armes avec dextérité exécute ses adversaires avec précision. Elle regagne sa famille après bien des années. Puis la couleur, majestueuse, apparaît dans un éclat technicolor digne d’enluminures : des costumes, parures et draperies de soie somptueux, déclinés selon les trois couleurs dominantes (noir, rouge et or) dans des palais de toute beauté ; la caméra tournant en une composition fascinante autour de trois grenades laisse songer au compotier cézanien et à la période Technicolor ; les teintes vertes de la nature, parfois luxuriante, dévoilent leur diversité, parfois dans un mystère à la Corot, au côté d’un bleu de l’aube où les canards nasillent dans la brume fumante où il ne manque plus que les feux follets ; les différents crépitements des feux; un toit rural de chaume semblable à l’Irlande mythique (cf. La fille de Ryan, Ryan’s Daughter, David Lean, 1970); un panoramique de montagne magique, telle les estampes chinoises anciennes, avec un objectif spécial. Une forêt de bouleaux rappelle la rencontre entre Gary Grant et Eva Marie Saint près du mont Rushmore dans La mort aux trousses (North by Northwest, Hitchcock, 1959); le mystérieux affrontement, en fait la femme du cousin – mais pourquoi pas le double de l’héroïne, se conclue par un masque brisé remémorant la Traumnovelle de Schnitzler (1925-1926) inspirant Eyes wide shut (Stanley Kubrick, 1999). Les scènes de combats, assez anecdotiques, sont sobres avec filin et rares ralentis. Après un long travelling, un plan wellesien saisit une scène de magie noire où la concubine Husji (cf. Epouses et concubines, Da hong deng long gao gao gua, Zhang Yimou, 1991) est attaquée de façon étrange à cause d’un magicien maléfique barbu, digne d’un Macbeth de Shakespeare à cause d’une naissance masquée à coup de sang de poulet, après les rires à l’issue d’une danse frénétique de cour dans un couloir cadré à gauche en profondeur de champ.

Outre une photo magnifique du fidèle Mark Lee Ping-Bin, oscillant entre John Ford/ James Wong Howe, pour les scènes de montagnes, et Stanley Kubrick /Alcott/Adam/Walker (la scène, où les bougies sont légions avec leurs flammes floues, vue du voile ou rideau sous le vent à la Barry Lindon, 1975, avec un point de vue subjectif de l’ancienne aimée, plus réussie que la scène française avec Aurore Clément nue dans Apocalypse now redux, 1979, Francis Ford Coppola), le travail sonore de Tu Du-Chih, auréolé du Cannes sountrack award, est d’une grande finesse : adéquation de l’écho du tambour et la systole d’un cœur du conseiller principal banni, pris d’une attaque; bruit du vent dans les arbres ou les herbes; les bruits de fond des animaux tels que chants d’oiseaux et de cigales; les frous-frous des costumes ou des rares combats avec bruits de lames; plectres effleurant les cordes des luths de cérémonie. Le panthéisme tarkovskien règne en maître tout le long du film, notamment avec cette forêt de bouleaux en contre-plongée : tous les sens sont convoqués. La musique est étonnante puisque le film se finit sur un morceau, Rohan, écrit par le musicien Quimperlois Pierrick Tanguy, pen soner du bagad Men ha Tan en collaboration avec les percussionnistes du groupe de Dakar, Doudou Ndiaye Rose.

Yes you Cannes

Le prix de la Mise en scène à Cannes 2015 est bien mérité. Du jade ciselé avec la lenteur qui sied à Hsiao-Hsien. Bref, nous sommes loin de la colère des reporters taïwanais, ulcérés par ce film perçu comme film décousu, hermétique et incohérent, comme sorti d’un désastre de production, représente leur pays en compétition. Comme Kubrick, il investit un genre, pour refuser de se coltiner les passages obligés ou de se plier aux règles rigides, le reprendre et en jeter de nouvelles fondations. Il aurait mérité la Palme d’or, le problème étant que Hsiao-Hsien, également producteur de ses films (Sinomovie, executive producer), ne fournit jamais de film abouti à Cannes, soucieux de fignoler sa post-production. Sa sortie en France a été repoussée plusieurs fois. Une distribution internationale par Wild Bunch. Bonne nouvelle : Ad vitam nous annonce la sortie d’un coffret avec ses premiers films. La cinémathèque française offre une rétrospective du Maître, pas l’Institut Lumière de Lyon.

 

[Ciné] « Saint-Amour », avant-première : un road movie aviné sympathique sans plus.

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Saint-Amour (Benoît Delepine, Gustave Kevern, 2016)

Décontracte attitude

Fils d’agriculteur picard, Delépine, souvent mort de rire, affublé d’un manteau d’amiral, est venu causer avec son campagnard cousin. Kervern, qui joue dans le film, est sur une pente glissante en posant dans la salle la question qui tue : les lyonnais connaissent le Beaujolais ? Céline Sallette, en tournage aux Brotteaux, les rejoint : elle joue Vénus façon 3 hommes et un couffin (Coline Serreau, 1985). Elle laisse songer dans une brève scène à Julianne Moore dans The Big Lebowski (Frères Cohen, 1998). Au début, elle devait jouer un frère jumeau sauce Tarzan : coupé au montage; le double en peau de léopard aurait gâché la tonalité mélancolique du film.

On the road again

Le road movie vinicole (Charente, pendant une fête agricole à Ruffec avec Nono, champion du monde du cri du cochon, la Vienne devenue Morvan, puis Beaujo, Montpellier, Bordeaux), sur fond de rapport père/fils, est sympathique même s’il a moins de force que Mammuth (2010). Le film est suffisamment bien ciselé pour ne pas être un enchaînement de gags. Gégé Depardieu était ingérable. L’électrique Poelvoorde fascine avec son tic. « On a fait revenir Gérard Depardieu pour qu’il dise trois phrases. Benoît Poelvoorde en a enregistré un tout petit plus. Mais il était beaucoup plus simple pour nous et eux de faire cela depuis Paris », détaille Benoît Delépine.

Lacoste, remplaçant Houellebecq au pied levé, joue la génération VTC, la plus jeune en somme. 3 âges dans une bagnole. Le tournage au Salon de l’agriculture a dû se faire en peu de temps en caméra cachée. C’est à la vision des rushs (20mn restant) qu’il a été décidé si le film se tournerait ou non. Le Gégé y présentera Nabuchodonosor, un taureau charolais. Houellebecq, sorti de Near Death Experience (2014), tourné en moins de 2 semaines, fait une apparition amusante, même s’il ne savait pas son texte à l’avance, en Airbnb couchant dans son garage pour arrondir ses fins de mois; il prend un malin plaisir à triturer de bruyants jouets d’enfants. Yolande Moreau prête sa voix. Plein de stars (Andréa Férréo, Chiara, Izia, etc.) se régalent dans des seconds rôles.

French attitude

Bonne humeur garantie sur le plateau vu les fous rires de Sallette dans la salle; les réalisateurs sont très généreux et n’ont toujours pas la grosse tête. Kevern aurait voulu montrer le Pont du Gard ou passer à Châteauneuf-du-Pape : du tiraillement entre les deux amis à force de compromis ? Un film qui se verra à la télé avec plaisir. 350 copies prévues.

Peut-être de l’export car c’est la bonne humeur française, sans la gnangnanterie de Becker, avec notre mode de vie qui est somme toute une bonne manière de lutter contre le terrorisme. Nous sommes terrasses, nous sommes troquets ! Là, c’était dégustation de Juliénas bio.

Prochain projet ? Jean Dujardin, qui avait déjà été approché pour « Saint Amour », tout comme Dupontel, est prévu pour un rôle principal autour de la chirurgie esthétique.

 

 

 

[Ciné] 8 salopards : un interminable « Reservoir dogs » dans le blizzard ou de huis clos à enclos 8.

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8 salopards, The hateful eight, Quentin Tarentino, 2015

Avant-première : 70 mm Ultra Panavision. 5 cinés en France. Au Cézanne à Aix-en-Provence (3 séances complètes le 30 décembre), ils ont dépoussiéré le Zenith x 6500 TH Cinemecanica pour un format 2:76, soit plus large que le Scope, avec optique anamorphique. Un objectif spécial a été fabriqué et passe de cinéma à cinéma. La résolution est 3 à 4 fois supérieure à une classique copie 35mm. Le format initié en 1955, connu pour Ben Hur (W. Wyler, 1959 mais l’ancien directeur du Zola à Villeurbanne me signale qu’il s’agit plutôt d’un 65mm) ou Les Cheyennes (Cheyenne autumn, John Ford, 1964) entre autres, a été utilisé la dernière fois en 1966 pour Karthoum (B. Dearden). Ici, maigres bandes noires au bord, images scintillantes notamment dans les trop rares scènes de neige où l’on observe chaque flocon tant la résolution est fine.

Une queue longue jusqu’à la rue Laroque/Saint Lazare, vers le ciné Mazarin que Jean-Cul God avait la velléité d’acheter fût un temps, jusqu’à empêcher les voitures de passer ; un photographe pro (journaliste ?) immortalise la scène sur son trépied. Des remerciements à la SND production.

Blizzard, Blizzard, vous avez dit blizzard ?

Dans la lignée westerns spaghetti Django Unchained (2012), hommage au Django (1966) du paresseux Sergio Corbucci, également réalisateur de Le grand silence (Il grande silenzio, 1968), The hateful eight, largement inspiré de Bonanza et de Dragon inn (Long men kezhan, King Hu, 1967), est un western en huis clos, avec peu de référence à Aldrich, et un suspense à la Reservoir dogs (1992, 99mn !) mais de 3h07 avec, en plus, un entracte de 12mn avec force groom (« la groom attitude » sic). Et 8 mn de plus pour la version 70mm.

5 longs chapitres : « Last Stage to Red Rock » (« Dernière escale à Red Rock »), « Son of a Gun » (« Fils de flingue »), « Minnie’s » (« Chez Minnie »), « The Four Passengers » (« Les Quatre passagers »), « Black Night, White Hell » (« Nuit blanche, enfer noir »).

Voici l’histoire, qui tient sur un timbre-poste : parvenue sur les hauteurs, en plein blizzard, la diligence est stoppée par le major Warren (Samuel L. Jackson), un chasseur de primes qui vient de perdre sa monture mais qui se trimballe les cadavres gelés des renégats qu’il a abattus. Warren n’est pas le bienvenu dans le véhicule qui a été loué par John Ruth dit « Le bourreau » (Kurt Russell), un autre chasseur de primes qui se rend à la ville la plus proche, Red Rock, afin de faire pendre sa prisonnière, Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh), une harpie qui, à l’instar de Calamity Jane, jure comme un charretier. Se méfiant l’un de l’autre, les deux hommes décident néanmoins de faire la route ensemble. Bientôt, ils sont accostés par Chris Mannix (Walton Goggins; Mannix : sûrement une référence à la série policière), un ex-renégat sudiste qui se présente comme le nouveau shérif du coin. Le gars embarque à son tour et la tension, tout comme la tempête, franchit un nouveau cap. La piste devient impraticable et il est décidé que la petite troupe fera halte au prochain relais de diligence. Là, Warren découvre que les gérants, connus pour leur esprit sédentaire, sont partis en voyage. Mais d’autres individus, eux aussi victimes des intempéries, sont installés dans la pièce principale de la bâtisse. Des gars pas franchement patibulaires mais presque, comme aurait dit Coluche: un ex-officier confédéré (Bruce Dern), un Mexicain prénommé Bob (Demián Bichir), un bourreau officiel (Tim Roth) et Joe Gage (Michael Madsen), un cow-boy lourdement armé qui fait rire l’assemblée avec ses sourcils en circonflexe lorsqu’il prétend n’être venu que pour passer Noël aux côtés de sa maman ! Warren et Ruth comprennent vite que tous ces spécimens de l’Ouest sauvage ne sont pas ici par hasard et que la nuit promet d’être longue … Le cluedo peut commencer.

2 parties, 2 sous-parties

La première partie (bobines 1 à 6) est interminable et verbeuse (mais pas de débat sur Madonna !), à la limite du théâtre filmé, n’eût été le fugitif paysage neigeux des Rocheuses vers Telluride (sud-ouest Colorado) au début. La première scène fait écho à celle de Inglorious Basterds (2009). Et ça cause, ça cause, ça délaye. De l’action enfin à 1h30 de film !

Le gimmick de la porte à ouvrir à grands coups de pieds et à fermer avec planches et clous, gage d’authenticité, à cause d’un blizzard qui tarda à venir à cause d’un hiver doux, est fatiguant à force de répétitions. Des coups de latte, pas de baisers. Je me suis rarement emmerdé à ce point-là.

Le bleu studio qui transparaît à travers les fenêtres à l’extrême droite et gauche, voire l’inverse, n’est pas du meilleur effet.

Nuit des longs rustauds. La deuxième partie (bobines 7 à 10) est Buitoni comme attendu mais franchement un pendu avec au bout de la main un morceau de bras sanglant avec des gens qui gerbent du sang comme une éjaculation faciale, il y a complaisance gore au point de faire rire tout le monde. Leigh est toute fière de montrer ses faux chicots défaillants à force de prendre des baffes dès qu’elle parle.  Un film d’hommes, des vrais, qui en ont … Quelques plans au ralenti tout comme le son (cf. Raging bull, Martin Scorsese, 1980), des plongées, des gros plans à la Leone, ainsi que des contre-plongées émérites mais où Tarentino aime bien se voir filmer et cajole son chef op’.

Les acteurs s’activent

Le spectateur prend plaisir à voir évoluer, quoique trop lentement, des comédiens qui s’amusent. Tim Roth (Mister Orange) en Court-sur-pattes a un rôle de cruel précieux à la Christoph Waltz qui a été pressenti, tout comme Viggo Mortensen mais n’a pas pu intervenir pour des raisons de plannings. Une tirade à la Shakespeare, chez qui les acteurs ne sont pas ce qu’ils paraissent, fait mourir de rire. Bruce Dern est excellent et nous enterra tous par son talent : ne bougeant pas de son siège – et pour cause, il irradie par sa présence. Jennifer Jason Leigh, loin de Le grand saut (The hudsucker proxy, Frères Cohen, 1994),  en fait des tonnes mais c’est à cause de la direction d’acteurs de Tarantino. Elle y va de sa petite chanson dans la tradition de l’actrice music-hall et film de western. Russell (Ruth le Bourreau), sorti des  mites, est méconnaissable; il impressionne par son épaisseur à tous les sens du terme. Madsen en Gage La Grogne cabotine comme Mr Blonde. Samuel L. Jackson est toujours bonard de huis clos (diligence) en huis clos (relais).

Amusant d’ailleurs après sa version de Django, ce croisement entre les racismes blancs/noirs, noirs/chicanos (« amigo negro » par le Mexicain, Demián Bichir). Sourd en creux l’hommage à Barack Obama à travers Lincoln qui, ne l’oublions pas (Vers sa destinée, Young Mr Lincoln, J. Ford, 1939; Lincoln, S. Spielberg, 2012), fut d’abord esclavagiste. C’est une réflexion, loin de vérité et réconciliations, sur les séquelles de la guerre de Sécession sur toute une nation : la violence, principe fondamental de la liberté là-bas, est dans l’ADN du pays sans nom. Obama s’y casse actuellement les dents, la NRA est puissante, les meurtres de noirs par des flics continuent en toute impunité.

L’image christique chez l’italo-américain brille par son insistante absence avec le martyr, le chicano qui joue à un doigt « Il est né le divine enfant », « la statue du Christ abandonnée dans une plaine enneigée renvoie à l’idée qu’il n’y a plus de Dieu. Il n’est donc pas question de rédemption ou de pardon » (Q. Tarentino).

Musique maestro !

Le point fort du film est une musique originale de l’ombrageux maestro de 87 ans, Ennio, avec une superbe ouverture opératique digne de Maurice Jarre dans Lawrence d’Arabie (David Lean, 1962), avec un magnifique thème au hautbois (l’arrivée des méchants), des cordes tendues rajoutant de la tension, une trompette à la fin et quelques séquences avec une magnifique voix féminine éthérée. Dire que le musicien avait initialement refusé. Tarantino avoue avoir été déçu par la partition originale : elle est pourtant à la fois populaire et savante, une superbe synthèse qui couronne une carrière de compositeur bien remplie.  Ennio semble beaucoup plus subtil que le recycleur Quentin : « Je voulais qu’il [le film] ait ses propres sons. Je ne voulais pas que cette musique soit une pâle copie de ce que je faisais pour Leone ». Et toc pour le remixeur Quentin. Magnifique chanson de Jack White.

Gun fight

Son 8e film n’est pas son 8 et demi : un film chiant, que Tarantino caractériserait par « littéraire » mais non au sens européen, sans grande épaisseur, qui ne convainc pas d’autant que cela sent le plan B après la fuite du scénar précédent à Hollywood. Des pirates se sont encore amusés à diffuser l’intégralité du film sur le net. Même pour un caprice de cinéphile et lutter contre les hackers, je ne comprends pas pourquoi Tarantino utilise un format 70mm pour un film essentiellement en huis clos. Ici Saint Quentin, c’est Sing-sing : il s’enferme dans son système sans rien produire d’original. Franchement, que Tarantino se plaigne en outre que Walt Disney diffuse Star wars ( ) sur trop d’écrans, pendant que les 2 écrasent les films étrangers dont les français, cela fait rire tant l’hôpital se fout de la charité.  Si les producteurs et diffuseurs ne semblent pas très futés (le film sort en France à la rentrée des vacances de fin d’année), c’est surtout Tarantino qui s’essouffle malgré d’énormes moyens.  Préférons en intérieur avec violence, non La chevauchée des bannis (Day of the Outlaw, André de Toth, 1959) mais, dans un autre genre, Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who’s afraid of Virginia Woolf ?, Mike Nichols, 1966), d’après les écrits du dramaturge T. Williams.

 Il est tout de même très émouvant de voir du 70mm dans une salle où je vis à sa sortie les Affranchis (Goodfellas, Martin Scorsese, 1990) ou me déguisais pour L’étrange Noël de Monsieur Jack (The nightmare before Christmas, Henry Selick, 1993). Une douceur : un after eight ?

« Comrades », Bill Douglas, 1986

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Comrades, Bill Douglas, 1986

 

Simple is strong

La trilogie (My Childhood, 1972 ; My Ain Folk, 1973 ; My Way Home, 1978) en noir et blanc de Bill Douglas, resortie l’année dernière, est bien connue. Ici, le contraste est patent : tournage en couleurs, acteurs professionnels, film historique en costume. Un bijou conseillé plusieurs fois dans la vénérable émission Le masque et la plume (l’adjectif s’applique plus à son âge dans le service public qu’à ses critiques), a été diffusé depuis peu de temps : Comrades (1986). Enfin, le titre complet est : « Comrades, a Lanternist’s Account of the Tolpuddle Martyrs and What Became of Them » soit « Camarades, le récit d’un lanterniste sur les martyrs de Tolpuddle, et ce qu’il advint d’eux ». Ce film a gagné le trophée Sutherland au British Film Institute Awards en 1986. Il le mérite, et plus encore. Dommage que ce chef d’œuvre ait été bredouille d’un ours d’or à Berlin (1987).

Contexte

D’après des faits réels, il s’agit, lors des premières années du règne de la reine Victoria, d’une résistance sociale de laboureurs à Tolpuddle (non ce n’est pas le nom d’un pudding mais un village dans le Dorset au sud-ouest de la Grande-Bretagne en 1834), exploités par leurs propriétaires, qui se soudent dans la secrète Société Amicale des Laboureurs afin de réclamer un salaire décent qui leur permettrait de survivre (« How can we live on eight shillings a week ? »). Le curé du village, âme peu charitable qui voit son intérêt, s’acoquine avec les propriétaires et se goinfre, tel un Tartuffe. Suite à une dénonciation d’une coquette femme de propriétaire, après une parodie de procès, une bonne partie des membres est déportée en Australie (deuxième partie du film). Grâce à leur avocat en verve, un groupe de soutien se constitue : ils sont libérés en 1836, pour ceux qui ont survécu.

La partie australienne est épique, la fraternité, intacte. Un vautour dévore la carcasse d’un gardien zoophile, épisode sexuel censuré puis rétabli, alors que son chien, la queue basse, s’enfuit. George Loveless, le héros principal en prédicateur méthodiste, joué par Robin Soans, également présent dans The Queen (Equerry, Stephen Frears, 2006), discute fraternellement avec le jeune déporté Charlie. Ce dernier le trahit et le dénonce pour devenir un valet ridicule au visage peint en noir. Il n’est pas possible de ne pas penser postérieurement à La leçon de piano (The piano, Jane Campion, 1993). A noter que l’Australie façon Buñuel est également le pays où vit le père de Bill Douglas dont les relations sont compliquées.

Cette fresque (180’), entre Shakespeare, Dickens et Brecht, est à la hauteur de l’incroyable Heimat d’Edgar Reitz (1984-2013), de Faust de Sokourov et de Sous la ville (In darkness) d’Agnieszka Holland en 2011 et de Jimmy’s Hall (2014) de Ken Loach. Nous pénétrons dans la vie quotidienne des protagonistes. Histoire et histoires sont mêlées. Mais ici, c’est du cinéma pour le cinéma.

Histoire du cinéma

Bill Douglas, né en 1934 à Newcraighall (Ecosse), ville minière proche d’Edimbourg et mort prématurément mort trop jeune à 57 ans en 1991, a constitué une collection d’appareils de la période primitive du cinéma dans le Bill Douglas Museum d’Exeter. Le lanterniste du Dorset (Alex Norton de Glasgow) se démultiplie en treize personnages, un sergent facétieux, un montreur de diaporama, un cavalier, un aristocrate, un garde, un vagabond, un capitaine, un silhouettiste, un photographe, chacun équipé d’un appareil de projection différent : montreur d’ombres, kaléidoscope, diorama (grandes toiles peintes qu’un ingénieux système sons et lumières semble animer comme port de pêche au pied d’un volcan – l’Etna, en éruption, se modifie avec la lumière projetée derrière, prêté par le Musée des arts forains pour l’exposition « 120 ans de cinéma : Gaumont, depuis que le cinéma existe » au 104 du 15 avril 2015 au 5 août 2015), thaumatrope et lanternes magiques dignes d’un Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander, I. Bergman, 1982). Bill Douglas a écrit avant de mourir un scénario sur le précurseur du cinéma Eadweard Muybridge. Cinéphile, Bill Douglas, amateur de Renoir, Vigo, Bresson, Truffaut, pensait proposer le rôle de l’aristocrate à Catherine Deneuve qui échut finalement à Vanessa Redgrave.

Art & politique, voire l’inverse

Outre une réflexion politique de première main, avec l’émergence de la fraternité au sein d’un syndicalisme naissant grâce au Combination Act de 1825 autorisant la formation de syndicats, il s’agit d’une mise en abîme du cinéma qui réfléchit sur ses propres origines. Ici règnent le sens du cadre et les éclairages sublimes comme sa peinture du monde rural, baignée de clair-obscur digne du Caravage, De la Tour et Goya, de lumières jaunes et de tons fatigués à la Bruegel, Vermeer ou Millet, présents dans Tess (R. Polanski, 1979 adapté du roman de Thomas Hardy), Bruegel, le moulin et la croix (Mlyn i krzyz, 2011) de Lech Majewski. Le film est sujet au champ d’expérimentation sonore où une musique dissonante, une gamme de bruits industriels et surtout l’irruption du silence absolu expriment la colère et le découragement. Le film est aussi méditatif : parenthèses contemplatives, silence du paysage faisant découvrir la beauté, jeux de regards, scènes de la vie quotidienne, en campagne, en ville, dans le désert, dehors, partout. Ce film a nécessité 8 ans de réalisation en dehors des institutions avec péripéties (scénario mit 3 fois sur l’ouvrage, production avec le Channel 4 qui fait appel à Ismail Merchant, le producteur de James Ivory, homme de droite, opposé aux syndicats quand entre en scène Simon Relph, producteur plus travailliste de Reds (1981) de Warren Beatty, apaise les choses, même si le budget est explosé et que les financiers exercent une forte pression ; tournage avec crise d’appendicite d’un des acteurs principaux et une météo hostile obligeant l’équipe à prolonger son séjour en Australie de près d’un mois, montage d’abord de 3h15 avec un succès au Festival de Londres puis renvoyé pour un travail où il passe encore un an pour aboutir à 3h ne satisfaisant personne, tiraillé par les désirs contradictoires de Bill Douglas d’un côté, de Channel 4 et du distributeur britannique de l’autre, pour finir par un échec) lors de la période Thatcher. Il faut dire que l’humeur de Bill Douglas est fantasque, ses éclats sur le plateau sont connus, ce qui n’arrange rien. Ce n’est pas sans rappeler Peter Watkins tant sur l’usage d’un circuit particulier de production que sur une certaine exigence cinématographique et éthique, sur une autre perception de l’histoire. Un autre scénario reste inédit : une adaptation fantastique du roman gothique The private memoirs and confessions of a justified sinner, de James Hogg.

Chef d’œuvre !

       Pour moi, Comrades est un film aussi important que 2001 L’odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, 1968) de Kubrick : un film nécessaire. A vos toiles et/ou DVD ! « We only have to love one another to know what we must do » selon une réplique figurant sur la tombe de Bill Douglas.

[Ciné] Chère Charulata

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Charulata (চারুলতা, Satyajit Ray, 1964)

চারুলতা (1964) est le film préféré car le plus abouti, selon son metteur en scène, le bengali Satyajit Ray né à Calcutta en 1921 : « Je pense toujours que Charulata est mon meilleur film, parce que toutes les étapes de la fabrication du film, du script au re-recording, ont été réalisées avec plus de perfection que dans aucun de mes autres films » (Micciollo, Henri. Satyajit Ray. Lausanne : L’Age d’homme, 1981. Histoire et théorie du cinéma. 343 p.). Il est également compositeur de la musique originale et scénariste, en adaptant la nouvelle Nastanirh (The Broken Nest, 1901) du  Nobel bengali Rabîndranâth Tagore, traduit en France par le regretté Bhattacharya. Ray avait déjà adapté 3 ans plus tôt Tagore pour Trois filles (Teen kanya, 1961). La famille de Ray, une clique d’artistes, a fréquenté Tagore. Son grand-père détenait une imprimerie, où Ray a vécu 6 ans, que nous retrouvons ici : nous croyons sentir l’encre comme dans Violences à Park Row (Park Row, Samuel Fuller, 1952). Car c’est d’écriture sous toutes ses formes dont il s’agit : la politique (libéraux/conservateurs) avec le journal contre l’écriture créative, la poésie. Bengali, c’est important : Ray a toujours refusé d’être doublé ou traduit en hindi, langue dans laquelle sont produits les films de Bollywood. Ici, cela chante beaucoup mais de manière savante, pas comme une comédie musicale.

Dans une ambiance à la Jane Austen, nous nous situons vers 1880 à Bénarès, ville sacrée de l’Inde, capitale de la soie, de la musique et de l’industrie, au sein d’un couple de la bourgeoisie bengalie. L’anatomie est lente, au scalpel, avec des jumelles, comme la lente décomposition du couple, parallèle à celui de Roberto et Bergman, Voyage en Italie (Viaggio in Italia, 1953) de Roberto Rossellini, l’une de ses grandes influences. Et pourquoi pas Le Mépris  (Jean-Luc Godard, 1963) ? Charulata ou Charu (la fabuleuse et sensuelle Madhabi Mukherjee qui joua une fille du peuple un an avant dans La grande ville, Arati Mazumder, Satyajit Ray, 1963) passe ses journées à rêver, à broder, à lire dans l’immense maison où elle habite, car elle se sent seule. C’est l’occasion de travellings dans un immense appartement. Pour des raisons d’espace restreint, Ray utilise le zoom, sa marque de fabrique. A regarder avec des jumelles à travers les fentes des volets ou à ne rien faire du tout. C’est l’occasion de plans fragmentés sur la vie bengalie  en référence à une scène de La vipère (The Little foxes, William Wyler, 1941). Bhupati, son mari, est là constamment. Mais sa vie est ailleurs ; elle est toute entière consacrée à La Sentinelle, journal qu’il a fondé, qu’il rédige, qu’il finance avec sa grande fortune, et dans lequel il traduit, avec quelques amis, le profond désir de voir son peuple obtenir le droit de s’exprimer. Face aux Anglais qui, en cette année 1879, règnent sur la majeure partie de son pays, l’Inde. Pour assurer sa comptabilité, Bhupati fait venir Umapata (Syamal Ghosal), son beau-frère, avec son épouse, Manda. Pour meubler la solitude de Charulata, il appelle Amal (le célèbre Soumitra Chatterjee, acteur emblématique de Ray), un cousin fin lettré arrivant en pleine tempête shakespearienne. Il l’amènera à se cultiver. Jeux de regards : zooms. La maison devient plus animée et le temps s’écoule alors différemment. Progressivement, une complicité s’établit entre Amal et Charulata. La scène de la balançoire, métaphore du rapprochement, semble directement inspirée de Jean Renoir pour qui Ray a été l’assistant, non crédité, pour Le Fleuve (The River, 1950). Et Charulata parle, raconte, se raconte. Elle se met aussi à écrire. Séduite également par la personnalité d’Amal, Manda, qui ne pense qu’à jouer aux cartes pour tuer le temps, est jalouse. En avril, les libéraux gagnent les élections en Grande-Bretagne ; c’est un espoir pour Bhupati et ses amis. Simultanément, à la surprise de tous, un texte de Charulata est publié, par jalousie d’un pacte trahi, dans un important journal du Bengale. Et Charulata se rapproche encore d’Amal. C’est un amour naissant mais aussi un parcours initiatique dans l’écriture. Bientôt, alors que Manda et son mari sont repartis, Bhupati découvre les malversations de celui-ci. C’est la ruine, la fin de La Sentinelle. Amal décide à ce moment-là de s’éclipser. Voilà Charulata et Bhupati face à face, tristes l’un et l’autre. Mais grâce à la jeune femme, l’espoir renaît : elle suggère leur collaboration pour un nouveau journal. Peu après, par une réaction de Charulata, Bhupati comprend ses sentiments pour Amal. Et il se renferme sur lui, hésite. Mais Charulata est là qui tend la main en une magnifique séquence photo (La Jetée de Chris Marker est sorti en 1962), symbole d’éternité du couple, Shiva et Mînâkshî. Nous songeons à Zweig, à la Lettre d’une inconnue (1922 ; Letter from an unknown woman, adaptation en 1948).

Un film honoré justement par un Ours d’argent à la Berlinale en 1965 tout comme son film précédent, La grande ville, Arati Mazumder, Satyajit Ray, 1963. Le film n’était sorti en France qu’en 1981 ! Toujours à côté de la plaque, les Cahiers du cinéma, qui se sont rattrapés avec l’édition de Tesson, Charles. Satyajit Ray. Paris : Cahiers du cinéma, 1992. Auteurs. 220 p., arguaient que Ray tournait un cinéma contaminé par l’Occident, l’Angleterre notamment, la mauvaise foi de Truffaut en tête pour qui il n’existe pas de cinéastes anglais (Hitch ? Powell ? McKendrick ? etc.). C’est à l’occasion du centenaire du cinéma indien (dont la première projection d’un film indien est datée du 21 avril 1913) que Charulata fut l’objet d’une restauration complète. Il fut projeté lors du festival de Cannes Classics en 2013. Si c’est un peu ennuyeux, cet Antonioni indien est pure délicatesse. Un très beau portrait de femme, toute en nuances. A noter que le film sert de référence à la kitscherie de Wes Anderson pour A bord du Darjeeling Limited (The Darjeeling Limited, 2007). Il est possible d’entendre, à plusieurs reprises, la musique composée par Satyajit Ray en personne pour Charulata quelques cinquante ans plus tôt.

[Ciné] La concorde de Costa

Quoi de plus normal qu’un participant à Lumière et compagnie (1995) à l’Institut Lumière ? Lutte ouvrière distribue des tracts jaunes en soutien à la Grèce. Rencontre avec Costa-Gravos pour sa rétro (où est Missing, 1981 entre autres ?) à l’Institut Lumière après Cannes classics. La bonne conscience de gauche est là : Toubiana, qui va enfin bientôt partir à la retraite de sa Toubianthèque, Régis Debray, voûté, l’excellent acteur et producteur Jacques Perrin … Tavernier, encensé à la Mostra 2015 pour ses 40 ans de carrière, n’a pu venir.

       Costa se sent français. Il n’a jamais pensé être metteur en scène en France. Il arrive en France en 1952 où il étudie à la Sorbonne puis à l’Idhec, attiré par la mention du Louvre sous les photos. Il fit un stage chez Yves Allégret comme deuxième assistant avec Claude Pinoteau. Il travaille avec R. Clair, J. Giono, H. Verneuil, R. Clément, Marcel Ophuls, etc. Un livre le passionne : Compartiment tueur (1964). Le secrétaire du studio, Julien Derode, s’intéresse à ce scenario à la façon de Clouzot sur le fondement d’une adaptation romanesque. Problème : les droits ne sont pas libres, bloqués pour deux mois. Il contacte Jacques Perrin et la fille de Simone Signoret, Catherine Allégret. Konstantinos avait connu la Signoret sur Le jour et l’heure (1962) de René Clément. Du coup Montand lui demande un rôle, Costa lui propose de choisir. La roulette s’arrête sur le commissaire, rôle à contre-courant eu égard à la lourde atmosphère due à la guerre d’Algérie. Costa lui demande de prendre l’accent du midi, Ivo refuse car il ne veut pas être Fernandel. Costa avance l’idée de le doubler. Yves cède. Les financements arrivent automatiquement au regard des têtes d’affiche. Frémaux rempile sur l’anecdote déjà citée lors de la rétro Sautet au Festival Lumière 2014 : Vittorio Gassman était pressenti pour César et Rosalie (1972) mais celui-ci refusa car il s’agissait du rôle d’un cocu (cornuto). C’est Montand qui décrocha finalement le rôle.

       Pour Costa-Gavras, ses films ne sont pas politiques, c’est le hasard qui l’amène à traiter certains sujets. Pour Z (1968) il s’agissait pour Semprún de parler du mur à travers les colonels. L’Aveu (1969) est un film de rupture. Bien qu’il n’ait jamais été encarté chez les communistes, les gens étaient schizophrènes (Staline contre Hitler, la Kolima). Semprún s’est inspiré d’Arthur London. Les amis communistes ont tourné le dos à Costa-Gavras, y compris certains acteurs du film (« tu fais une mauvaise action »). Le frère de Montand, Julien, était un haut dirigeant dans le PCF. Selon Frémaux, il s’agit d’une distanciation entre le pays où se déroule l’action (la Tchécoslovaquie) et la langue adoptée (le français). L’acteur Jacques Rispal était communiste puis exclu pour avoir aidé des algériens. Pour Section spéciale (1974), présent au festival Lumière 2015 avec restauration et nouvel étalonnage, certains disaient : « voilà tous les cabots de Paris ». Gravos eut des problèmes avec la censure. Costa-Gavras aime les acteurs : il faut chercher là où ils sont, ne pas les réduire à leur étiquette. Semprún fait ici son premier film sur la France. Costa-Gavras l’a rencontré chez Montand du temps où Jorge appartenait au PC espagnol. Il lui passe son roman, Le grand voyage sur les camps. Si Frémaux souligne, à tort, la traversée actuelle du désert de l’actrice, Costa insiste sur l’importance de Signoret, de son influence sur les médias (une Une gagnée auprès de Lazareff pour défendre un condamné à mort espagnol). Elle était respectée pour son franc-parler au pays sans nom outre Atlantique. Quant à Chris Marker, Signoret l’a connu au lycée. Il apparaît de profil sur une photo de Costa-Gavras, à la galerie de l’Institut, rue de l’Arbre sec.

       C’est l’un des français qui a le plus travaillé à Hollywood. Sa femme l’a prévenu : l’argent, c’est aux USA, la création en Europe. Elle est productrice et soutien du metteur en scène qui, probablement, n’aurait pu réaliser ses films sans elle. Le succès de Z (1968), les oscars, lui ont ouvert les portes dont celle d’Hollywood. De nombreux scénarios lui sont proposés : tous relatent un assassinat. Il refuse Le Parrain?, Coppola, 1972), adapté d’un roman médiocre, car il ne connaît pas bien l’Italie et l’ambiance mafia. Il tourne Missing (1981). S’il travaille aux Etats-Unis, la postproduction est française. Selon Costa, pour les acteurs, le metteur en scène reflète le rôle qu’ils doivent jouer. Il en fut ainsi, par exemple, avec Jack Lemon. Frémaux évoque Jean Yanne qui était l’ami de Costa et qui joua dans Hanna K. (1983), un film totalement raté tant les ficelles de scénario sont grosses, dont l’actrice principale, Jill Clayburgh, était enthousiaste de jouer un rôle difficile qui la sortait de sa routine théâtrale. Il a fait beaucoup d’allers et retours entre Hollywood et l’Europe pour revenir dans le vieux continent car il s’ennuyait avec sa batterie de scénaristes qui pondaient des textes à la pelle digne de l’assolement triennal. Dans le ronron, Costa s’ennuie.

       Séance de questions. Sur Musique box (1989), il évoque le plaisir de tourner avec Jessica Lange. Il a refusé Jane Fonda, que le studio voulait lui imposer, car elle ne la trouvait pas juste pour ce personnage. Pour Costa-Gavras, le cinéma est une question de rythme ; le cinéma est un spectacle.

Sur la Condition humaine, il s’y est cassé les dents comme beaucoup de réalisateurs, notamment à cause du comportement insupportable du producteur italien Carlo Ponti.

Sur Clair de femme (1978), Gary a loué la seule adaptation au cinéma fidèle d’un de ses livres.

Sur mon interrogation concernant Monsieur Klein (1975), il répond qu’il avait un sujet de départ avec son scénariste habituel, Solinas, sur un antisémite qui doit prouver qu’il n’est pas juif pendant la seconde guerre mondiale. Costa en a parlé à Belmondo qui était intéressé. Le problème était que les producteurs ont pris peur à cause des personnalités de Costa et de Belmondo : ils craignaient d’avoir moins de pouvoir. Ils ont laissé traîner à coup d’avocats. Belmondo, qui aurait incarné le français moyen,  ne voulait tourner qu’avec Costa-Gavras. Ils ont donc abandonné tous les deux. Le projet a été récupéré par Jo. Losey, arrivé bien après, qui voulait faire appel à Gavras qui a refusé ; si Losey en a été interloqué, Delon a tenté de le convaincre également, sans succès.

Pour Z (1968), il recherchait de l’argent. Les acteurs ont tous acceptés. Le problème est qu’il voulait tourner en Italie, ce qui n’a pu se faire. Heureusement, quelqu’un lui a glissé l’idée de contacter un Ministre en Algérie. Celui-ci accepta de lui offrir les lieux mais sans un radis. C’est Jacques Perrin qui a produit le film. D’où sa présence pour présenter Z (1968) ensuite.

       Kepenekian, le médecin grâce à qui nous avons un musée de la Médecine à l’Hôtel-Dieu à Lyon, fait un laïus (moi arménien, toi grec ; une mention concernant la disparition récente du regretté érudit du cinéma, Raymond Chirat) pour lui remettre la médaille de  la Ville de Lyon au nom de Collomb. A la découverte de la plaque sur le mur des réalisateurs rue du Premier Film, il se bat pour être sur la photo au côté de Régis Debray qui enseigna un temps à Lyon. Si les films de Costa-Gavras sont au gros sabot, c’est une personnalité plutôt attachante car modeste parce que lucide.

[Ciné] Louons Herz pour ce surréel chef d’œuvre d’humour noir

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L’incinérateur de cadavre (Spalovač mrtvol, The cremator, Juraj Herz, 1969)

Un ton unique

       « Rien n’est sûr dans la vie, sauf la mort » : avec cette phrase répétée, digne d’un Oscar Wilde, le ton kafkaïen est donné. Dès la séquence de départ, avec cet enchaînement de gros plans sur les membres de sa famille et sur des détails d’animaux en cage au zoo, conclue par un portrait de groupe reflété dans un miroir déformant comme dans les foires, le décor est planté dans cette adaptation du roman de Ladislav Fuks, co-scénariste du film. La tache fut particulièrement délicate à relever puisqu’il fallait refondre l’intégralité de la narration, inadaptable en l’état. Dans le livre, l’auteur se contentait surtout de renvoyer l’horreur des situations à l’imaginaire pathologique du personnage tandis que Herz, dans une adaptation anxiogène, insiste sur l’irrésistible ascension du protagoniste jusqu’au au faîte du pouvoir avec ses projets grandioses de fours crématoires collectifs.

L’incinérateur Kopfrkingl est incarné par la vedette du cinéma tchèque, déjà vue dans l’enchanteur Le baron de Crac (Baron Prásil, Karel Zeman, 1962 probablement inspiré par le court métrage Monsieur de Crac ou Le baron de Crac, Emile Cohl, 1912), Rudolf Hrušínský. Les apparitions énigmatiques du visage de Helena Anyzova (Eros/Thanatos ? Métaphore de la Tchécoslovaquie ?) remémorent l’interprète centrale de Valérie au pays du merveilles (Valerie a týden divů, Jaromil Jireš, 1970, adapté du roman Valérie ou la semaine des merveilles de Vítězslav Nezval, écrit en 1935), autre classique du fantastique tchécoslovaque tourné à la même période. Les personnages secondaires sont grotesques : un allemand fielleux clamant son nazisme et son aryanisme, le couple dont la femme crie toujours sans raison et dont le mari se plaint tout le temps.

Qui est Herz ?

       Juraj Herz est né en 1934 dans la partie slovaque de la Tchécoslovaquie. Arrêté avec sa famille par la milice Hlinka,  à dix ans, Herz, passe successivement par trois camps d’extermination : Auschwitz, Ravensbrück (qui inspirera son film Je fus surpris par la nuit, Zastihla mě noc, 1996) et Sachsenhausen. En 1954, il entre à l’École supérieure des arts de la scène de Bratislava pour étudier la photographie. Il part étudier la mise en scène à l’académie de Prague des arts du spectacle (DAMU), où il reçoit les cours de direction de marionnettes de Jan Svankmajer. En 1960-1961, il travaille comme acteur et metteur en scène au théâtre Semafor. Il devient ensuite assistant réalisateur aux Studios Barrandov, notamment sur des films de Zbyněk Brynych comme Transport z raje et Neschovávejte se, když prší (1962). Il est également réalisateur adjoint sur le film Le Miroir aux alouettes (Obchod na korze, Ján Kadár,  Elmar Klos, 1965). Il joue aussi comme acteur dans quelques films des années 1960 : Jo Limonade d’Oldřich Lipský (1964), Dýmky de Vojtěch Jasný (1966) ou des films de Jan Švankmajer.

L’Incinérateur de cadavres est son premier film tourné, soit en 1968-69. S’il a les mains libres, profitant du relâchement de la censure dans un climat de liberté et de créativité exceptionnel, tout en obtenant le financement nécessaire, les chars soviétiques entrent à Prague en août alors que le film est à peine terminé. Des scènes sont coupées. Le film est projeté au pays et à l’étranger, récompensé lors du Festival du Film Fantastique de Sitges puis interdit par le régime communiste. Il sera redistribué vingt ans plus tard à travers le monde ; il bénéficiera de diffusions régulières au cinéma parisien Accatone.

Dans son autobiographie, sous-titrée Autopsie d’un réalisateur et publiée en 2015 aux éditions Mladá fronta, Herz note : « J’ai tourné ‘L’Incinérateur de cadavres’, et j’avais en réserve déjà les projets de quatre films. Je n’ai finalement pu en réaliser aucun parce que le régime communiste ne me l’a pas permis. Et tous mes autres films n’étaient pas les sujets que je voulais faire. ‘Les Lampes à pétrole’ ou ‘Morgiana’ ne correspondaient pas à mes désirs de réalisation. Après avoir tourné ‘L’Incinérateur de cadavres’, j’avais à ma disposition trois romans de Ladislav Fuchs, et le scénario, d’abord autorisé puis interdit, de l’adaptation du ‘Surmâle’ d’Alfred Jarry. ».

La Normalisation en Tchécoslovaquie s’impose. Herz se tourne alors vers l’adaptation de contes, qu’il fait cependant pencher vers le fantastique,  l’horreur et le grotesque, on ne se refait pas, comme La Belle et la Bête (Panna a netvor, 1978) ou Le Neuvième Cœur (Deváté srdce, 1979, d’après E. T. A. Hoffmann). En 1987, il part en Allemagne travailler pour la télévision. Il réalise d’autres contes, comme Le Roi Grenouille et deux épisodes de la série télévisée Maigret en France, incarné par Bruno Cremer (Maigret tend un piège et Maigret et la tête d’un homme, 1996). Il revient en République tchèque pour adapter un roman de Karel Pecka, Pasáž (Passage, 1997). Il retrouve grâce à une coproduction franco-belge une liberté créatrice : il nourrit le projet de réaliser un « thriller avec des éléments d’horreur ».

De l’incinération comme un des beaux-arts

Si, comme dans Trains étroitement surveillés (Ostre sledované vlaky, Jirí Menzel, 1966, Oscar du meilleur film étranger), l’intrigue se déroule durant la conquête de l’espace tchèque par les nazis,  les auteurs dénoncent le conformisme des petites gens en faisant la chronique d’un fascisme ordinaire. Le cinéaste ausculte la lente dérive d’un homme banal vers la collaboration consentie et l’impact que cela entraîne sur l’ensemble de sa famille.

Cette thématique est typique du début des années 1970 dans le cinéma européen, avec Le conformiste (Il conformista, Bernardo Bertolucci, 1970) dans lequel un homme devient l’instrument des manigances fascistes alors que se profilent les années de plomb, ou Lacombe Lucien (Louis Malle, 1974), narrant le parcours d’un collaborateur. Progressivement, Kopfrkingl espionne ses voisins juifs, ses collègues, les membres de sa famille.

Nul tampon sur les fesses ici mais un humour macabre réjouissant : réalisant que ses proches auraient du sang juif, il procédera à l’élimination systématique de sa famille ; il va donc inviter sa femme, qu’il nomme « céleste » en célébrant fréquemment son mariage tout en rendant visite aux « masseuses », à prendre un bain pour la pendre ; il « sauve » son fils, à qui il a reproché une amitié avec un boxeur juif alors qu’auparavant il le trouvait trop efféminé, en se disant que finalement la barre de fer n’est pas si inutile comme il l’avait remarqué à M. Dvořák (« Nous allons mettre Dvořák, Monsieur Dvořák »), joué par Jiří Menzel ; il poursuit sa fille en caméra subjective entre les cercueils du crématorium pour l’assassiner ; il répète nombre de fois «  Je suis abstinent, pas d’alcool, pas de cigarettes », use de son peigne en main pour maintenir sa raie, comme sur les cadavres, dans ses cheveux gominés sur son visage rond et bonasse, dégoulinant et obséquieux d’une personne obsédée par la réussite, le gain et la morale bourgeoise, voire mielleux avec sa voix calme et profonde d’un récit entièrement en monologues, en même temps qu’autoritaire et terrifiant jusqu’à la folie et l’horreur comme dans les interprétations de Peter Lorre. Kopfrkingl justifie sa besogne en se rapportant aux théories bouddhistes qu’il arbore à l’aide d’un gros livre à la couverture significative. Un corps n’accède à la réincarnation qu’une fois totalement dégradé. Durant les vingt années que prend la désagrégation des restes, l’âme se voit donc emprisonnée. La crémation s’avèrerait une technique intéressante car elle accélère l’accès à la prochaine incarnation. Il libère les âmes pour leur bien.

En se concentrant sur le destin d’une unique famille, le réalisateur fait prendre conscience de l’horreur d’une idéologie qui contamine peu à peu les esprits, jusque dans rêves dénonçait Klemperer, au point de leur faire admettre l’impensable. Par renversement sémantique, le monstre se persuade d’être un bienfaiteur et de servir l’humanité en la précipitant dans un gouffre sans fond.

Une scène, bergmanienne, marque : Kopfrkingel traîne femme et enfants dans un musée de cire où sont exposés les grands assassins. Les figures de cire sont incarnées dans le film par des acteurs affreusement grimés, produisant ainsi une étrange impression.

La forme au service du fond

La technique est impeccable. Les collages du générique rappellent la dextérité des tchèques concernant, non seulement l’animation, mais aussi les collages (notamment Jiří Kolář). Juraj Herz et son chef opérateur Stanislav Milota utilisent un noir et blanc tranché tendant vers un expressionnisme radical souligné par des acteurs aux visages atypiques et grimaçants, usent du grand angle pour déformer les images (objectif 9.8, équivalent du fisheye), focalisent sur des détails, jouent de plans intercalaires brefs évoquant le jaillissement d’idées, d’images mentales, se servent, via Jaromír Janáček, du montage abrupt à la Eisenstein pour provoquer des collisions insolites porteuses de sens. Un procédé magistral est réitéré quant aux faux raccords volontaires dignes d’un Godard : le réalisateur nous laisser croire qu’un plan se déroule dans la continuité d’une scène alors que le contrechamps qui le suit nous prend au dépourvu, révélant que nous avons changé de lieu et d’interlocuteur, sans que le montage ne nous ait averti d’un changement de séquence. En fait, le cadre est toujours en plan rapproché et raccorde sur un bout de réplique puis décadre en plan large pour nous montrer que nous sommes passés dans un autre décor, dans une autre scène. La continuité verbale est donc illogique entre deux séquences puisque le personnage dit en fait sa réplique de la scène précédente au début de la scène suivante. Le spectateur est désorienté, d’autant qu’il rentre progressivement dans la tête du déséquilibré. Dans la même logique, un plan sans coupe visible nous fait passer sans transition d’une synagogue à un bordel accueillant une orgie nazie ! A la fin, il accède à la béatitude du meurtre en plongeant dans un Nirvana crématoire alors qu’il se perçoit comme une sorte d’ange exterminateur bienfaisant ! Buñuel exulte ! La musique entêtante de Zdeněk Liška jouant sur les chants d’outre-tombe renforce, sans appuyer, l’ambiance glauque. Le travail sonore, accentuant l’aspect fantastique, est minutieux : un papier froissé, un bâton qui tombe, des pas qui claquent.

Shoah

Entre Le Dictateur (The Great Dictator, Charlie Chaplin, 1940), Le vieil homme et l’enfant (Claude Berri, 1967) et Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976), Au Revoir les Enfants (Louis Malle, 1987), Herz évoque la Shoah lorsque l’incinérateur devenu un monstre en se croyant le sauveur de l’humanité, projette son esprit dément dans la solution finale avec le crématoire pour tout le monde alors qu’il s’imagine en Dalaï-Lama, avec pour toile de fond les détails, parfois en gros plans,  du tableau de Jérôme Bosch sur l’enfer.

Un film qui a non seulement inspiré Lucile Hadzihalilovic, proche de Gaspar Noé, qui nous l’a présenté lors de sa carte blanche pour Hallucinations collectives, mais aussi David Lynch et les frères Quay entre autres. Un pur chef d’œuvre.

[Ciné] Ayons cure de « Lord Jim »

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Lord Jim, Richard Brooks (1965)

Brooks, écrivain, est un amateur de littérature. Son mentor, c’est Huston, pour qui il adapte la pièce Key largo (1948). La décennie 60 est sa plus grande période (Capote, Sinclair). Cette adaptation du cinquième roman de Conrad (1857-1924 ; magnifique jeu de mots sur Patusan et Patna) lui tenait à cœur, même si elle n’était pas évidente à faire à cause des digressions philosophiques voire métaphysiques (d’où une voix-off à la présence constante) ; il a mis plusieurs années pour faire aboutir son sujet. Brooks a dû élaguer considérablement afin de tourner un film d’aventure (tempêtes en mer, batailles dans la jungle, bons et méchants, amour et serments sous les palétuviers). Durant trois ans, il relit et annote le scénario. Il a eu du mal à trouver de l’argent. Le film a coûté très cher à l’époque, il n’est pas rentré dans ses frais. En outre, les éprouvantes conditions de tournage au Cambodge étaient difficiles : conditions climatiques déplorables dont la chaleur insoutenable ; les serpents (Peter O’Toole en trouve un dans sa soupe ! Un membre de l’équipe mourut des suites d’une morsure de serpent) ; les moustiques ; le coût onéreux ; les acteurs obsédés par leur confort. O’Toole ne se montrera pourtant guère satisfait du rôle (« C’était une erreur et j’ai commis cette erreur parce que je suis conservateur et que j’ai joué en toute sécurité. Et de cette façon arrive l’échec ») qu’il n’acceptera que dans la perspective d’un tournage dépaysant en Asie. Les rapports entre le président Norodom Sihanouk et les Etats-Unis se tendaient à cause de la guerre du Vietnam et souhaitait se rapprocher avec l’URSS et la Chine. Un père ressemble un peu à Ho Chi Minh d’ailleurs. Autant dire que l’équipe hollywoodienne était indésirable Il gèle en partie les avantages consentis à la production en plein tournage, notamment en remplaçant les figurants par 300 soldats cambodgiens chargés d’espionner le déroulement des opérations. Il voulait tourner en Asie du Sud-est contre l’avis de la Columbia : si l’action se déroule en Indonésie, il sera tourné au Cambodge dont une partie à Angkor. Brooks jugeait que le studio n’était plus pertinent au temps du tourisme de masse où les gens connaissent des décors exotiques.

L’accueil n’a pas été très bon : c’est même l’un des échecs les plus retentissants des années 60 et plus spécifiquement de la Columbia qui voulait profiter du succès de Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, David Lean, 1962) que le même studio avait produit. Le film étant éreinté à sa sortie, jusque par ses acteurs, à l’égard du scénario, du réalisateur, O’Toole, qui avait mis des sous dans l’affaire, est déçu de sa prestation, gêné par les propositions de rôles torturés après Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, David Lean, 1962). Le film avait un double handicap. La comparaison avec le livre (Brooks pensait à libérer les mots car le cinéma est purement visuel, l’image s’adresse à la sensibilité des spectateurs) en ayant édulcoré le propos notamment sur la définition fantomatique de Jim, évanescent et omniprésent. Le film détonne sérieusement dans le paysage cinématographique des années 60 par son pessimisme et sa radicalité dans le traitement des personnages. Ce serait en outre une resucée de Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, David Lean, 1962) car l’acteur principal, Peter O’Toole, et le chef opérateur, Freddie Young, appartenaient à la même équipe. Brooks pensait qu’O’Toole était parfait pour un héros tourmenté. « Lord Jim aurait dû être un petit film, a expliqué Brooks. Le problème est qu’il a grossi trop vite. C’est une histoire intérieure, dans l’esprit du héros, et nous aurions dû être petits et non grands. C’est malheureux et c’est partiellement de ma faute. » Richard Brooks césure brutalement dans son montage la transition entre le capitaine vertueux et le lâche en fuite sur sa barque, comme s’il s’agissait de deux êtres différents. Même si Conrad est américano-polonais, la tentative de la deuxième chance (Elmer Gantry, le charlatan, Elmer Gantry, 1960 ; Doux oiseau de la jeunesse, Sweet Bird of Youth, 1962 ; Les Professionnels, The professionnals, 1966 ou La Chevauchée sauvage, Bite the Bullet, 1975) est un thème récurrent dans la littérature américaine. « Une idée surtout m’intéressait, l’idée de la seconde chance, explique Richard Brooks. Je crois que c’est un thème universel, un sujet particulièrement humain ». Il surenchérit : « Parmi les différents thèmes utilisés dans Lord Jim, un en particulier demeure présent en ma mémoire depuis que j’ai lu pour la première fois le livre au lycée : c’est le thème de l’homme qui cherche et trouve une seconde chance. C’est un thème commun à la plupart des hommes. Qui, parmi nous, homme, femme, enfant, faible ou fort, riche ou pauvre, puissant ou sans pouvoir, sans distinction de race, de nationalité, d’éducation, de religion, civilisé ou sauvage, instruit ou pas – qui, parmi nous, n’a pas supplié pour qu’on lui donne une seconde chance? (…) N’avons-nous pas tous cherché, à un moment ou un autre, à remettre les choses en place ? C’est l’épine dorsale du film. ».

La distribution est prestigieuse : Eli Wallach en double de Kurtz, James Mason en mercenaire manipulateur, Daliah Lavi, une italienne, brune à forte poitrine (que ne voit-on ce qu’elle montre sous la contrainte au supplicié !), qui vient du péplum ; les rôles secondaires marquent avec le rarement sobre Akim Tamiroff, Curd Jürgens en Némésis haineuse et veule de Jim, et Marquand en jeune marin français.

Il s’agit d’une réflexion sur le colonialisme où il anticipe Pol Pot. Avec le format Scope (2.35:1) et l’usage du Technicolor que Brooks appréciait en Panavision, les couleurs ressortent de façon exotiques (temples, rites, éléphants) mais ne tombent pas dans le toc grâce à des réflexions philosophiques. Il s’agit d’une parabole sur le destin de l’homme, sur sa responsabilité et sa liberté. C’est une superbe copie 35mm malgré une griffure persistante, des couleurs passées (notamment au début avec un flou en guise de coucher de soleil). L’effet délibérément flouté lors de la rencontre avec Mason n’est pas sans évoquer Apocalypse now (Francis Ford Coppola, 1979) quelques années plus tard. Lors de sa sortie, ce film fut distribué en copies 70mm avec son stéréophonique sur 6 pistes magnétiques. Brooks utilise également le split screen avec sobriété lors d’une scène introductive de mutinerie ou le parcours initial du Lord.

Un film magnifique semblant rétrospectivement supérieur à Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, David Lean, 1962), n’eût été la présence de la musique de Maurice Jarre.

 

[Ciné] « La Ballade du soldat» («Баллада o сoлдате», Grigori Tchoukhraï, 1959)

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« J’ai été soldat. C’est comme soldat que j’ai parcouru le chemin de Stalingrad à Vienne. En route, j’ai laissé beaucoup de camarades qui m’étaient chers. (…) Ce que nous avons voulu montrer, Valentin Ezhov et moi, ce n’est pas comment notre héros a fait la guerre, mais quelle sorte d’homme il était, pourquoi il s’est battu. Renonçant aux scènes de bataille (…) nous avons cherché un sujet qui flétrit la guerre. (…) Ce garçon (le jeune soldat Alecha) pouvait devenir un bon père de famille, un mari affectueux, un ingénieur ou un savant, il pouvait cultiver le blé ou des jardins. La guerre ne l’a pas permis. Il n’est pas revenu. Combien d’autres ne sont pas revenus ! » (Grigori Tchoukhraï, propos reproduits dans Le cinéma russe et soviétique, L’Équerre, Centre Georges-Pompidou, 1981).

Des plans magnifiques, malgré une veillc qui s’entêta à s’éventer dans une salle pourtant froide, chassant ainsi un ami qui s’est assis sur les marches, ce qui me conduisit à imiter ladite avec un journal puis à la masquer pour enfin passer derrière et là rosser de dos avec d’intenses croisement de jambes, dont une scène surprenante d’une poursuite d’un char à l’image inverse dans le peu d’images de guerre. Le train, métaphore du cinéma, une poursuite à la Lara, le ciel défile dans un film contemplatif. Un plan digne des constructivistes : une ligne de haute tension avec pylônes marquant une profondeur de champ. C’est une ballade donc road-movie mais surtout, comme d’habitude un parcours initiatique. Le soldat aura connu l’amour avant de mourir.

Prix de la Meilleure participation pour la sélection soviétique, Cannes 1960 du temps où les pays sélectionnaient les films et les prix. BAFTA du meilleur film en 1962, ex-æquo avec L’Arnaqueur.

[Ciné] Conférence : Elia Kazan et la politique aux Etats-Unis

[liminaire : le regretté Michel Boujut me confiait à Metz un anticommunisme primaire de Michel Ciment]

Michel Ciment indique que Kazan dialogue avec son époque (la chasse aux sorcières, le Vietnam, etc.). Kazan, plus grand metteur en scène de pièce des années 50-60, monte les créations des plus grands dramaturges américains (Miller, Williams, etc.). C’est la plus grande génération depuis O’Neill. S’ensuit un parallèle intéressant entre Miller et Kazan.

En 1947, “All My Sons” d’Arthur Miller, crée par Kazan, obtient le grand prix de la critique. Il met en scène en 1947 la pièce de théâtre « Un tramway nommé Désir » de Tennessee Williams. Jack Palance est la doublure de Brando dans le rôle de Kowalski. Kazan tourne « Le Mur invisible » (« Gentleman’s Agreement », 1947). Les deux sont de gauche. Miller est influencé par Ibsen (le féminisme, les problèmes sociétaux). Provenant de la moyenne bourgeoisie, son père est ruiné en 1929 (le crash comme prononce Michel Ciment pour Krack). En 1949, Kazan monte la « Mort d’un commis voyageur » (prix Pulitzer, catégorie drame ; six Tony Awards et le New York Drama Critics Circle Award). En 1952, Kazan témoigne devant la Commission des activités anti-américaines. Kazan donne une quinzaine de noms de membres du PC dont des morts et des personnes ayant tenté un deal. L’amitié avec Miller se brise alors.

En 1953, Miller écrit « Les Sorcières de Salem », métaphore du maccarthisme, en réponse à Kazan. Raymond Rouleau en 1956 adapte la pièce en film avec Simone Signoret et Yves Montand. Le contexte est la succession des procès de Moscou, les coups d’Etat pendant la guerre froide, l’émergence de totalitarismes. La Corée est envahie par la Chine. Le monde libre est inquiet.

En 1954, Kazan tourne « Sur les quais » (« On the Waterfront ») à partir d’évènements réels : corruption générale, terreur sur les quais. Brando dénonce la Mafia comme un acte de courage. C’est une autodéfense de Kazan, il justifie son acte. En 1955 « Vu du pont » (« A View from the Bridge ») est une pièce de Miller en réponse dans le monde des dockers. C’est une dénonciation explicite de Kazan lorsque quelqu’un rentré illégalement sur le territoire américain est donné. En 1956, Miller est convoqué pour s’expliquer devant la commission des activités anti-américaines. Il refuse de donner des noms. Le 1957, Miller est déclaré coupable d’outrage au Congrès. Sa condamnation sera annulée en 1958 par la cour suprême américaine.

En 1964 , Miller veut que Kazan monte sa pièce « Après la chute » (« After the Fall »). Ralph Meeker (Micky) ruine son associé ; Barbara Loden, la maîtresse de Kazan épousée en 3e noce, incarne Monroe qui a divorcé de Miller ; Faye Dunaway fait une apparition. Miller et Kazan se sont réconciliés après 15 ans de brouille.

Kazan, l’homme

Kazan est arrivé à 4 ans aux Etats-Unis. Son désir d’intégration est énorme. Son père est marchand de tapis. Il est issu d’une minorité grecque d’Istanbul qui a fui les pogroms. Contre son père, Kazan poursuit ses études (williams college, Yale, drama school) contre son père qui sera ruiné en 1929. Elia travaille dans un restaurant universitaire. Il s’engage politiquement à travers le group theatre, en cela distinct du Mercury theatre d’Orson Welles. Kazan était surnommé « gadg » comme gadget : il était accessoiriste. L’administrateur était Strasberg. Elia devient acteur. En fin de pièce, « strike » est brandi. Puis Kazan intègre le PC où il reste 18 mois. Sa section lui demande dans une réunion composée de 18 membres d’écrire un rapport hebdomadaire sur le group theatre. Il refuse et est exclu du PC à 17 voix sur 18 en 1936. Kazan est traumatisé. Il est tétanisé par le pacte germano-soviétique. Les USA rentrent en guerre en 1941. L’Europe de l’Est est dépecée. Kazan lit Orwell, Koestler, Gide, etc. Arrive la chasse aux sorcières, la deuxième après l’affaire des 10 d’Hollywood (1947). Ils n’ont pas donné de nom et ont refusé de répondre aux questions d’appartenance ou non au PC. Les avocats du PC étaient payés par l’Internationale communiste. Une hypothèse est évoquée : le PC a besoin de martyrs. Kazan refuse de témoigner la première fois. La première femme de Kazan est une intellectuelle qui loue Kennedy après son assassinat ; elle est pour Roosevelt et a peur de la 5e colonne. Elle le pousse à témoigner. Les personnes données étaient connues par la CIA et le FBI. Il fait allégeance pour prouver qu’il est un bon américain. Dans une lettre de 1948 à Zanuck (en 1948, donc avant sa déposition de 1952) : « j’hais les communistes, c’est une menace pour la liberté ». Kazan n’est pas opportuniste. S’il ne dénonce pas, il sera sur la liste noire.

Tous les films sont devenus meilleurs après la dénonciation. C’est dostoievskien : il aime filmer la part d’ombres dès 1954. Ces films précédents étaient assez manichéens. Il est violent contre les USA car c’est le pays qui l’a forcé à dénoncer.

Kazan l’artiste

Dans le Tennessee en 1937, Kazan travaille à la Frontier film, l’équivalent cinématographique du group theatre. Il tourne au sein d’un collectif marqué par Roosevelt, le trotskisme, un documentaire politique, « The People of the Cumberland » avec la voix d’Ernest Caldwell. Kazan a un projet non tourné sur la République espagnole contre Franco. Il veut faire un film sur les irlandais. Zanuck est à gauche mais pas trop. Il aime les films gris, plein de bons sentiments, sur les tares américaines. Son premier film politique, est « Viva Zapata! » (1952) que Zanuck produira pour la Fox. Il rencontre John Steinbeck dont il adaptera « À l’est d’Éden » (« East of Eden »), publié en 1952. Le PRI au Mexique demande à voir le scénario, ce que refuse Kazan. Le chef opérateur, imposé, est le même que celui de Luis Buñuel. « Viva Zapata! » est une métaphore de ce qui s’est passé en URSS, une révolution permanente. Selon Michel Ciment, c’est le meilleur film anti PC.

Il tourne ensuite le 2e de la trilogie : « Man on a Tightrope » (1953), un film de commande. Zanuck pousse Kazan pour prouver son anticommunisme. Kazan change l’histoire. Le scénario, écrit par Robert E. Sherwood est par celui d’un écrivain anticommuniste qui écrivait les discours de Roosevelt. Kubrick tourne les « Sentiers de la gloire » (« Paths of glory », 1957) dans le même studio allemand.

[Ciné] Glaçant magnifique

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De sang froid (In cold blood, Richard Brooks, 1967). Par Michel Ciment.

        Brooks est un cinéaste original, courageux dans l’Hollywood des années 60. Capote tomba sur un titre du New York Times en 1959 : « Meurtre d’un riche fermier et de trois membres de sa famille ». Capote a créé un genre avec la non fiction novel, un best-seller (« Capote a reçu 2 millions et ses héros ont reçu la corde » selon Ned Rorem dans le Saturday Review of Literature), ou une fiction racontée comme un roman, pour laquelle l’auteur a fréquenté les jeunes criminels, notamment Smith, qui lui léguera ses livres et dessins, avec qui il entretint des relations ambiguës comme le démontre le Truman Capote (Capote, 2005). Capote assiste au tournage, accompagné de journalistes. Brooks le renvoie comme lui l’avait été quand il avait été scénariste du temps du compartimentage et hiérarchisation des fonctions au sein des studios. Même si l’auteur apparaît en photo en couverture du magazine Life sur le mur de la cellule d’Andy, Brooks remplace le personnage égocentrique et excentrique de Capote par un journaliste nommé Jensen que joue Paul Stewart, une figure connue du film noir américain. Cela se déroule le matin du 15 novembre 1959 à Holcomb dans le Kansas en 1963. C’est un road movie en Chevrolet dans le Middle West en décor réel, sans transparence comme Hitch qui en abusa, sur et dans les lieux du crime (la maison avec les vraies photos de famille des Clutter, le cheval de Nancy, le paysage authentique, la salle d’audience jusqu’à certains jurés d’origine, le juge véritable, Roland Tate, ayant la mauvaise idée de mourir ; le réel peloton d’exécution avec la potence du Kansas State Penitentiary).

Capote a toujours pensé à Brooks pour l’adaptation en film car c’est un cinéaste ans effet. Preminger était sur le coup, en voulant Burt Lancaster et Kirk Douglas comme acteurs, et a tout fait pour avoir les droits au point que la femme de l’agent cinématographique au restaurant, où tout le monde mangeait par hasard, a cassé un verre sur le front de Preminger. Brooks était décidé à travailler avec des inconnus. La Columbia voulait Paul Newman et Steve McQueen dans les rôles principaux. Newman a choisi de jouer dans Luke la main froide (Cool Hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967 avec Conrad Hall en chef op’ : les reflets dans les lunettes des gardiens) et Hombre (Martin Ritt, 1967) et McQueen a travaillé sur L’affaire Thomas Crown (The Thomas Crown Affair, Norman Jewison, 1968) et Bullitt (Peter Yates, 1968). Forsythe, le Blake Carrington de Dynastie, néanmoins présent dans Mais qui a tué Harry ? (1955) et L’Etau (1969) d’Hitchcock, joue l’enquêteur Alvin Dewey auprès duquel, dans la vie vraie, Capote faisait du charme ainsi qu’à sa famille pour obtenir plus de renseignements. Capote avait écrit le scénario de Beat the devil de Huston avec Bogart. Brooks l’a tourné en noir et blanc, contre l’avis du studio qui ne trouvait pas cela très commercial, en Scope (grand format 2.35:1 avec Panavision anamorphique, magnifique plan et photo de la pluie qui dégouline sur une vitre en ombre sur le visage d’un meurtrier, en pleurs intérieurement, effet non voulu, salué pourtant par tous, mais obtenu grâce à un ventilateur activé en pleine chaleur à côté de la pluie artificielle).

        La construction est intéressante : les meurtres n’apparaissent dans leur chronologie reconstituée que lors de l’interrogatoire ; les flashbacks permettent l’empathie pour le criminel Smith. Le scénario n’est donné qu’au jour le jour aux acteurs pour conserver la spontanéité, au point que le metteur en scène réécrivait jusqu’au dernier moment son script. La musique de Quincy Jones est jazzy comme dans Prêteur sur gages (The Pawnbroker, Sidnet Lumet, 1964). L’image est de Conrad Hall, un photographe recherché (« C’était comme Rembrandt au travail » décrit Richard Zanuck. « Connie n’était pas connu pour sa rapidité, mais Rembrandt non plus. Il était connu pour son génie incroyable »), un grand chef opérateur (Butch Cassidy et le Kid, Butch Cassidy and the Sundance Kid, George Roy Hill, 1969, avec Paul Newman et Robert Redford ; Les professionnels, The Professionals, R. Brooks, 1966, avec Burt Lancaster, Lee Marvin et Claudia Cardinale ; Duel dans le Pacifique, Hell in the Pacific, J. Boorman, 1968, etc.). Ici, ce qui compte chez Brooks, c’est aussi le rapport au père (cf. La chatte sur un toit brûlant, Cat on a Hot Tin Roof, 1958)). Blake, qui joue l’un des deux criminels, avait tourné un petit rôle, le livreur qui a vendu le billet de loterie gagnant à Humphrey Bogart, dans le Trésor de la Sierra madre (The Treasure of the Sierra Madre, 1948) de Huston, un ami de Brooks. D’où l’autre criminel, Scott, qui dit, par deux fois, « mon film préféré, c’est le « Trésor de la Sierra madre » » auquel le décor dépouillé laisse songer.

        Le film est construit intelligemment avec un montage parallèle entre la course folle des meurtriers et la vie paisible de cette famille avant d’être massacrée. Il s’agit d’un film contre les préjugés puisque les criminels croient que comme le chef de famille est riche dans le Kansas, il aurait un coffre avec beaucoup d’argent dans sa maison, selon une information erronée d’un prisonnier informateur qui se révélera une balance. C’est aussi un film contre la peine de mort aussi atroce que les crimes commis. La pendaison détaillée du 2e tueur, le plus proche de Capote, est prenante avec la pulsation cardiaque qui cesse au fur et à mesure avec un générique de fin on ne peut plus sobre. Le film est bien plus efficace que le bréchtien La pendaison (Kôshikei, 1968) de l’autre homme en colère, N. Oshima. Tout est en subtilités puisque le passé difficile de Smith est détaillé, ce qui permet de comprendre sans excuser. Une littérature et un film « objectifs », sans concession, en quelque sorte, qui n’est pas sans rappeler le strict Le voyage de la peur (The Hitch-hiker, Ida Lupino, 1953).

        Tremblez car les deux paires d’yeux reproduites sur l’affiche du film sont celles des vrais tueurs. Quant à l’acteur Blake, qui joua dans Lost Highway (David Lynch, 1996), il a été arrêté pour le meurtre de sa femme. Un professionnalisme comme Bela Lugosi dormant dans sa tombe de vampire ?

Le film a été décoré du David de Donatello 1968 du meilleur metteur en scène étranger et du National Board of Review (USA) 1967 pour le meilleur metteur en scène. Il a été classé n° 8 sur la liste de l’American Film Institute des 10 plus grands films dans le genre « drame judiciaire ».

 

[Ciné] « Cas de conscience » (« Crisis », Richard Brooks, 1950)

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Par Michel Ciment

       Brooks a été défendu dans les années 50, 60 par Positif  (notamment Tailleur et Seguin). Il est scénariste de ses films, souvent des adaptations : il a écrit 21 films sur 24, ce qui est rare. Auparavant, il était scénaristes pour d’autres metteurs en scène. Ici,

dans une première version du scénario, le personnage principal devait aller au secours de sa fille. Mais lorsque les studios de la Metro-Goldwyn-Mayer eurent l’acteur Cary Grant pour l’interpréter, ils donnèrent lieu à une nouvelle version de l’histoire dans laquelle le personnage de Grant vit une histoire d’amour.

Brooks a rencontré Cary Grant sur les champs de course de Santa Anita qui l’a pris de sympathie, d’autant qu’il en avait marre de la comédie en préférant jouer un rôle sérieux. C’est Cary Grant qui insista auprès de la MGM, qui n’y croyait pas, pour que Brooks soit en charge de la mise en scène du film.

Il s’agit d’une copie 35 mm avec ses griffures en format carré (1:37). Ce film en noir et blanc de Robert J. Kern, tourné en moins de 2 mois, est produit par quelqu’un de la maison, Arthur Freed, « Monsieur Comédies musicales » de la MGM, friande de grosses productions avec retours sur investissements.

       En Amérique latine, à partir de 1940, les pays bougent à cause de l’impérialisme. C’est la politique du gros bâton (big stick) de Roosevelt. Ici, il n’y a pas la mention d’un pays particulier car la MGM voulait vendre son film également en Amérique latine. Ce qui n’a pas empêché que le film fut banni des salles mexicaines et dans le reste du continent à cause de la mauvaise image des populations d’Amérique du Sud. Le renversement du gouvernement par la CIA au profit d’un dictateur au Guatemala en 1954 a été un modèle tout comme la dictature du Pérou. L’autre référence est Juan et Ev(it)a Perón en 1950 en Argentine (populisme autoritaire), ce que Brooks avoue facilement dans une entrevue de 1965.

       C’est un film complexe, pas caricatural ou manichéen, qui n’a pas fait l’objet de beaucoup de publications. Ce qui intéresse Brooks, c’est la complexité des rapports humains. Le chirurgien est aux prises avec un dilemme moral : la déontologie médicale passe-t-elle avant les convictions citoyennes ? Aucun succès à la sortie du film qui a été peu soutenu par la MGM. Les critiques sont tièdes avec des remarques attendues et habituelles : c’est un film de scénariste plus que de mise en scène avec une direction d’acteurs. La répétition de l’opération est une scène inventive car muette. Sur la révolution, Ciment songe à Viva Zapata de Kazan (1951). Le scepticisme de Brooks est perceptible grâce à la répétition d’une scène soulignée par une remarque de Cary Grant. Gonzalès, le futur chef du gouvernement quête, en symétrie,  comme Farrago un identique « Sauvez-moi, docteur ! ». Ironie du sort et soif de pouvoir.

Le médecin , sous le sceau du serment d’Hyppocrate est un alter ego de Brooks. Ce qui compte chez Ferguson/Grant, c’est la liberté ; il n’est d’aucun côté. Le directeur de la société de pétrole, symbolisant l’introduction de la CIA comme facteur de déstabilisation en Amérique latine, Sam Proctor (Procter et Gamble ?) ne pense qu’à son argent. Le dictateur est vulnérable, humain et cultivé. Les révolutionnaires veulent assassiner la femme du médecin pour faire pression, après un kidnapping. Brooks prône un humanisme de gauche (libéraux) comme ses amis Bogart et Huston. Ces derniers voulaient témoigner pour les 10 d’Hollywood. En effet, en 1950, nous sommes en plein maccarthysme et chasse aux sorcières.

       La comédie n’est pas absente quand Grant se lave les dents avec ablutions avec de la Tequila dans le train. A noter l’usage de la langue espagnole autochtone même si pas traduite en français, ce qui était assez rare à l’époque. Ce film annonce une nouvelle génération, celle du Nouvel Hollywood. Brooks est un cinéaste essentiellement de scénario. Il s’agit de l’adaptation d’un court récit, The Doubters de Georges Tabori, un dramaturge important qui a influencé Boorman pour Léo le dernier (Léo the last, 1970).

       José Ferrer, le latino de studio comme Manjou pour la France, joue Farrago, le dictateur, pas les éditions. Ses petits yeux menaçants remémorent Le mystérieux Docteur Korvo (1949) d’Otto Preminger. Ev(it)a est jouée par une suédoise, Signe Hasso. En outre, une poignée d’acteurs intéressants se succèdent comme Leon Ames, Gilbert Roland et l’ex-Ben Hur du cinéma muet, Ramon Novarro.

Une référence est faite à Cochrane (médecine). Un côté urgence apparaît même si la scène est montrée uniquement en répétition, avec l’inévitable grosse seringue de cinéma. Ferguson (nom d’un Président US ?) ? La photo et la position de la caméra concernant la place sont intéressantes, avec les tracts qui volent au vent. Quelques tirades drôles posent de réels problèmes politiques ; « – Je n’ai pas voté pour vous. – Eux non plus » ; « Vous vous intéressez à la politique ? Quand il y a des élections ». La critique est acerbe et lucide quand la femme du médecin lance : « Les américains sont avides ». La musique est de Miklós Rózsa, un américain d’origine autrichienne.

Sur la scène de l’installation de la bombe et de son explosion au début (travellings, scène de foule), Ciment ne pense pas que Welles s’en soit inspiré pour la séquence initiale d’anthologie de La soif du mal (Touch of evil, 1958. Welles était en Europe à l’époque, il est peu probable qu’il ait vu le film. Ceci dit Welles était un ami depuis qu’ils ont travaillé ensemble à la radio.

Un ami cinéphile fait une étrange remarque : les femmes à Hollywood  étaient frappées au ventre (effet du puritanisme américain ?) jusqu’à une certaine date puis à la tête.

 

[Ciné] Conférence sur Richard Brooks par Michel Ciment : Brooks un homme en colère.

Aldrich, Losey, Tachlin ont démenti que le Maccarthysme bloquait le studio. L’homme en colère Brooks refusait de donner son scénario à la production pour éviter un risque de fuite. Car sa réputation est de gagner de l’argent, ce que jalousent d’autres personnes à Hollywood. C’est un homme pas commode, très macho. Il donnait également le scénario au dernier moment aux comédiens afin d’affirmer son indépendance. Il est dur avec son équipe, ses acteurs. Ainsi il aurait dit sur un plateau à Debbie Reynolds, qui venait de la comédie musicale : « vous m’avez été imposée par la production ». Ciment l’a interviewé en jogging au Bois de Boulogne. Il ne portait jamais de veste, était coupé cheveux courts comme un militaire. Il a été le mari (5 mariages) de Jean Simmons, le compagnon d’Angie Dickinson. Pour lui, et ce fut son problème, le cinéma était plus important que la vie privée. Il est né sous le nom de Reuben Sax ; en 1942, il devient Richard Brooks. Il est de condition modeste d’une famille juive d’Ukraine, donc russe, où ils parlent yiddish. Il a débuté avec beaucoup de petits métiers. Après le basket, il a été chroniqueur sportif au Philadelphia Record en 1934. Il a travaillé avec Welles sur des reportages radio sur l’Amérique latine, le Brésil notamment. Il a œuvré à la radio, notamment pour le bulletin d’informations d’une station locale. Il a écrit des livres de bonne tenue, veut se lancer dans la carrière dramatique.

       Il a commencé à être scénariste en 1942 à 30 ans notamment sur Les tueurs (The killers, 1946) de Robert Siodmak d’après Hemingway, Les Démons de la liberté (Brut force, 1947) avec Jules Dassin, un juif russe lui aussi, Delmer Daves (Ombres sur Paris, To the Victor, 1948) et, surtout, une pièce qu’il adapte, Key Largo (1948) de Huston où il assiste au tournage, ce qui est rare. Huston lui conseille de devenir réalisateur. C’est à cette occasion qu’il se lie avec Huston et Bogart. Jusqu’en 1940, aucun scénariste n’est devenu metteur en scène : les métiers dans les studios étaient étanches. Il était plus facile d’être metteur en scène que scénariste car ils étaient rares et bons, selon Luis B. Mayer. En 1940, il y eut une vague de scénaristes qui conquéraient leur indépendance en devenant metteur en scène : Preston Sturges dans la comédie où il eut beaucoup de succès, John Huston (Le faucon maltais, The maltese falcon, 1941), Billy Wilder (« le scénariste prépare le lit, le borde, fait le ménage ; le metteur en scène baise ») qui avait travaillé pour Lubitsch, J. Mank, Samuel Fueller, Delmer Daves. Brooks arrive en queue de comète. MGM est une compagnie conservatrice (« plus d’étoiles qu’il n’y en a dans le ciel ») avec des grosses productions, des comédies musicales. Mayer était pour la famille et anticommuniste. Brooks a pu faire des films polémiques : Graine de violence (Blackboard jungle, 1955) avec Glenn Ford et Sidney Poitier en professeur noir où montrer la violence dans la société de l’époque était rare ; Sergent La terreur (Take the High Ground, 1953) sur les militaires avec un Widmarck glaçant ; La dernière chasse sur l’extermination des bisons où des spectateurs tombaient dans les pommes ; Le carnaval des dieux (Something of Value, 1956), une première révolte Mau-Mau anti coloniale kenyane contre la Grande-Bretagne.

Brooks a le goût des personnages tourmentés, en crise (Les frères Karamazov de Dostoïevsky au regard de ses origines russes ; il aime la philosophie, la littérature). Les personnages sont à la limite du déplaisant (Fenner, Widmark, fait régner la terreur chez les militaires). Il voulait adapter Elmer Gantry, le charlatan (Elmer Gantry, 1960) de Sinclair Lewis, prix Nobel. Ce dernier avait défendu Brooks. Ce seront Jean Simmons, la femme de Brooks, et Burt Lancaster qui joueront. Le film sera récompensé par l’Oscar du Meilleur scénario original. Sacré par l’Académie Il s’agit de la critique des mouvements religieux. Lord Jim (1965) est adapté de Conrad. Ici le héros (Peter O’Toole) est aux prises avec les problèmes moraux. C’est une belle adaptation. Il n’est pas bien accueilli à cause du décor exotique ; ce serait une resucée de Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, David Lean, 1962). Mayer a accepté Les frères Karamazov (The Brothers Karmazov, 1958) d’après Dostoïevsky ainsi que Tennessee Williams (2 adaptations avec Doux oiseau de jeunesse, Sweet bird of youth, 1962). Homosexualité, alcoolisme, La chatte sur un toit brûlant (Cat on a Hot Tin Roof, 1958) est l’adaptation de la pièce de Williams qui a eu le plus de succès. Parmi toutes les adaptations confondues de divers réalisateurs.

       Il écrit de bons romans dès 1945 sur l’anti homosexualité. « L’Aventure du caporal Mitchell » (The brick Fox-hole : « Un million de fantômes. N’ayant ni la gloire difficile du combat, ni la liberté des civils ») a été adapté par Edward Dmytryck, Feux croisés (Cross fire, 1947) où l’homophobie est devenue l’antisémitisme (cf. Le mur invisible, Gentleman’s agreement, 1947 de Kazan). Le 2e roman, The Boiling Point relate une révolution idéaliste contre la corruption où il dénonce le Ku Klux Klan. Le 3e, The producer, comme Le Nouveau Nabab de Francis Scott Fitzgerlad, dont Brooks adaptera la nouvelle La dernière fois que j’ai vu Paris (The last time i saw Paris, 1954) évoque le producteur Mark Hellinger à Hollywood, un ami de Brooks qu’il a rencontré avec Jules Dassin. Il y démonte la manière dont un film se fabrique.

       Brooks fait partie des défenseurs des 10 d’Hollywood avec des libéraux qui luttèrent contre le Maccarthysme avec Bogart, Huston, Wilder, G. Kelly, Fred. Astair, Lauren Bacall. Pour la liberté d’expression, Brooks a défendu Mankiewicz. Ils étaient attaqués par Cécil B. DeMille qui demandait un serment. Après une soirée houleuse de 8h, Ford y a mis fin à 1h du matin tellement il était outré par le comportement de DeMille. Brooks n’est pas allé à Washington. Quand ils ont vu que les 10, qui adoraient Staline, attaquaient la justice américaine, ils sont repartis écœurés. Brooks défend la liberté de l’individu : dans Bas les masques (Deadline U.S.A., 1952), Bogart refuse que le journal soit acheté. Bacall lui avait reproché de ne pas trop venir voir l’ami Bogart quand il était décrépit par le cancer ; Brooks était peiné de son état.

       La décade 1960 est le sommet de la carrière de Brooks. Il cumule les productions importantes : La Chatte sur un toit brûlant (Cat on a Hot Tin Roof, 1958), Elmer Gantry, le charlatant (Elmer Gantry, 1960). 21 sur 24 scénarios sont écrits par lui, adaptés de livres. Il tourne 1 film par an. Comme Kubrick, Brooks, recherchait la structure, même si son cinéma était moins personnel que celui de Stanley. Brooks aimait le Technicolor. Dans sa direction d’acteurs, il a un rapport, parfois brutal, direct, individuel au comédien. Il était d’une exigence terrible, soupe-au-lait.

       Le repas de noce (The catered affair, 1956), d’après l’écrit de Gore Vidal, l’ennemi de Capote, est un film néoréaliste américain en noir et blanc avec Bette Davis, Ernest Borgnine et Debbie Reynolds, tout comme De sang-froid (In Cold Blood, 1967). Les couleurs sont très riches grâce à l’opérateur John Alton (La Chatte sur un toit brûlant, Cat on a Hot Tin Roof, 1958), (Elmer Gantry, le charlatant (Elmer Gentry, 1960) ; Lord Jim (1965), une réflexion sur le colonialisme tourné dans Angkor où, au Cambodge, il anticipe Pol Pot. Les professionnels (The professionals, 1966) est un western où Claudia Cardinale est poursuivie par Burt Lancaster et Lee Marvin. The happy ending (1969), jamais sorti en France, est un des rares scénarios originaux sur la décomposition du couple avec Bette Davis et Jean Simmons, sa femme en instance de divorce. Le film n’est pas sorti en France. A la recherche de Mr Goodbar (Looking for Mr Goodbar, 1977), tiré d’un roman à succès que Brooks n’aimait pas, est un film polémique qui ne sera pas récompensé alors que Diane Keaton obtiendra l’oscar pour Annie Hall (Woody Allen, 1977). Au total, il a tourné 27 ans les films qu’il voulait faire, ce qui est rare. Ces 2 derniers films, dont l’un n’est jamais sorti en France, ne sont pas très bons. Il n’aurait jamais eu d’oscar en tant que metteur en scène, même si ses acteurs oui. Il appartient à la génération intermédiaire, après la 1ère les pionniers (Chaplin, Griffith, Ford, etc.), entre la 2e (Kazan, Mank, Wilder à partir de 1940) et la 3e avec le renouveau du au Nouvel Hollywood (Scorcese, Coppola, Spielberg, De Palma, etc.) puis Burton, les frères Cohen et d’autres. Il a permis de légitimer et stabiliser au profit du Nouvel Hollywood le statut du metteur en scène qui provient de l’écriture du scénario. Avant, le scénariste n’était qu’un employé.

Quelques mois avant sa mort, Richard Brooks espérait encore pouvoir porter à l’écran La Condition humaine ou La Voie royale de Malraux, deux de ses projets les plus chers.

 

[Ciné] Compartiment tueurs (Costa-Gavras, 1964)

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Compartiment tueurs (Costa-Gavras, 1964)

       Le film ayant disparu des radars, c’est la copie personnelle 35 mm de Costa-Gavras à plusieurs bobines qui est projetée. Quel plaisir de ne pas supporter cette numérisation à tout-va qui ne supporte pas les contrastes ténus en noir et blanc, les ciels gris notamment, et les mouvements rapides de caméra (pixellisation). Il sonne qualité française (primat du scénario, le brio des dialogues savoureux, empruntés au livre de Japrisot et à l’écriture de Costa-Gavras, le charisme des stars) dans la lignée des années 30 (René Clair, Marcel Carné, Jean Renoir et les dialoguistes Jeanson ou Spaak), seconde guerre (Clouzot) et immédiat après-guerre (Melville) tout en empruntant au rythme et au découpage nerveux ainsi qu’au code du noir américain. « J’ai même ajouté une scène de poursuite en voiture, à la fin, qui est un clin d’œil au cinéma américain » confesse Costa-Gavras qui a converti sa dauphine en Dauphine-pie et se fend d’un lent travelling arrière pour le final.

Sur le thème du train piégé devenant un « cercueil roulant », les films sont pléthores : Une femme disparaît (The Lady Vanishes, 1938) et L’inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train, 1951), adaptation d’Agatha Christie, d’Alfred Hitchcock ; Le Grand attentat d’Anthony Mann (The Tall Target, 1951) dans lequel un détective passe de wagon en wagon pour prévenir un complot contre le président Lincoln ; L’Énigme du Chicago Express (The Narrow Margin, 1952) de Richard Fleischer où deux policiers doivent protéger une femme-témoin tout au long du trajet ; Le Crime de l’Orient-Express (Murder on the Orient Express, Sidney Lumet, 1974).

« Un roman policier, c’est, dans le théâtre du quotidien, le lent cheminement d’un secret, jusqu’au moment où surgissent, enfin, les raisons d’un drame, la vérité d’un étrange et fascinant cadavre… » écrit Sébastien Japrisot (Jean-Baptiste Rossi, 1931-2003) dans l’avant-propos à Compartiment tueurs, son premier polar en 1961, après une éclipse de dix ans, passés surtout dans la publicité. Alfred Hitchcock, auquel le film laisse songer par son thème, ses cadrages ou cette scène haletante de suspens où Jacques Perrin attend comme appât « attaché comme une chèvre en somme » dans une cabine téléphonique alors que le meurtrier approche, et Steven Spielberg ont envisagé d’adapter des romans de l’écrivain de polar. A cette époque, d’autres cinéastes commençant leur carrière par un film policier comme Louis Malle (Ascenseur pour l’échafaud, 1958), le resemeleur Claude Sautet (Classe tous risques, 1960). Costa-Gavras entreprit l’adaptation du livre, parait-il plutôt quelconque, pour son premier film à 31 ans. Très vite emballé, il chercha à en acquérir les droits. L’éditeur en demandait cinq millions, chiffre faramineux pour un premier assistant, même connu sur la place de Paris. Costa-Gavras proposa alors une option mais l’éditeur voulait cinq millions ou rien. Costa n’en poursuivit pas moins son travail mais à peine l’avait-il terminé qu’il apprit qu’Henri Verneuil s’intéressait, lui aussi, à Compartiment tueurs. Costa avait été l’assistant de Verneuil sur Cent mille dollars au soleil (1964) ; il alla le trouver : « C’est vrai, admit Verneuil. Audiard et moi travaillons sur ce bouquin, mais nous n’arrivons pas à nous en sortir. Nous allons abandonner… ».

A l’époque, les assistants composaient le casting des films, ce qui permet d’avoir un carnet d’adresses fourni. Rassuré, Costa, qui ne parle de rien, porta son script  à Simone Signoret, qu’il a connu lors de son assistanat auprès de René Clément pour Le jour et l’heure (1963), pour demander son avis. Dans le milieu du cinéma, la sûreté du jugement tranché de la comédienne est connue ; c’est souvent qu’elle rend ce genre de service. Costa en avait un autre à lui demander : il voulait confier le principal rôle féminin à sa fille, Catherine Allégret, révélée par ce film après des cachets de figuration, hôtesse du Pop Club de José Artur, qui joue également. Costa-Gavras témoigne sur la débutante : « C’est une des comédiennes les plus douées de sa génération. Il est regrettable qu’on ne lui confie pas des emplois plus consistants… ». Simone Signoret trouva excellente l’adaptation du roman de Japrisot mais commença par refuser la participation de Catherine qui avait son bac à préparer. En revanche, elle revendiqua, pour elle-même, le rôle secondaire de la mère Darrès, où elle cabotine en actrice cougar sur le retour, jouant sur son entre-deux âges. Pressenti pour le rôle de l’inspecteur, Yves Montand, hanté par son contre-modèle, Fernandel, se montra réticent parce que Costa tenait à le faire parler avec l’accent marseillais (« Grazziani » prononcé façon corse de Marseille). Le metteur en scène lui proposant de le doubler, il finit néanmoins par accepter. Il joue un policier flegmatique à la Bogart  aux prises avec la crève (« – Je crois que je couve une grippe. – Tu la feras attendre. »). Il avale les syllabes ce qui amène à laisser Raimu à son statut de star grâce à une articulation parfaite. Bien lui en prit car Costa-Gavras relança la carrière de Montand au cinéma dans Compartiment tueurs. Pour lui, qui se sentait mal à l’aise devant la caméra, le déclic c’est Costa-Gavras. Dans cette entreprise née sous le signe de l’amitié, le reste de la distribution ne souleva aucune difficulté. Pierre Mondy, excellent en commissaire zélé et dépassé avec ses phrases toutes faites, et Gélin durent même insister pour « en être ». Charles Denner est époustouflant en tête à claques avec un magnifique dialogue anti-flic (« Le minable et l’abominable, c’est des affreux. Pire. Des bien intentionnés. »), Christian Marin et Bernadette Laffont ont une courte scène de veulerie d’anthologie, sans oublier l’emprunté Claude Mann, Françoise Arnoul, une star de l’époque, Marcel Bozzuffi (un flic irrésistible qui déclare : « c’est du gothique flamboyant »). Si Michel Piccoli en fait des tonnes en coupable idéal comme employé quadragénaire totalement obsédé, libidineux et introverti, suintant la bassesse, complexé, rancunier, paranoïaque (d’où la voix off), une sorte de rat social, aigri et vicieux, Jacques Perrin ou Jean-Louis Trintignant, tout en ambiguïté sexuelle, sont sobres. Pascale Roberts s’est fait connaître auprès du grand public grâce à ce film. C’est dans un énième habit d’inspecteur de police qu’André Valmy prend définitivement congé du grand écran. L’éternel troisième couteau (« Vous savez, dans le gigot, ce qui est bon, c’est pas la viande, c’est les pointes d’ail. C’est pas moi qui dit ça, c’est Raimu. »), Dominique Zardi, joue logiquement un inspecteur. L’assistant du film, Jean-Pierre Périer, est aussi acteur. Claude Berri campe un porteur. Le script circulait dans Paris, à partir du cercle Signoret-Montant, couple essentiel pour le financement ; c’était à tel point qu’il n’y avait plus assez de rôle pour tous ! Les généreux motards en blouson noirs poursuivant un flic avec la police ont débordé dans la scène de fin ; ils étaient devenus les amis de Costa et sont revenus pour d’autres films. Bref, des flics désabusés aux malfrats de bas-étage, du bourgeois gagne-petit au couple idiot parfumé de bons sentiments en passant pour un couple raciste, c’est un portrait sans concession de la société qui est brossé au point que Jacques Perrin garde Le capital de Marx dans sa valise.

Le producteur Julien Derode, séduit par un scénario à la Clouzot, s’entendit avec l’éditeur de Japrisot et produisit le film ; comme il ne pouvait être question d’assurer à toutes ces vedettes un cachet à la mesure de leur notoriété, chacune accepta d’être rémunérée au pourcentage. Compartiment tueurs fut ainsi l’un des premiers films français financés en participation. C’est un film fauché (tourné en huit semaines pour cent dix millions d’anciens francs), avec peu d’éclairage dans la fabuleuse scène de poursuite, sauvé par la photographie d’un noir et blanc judicieusement contrasté de Jean Tournier, le montage nerveux, que Costa-Gavras a jugé facile à exécuter, de Christian Gaudin, la musique pop de Michel Magne, rockabilly dans la poursuite frénétique (Pont Alexandre III, tunnel de l’Alma, jusqu’à un quai de Seine), qui avait pour commande explicite d’éviter le jazz comme chez Louis Malle (Ascenseur pour l’échafaud, 1958) ou la façon de Bernard Herrmann chez Hitch. La caméra à l’épaule (Kaneflex, Ariflex) demandait une maîtrise pour une transposition fiable en grand format (Scope à 2:35) pour le spectateur. A cause du bruit, la caméra était dans un caisson ; parfois, il fallait ajouter des couvertures pour atténuer le son externe. Si le film est en réaction à la Nouvelle Vague, il existe toutefois un esprit Nouvelle vague dans le jeu précieux et décalé de Claude Mann (déjà dans La baie des anges, 1963, de Demy dont Costa a été un assistant, dans un film ultérieur), la présence de Bernadette Laffont, le tournage en extérieur avec ce bourdonnement de la circulation diurne parisienne. En 1965, Costa juge que c’était déjà le déclin de la Nouvelle Vague. Il trouve leurs films trop personnels, trop intimistes. De plus, il n’évoluait pas dans le même milieu cinématographique.

« Pour mes débuts, reconnaît Costa-Gavras, j’ai eu vraiment toutes les chances. Des amis qui, non seulement ont lu mon scénario et m’ont encouragé à le tourner, mais ont tenu à le jouer ; un producteur entreprenant et honnête, Julien Derode ; une station de radio, RTL, qui s’est offerte à en assurer le lancement ; enfin l’adhésion immédiate du grand public. » Le film a généré beaucoup d’entrées à l’époque tant en France qu’aux Etats-Unis où, classé dans les dix meilleurs films étrangers de l’année, il est là-bas considéré aujourd’hui comme un classique du genre. La récompense fut celle du Meilleur film étranger 1967 au National Board of Review of Motion Pictures (NBR, New York). Il semble que ce film n’existe pas encore en DVD ou Blue-Ray. Une rareté réjouissante avec une excellente direction d’acteurs malgré des maladresses et une intrigue, à la Agatha Christie façon Cluedo (whodunit ?), due à un scenario tortueux avec beaucoup de digressions pour un bon exercice de style. Il « peut donner des leçons de suspense et de style aux polars français d’aujourd’hui. » selon le regretté Jacques Siclier.

http://www.ina.fr/video/CAF88035201

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[Ciné] « The Revenant » : un excellent plat qui se mange froid avec l’homme qui a vu l’ours

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The Revenant, Iñárritu, 2015

Sublime, forcément sublime

Entre survival et revenge movie, The Revenant est un  « poetic epic » (film « épique poétique »). Les longs plans avec la nouvelle Alexa, une caméra numérique 65 mm,  nerveuse, sublimés par la photographie du génial « Chivo » Lubezki, chef opérateur de Malick, d’Alfonso Cuarón et de Michael Mann, offrent un paysage sidérant permettant de percevoir le sublime kantien d’un Hans Caspar Friedrich. Ce n’est pas pour rien que l’excellent Tom Hardy se nomme Fitzgerald : l’allusion à Fitzcarraldo (W. Herzog, 1982) est évidente. Les 50 nuances de gris y sont. Les forêts de bouleaux laissent songer à Tarkovski (motifs visuels d’eau, de feu et de désolation, place et mouvement de la caméra). Que les pisse-froids par -30° se le disent ! Le 70mm stupidement utilisé par la capricieuse diva Tarantino (Les 8 salopards, Hateful 8, 2015), en outre sans profondeur de champs, aurait été bienvenu, n’eût été un format 2:35. Tourné dans l’ordre chronologique dans des conditions extrêmes (les Rocheuses, le grand-nord canadien, le sud de l’Argentine dont Ushuaïa pour la scène finale, allongeant la note de 50 000$), parfois pendant une heure et demi pour obtenir la lumière naturelle maximale, c’est de la cuisine interne mais le résultat dépasse l’aimé Jeremiah Johnson (Sidney Pollack, 1972) et les films de John Ford avec son chef opérateur James Wong Howe. Ce qui est étonnant à ce niveau, c’est d’avoir laissé des gouttes d’eau (fleuve, pluie, neige) sur la caméra ou encore des rayons de soleil. Nous assistons à une expérience immersive et sensorielle inégalée (« faire vivre aux spectateurs une émotion sensorielle à 360 degrés », une « peinture sonore » Iñárritu) : un saut artistique a été franchi dans l’histoire du cinéma. Notamment en Imax, même en version française, le Pathé Carré de Soie nous gratifiant, pour une fois, d’une unique séance en VO mais avec le risque de rater le dernier métro de retour.

Ça cause peu et parfois en français, même en VO, ce qui suscite des polémique au Québec, notamment à cause de la légende du « coureur des bois » qui va jusqu’à pendre un indien avec la pancarte « Nous sommes tous des sauvages » (sic). « Nous sommes tous des indiens » serinait A. Platel en évoquant le milieu psychiatrique dans sa célèbre chorégraphie. D’indiens, il en est question, avec les guerriers Arikaras et leurs malheureux voisins, les Pawnees. Nous sommes plus proches du Nouveau monde (The New World, Terrence Malick, 2005) que de Danse avec les loups (Dances with Wolves, Kevin Costner, 1990; un bon film un peu surestimé à l’époque). Franchement, je n’ai jamais vu une telle attaque d’expédition du capitaine Henry et ses trappeurs par une tribu indienne Arikaras  installée sur les rives du Missouri au début du film : nous y sommes vraiment, le spectateur ressent la scène de l’intérieur, à hauteur d’homme, comme le début de Il faut sauver le soldat Ryan (Saving Private Ryan, Steven Spielberg, 1998), sur le débarquement en Normandie); les impacts de flèches sont d’un réalisme époustouflant sur fond de sons exacts avec une caméra virevoltante menée de main de maître avec plan séquence en optiques grand-angle.

The history of violence

Pour un réalisateur dont la vocation première fut d’être musicien, la musique souligne la profondeur des plans : rien moins qu’Alva Noto (Carsten Nicolai) et Ryuichi Sakamoto, collaborant depuis longtemps ensemble, la crème du minimal. Bien sûr le film est trop long, les scènes de flashback (« mon cinéma s’est installé dans cette dimension du souvenir. Je répète souvent que la mémoire ne consiste pas seulement à reconstituer les choses, elle vous permet de combler ce qui a échappé à votre regard. ») sont éreintantes tant elles sont serinées (« Tant que tu respires, tu te bats », « Le vent ne peut rien contre un arbre aux racines solides »), les couchers/levers de soleil fatiguent, le côté christique côtoyant la mort, inévitable chez un réalisateur d’origine mexicaine, est hilarant mais il s’agit plus d’une communion avec la nature, de l’histoire de l’origine d’une société américaine, dans une période peu étudiée qui plus est – 1823, soit avant la guerre de Sécession et après la cession de la Louisiane par la France -, fondée sur la violence (« Il y a, dans ce cycle de sang, quelque chose d’horrible et de magnifique. La violence, dans mon film, n’est ni démonstrative ni embellie. […] Il suffit de regarder les fresques d’Orozco ou de Siqueiros, à Mexico : il y a de la rage, du sang, des flammes, le Jugement dernier ») et le mythe de la nouvelle frontière qu’un récit initiatique à partir de la légende Glass, qui n’a pas tant besoin de lunettes pour voir le monde qui s’offre à lui, sur la base du roman de Michael Punke. Un retour aux sources, dans le disque dur, pour une société meurtrie par le 11 septembre. A société différente, interdiction diverse : interdit pour les moins de 17 ans aux Etats-Unis, au moins de 12 ans en France. Chassez le culturel, il revient au galop !

Le scénario a un parcours surprenant : en 2001, le producteur Akiva Goldsman envisageait de produire l’adaptation du roman ; le Sud-coréen Park Chan-wook est annoncé comme réalisateur puis quitte ensuite le projet ; le film est relancé dans les années 2010, avec John Hillcoat à la mise en scène pour abandonner en octobre 2010 ; le nom du Français Jean-François Richet est alors évoqué pour le remplacer. Quant au rôle principal, il a bougé de Christian Bale à Samuel L. Jackson ; le méchant devait être joué par Sean Penn, qui nous infligea son Into the wild (2007), mais il a dû se désister pour cause d’incompatibilité de plannings.

Inoubliable

       Des scènes d’anthologie resteront dans l’histoire du cinéma : l’attaque fameuse de dame grizzly avec des effets spéciaux translucides (ILM, Industrial Light & Magic, le studio d’effets spéciaux créé par George Lucas) avec force nounours bleu et un cascadeur en prise avec la doublure de DiCarpaccio où, poncif, le faux serre à fabriquer du vrai ; la chute de cheval quasi mythique ; l’homme nu fusionnant avec l’animalité, thème récurrent chez Iñárritu (Amours chiennes, Amores perros, 2000 où les dresseurs s’identifiaient à leurs bêtes; Birdman, où l’homme devient oiseau), en se réfugiant dans un cheval éviscéré en direct ; la plaine aux bisons ; le rapport au racisme d’un fils finalement assassiné, à l’image lointaine du fils d’Iñárritu, perdu deux jours après sa naissance à la suite de complications médicales (« Pues cuando ardio la perdida, reverdecieron sus maizales », « Puis, lorsque la perte fut consumée, le champ de maïs a reverdi » dédié à sa femme au générique de « 21 grammes »). Les 135 000 $ sont amplement justifiés, d’autant que le film est produit par Arnon Milchan (Brazil, Terry Gilliam, 1985 ; JFK, Oliver Stone, 1991 ; Fight Club, David Fincher, 1999), un joueur collectionneur d’art, marchand d’arme et qui fut longtemps un espion israélien recruté par Shimon Peres, tant cela fait plaisir de voir encore une superproduction à l’ancienne de la 20th Century Fox plutôt que ces daubes de blockbuster de super héros, genre Superman vs Batman.

 Léo the last

Si j’ai beaucoup de mal avec DiCarpaccio, trop actor studio n’ayant pas appris le principe d’effacement chez Brando grâce à sa présence physique, force est de constater qu’il fait le job et plutôt bien. Même s’il n’a pas la force d’une Monika (Sommaren med Monika, Igmar Bergman, 1953), son regard azur final, tel un lac limpide de montagne, résume le parcours d’un homme qui entre dans la légende, qui est une brique lors de la création d’une société, les USA. Grâce à Glass, pauvre péquin, le pilotis de la fondation d’une société est posé. Remarquez que le pionnier et éclaireur vivait avec une Pawnee et a aimé un fils métis – ce qui « justifie » d’autant sa revanche au passage. Tel est le message d’un réalisateur mexicain à la peau hâlée ayant intégré les USA depuis une dizaine d’années. Il l’a bien mérité son Oscar, tant Iñárritu que DiCarpaccio. Le deuxième use de l’expression intéressante « virtual reality » à l’égard du premier. C’est la principale nouveauté du film, un degré supplémentaire dans le réalisme, le chaînon manquant. Reste à revoir Le Convoi sauvage (Man in the wilderness, Richard C. Sarafian, 1971; « Une chronique de l’errance et de l’instabilité » selon Le Dictionnaire des films américains de Tavernier et Coursodon), à partir de la même légende d’après les faits divers, ainsi que Le territoire des loups (The gray, Joe Carnahan, 2011).

[Ciné] Une naine rouge : « Interstellar »

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Interstellar, Christopher Nolan, 2014

Voici un film de SF écolo entre Les Moissons du ciel (Days of heaven, Terrence Malick, 1978), mais moins poétique que The Tree of Life (Terrence Malick, 2008) où joue également Jessica Chastain, révélée au grand public, et l’inévitable 2001 : L’odyssée de l’espace (2001 : A space odyssey, Stanley Kubrick, 1966). Il est fascinant de constater que le film de Kubrick est toujours un canon du genre dont aucune production n’arrive à se détacher tant côté images et scénario que côté musique (ici le fatiguant orgue de Zimmer qui œuvra dans Batman Begins, 2004 ; Le Prestige, 2006 ; The Dark Knight, 2007 ; Inception, 2009; The Dark Knight Rises, 2011). La parabole de la chambre à coucher dans le film d’après Arthur C. Clarke est mille fois plus parlante que toutes ces circonvolutions d’une certaine mise en pratique, absurde parfois, de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Le scénario, écrit entre frères Nolan, s’inspirerait des travaux de Kip Thorne, un physicien théoricien connu pour ses apports à la physique, l’astrophysique et surtout au domaine de la gravitation. Le scientifique, qui a également participé à l’écriture du scénario, est connu pour avoir exploré la théorie de la relativité générale d’Einstein. D’après ses recherches, il serait possible de voyager dans le temps, grâce aux fameux trous de ver. Le frère Nolan, coscénariste de tous les films depuis Memento (1999), confirmerait avoir beaucoup lu les travaux de Carl Sagan, scientifique et astronome américain (série Cosmos). La compréhension, grâce au scénario, est assez fluide. Le coup du trou de ver était déjà présent dans le troisième volet de la saga Transformers de Michael Bay (Transformers 3 : La face cachée de la Lune, Transformers : Dark of the Moon, 2010 : Sentinel Prime envisage de coupler la Terre à Cybertron grâce au moyen d’un trou de ver). Dans The Avengers (Joss Whedon, 2011), les horribles chitauris envahissent New York par le biais d’un trou de ver. Dans Donnie Darko (Richard Kelly, 2001), il permet de se rendre dans le passé. Star Trek, Star Wars et Star Gate ont eux aussi imaginé l’expérience dans de nombreux épisodes. L’astronaute américaine Marsha Ivins, qui a participé à cinq expéditions vers la station spatiale MIR, a été conseillère technique. L’équipe a visionné l’excellent L’Étoffe des héros (The Right Stuff, Philip Kaufman, 1983), sous-estimé. Voilà pour la caution « scientifique ». Hoyte Van Hoytema, le directeur de la photographie (La taupe, Tinker Tailor Soldier Spy, Tomas Alfredson, 2011 ; Her, Spike Jonze, 2013) remplace l’habituel Wally Pfister ; il s’est inspiré de Le miroir (Zerkalo, Andreï Tarkovski, 1974). Le voyage vers Saturne est raté : il n’est pourtant pas compliqué d’obtenir des images fiables de cette planète, la plus photogénique du système solaire. Reste qu’initialement développé par Steven Spielberg à partir de 2006, Interstellar n’a finalement pas été réalisé par le cinéaste à cause de son emploi du temps. Il proposa à Christopher Nolan, qui devait se contenter de signer le scénario, de reprendre le projet à son compte. Ouf ! Déjà la famille était au centre dans Rencontres du troisième type (Close encounters of the third kind, Steven Spielberg, 1977), Spielberg étant le metteur en scène cité par Nolan. Mais arrivent les ennuis de production. Tout a débuté sous la houlette de la Paramount. Après l’adhésion de Nolan au projet, la Warner Bros, qui a produit et distribué tous les récents travaux du cinéaste, a tout fait pour récupérer le projet. Pour trouver un terrain d’entente, les deux magnats du cinéma ont fait un troc : en échange de la distribution d’Interstellar, Warner céda à la Paramount les droits de financements du prochain volet de la saga Vendredi 13 et ceux d’une nouvelle adaptation de la série South Park.

Cooper (Matthew McConaughey, repéré dans Mud – Sur les rives du Mississippi, Jeff Nichols, 2011 ; souvenez-vous aussi de sa brève mais remarquable apparition en Mark Hanna dans Le Loup de Wall Street, The Wolf of Wall Street, Martin Scorsese, 2012) est une sorte d’Ulysse malgré lui, tirant souvent sa larme, propulsé par la société Lazarus, un film américain ne pouvant éviter la métaphore chrétienne lourde (Adam et Eve, Caïn et Abel, l’arche de Noé). Quelques réussites toutefois avec un retournement génial, une superbe scène de « tesseract » dont les effets spéciaux ont été réalisés par Double Negative, la compagnie qui créa ceux d’Inception, entre démontage d’HAL, les livres, métaphore du temps, sur des rayons plus proches du tableau La bibliothèque de Vieira da Silva (1949) que de Borges (La Bibliothèque de Babel, nouvelle publiée en 1941 puis en 1944 dans le recueil Fictions), ce dernier étant une référence citée par Nolan, remplaçant les cartes mémoires, et la longue séquence de suspension de Tom Cruise dans Mission : Impossible (Brian De Palma, 1995). Il est fascinant d’observer que, l’être humain étant limité dans les catégories de l’espace et du temps, le temps est représenté par l’espace. Rien en 3D, car Nolan ne l’apprécie pas à cause de la réduction de l’image sur l’écran, contrairement à Gravity (Alfonso Cuarón, 2011) bien supérieur sur le plan immersif quoique avec un scénario tenant sur un timbre-poste,  mais des caméras IMAX et un format 70mm. En séance normale, la projection se cantonne au format scope. La seule poésie du film est celle, ressassée, du poète gallois Dylan Thomas, dont est commémoré le centenaire de la naissance, en hommage à son père mourant, publié dans Vision et Prière et autres poèmes (1951) :

    Do not go gentle into that good night,

    Old age should burn and rave at close of day;

    Rage, rage against the dying of the light.

 

    Though wise men at their end know dark is right,

    Because their words had forked no lightning they

    Do not go gentle into that good night.

 

    Good men, the last wave by, crying how bright

    Their frail deeds might have danced in a green bay,

    Rage, rage against the dying of the light.

 

    Wild men who caught and sang the sun in flight,

    And learn, too late, they grieved it on its way,

    Do not go gentle into that good night.

 

    Grave men, near death, who see with blinding sight

    Blind eyes could blaze like meteors and be gay,

    Rage, rage against the dying of the light.

 

    And you, my father, there on the sad height,

    Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.

    Do not go gentle into that good night.

    Rage, rage against the dying of the light.

    N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,

    Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du [jour ;

    Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.

    Bien que les hommes sages à leur fin sachent que [l’obscur est mérité,

    Parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair ils

    N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

    Les hommes bons, passée la dernière vague, criant [combien clairs

    Leurs actes frêles auraient pu danser en une verte baie

    Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.

    Les hommes violents qui prient et chantèrent le soleil [en plein vol,

    Et apprenant, trop tard, qu’ils l’ont affligé dans sa [course,

    N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

    Les hommes graves, près de mourir, qui voient de [vue aveuglante

    Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme [météores et s’égayer,

    Rage, s’enrager contre la mort de la lumière.

    Et toi, mon père, ici sur la triste élévation

    Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes [violentes, je t’en prie.

    N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.

    Rage, s’enrager contre la mort de la lumière.

A noter que ce poème a été cité par David Tennant dans un épisode de Doctor Who (The Shakespeare Code, saison 3) : Rage, rage against the dying light ou encore dans Assassin’s Creed IV, Black Flag. Interstellar rime avec nanar : nous sommes loin de Stalker (Andreï Tarkovski, 1979). Il existe à ce sujet un livre intéressant : Luminet, Jean-Pierre. Les poètes et l’Univers : anthologie. Paris : le Cherche-Midi, 1996, 2002, 2012. Espaces. 427 p. 2-86274-473-5; 978-2-86274-473-5; 978-2-7491-2778-1. Une inévitable tirade dégoulinante sur l’amour sévit : « L’amour est la seule chose qui transcende le temps et l’espace ». Evitons l’imbécilité sur l’instinct de survie.

Des références à des débats actuels sont égrenées : la terre polluée par l’homme, le rôle des drones, les baisses de financement de la NASA (projet martien revu à la baisse), une période de révisionnisme où l’école apprend à Murphy qu’Apollo 9 n’était en fait qu’une mascarade destinée à ruiner l’économie soviétique en l’entraînant dans une conquête spatiale illusoire (souvenons-nous du délire autour d’un Kubrick qui aurait filmé les pas des astronautes sur la Lune dans un studio), la gpa pour la colonisation humaine, les plans B qui ne sont parfois pas les meilleurs.

Michael Cain (Professor Brand), collaborant avec Nolan depuis 2004 avec Batman Begins, est méconnaissable. La version Imax, uniquement disponible en français, ne permet pas de savoir s’il a conservé son accent cockney. Même en vieillissant, Matt Damon (Dr Mann) est toujours aussi inexpressif. Sortie de catwoman (The Dark Knight Rises, 2011), Anne Hathaway est craquante. Dans les premières ébauches du scénario, Murphy, en référence à la loi de Murphy (ah ! ah !), interprétée par Jessica Chastain, était un jeune garçon. C’eût été dommage ! Après quelques remaniements, le rôle est devenu féminin. Le point fort du film est la relation père/fille, celle de Christopher Nolan, Flora, figurant réellement dans Interstellar, laisse songer à Contact (Robert Zemeckis, 1996 ; Jodie Foster). Casey Affleck joue le fils Tom, attaché à la terre. A l’origine, Irrfan Khan (présent dans Slumdog Millionnaire, Danny Boyle, Loveleen Tandan, 2008 ; L’odyssée de Pi, Life of Pi, Ang Lee, 2012) devait faire partie de l’aventure. Mais, engagé sur plusieurs projets, dont The Lunchbox (Ritesh Batra, 2012), l’acteur a été contraint de décliner la proposition. L’inévitable robot compagnon (Tars, Case, Keep), construit en forme de monolithe par Bill Irwin, comédien spécialisé dans ce domaine qui prête également sa voix à l’un des trois robots, paraît peu crédible tout comme l’encodage binaire à la poussière ou en morse dans une aiguille de montre. L’inévitable ami astronaute perdu dans l’espace. Il est fascinant également d’observer qu’un genre établi sur l’imagination, la SF, est extrêmement codé au point de la brider. D’un point de vue scientifique, le film met en évidence la non résolution du lien entre la mécanique quantique et la gravitation.

Interstellar a été tourné au Canada, à Calgary, dans la province de l’Alberta, où le maïs, à perte de vue, évoquant la dépression du Dust Bowl (Raisins de la colère, The Grapes of Wrath, John Ford – 1939), ne pousse pas. Une partie s’est déroulée dans un magnifique paysage d’Islande, où se déroula également Batman Begins (Christopher Nolan, 2004). L’équipe a dû essuyer une furieuse tempête de deux jours. Au total, pas aussi déshonorant que le ridicule Le Trou noir (The Black hole, Gary Nelson, 1979 : Tars ne serait-il pas l’anagramme de Star, le vaisseau principal ? Ici, il se nomme « Endurance », référence à la mythique expédition emmenée en 1914 par sir Ernest Shackleton à travers l’Antarctique. Qu’est-ce qu’Anthony Perkins, Ernest Borgnine et Robert Forster firent dans cette galère produite par Disney ?), même si, en français, le trou noir se nomme Gargantua ! 2h49, c’est long dans le temps humain de nos 3 pauvres dimensions ! Un blockbuster de plus, un, après le récent crash du vaisseau SpaceShipTwo du milliardaire britannique Richard Branson, « pionnier » du voyage intersidéral, dans le désert californien du Mojave, après le gel du carburant du lanceur Soyouz, l’errance du satellite Galileo sur une mauvaise orbite, l’explosion en vol de la fusée Antares mais Rosetta qui s’approche du but !

[Ciné] Vol au-dessus d’un nid de cocus

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La propriété, c’est plus le vol, La proprietà non è più un furto, Elio Petri, 1973

J’ai vu La propriété, c’est plus le vol (1973). Je suis. Je panse donc je suis. J’essuie donc. J’hais je suis, qui est un autre, cette antre, entre autre. Etre et avoir au centre de la réflexion de ce film peu commun, incarnée par la tirade-conjugaison délirante d’un Pivot fou, entre les citations de Talleyrand(-Périgord) et du grand bœuf muet de Sicile aka Saint Thomas d’Aquin, du père pauvre (Salvo Randone), ou retraité qui tire le diable par la queue, de Total. La propriété, c’est plus le vol est le dernier volet de la tératologie politique d’Elio Petri (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, 1970 ; La Classe ouvrière va au paradis, 1972).

Dans les affres de l’essence de l’avoir, Total (Flavio Bucci), un banal employé de banque, pétri d’envies, est rongé par une allergie croissante à l’argent, au point de se gratter jusqu’au sang, de porter des gants SM, jusqu’à inaugurer la geste télévisuelle de Gainsbarre :

Face caméra, d’entrée de jeu, Total nous débite la totale. Grâce aux délices de la coproduction, Julien Guiomar campe un faux-cul de directeur de banque sous pression, servile aux puissants. Le rôle prend rétrospectivement sa saveur depuis la chute de Lehman Brothers et alii. Guiomar préfigure déjà Tricatel dans L’aile ou la cuisse de Zidi (1976). Total jalouse un expansif boucher (Ugo Tognazzi), une sorte de Berlusconi, qui joue du Chateaubriand au guichet, un pavé dans la mare, escroque ses clientes qui en redemandent, exploite du personnel au noir, a ouvert plusieurs boucheries clandestines, ne paye ni ses impôts ni ses taxes, a plusieurs immeubles non déclarés, fraude l’assurance lors d’un pseudo vol, a une belle voiture, un bel appartement kitch, orné de tableaux de Campigli, au design seventies comme dans Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, et, last but not least, une femme. Au royaume de la combinazione, celle-ci est évidemment secrétaire à la boucherie, a un corps de danseuse de cabaret (longues jambes, petits seins) peinturlurée en cagole sortie d’un film d’horreur et un large sourire avec chewing-gum blanc en bouche. Digne d’une soirée bunga-bunga, l’actrice n’est autre que Daria Nicolodi, la compagne de Dario Argento, la mère d’Asia et la co-scénariste, entre autre, de Suspiria (1977), écrit d’après un conte de sa grand-mère, Yvonne. Dans un face caméra, elle s’affirme de façon érotique comme une femme-objet à la splendeur vespérale de la famille Adams. Le jeu de Flavio Bucci préfigure le monde de Dario Argento, dans un univers également annonciateur de Phantom of the Paradise (Brian de Palma, 1974). Les deux acteurs ont été décorés respectivement au Golden Goblets d’Italie et Golden Globes en 1974.

L’immeuble cossu où vit le boucher est filmé comme chez Dario Argento plus tard (Ténèbres, 1982). Les cadres sont soignés (Luigi Kuveiller) comme les portes en perspective Renaissance dans l’appartement bling-bling. Le salon de l’autodéfense, visité façon moutons de Panurge, est l’occasion d’une scène onirique tournée de façon soufflante qu’Hitchcock ou les frères Cohen ne renieraient nullement, même outre-tombe en ce qui concerne le premier. Le montage de Ruggero Mastroianni est électrique. La musique expérimentale d’Ennio Morricone, qui intégra en 1965 le groupe d’improvisation et de composition avant-gardiste Nuova Consonanza, joue sur la respiration angoissée, comme captée dans le Studio di Fonologia musicale de Milan à travers les feulements de sa femme, Cathy Berberian. Ici, comme le suggère un générique abstrait rehaussé par les expérimentations d’Ennio Morricone, les masques tombent. Le boucher traqué flippe. Un cambrioleur cardiaque, nonobstant travesti dans un cabaret (Alessandro Marzo « Albertone » joué par Mario Scaccia), meurt d’une crise au poste alors que le comparse d’un laps, Total, venu apprendre l’art de voler, lui charge la mule du pape après avoir volé le voleur. Il faut dire que, dans la botte de l’isthme des –ismes, Total prône un marxisme-mandrakisme. Le magicien apparaît en icône pop en face de tonton Karl. Ceci n’aurait pas déplu à Resnais, vu son projet abandonné sur Mandrake ! Total se déguise en prêtre pour balancer le boucher, couteau à l’appui, puis s’esquive. Le commissaire de police Pirelli (Orazio Orlando), voué aux puissants, finit par tenir des discours officiels incohérents. Il participe à l’hommage délirant de Paco l’argentin (Luigi Proietti), occasion d’une ode au vol, lors de l’enterrement du cambrioleur-travesti. Rires garantis.

Un grand merci à la Titanus, et son géant frappant sur le gong, à Tamasa et surtout à l’Immagine ritrovata de Bologne pour son énième travail remarquable de restauration. La saisie du négatif en 4k converti en 2k méritait bien un Prix du Meilleur Film restauré à la Mostra de 2013 (Venezia Classici) ! Les propos émouvants de la veuve d’Elio Petri au Festival de Montpellier en 2009 ne sont pas restés lettre morte.

 

[Ciné] Arizona nightmare : « Phase IV », Saul Bass, 1974

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Phase IV, Saul Bass, 1974

Avant les phasmes de Microcosmos (Marie Pérennou, Claude Nuridsany, 1995), Phase IV est l’unique long métrage de Saul Bass. Le générique est plutôt sobre pour celui qui travailla pour Hitchcock (a-t-il réellement storyboardé en 70 séquences la scène de la douche dans Psychose, Psycho, Alfred Hitchcock, 1959 ? Marli Renfro, celle qui doubla Janet Leigh dans la fameuse scène, a été l’objet d’un livre : Graysmith, Robert. La fille derrière le rideau de douche. [Paris] : Denoël, 2014. Impacts. 373 p. 9782207116579. Même question concernant la séquence de l’assassinat du flic dans le même film d’Hitchcock), Preminger, Aldrich, Frankeinhemer et Scorcese, entre autres, au même niveau que Man Ray ou Cocteau. Le film commence directement avec un fond noir puis étoilé, une voix off, celle du narrateur, et enfin les mots « Phase I » s’affichant dans l’angle supérieur droit de l’écran avec une belle typographie. Le film est découpé en partie mais la phase IV n’est pas indiquée car suggérée par une fin flippante. Le côté très esthétisant, inspiré de Paul Rand, est très présent, nous épargnant les courbes de Lissajous de Sueurs froides (Vertigo, Alfred Hitchcock, 1957) pour d’autres tout aussi belles.

Lynne Frederick illumine le film. Sur son cheval. L’anglaise est morte à 39 ans d’alcool et de drogue. Elle a été mariée à Peter Sellers. Elle a tourné dans Nicolas et Alexandra (Nicholas and Alexandra, Franklin J. Schaffner, 1971 ; Edward Bond au dialogue additionnel), un film de la Hammer (Le cirque des vampires, Vampire Circus, 1972), un western 4 de l’apocalypse (I quattro dell’apocalisse, Lucio Fulci, 1975 ; merci Vincent !), Schizo (Pete Walker, 1976), Le voyage des damnés (Voyage of the Damned, Stuart Rosenberg, 1976). Phase IV marque les retrouvailles de Nigel Davenport et Lynne Frederick, après Terre brûlée (No Blade of Grass, Cornel Wilde, 1970).

Ce film d’anticipation a été diffusé à la MJC Monplaisir dans le cadre de la 3e édition du Festival de Science-Fiction de Lyon, les Intergalactiques, dont la thématique est la post-écologie. Merci à AOA pour cette projection rare, grâce à la Paramount Pictures, via Legend Films : malgré un immense flop, Phase IV  gagna tout de même le Prix spécial du jury au Festival international du film fantastique d’Avoriaz 1975 ! Même si DVD ou BluRay, les craquements de la belle copie font craquer de plaisir. Bien sûr, Phase IV rappelle, avec les hommes en combinaison dans une station isolée, 2001, l’odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, Stanley Kubrick, 1968 ; d’après le bouquin d’Arthur C. Clarke) et Solaris (Solyaris, Andrei Tarkovsky, 1972 ; d’après la nouvelle de Stanislaw Lem) mais aussi Le mystère Andromède (The Andromeda Strain, Robe Wise, 1971 ; d’après une nouvelle de Michael Crichton). Si les films SF et à bébêtes étaient pléthore à l’époque, ici la série B à fourmi géante est évitée. Louons le scénario original de Mayo Simon aidé de Barry N. Malzberg.

Le film est abstrait, à la fois scientifique et expérimental. Amateur de Freud, lui-même féru d’art égyptien antique, Saul Bass multiplie les références à l’art primitif ou précolombien qu’il affectionnait temps. Les sculptures des fourmis, simples et abstraites, laissent songer aux énigmatiques sculptures sur l’île de Pâques ou à l’art aztèque. Les dessins de communication entre l’être humain et les fourmis sont des figures abstraites mathématiques, basiques (rectangle, carré, cercle, triangle). Les boutons d’ordinateurs sont des poèmes visuels (couleurs, alignements). Le rapport microcosme / macrocosme, cher à Terrence Malick, est constant. La forme même de la station d’étude, propice au huis clos étouffant, est géométrique. De par leurs angles de vue, la profondeur de leurs plans et même certains éléments de décors, les scènes tournées à la surface du désert d’Arizona donnent souvent l’impression d’observer une peinture surréaliste. Fourmis, solœil ? : Un chien andalou, Luis Buñuel, 1928. L’œil de la fourmi est raté voire ridicule à force de répétition. Le plan séquence de l’arrivée de la voiture dans la chaleur surpasse, ce qui est difficile, grâce à la photographie de Dick Bush, le magnifique plan d’Omar Sharif (Sherif Ali Ibn El Kharish) sur son chameau en plein désert dans Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, David Lean, 1962 ; directeur de la photographie : Freddie Young). Les divers insecticides sont prétextes à différentes lumières, comme plus tard les fumigènes dans certaines scènes hallucinées d’Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1976). Il est impossible de ne pas penser à l’agent orange de Monsanto utilisé au Vietnam. De même, le désert du Nevada remémore fatalement les divers essais nucléaires. Enfin, la musique de Brian Gascoigne est superbe au point de songer à Ennio. Le travail de bruitage sonore est fin.

Saul Bass obtiendra un oscar du meilleur court métrage documentaire en 1969 pour le court Why Man Creates (1968), déjà écrit par Mayo Simon, avec George Lucas en opérateur non crédité. Côté écologie, Saul Bass a tourné le court avec sa femme Elain, avec séquence d’animation en prime, The Solar energy (The Solar film, 1980 ; 9’17 sur youtube http://www.youtube.com/watch?v=70Y7Kl-2_8k ) coproduit par Robert Redford qui a tenu à ce qu’il soit diffusé avant Les hommes du président (All the President’s Men, Alan J. Pakula, 1976) dans lequel le bellâtre tourne aux côtés de Dustin.

Ce film un peu long a-t-il inspiré Bernard Werber ?

[Ciné] De la bombe : « Les Petites Marguerites » improjeté !

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Les Petites Marguerites (Sedmikrásky, Daisies, Věra Chytilová, 1966).

Les improjections ou musique improvisée sur films cultes (ils ont tenté et réussi leur pari sur Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia, Bring me the head of Alfredo Garcia, Sam Peckinpah, 1974 au Kinoscope de la Croix-Rousse, la blackxploitation avec Super Fly, Gordon Parks Jr., 1972 au Toï toï le zinc, etc.) nous offre ce sublime film dans un écrin outillé de retours et de lumières, l’amphi Kantor à l’ENS conseillé par Vincent Riot-Sarcey, Les Petites Marguerites de Věra Chytilová (Sedmikrásky, Daisies, 1966). Je l’avais vu l’année dernière au Zola avec des publications graphiques old school à l’occasion. Je suis tombé amoureux du film que d’aucun qualifierait de punk.

On assiste aux répét’ où on est super accueilli par Magda-la-troublante-polonaise-fille-de-la-balle & Pierre-Marie, maître de Goneprod. Les images défilent, les musiciens, généreux se donnent déjà. L’heure arrive. Les étudiants se précipitent d’un pet, tels des vampires assoiffés. Phil aka Mister Pink tant il ressemble à Steve Buscemi, présente le toutim avec une gaufre dont le sucre glace tombe pendant qu’il manque de s’étouffer dans sa présentation par crainte de L’attaque de la moussaka géante (I epithesi tou gigantiaiou mousaka, Panos H. Koutras, 1999 projeté au Comœdia dans un festival homo 2015 où Koutras était invité). Ce dernier film délirant ne pourrait-il pas inspirer Improjections ?

Věra Chytilová est morte en mars 2014 à 85 ans. Elle fut, comme Milòs Forman (prix Lumière 2010), Ivan Passer (Cutter’s Way, 1981, rediffusé il y peu sur les toiles), Jiri Menzel (un film présent au festival Lumière 2014 avec le magnifique Trains étroitement surveillés, Ostre sledované vlaky, 1966 d’après une nouvelle de Bohumil Hrabal : voir chronique sur Facebook Festival Lumière 2014 ; http://www.franceculture.fr/oeuvre-des-trains-etroitement-surveilles-de-jiri-menzel), une des figures phares de la Nouvelle Vague tchèque, même si elle est la moins connue. Le film fut tourné dans la foulée des Petites Perles au fond de l’eau (Perlicky na dne, 1965), collectif, manifeste de ce mouvement de jeunes cinéastes en rupture avec l’académisme socialiste, dont elle avait signé un des sketches. Née dans la ville tchèque d’Ostrava (Moravie) elle a travaillé comme actrice, mannequin, photographe, dessinatrice, avant d’intégrer la FAMU, prestigieuse école de cinéma pragoise, dont elle fut une des premières étudiantes femme. Couronné par le prix de l’Union internationale des ciné-clubs au festival d’Oberhausen, son film de fin d’études, le court Le Plafond (Strop, 1962), est souvent considéré comme le coup d’envoi de la Nouvelle Vague tchèque. Décidant de rester au pays, sa carrière a été brisée, comme Shirley Clarke aux Etats-Unis ou Helma Sanders-Brahms en Allemagne pour Allemagne, mère blafarde (Deutschland bleiche Mutter, 1980) à cause de « Les Petites Marguerites ». Malgré un bon accueil au Lincoln Center à New York en première mondiale puis à la Cinémathèque française, elle a été accusée de  nihilisme, notamment à cause du réjouissant gaspillage de nourriture auquel se livrent les deux jeunes anti-héroïnes. Choc dans un pays où les gens faisaient la queue pendant des heures devant les magasins d’alimentation. Le film sera autorisé à sortir en salles au moment du Printemps de Prague d’Alexander Dubček mais la répression soviétique tomba. Věra Chytilová sera interdite de tournage pendant sept ans lors de la « Normalisation ».

« Si le monde est dépravé, alors soyons-le aussi. » Le film suggère une expérimentation, une aspiration esthète, une orientation résolue vers le collage, le pop art, le happening warholien, le dadaïsme voire le surréalisme, le psychédélisme (voir le cauchemar pré-lynchien des Fruits du Paradis après un fondu enchaîné sur plan de coupe), la frange underground des enfants de la Nouvelle Vague, un anarchisme involontaire typique de la culture tchèque depuis son soldat Chveïk. Sur un ton libertaire, anti-autoritaire, féministe, c’est un jubilatoire esprit de liberté, toutes fenêtres ouvertes, qui règne. « Nous deux, ses actrices, étions vraiment les outils de la critique qu’elle voulait mener d’une société assez décadente à l’époque. Par décadente, j’entends que cette société n’avançait plus, elle n’évoluait plus d’aucune manière, quelque chose était désespérément figé. Lorsqu’on nous parlait de l’Ouest, notamment à l’école, on avait l’impression de vivre sur une planète à part. Et je crois que Vera voulait aussi explorer l’idée de destruction. Alors elle mettait en scène ces deux jeunes femmes qui se disent : si tout le monde est ainsi dépravé, pourquoi ne ferions-nous pas la même chose, pourquoi ne pas s’accorder cette liberté de provoquer, d’aller de plus en plus loin ? » se souvient Jitka Cerhová (Marie, la brune), choisie « pour une attitude [spontanéité], une manière de s’exprimer, un caractère, qui lui laissaient deviner qu’elle pourrait obtenir de nous ce qu’elle désirait ». Elle puise tant chez Godard que chez Méliès et les maîtres de l’animation tchèque. La musique live s’en donne à cœur joie, laissant parfois incruster le son original. Phil joue à la guitare un rockabilly frénétique et drolatique ; les basses pètent, la batterie fuse. Ils mouillent la chemise free jazz fusion, post rock. Voici ce que déclare Věra Chytilová : « Je me souviens qu’aux examens d’entrée à la Famu, on m’a demandé comme question obligée pourquoi je voulais faire des films, et j’ai répondu : « Parce que les films qu’on fait aujourd’hui ne me plaisent pas. » Je les trouvais ennuyeux, trop scolaires, trop parfaits. Car, moi-même, je suis imparfaite. Ce qui m’amuse c’est l’improvisation, c’est d’inventer d’autres choses que ce qui est dans le scénario. »

Souvenirs de Věra Chytilová : « Je venais de quitter la Cité U et je faisais n’importe quoi avec la fille avec laquelle j’habitais. [la pratique de partager une chambre en pension avec un-e autre étudiant-e reste courante dans les mêmes infrastructures en République Tchèque] L’idée de départ était donc de capter le style de vie de ces jeunes filles tant que j’en savais quelque chose. » Les deux héroïnes, Marie 1 & Marie 2, sont ainsi la version tchèque de Brigitte et Brigitte de Luc Moullet, sorti la même année, où deux provinciales débarquent à Paris pour leurs études. Le film s’inspire de la Nouvelle Vague française de la fin des années 50 par un style expérimental avec des passages du noir et blanc à la couleur, et inversement, diverses accumulations visuelles et sonores, des séquences animées abstraites en papier découpé, des archives documentaires ainsi que diverses accumulations visuelles et sonores. Figurent également fragmentations (du montage, des plans en eux-mêmes, des corps), floutage, décoloration (usage ponctuel de pellicule noir et blanc pour des raisons de frais), collage disparate. Dans ce travail de diffraction, elle est aidée d’un chef opérateur virtuose, son époux Jaroslav Kučera, de la musique pop dissonante de Jiří Šlitr et Jirí Sust, d’une costumière attitrée, Ester Krumbachová, (qui contribuera au look « autre » des films tchécoslovaques chez entre autres Jaromil Jireš), caractérisée, tout comme le metteur en scène, par Jitka Cerhová (Marie la brune), de « créativité, d’une élégance, d’une classe ». La « dépravation », dénonciation de l’ère Novotný, évoquée à l’aide d’un montage explicite sur une suite de cadenas, n’est rien face à celle du monde et de leur époque, le film allant jusqu’à une dédicace « à ceux qui ne s’indignent que de la salade piétinée. »

       Argument de Věra Chytilová : « Nous avons basé le film sur la confrontation suivante : quelque chose peut être esthétiquement beau et en même temps être une image d’anéantissement. Sans l’esprit, rien n’est possible. La même chose peut être positive ou négative. Tout dépend du point de vue et de ce que vous voulez faire passer. De toute façon, tout commence par la naissance et s’achève par la mort. Ce qui importe c’est qui se trouve entre les deux. Or, est-ce seulement plaisir et rigolade ? Ou quelque chose de plus encore ? Et si oui, de quoi s’agit-il, puisque tout nous parle de néant ? ». Le film débute par un générique composé d’imagerie typique d’un certain réalisme socialiste à la propagande va-t-en-guerre, avec force bombardements aériens et explosions atomiques, ponctuée en montage alterné de photogrammes de mécanismes de train en action, motif classique de l’avant-garde du début du siècle. L’une se cure le nez, l’autre souffle dans une trompette. Le film passe du noir et blanc à la couleur (en monochrome, parfois). Les deux Maries au début du film, assises par terre face à la caméra, l’air blasé, se meuvent de façon symétrique dans leur petit maillot de bain vichy. Chaud  (le jardin d’Eden) froid (allures de La grande bouffe, Marco Ferreri, 1973 version expérimentale soit avec un libidineux digne de Daumier soit lors d’une tablée de mariage).

       Glande éhontée façon « Il y a rien à faire, j’sais pas quoi faire… » (Anna Karina dans Pierrot le Fou, Jean-Luc Godard, une année auparavant), jeux érotiques de Marie 1 devenue une pseudo shakespearienne Juliette avec collection entomologique de papillons élaborée par un romantique niais qui voudrait arriver, lui aussi, à ses fins pour ajouter une femme de plus à son tableau de chasse. Grimaces, déguisements, fardages, bataille de bouffe, entartage (souvenons-nous de la scène finale coupée de Docteur Folamour, ou: Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe, Dr Strangelove or : How I learned to stop worrying and love the bomb, Stanley Kubrick, 1964), singerie d’un fox-trot dans un club huppé où la musique live dénote et dépote, rend grâce au non-sens, au gré également du son du Mile High Club avec une chanson du groupe « new wave » Bow Wow Wow qui y fait l’apologie du sexe en avion. Cela sent Marx Brothers ou Curb Your Enthusiasm. Les héritières des deux Marie seront Juliet Berto et Dominique Rabourdin dans Céline et Julie vont en bateau (Céline et Julie vont en bateau, Jacques Rivette, 1974) et les sœurs Françoise Dorléac et Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de Rochefort (Jacques Demy, 1967). Le tournage ne fut pas de tout repos : « lorsqu’elle nous a fait jouer recouvertes de suie et que j’ai mis des heures à me laver, en la maudissant ! Ou la séquence du bain de lait – j’avais exigé du lait d’ânesse, mais Vera n’avait pas voulu -, où il nous fallait nous déshabiller… » témoigne Jitka Cerhová. La scène de la table et des plats piétinés a été pénible car « après trois jours, (…) régnait une puanteur insoutenable ». La musique live se déglingue de façon ascendante lors de cette longue, sans être ennuyeuse, scène finale. Autres anecdotes : « quand Vera nous a demandé pour la scène finale de grimper sur un gigantesque lustre et de nous y balancer à plusieurs mètres du sol. J’avais vigoureusement refusé, exigeant que l’on fasse d’abord monter des hommes à notre place, et le lustre s’est presque aussitôt écroulé… La plupart du tournage s’est déroulé en studio, mais j’ai aussi un souvenir aigu de cette fois où nous jouions à l’aube dans une rue, toutes deux habillées de robes colorées, quand soudain la scène a été traversée par un essaim d’hommes à vélo : des ouvriers qui, à quatre ou cinq heures du matin, se rendaient à l’usine. C’était vraiment la rencontre de deux mondes irréconciliables, et le film rend compte de cela. »

Contrairement à ses camarades Milòs Forman, Jan Nemec ou Ivan Passer, Véra Chytilova n’a pas fui son pays. Contournant l’interdiction qui pesait sur elle à partir de 1968, elle réalisera, avec le soutien d’un producteur belge, Le Fruit du paradis en 1969. Dans cette fable où une femme trompe son mari avec un assassin en série, elle poussa plus loin encore que dans Les Petites Marguerites ses expérimentations formelles et narratives. Mais son initiative eut pour effet de renforcer les sanctions et d’accroître son isolement. Comme elle le confia à Michel Field en 1994, sur le plateau de l’émission Le Cercle de Minuit, elle a alors radicalement cessé de tourner : « J’ai travaillé comme jardinière, construit ma maison, et j’ai écrit plusieurs scénarios. » Elle reviendra aux affaires avec une comédie, Le Jeu de la pomme (Hra o jablko, 1977), puis alternera des fictions (Panelstory aneb Jak se rodí sídliste, 1980, Kalamita, 1982) et des documentaires (Prague, cœur inquiétant de l’Europe, Praha – neklidné srdce Evropy, 1984). Après la chute du mur de Berlin, cette artiste rebelle a continué à tourner des films, documentaires et fictions, jusqu’au milieu des années 2000.

A la sortie les visages sont enjoués. Les musiciens ont mouillé la chemise pour notre grand plaisir. Rendez-vous à la Marquise le jeudi 28 mai à 20h30 pour Schizopolis (1996) de Steven Soderbergh.

[Ciné] Super mimi, le Mimì métallo blessé dans son honneur

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Mimì métallo blessé dans son honneur, Mimì metallurgico ferito nell’onore, Lina Wertmüller, 1972

Une découverte incroyable : Mimì metallurgico ferito nell’onore ou Mimì métallo blessé dans son honneur (1972) de la prolixe Lina Wertmüller, italienne d’origine suisse. De son vrai nom selon wiki Arcangela Felice Assunta Wertmüller von Elgg Spanol von Braueich, aaaaatchoum !, toujours vivante, est née en 1926.

C’est une superbe satire des mœurs siciliennes, un genre cinématographique en soit. Il n’est qu’à rappeler Divorce à l’italienne (1961) et Séduite et abandonnée (1964) de Pietro Germi avec la superbe Stefania Sandrelli jusqu’au radical et pitoyable L’Oncle de Brooklyn (Lo zio di Brooklyn, 1995) de Daniele Ciprì et Franco Maresco, sauvé par une magnifique photo de Luca Bigazzi, certamente. Mimì métallo blessé dans son honneur a été primé au Prix David di Donatello et au Golden Goblets (1972) ainsi qu’au Golden Globes et au Prix du Syndicat National des Journalistes de Cinéma (1973). Il a été diffusé en 2012 au Festival International de la Rochelle.

Le terrone se perd dans une ville enfumée du Nord à la circulation continue pour trouver du travail alors qu’il fuit la mafia de Catane, signée par trois grains de beauté à la joue. Ce signe distinctif en gros plan est une idée drôle, simple et géniale. A Turin, il y trouve son chocolat : une nouvelle femme trotskyste et féministe aux grands yeux à la belladone, Fiorella (Mariangela Melato, déjà présente dans La classe ouvrière va au paradis, La classe operaia va in paradiso, 1971, Grand Prix international à la 25e édition du Festival de Cannes) cousant ses pulls dignes du Père Noël est une ordure. Mais le plus Mimì de tous les mimis, Carmelo Mardocheo, est obligé de retourner à Catane. Il devient un petit chefaillon dans une usine. Son épouse légitime reste un os dans sa vie, surtout lorsque Rosalia (Agostina Belli) vient à fauter avec le douanier, jusqu’à avoir un polichinelle dans le tiroir, puisque nous sommes dans la commedia dell’arte. Le scénario original est de Lina Wertmüller.

       La scène la plus marquante de cette ancienne assistante de Fellini sur Huit et demi (1963) est celle où Mimì essaye bon an mal an de coucher avec l’obèse Amalia (Elena Fiore), digne Saraghina habillée en noir, sac strict à la main, nonobstant épouse du douanier avec lequel fauta la femme du métallo, afin de lui faire également un enfant. Les fesses flasques et cellulite sont déformées par un gros plan distordu telle une baleine de près. L’énorme verrue sur la joue de ladite ne gâte rien. Dégoût assuré. Certains plans sont de toute beauté grâce à la photographie de Dario Di Palma. Ainsi la raffinerie de soufre à Catane, est un prétexte à des variations de jaune, comme le blanc de la carrière de craie en Sicile chez les Frères Taviani (Kaos, contes siciliens, 1984 d’après des nouvelles de Luigi Pirandello). Le smog turinois avec Mimì perdu au milieu des voitures fait penser au récent film proche de l’installation d’art contemporain, Les Chiens errants de Tsai Ming Liang (Jiao you, 2013).

       Cette comédie italienne dénote par rapport aux autres excellents films italiens de la même époque. Entre Toto et Charlie Chaplin, Mimì (Giancarlo Giannini) incarne la lâcheté dans toutes les situations, la fourberie della commedia et le machisme dans un jeu volontairement outrancier. Mimì, lors d’un premier rendez-vous, tente de violer celle qui deviendra sa seconde femme ; il vante l’enfermement domestique des femmes en Turquie. Comme il cache sa deuxième femme et ne fait plus l’amour à sa première femme (vous suivez ?), il doit prouver sa virilité pour parer à l’accusation d’homosexualité lors de son retour en Sicile !

       Si c’est en écoutant les syndicalistes en ces années de plomb qu’il ne vote pas pour un candidat de la mafia aux élections et est privé de travail en représailles au début du film, il fera partie à la fin de l’équipe de la mafia qui forcera les gens à voter. Spoilé, na ! La boucle est bouclée.

Petite anecdote : Nanni Moretti déteste tant l’œuvre de Lina Wertmüller que dans Je suis un autarcique (Io sono un autarchico, 1976), Michele, le double du réalisateur, était pris de vomissements convulsifs au seul énoncé du nom de la cinéaste ! Un film pourtant à redécouvrir au plus vite pour sa richesse et son mordant réconfortant. Nominé pour la Palme d’or à Cannes : alors pas de réalisatrice au festival de Cannes (Jane Campion, Naomi Kawase, etc.) ?

[Ciné] « Le scandale Paradjanov ou la vie tumultueuse d’un artiste soviétique » (Serge Avedikian, Olena Fetisova, 2013).

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« C’est un scandale » aurait dit Marchais, le prince du scandalisme. Pourtant, il en est vraiment un, avec un titre à la Jules Verne : « Le scandale Paradjanov ou la vie tumultueuse d’un artiste soviétique » (Serge Avedikian, Olena Fetisova, 2013).

Un film à voir toutes affaires cessantes pour les amateurs de Méliès et, bien sûr, de Paradjanov (Pardjanian en fait). Serge Avedikian avait obtenu une palme d’or à Cannes pour un court métrage avec animation (« Chienne d’histoire », 2010). Ici l’animation, pertinente, sera collages, comme les siens avec des matériaux hétéroclites (bijoux, poupées), comme le patchwork des populations du Caucase, le stop-motion, etc. L’autodidacte a pu se faire financer par le Têtu Pierre Bergé qui avait rencontré Paradjanov avec Yves Saint Laurent en son époque. En effet, le mégalogénial de Tbilissi est mort peu de temps après avoir été honoré au Centre Pompidou, scène qui fait l’objet d’une séquence émouvante.

Les ennuis commencent en 1964 lors de la projection du film « Les Chevaux de feu » (« Tini zabutykh predkivtitre » ou « Shadows of Forgotten Ancestors », à ne pas confondre avec l’académique « Chariots de feu », « Chariots of Fire », Hugh Hudson, 1981). Paradjanov est inquiété car il refuse de doubler en russe sa fiction postsynchronisée pour garder le houtsoul, une langue parlée dans les Carpates. L’inflexible artiste dans sa plénitude estime que la légende relatée dans le film appartient à cette peuplade portée à l’écran : traduire en russe serait une perte en saveur et en vérité. Vu le succès, Paradjanov est invité en France et en Argentine mais les autorités ne le laissent pas partir. Il est dans le collimateur comme, de l’autre côté, Orson avec Hurst et ses sbires.

L’acmé du film est la rencontre avec Marcello Mastroianni, joué par Napo Elbano, Marcello étant sans doute venu à l’époque, pour tourner ou présenter « Les Yeux noirs » (« Oci ciornie », 1987) de Nikita Mikhalkov, le malheureux du festival de Cannes. Le roublard Para en profite pour extorquer des roubles pour financer son film à coup d’enfant-éphèbe peint en noir qui clame tous les 5mn « Paradjanov est un génie » après un coup de corne. Paradjanov est finalement, sur le fondement des folklores, l’un des cinéastes les plus surréalistes, foi d’escarpin fétichiste enfermé dans une cage d’oiseau. Du Méliès, avec des magnifiques scènes d’incrustations, beaucoup moins froides que les animations d’ « Hugo Cabret » (« Hugo », Martin Scorcese, 2011) qui n’a failli jamais sortir pour des raisons de faillite et d’argent. Paradjanov est au travail, s’incruste dans ses films : il mime les rôles. C’est une féérie constante au milieu de l’enfer soviétique (5 ans de taule pour avoir volé des icônes et pour être homo, destin wildien, ce que prouve « Achik Kerib, conte d’un poète amoureux », « Ashug-Karib », 1988 où il focalise sur un éphèbe qu’il affectionnait tant, où le conteur est joué par une femme, du no-nos pour la gender studies). Il avalise ma théorie comme quoi nous vivons dans le rêve, de nuit comme de jour, enserrés dans la réalité et non l’inverse. Les rêves sont prémonitoires, parfois cauchemardesques, mais cocasses du fait de l’usage de l’accéléré. Le chef op’, Sergey Mikhalchuk, est si parfait qu’il transcende les scènes, certes émasculées par Hollywood, de Dali dans « La maison du docteur Edwardes » (« Spellbound », Alfred Hitchcock, 1945). Avedikian est un magicien dans la lignée de Paradjanov mais pas comme le fauché « F for Fake » d’Orson Welles (1973).

Les influences cinématographiques de Serge Avedikian sont multiples. Son premier contact avec le septième art a été avec des réalisateurs du cinéma soviétique des années 20 et des années 30 tels qu’Alexandre Dovjenko et Sergueï Eisenstein. Puis, par la suite, il découvrit Andreï Tarkovski, Artavazd Pelechian et le cinéma européen avec Pier Paolo Pasolini, Federico Fellini, Ingmar Bergman et Michelangelo Antonioni, la plupart étant admirateurs de Paradjanov. Tarkovski est le seul à avoir soutenu Paradjanov, jusqu’à risquer gros en écrivant aux hautes autorités. Avedikian a rencontré Paradjanov à Tbilissi en Géorgie en 1983, puis à Erevan en Arménie et à Paris vers la fin de sa vie (1988-1991). Pour jouer l’interprète principal, l’arménien a dû se remettre au russe que les soviétiques lui avaient inculqué dans sa jeunesse. J’aurais, sans rire, bien vu Kad Merad jouer également Paradjanov (souvenons-nous du fabuleux Pierre Richard en Pascal Ichak dans « Les mille et une recettes du cuisinier amoureux », « Shekvarebuli kulinaris ataserti retsepti », 1996, de la géorgienne Nana Dzhordzhadze). C’est pourtant bien un biopic mais d’une telle originalité ! Le fil rouge de son amour pour sa magnifique ex-femme, dont elle eut un fils, est peut-être une romance de la scénariste Olena Fetisova.

Même les Chardère, dont la femme Alice, arménienne et insupportable tant elle parle pendant les films, en sont restés cois. Ce film a gagné Prix spécial du jury lors du 17e Festival du film « Nuits noires » de Tallinn (PÖFF) en Estonie. Michel Ciment et Philippe Meyer ne s’y sont pas trompés non plus. Que ce film passe dans une seule salle à Lyon, et encore la pire, la salle 6, au Comœdia, est un scandale sur le scandale ! A noter, pour notre plus grand plaisir, la resortie nationale du chef d’œuvre « Les Chevaux de feu » (« Tini zabutykh predkivtitre » ou « Shadows of Forgotten Ancestors », 1964 de Sergueï Paradjanov.

http://www.franceculture.fr/emission-projection-privee-projection-privee-serge-avedikian-2015-01-10

Hallucinant : une page folle !

« Une page folle » (« A Page of Madness », « 狂った一頁 », « Kurutta Ippēji », Teinosuke Kinugasa, 1926)

Merci Marie(-Emilie) de m’avoir conseillé « Une page folle » (« A Page of Madness », « 狂った一頁 », « Kurutta Ippēji », 1926) ! Elle l’avait vu en 2002 au Festival international du film de La Rochelle dans la section Trésors muets du cinéma japonais. Fissa donc au Musée des Confluences, récemment ouvert. Un couple tente de magouiller pour avoir une meilleure place en placement libre dans le tout nouvel auditorium, à la jauge chiche avec odeur de produits synthétiques neufs.

Réalisateur d’une centaine de film, Teinosuke Kinugasa (1896-1982) tourna sur ses deniers en un long mois son 35e film, au studio Shochiku Shimogamo à Kyoto. Toute l’équipe, acteurs compris, aidèrent à la peinture des décors, poussèrent les chariots et fabriquaient les accessoires. Kinugasa avait seulement huit petites lumières pour travailler ; il a peint les murs avec son argent et a acheté des éclairages supplémentaires. Comme il ne pouvait payer l’hébergement, l’équipe dormait sur place ! Conditions difficiles pour un film qui fut un échec commercial. Kinugasa, qui a tourné un « Sept samouraïs » en 1937 est plus connu pour son « Porte de l’Enfer » (Grand prix du Festival de Cannes et Léopard d’or au Festival de Locarno, 1954). Il a poursuivi ses tournages dans le célèbre et plus traditionnel studio de la Shōchiku.

« Une page folle » a une histoire hallucinante : le film a été perdu dans l’incendie des studios Shimogamo en 1950. Un tremblement de terre n’a pas arrangé l’affaire, la guerre non plus. Ce qui explique au passage pourquoi le Japon est le pays qui a perdu le plus de films. En 1971, année bénie, Kinugasa trouve une copie dans un bac à riz dans son grenier. Le film sera amputé de 500m : sera-ce une excuse pour de multiples rediffusions sauce « Métropolis » ? La copie, désormais numérisée, a trop de contraste et un grain trop rugueux. Elle devrait être plus argentée avec une gradation de gris beaucoup plus fine. En format carré (1:37), le haut serait amputé. En effet, le haut s’affiche sur quelque chose au plafond. Quant au bas de l’écran, il était mangé au quart par la contrebasse de Chris Jennings, un ampli et les violonistes Louise Salmona & Manuel Solans ainsi que la violoncelliste Marie Ythier, surélevés.

Kinugasa a commencé comme membre d’une troupe Shimpa et a obtenu la formation comme onnagata ou acteur des rôles féminins. Ce qui explique au mot passant, que son acteur fétiche, Kazue Hasegawa, également un ancien onnagata, était en vedette. Masao Inoue, l’un des grands acteurs de l’époque tant au théâtre qu’au cinéma, offrit un soutien important par son expertise et son prestige en jouant le rôle masculin principal. Le public japonais connaissait les grands films du cinéma expressionniste allemand (Murnau, Lang). Enoncer qu’ « Une page folle » serait le « Le Cabinet du Docteur Caligari » (« Das Kabinett des Dr. Caligari », Robert Wiene, 1919) serait réducteur tant le film japonais est plus riche en mêlant réalisme et onirisme. Dès 1924, les films français de la première avant-garde, dite impressionniste plus que surréaliste (le « Chien andalou » de Luis Buñuel ne sera réalisé que deux ans plus tard en 1928), sont arrivés dans un Japon enthousiaste : les émigrants russes en France comme Tourjansky et Volkov, mais aussi « La Roue » d’Abel Gance (1921) et les films de Marcel L’Herbier. L’influence de Gance est évidente pour la scène du début très cut (plans rapides en montage parallèle) avec la tempête (cf. « Napoléon », Abel Gance, 1925 vu avec 3 projecteurs dans les arènes de Nîmes ; en cours de restauration actuellement) et la danseuse à la Loïe Fuller ainsi que les nombreuses surimpressions. La connaissance du cinéma russe, Eisentein notamment, est moins évidente malgré un art consommé du montage car, lors de la période Taisho (1912-1926), toute influence communiste et soviétique était réprimée après la révolution soviétique. La plus forte influence directe était certainement « Le dernier des hommes » (« Der Letzte Mann », « The Last Laugh », F.W. Murnau, 1924). Avec la caméra déchaînée (Entfesselte Kamera) d’un Karl Freund nippon, les travellings se succèdent, tout comme les plans subjectifs, entre documentaire, fiction, rêve et folie. La caméra, harnachée à l’acteur afin d’exprimer la vision subjective, à l’épaule, libérée du pied pour être portée sur un charriot, se meut, participe à l’action, devient un personnage à part entière. Sans parler des plans en angle hollandais, des anamorphoses, des jeux de perspectives avec les lignes (barreaux). Beaucoup d’effets de symétrie ou avec des figures géométriques comme chez Hans Richter ou Viking Eggeling (« Diagonal Symphony », « Diagonale symphonie », 1923) ou Fernand Léger (« Ballet mécanique », 1924). Toute la technique cinématographique est convoquée pour notre plaisir.

Si les intertitres sont absents, l’histoire, peu facile à comprendre à première vue, importe peu. En effet, Kinugasa adapte au cinéma la démarche de l’école Shinkankaku ou néo-perceptioniste (parfois appelée néo-sensationnaliste) issue de l’avant-garde littéraire. Ce courant dicte que le récit est moins important que la manière de le raconter, et privilégie les sensations à la narration, via des métaphores et des allégories. Aussi, le scénario, a-t-il été écrit en partie par le grand auteur japonais et futur Prix Nobel de littérature 1968, Yasunari Kawabata (1899-1972), en collaboration avec Kinugasa, Banko Sawada et Minoru Inuzuka. Kawabata publiera une version du scénario dans ses œuvres complètes. Les projections des années 1920 au Japon comprenaient une narration dans la salle par un raconteur d’histoire ou benshi, plus connu qu’un célèbre acteur. C’est Musei Tokugawa, le célèbre benshi, qui racontait le film au cinéma Shinjuku Musashinokan à Shinjuku (Tokyo). Cet appui indéfectible du benshi Tokugawa ne suffit pas à résorber le flop. A Kyoto, il s’agissait de Kyokka Ishida : pas de meilleur résultat.

La scène des masques Nô est fabuleuse. Le concierge souhaite apporter du bonheur aux patients. D’où le masque d’Inoue du vieil homme divin, nommé hakushikijo, soit le plus ancien et le plus sacré, pour apporter la bonne fortune et la bénédiction divine. Le rituel de la danse Okina est effectué uniquement lors de la Nouvelle Année, la plus importante, pour invoquer l’inauguration d’une nouvelle étape. C’est aussi indiquer que le cinéma est aussi un art, comme Canudo en Europe, de la part d’un réalisateur venu du théâtre. En effet, dans la hiérarchie culturelle, le cinéma était perçu comme le plus bas niveau culturel.

Vlada Petrić écrit : « The fact remains that historically Kinugasa made the first full feature film whose plot development is radically subverted, whilst its cinematic structure includes virtually every film device known at the time. These devices, moreover, are used not for their own sake but to convey complex psychological content without the aid of titles » (Petrić, Vlada. “A Page of Madness: A Neglected Masterpiece of Silent Cinema”, “Film Criticism”, 8, n°, 1983, p.86-106).

Reste à regretter les poncifs persistants sur la folie (« Soudain, l’été dernier », « Suddenly, last summer », Joseph L. Mankiewicz, 1959 ; « Shock corridor », Samuel Fuller, 1963 ; « Vol au-dessus d’un nid de coucou », « One Flew Over the Cuckoo’s Nest », Milos Forman, 1975) : les visages distordus, même si nous échappons aux mises en scène de psychotiques par Charcot, le couloir, la révolte, la femme qui apporte la rixe.

Nguyên Lê

Mariann Lewinsky détesta le free jazz joué lors d’une ancienne projection au Festival de Pordenone (Italie). Peu adepte de la guitare dans le jazz, à part Django, j’avais découvert maître Nguyên Lê aux fabuleuses Carrières de Junas, près de Nîmes, dirigé par un certain Stéphane Kochoyan, devenu récemment directeur de Jazz à Vienne. Si j’avais aimé la performance technique et son jeu, j’avais peu goûté le résultat. Mais le musicien grisonnant de jazz, d’origine vietnamienne, a été sous l’influence de Jimi Hendrix (cf. album « Purple ») et Pink Floyd (revisitation de « The dark side of the moon »). Ni une ni deux, le Musée des Confluences lui lança commande pour un ciné-concert inédit pour Jazz days. Tous se concentrent sur leurs partitions millimétrées avec impro.

Voici la note d’intention du chef d’orchestre en mocassin : « J’ai voulu écrire cette musique comme une musique de film, avec des moments sonores précisément synchronisés selon chaque scène, mais à l’intérieur desquels les improvisations pourront éclore. L’ordinateur jouera à la fois le film et quelques pistes de sons abstraits, ainsi que des grooves électroniques. La forme et le chapitrage de la pièce sont très précisément définis. A l’intérieur évoluent plusieurs modules qui dialoguent, se frôlent ou se repoussent, pour finalement se marier : la section de cordes, scellant le concept et l’imaginaire par la délivrance de l’écriture ; le musicien électronique, décrivant les abysses de l’âme tourmentée autant que la sérénité du relâchement ; le koto, éminemment acoustique, pur comme la fleur du cerisier ; la contrebasse, tantôt du côté des cordes, tantôt du côté écrit de la guitare électrique et des grooves machiniques ; la trompette, électron libre survolant l’espace grâce à ses improvisations ; la guitare, participant à tous ces côtés à la fois, plus comme un chef d’orchestre que comme un papillon. Un film ténébreux et intense, tendu et contrasté : telle est la musique, assurément la plus sombre que j’aie jamais écrite. »

Le plaisir des musiciens se ressent. Mieko Miyazaki impressionne au koto. Elle chante, crie, lit – Kawabata probablement. Je demande à une asiatique à côté qui ignore ce qu’elle lit. De temps en temps, les notes de Nguyên Lê et Mieko Miyazaki sont identiques. Il s’en donne à cœur joie lors d’une scène de rite et de liesse (cf. beaucoup plus tard « Shara », « Sharasôju », Naomi Kawase, 2003). La partie corde, si elle n’évite pas les pizzicati simultanément aux crises de folie, joue parfois façon premier cercle de Vienne (Alban Berg). J’ai été saisi par le jeu fabuleux du trompettiste norvégien Nils Petter Molvaer, oscillant entre grandes plages calmes scandinaves et notes frénétiques d’un Truffaz de la grande époque sur beat électro (avec Nya sur « The Dawn », 1998), sans inflexions Miles. Je suis moins convaincu par Jan Blang au live sampling façon IRCAM/jazz fusion. Si l’orchestre était conséquent avec les cordes, un percussionniste n’aurait pas démérité ! A regretter les passages incessants du personnel, la manipulation de feuilles par les hôtesses assises sur les marches. Au total : grand moment.

Enfin, comme la Casa da Música de Rem Koolhaas à Porto, la fabuleuse architecture du Musée des Confluences de l’agence Coop HimmelB(l)au (Vienne, Autriche) ne semble pas offrir un bar pour converser après le concert. Bref, beau mais froid comme la mort ! Sans compter le risque de tomber sur la terrasse ! Quant au film, il mérite d’être revu tant il est riche pour 59’.

 Bibliographie

Un extrait du début de « Une page folle » (« A Page of Madness », « 狂った一頁 », « Kurutta Ippēji », 1926) : https://www.youtube.com/watch?v=LK6UKz3n_80 .

Voir également l’éclairant article en anglais (Sharp, Jasper. « A page of madness ». MidnightEye. 07/03/2002) : http://www.midnighteye.com/features/a-page-of-madness/

Lewinsky, Mariann. « Eine Verrückte Seite : Stummfilm und filmische Avantgarde in Japan ». Zürich : Chronos, 1997. Züricher Filmstudien ; n° 2. 441 p. 3-905311-60-7 D’après la thèse de Mariann Lewinsky. Philosophie : Zürich, Philosophischen Fakültat : 1994/1995, Dir : Christine N. Brinckmann.

[Ciné] Spice girls : « A girl at my door »

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« A girl at my door » (« Dohee-Ya », « 도희야 », July Jung)

C’est Vincent qui m’y a emmené, après un salon du chocolat au poivre d’Espelette (Issoire) ou au yuzu (MOF Privas) et défilé de robes en chocolat sur Portishead ou Lana del Rey. Voilà pour le spice. Evidemment Bouillet, Bernachon. Une mention spéciale à mon chouchou, François Gimenez avec un chocolat au vinaigre balsamique à tomber par terre.

L’excellent Ivan, anciennement à l’Institut Lumière, s’est planté en me donnant un ticket pour « Gone girl » (David Fincher, 2014). Certes le mot girl est commun mais les sujets ne sont finalement pas si éloignés, contrairement à la réalisation. « A girl at my door », ou plus justement le titre original, « Dohee-Ya » (« 도희야 » : j’adore la graphie de l’alphabet coréen) est le premier film, maîtrisé, de July Jung. Fortement inspirée par « Crush and Blush » (« Miss Hongdangmu », 2008) du réalisateur et producteur Lee Gyeong-mi, July Jung a bénéficié de l’aide tout le long du processus du film de son professeur, Lee Chang-dong (le chef d’œuvre « Peppermint Candy », « Bakha satang », 1999 ; « Secret Sunshine », « Milyang », 2007 au sujet peu éloigné; Poetry, « Shi », 2010 ) qui l’a produit, à la K’Arts (Korea National University of Arts). L’histoire a été développée à partir d’un ancien chat qui a été chassé alors que sa maîtresse avait adopté un autre chat ; il a tout fait pour regagner son amour avec un beau rat éventré comme présent par exemple. C’est la même chose, transposé chez les humains dans un village « tranquille » au bord de la mer au « Au pays des matins calmes / Pas un bruit ne sourd » (Bashung/Fauque, « Fantaisie Militaire », « Fantaisie Militaire »). Le tournage s’est déroulé essentiellement en extérieur à Suncheon, dans le sud de la province Jeolla, en Corée du sud. Malgré un petit budget, la maîtrise de l’image est sidérante : Kim Hyunseok à la photo, Kim Kyung Bae à l’étrange éclairage. L’usage du format 1.85 permet, paradoxalement, une approche intimiste et délicate. Le travail sur le son est fin (la pluie, les bruits des animaux).

C’est un film policier sans en être. Un tué énigmatique. La chef flic picole, noyée dans la solitude : elle cache le soju dans des bouteilles d’eau. A-t-elle été mutée d’office de Séoul pour cette raison ou pour son homosexualité, sujet peu traité sauf par Hee-il Leesong (« White Night », « Baegya », 2012 ; « Night Flight », 2014) ? Elle se heurte à l’incompréhension de sa hiérarchie, de ses collègues, aussi bêtes que dans l’excellent « Memories of murder » (« Salinui chueok », Bong Joon-ho, 2003), de ses villageois. La gracieuse Young-nam, toute en finesse, est jouée par Bae Doona déjà présente dans « Air Doll » (« Kûki ningyô », 2009) d’Hirokazu Kore-eda ou encore dans « Sympathy for Mr. Vengeance » (« Boksuneun naui geot », Park Chan-wook, 2002), « The Host » (« Gwoemul », Bong Joon-ho, 2006), « Cloud Atlas » (Tom Tykwer, Lana et Andy Wachowski, 2012). Kim Sae-Ron est l’infernale Dohee-Ya qui connaît les sévices de son père et de sa grand-mère. « Des coups de latte / Un baiser » (Bashung/Fauque, « J’passe pour une caravane », « Chatterton »). Elle danse, insouciante, sur le pont donnant sur la mer. Elle avait joué dans « Une vie toute neuve » (« Yeo-haeng-ja », Ounie Lecomte, 2009). Elle a failli refuser de jouer ce rôle difficile mais elle y parvient mieux que bien. Le père pourri est interprété par Song Sae-byeok. Il a joué l’inspecteur de police dans « Mother » (« Madeo », Bong Joon-ho, 2009). Lucide ici, il picole de façon violente. Il tombera pour quelque chose qu’il n’a pas commis malgré toutes ses saloperies dont l’exploitation des clandestins (indiens, pakistanais, etc.), côté social du film.

C’est un beau film, un peu long (1h59) sans que l’on s’ennuie pour autant, avec un scénario trop linéaire qui aurait gagné dans l’ellipse, la suggestion. Si « A girl at my door » a été sélectionné dans la partie « Un certain regard » du Festival de Cannes 2014, il a obtenu un Coq d’or et le prix des 100 fleurs pour Bae Doona, Meilleure actrice dans un film étranger ainsi que celui de la Meilleure réalisatrice débutante pour July Jung (Buil Film Awards 2014). Une cinéaste prometteuse à l’univers riche et singulier. A suivre. Quant à « A girl at my door », il doit être visionné dans les écoles d’assistantes sociales et de l’ENM à Talence, notamment pour les futurs juges d’enfants. C’est un film plein de subtilités et d’enseignements – sans didactisme.

[Ciné] La chienne Clara et les pas chics types

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« La Chienne » (Jean Renoir, 1931)

La Chienne (1931), en resortie nationale en copie numérisée (Cannes Classics), est le deuxième film parlant de Jean Renoir, après On purge bébé d’après la pièce de Feydeau. Jean Renoir est ici est à la réalisation, bien sûr, au scénario (d’après un roman éponyme de Georges de La Fouchardière adapté en pièce par André Mouezy-Eon), au dialogue et au montage. Point commun des deux films : Michel Simon.

Le synopsis selon la source Bifi : Maurice Legrand, un modeste caissier d’une entreprise de bonneterie, partage sa vie entre son bureau, où ses collègues le taquinent, et son épouse Adèle qui regrette continuellement le temps où feu son premier mari, l’adjudant Alexis Godard, ne passait pas ses heures de loisir à barbouiller des toiles, en songeant à la gloire. Néanmoins, Maurice poursuit consciencieusement son violon d’Ingres sans tenir compte de ces propos désobligeants. Un soir, de retour d’un banquet, il s’interpose dans une bagarre et raccompagne une femme dont il tombe amoureux. Quelque temps plus tard, Lulu est devenue la maîtresse de Maurice qui l’a installée luxueusement en dérobant de l’argent à sa femme et dans la caisse de l’entreprise. Lulu demande chaque jour davantage ; elle doit faire face aux exigences de son ami André, un proxénète tyrannique et brutal qu’elle aime passionnément. Maurice est exploité au maximum ; même ses toiles sont revendues sous un faux nom et atteignent, sans qu’il le sache, la notoriété. Alexis Godard se manifeste brusquement à l’attention de Maurice qui apprend avec surprise que l’adjudant a préféré se faire passer pour mort plutôt que de vivre avec Adèle. Profitant de cette aubaine, Maurice imagine et réalise un stratagème qui lui permet de quitter sa femme légalement. Fort de cette rupture, il se rend ensuite chez Lulu, mais il la trouve dans les bras d’André. Le lendemain, provoqué et injurié, Maurice tue Lulu. André, qui a été vu sur les lieux, est arrêté, accusé et condamné. Clochard, abandonné de tous mais libre, Maurice rencontre inopinément Alexis qui lui annonce la mort d’Adèle. Les deux hommes échangent leurs souvenirs, se congratulent et s’éloignent ensemble.

Maurice Legrand (Michel Simon), bien petit dans le film, peint, malgré sa peste de femme (Magdeleine Bérubet) à la diction à la Marie Bell. Son auto-portait fait penser à un docteur Gachet qui irait au Gogh, le suicidé de la société, comme dirait celui qui ressemble désormais à l’ « acteur » Houellebecq sans son dentier. D’autres peintures sont assimilables à des Matisse. Renoir retrace sans doute ses souvenirs ainsi que ceux de son père (cf. exposition Renoir/Renoir en 2005-2006 à la Cinémathèque française) : l’image du marchand d’art, qui embrasse la Chienne peu farouche, est peu flatteuse lorsque la peine de mort le soucie pour la vente de tableaux qui resteraient peut-être. Le fiston fait un clin d’œil complice à la fin du film avec un reconnaissable Renoir trônant à côté d’une peinture de Maurice Legrand.

Les lyonnais ne seront pas insensibles à une préface habile et à un épilogue façon théâtre de Guignol où peu nous chaut de la morale. Guignol est un rappel de l’adaptation théâtrale. Le film n’a pas le défaut récurrent, même Bergman s’y est cassé les dents, de la pièce filmée. Le premier plan, sidérant, pose le cadre : une réunion vue d’un monte-plat. Un plan dans la galerie de peinture par l’éponge Renoir est quasi expressionniste. Les plans du procès sont dramatisés par des diagonales strictes qui se répondent. Une scène entre Maurice Legrand et Lulu, Lucienne Pelletier (Janie Marèse) est perçue successivement de l’extérieur et de l’intérieur. Les fondus enchaînés surprennent : le limonaire automatique Pawlowsky du bar devient le coucou (« La Suisse a connu la fraternité, 500 ans de démocratie et de paix. Et ça a donné quoi ? … Le coucou ! », Le troisième homme, Carol Reed, 1949, Holly Martins-Joseph Cotten à Harry Lime- Orson Wells) chez le couple haineux. Des plans d’inserts sont maladroits mais situent l’action : le palais de justice, l’horloge du verdict.

Les dialogues sont fignolés, Audiard a dû s’en inspirer pour son argot éculé, entre la faconde populaire et le parler apache incarné par le maquereau tombeur Georges Flamant, sorti d’un film muet avec la brillantine Dapperdan digne d’un What else ? voire de son mentor, Rudolph Valentino. Philomène, la pittoresque concierge qui n’inspire pas l’amour, se fend, dans un cri, d’un «  Anatole, y’a du vilain ».

Si la femme de Renoir était préposée au rôle, son inaptitude crasse conduit à diriger les regards vers Janie Marèse. Renoir fut sceptique jusqu’à sa rencontre avec Georges Flamant. Le coup de foudre s’en ressent dans le film. Tout le plateau n’avait d’yeux que pour elle, y compris le metteur en scène qu’on imagine en futur Octave en ours dans le surestimé La Règle du jeu (1939). Même le suisse voulait lâcher ses bêtes, dont son singe, ses prostituées et ses photos pornographiques pour la belle, lasse, qui résista. Préfigurant la chaude Simone Simon, elle se tua cependant dans un accident de voiture sans voir l’avant-première. Georges Flamant se consola avec Viviane Romance avec qui il se maria.

Une scène de bar, digne de Le Café du cadran (Jean Gehret, 1946), étonne. Alors qu’ils entament une bière de la comète digne de feu la Rink (pas celui de Giant, George Stevens, 1955 : Jett Rink par James Dean) de la Brasserie Georges à Lyon, Michel Simon bafouille malgré lui par deux fois en discutant avec le juteux, sorte de Martin Guerre, l’adjudant que la peste de veuve réhausse en colonel. La guerre, toujours la guerre chez Renoir (La Grande illusion, 1937), la camaraderie. Mais pourquoi cette scène n’a-t-elle pas été retournée pour une diction parfaite de Michel Simon ? Trop longue ? Trop coûteux ? Comme au théâtre ?

Un esprit pré « réalisme poétique » à la Marcel Carné, Pierre Prévert, en tant qu’assistant, n’étant pas étranger à l’histoire. De belles scènes de rue avec klaxons et agitation avec travelling en sus, de chanteur de rue, accompagné de guitare et violon, rendant le film populaire. Peu de musique de film mais de la musique indirecte bien entrainante. Une ambiance pré front populaire, plus marquée dans Le Crime de Monsieur Lange (1935).

A la fin Michel Simon préfigure l’inénarrable Boudu sauvé des eaux (1932) d’après la pièce de René Fauchois. A noter un Dalban en second rôle. Enfin, ce beau film, La Chienne, inspira un beau remake tel que La rue rouge (Fritz Lang, 1947) avec Edward G. Robinson.

[Ciné] Check check « Invasion of the body snatchers »

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« L’invasion des profanateurs de sépulture » (« Invasion of the body snatchers », Don Siegel, 1956)

« En Ecosse des gosses écossent » attaquait Bashung dans « Que n’ai-je » (« Chatterton ») avant le référendum. Aux fans d’ipods : le film a failli s’intituler « Je suis une cosse », « I’m a pod ». Ou encore : « Sleep no more », « Ne dormez plus ». Certains y voient l’ancêtre de « Rosemary’s baby » (R. Polanski, 1968), mouais. D’autres, une fable anti coco ou, au mieux, la dénonciation du maccarthysme – re mouais. – La moue de Sceptique de Fos s’accentue – . Ici le clone n’est pas clown – même si ladite cosse semble provenir d’un film d’Ed Wood avec l’ajout d’une « soirée mousse » en serre. Pas clown non plus car Allied Artists a retiré certains passages humoristiques au début afin d’accentuer l’impression de paranoïa et de peur. Bref, les bébés poussent dans les choux ou « dans la blanche écume varech ». La musique angélique berce les petites cosses en serre, cultivées industriellement comme oranges bleues en Californation, à l’aide d’une radio dont le jingle serine « 24h sur 24 de romance ». Le chant des sirènes trompe Ulysse : la musique n’adoucit pas les mœurs !

Trêve de babillage. 50’s, trilogie SF parano : « La Chose d’un Autre Monde » (« The Thing from Another World », C. Nyby, H. Hawks, 1951), « Le jour où la terre s’arrêta » (« The Day the Earth Stood Still », R. Wise, 1951) et « Les envahisseurs de la Planète Rouge» (« Invaders from Mars », W. C. Menzies, 1953). « L’Invasion des profanateurs de sépultures », magie de la traduction, a été répété en une semaine et tourné en une vingtaine de jour avec un budget limité par chéri Don Siegel en 1956 en noir et blanc Superscope en format 2. Le scénariste, Daniel Mainwaring, plutôt de gauche car ayant travaillé avec Joseph Losey (« Haines », « The Lawless », 1950), adapte un court roman de Jack Finney publié dans le magazine SF Collier’s dont le titre français original était « Graines d’épouvantes ». Ici l’histoire est resserrée au profit d’une rythmique plus hachée. Longue et bonne est la plongée dans l’installation de l’histoire à coups de flashback, imposé, en raccord série B.

Kevin McCarthy, qui, sans lien de parenté avec le maudit sénateur, tourne dans de nombreuses séries américaines connues ainsi que dans « Les désaxés » (« The Misfits », J. Huston, 1961), interprète Miles Bennell, un médecin qui joue non du piston mais de la seringue, qui découvre au fur et à mesure le pot au cosse, car en «En Ecosse des gosses précoces» quand le jeune Jimmy ne reconnaît plus sa mère, à coups de voix off et in, après un premier plan de l’homme terrorisé façon « En quatrième vitesse » (« Kiss me deadly », R. Aldrich, 1954). C’est le producteur indé, W. Wanger, celui qui tua l’amant de sa femme, qui fit rajouter la scène de l’hôpital. Orson Welles devait lire, en intro, un message façon actualités radiophoniques comme pour son émission « La guerre des mondes » de 1938. La bombe nucléaire est ici aussi évoquée. « Boum Quand notre cœur fait Boum » à coups d’angles hollandais, expression probablement due à une cravate rétive de Président ; de profondeur de champ, par exemple avec le travelling lors de la tentative de fuite de Miles et Becky Driscoll (Dana Wynter), un amour de jeunesse ; des focales courtes et un montage accéléré ; des raccords dans l’axe ; des noirs profonds d’Ellsworth Fredericks notamment pour la scène terrible du baiser, de lumière plate lors de la réunion « In a silent way » des snatchers convergeant, comme dans « Le village des damnés » (« Village of the Damned », W. Rilla, 1960), vers l’unique place de Santa Mira, ville symétrique de Santa Maria du film sus-cité de Losey ; de la musique de Carmen Dragon toute en pizzicati et en bas de gamme de piano.

La violence n’est pas crue, même si le digne fils spiritueux, Sam Peckinpah, joue un employé du gaz et a participé à la rédaction du script, mais sourde. Au « Nous ne pouvons même pas être fous » d’un psychiatre snatché et néanmoins collègue, répond le « Yes you can » de Miles, aux accents pré Obama au bas mot. Mine de rien, boyau compris, la scène de la mine avec poursuite, répondant à l’échappée du couple du cabinet dans un étroit couloir, est flippante. Le piétinement sur le couple caché rappelle la course de chevaux dans « Ben Hur » (« Ben-Hur a tale of the Christ », F. Niblo, 1924). Vers la fin, nous nous retrouvons dans un décor réaliste et nu de collines californiennes en diable (Sierra Madre) sauce « Les Rapaces » (« Greed » de E. von Stroheim, 1923), avec une probable allusion à Hollywood. Dans un intérieur, des affiches « _ blanc, Mirroir noir [sic] et Femme fatale » sont un hommage. Les voitures à LA auraient été tournées à Mulholland drive, notre transcendentaliste n’y voyant rien à redire. «You’re the next». «You’re the next». Le film aurait dû s’arrêter là.

Si notre artisan s’est spécialisé dans les westerns et les thrillers, Don Siegel a déclaré que « L’Invasion des profanateurs de sépultures » est son film le plus important à ses yeux. Pour Sceptique de Fos, il ne fait aucun doute que ce film est un sursaut face aux conformismes, à la pensée unique, à l’uniformisation, à la consommation/consumation, à la déshumanisation : wake up, move your body ! Même s’il semble un 3e épisode de la « 4e Dimension » tourné par Don, le film, fécond, inspirera les remakes de P. Kaufman (1978) avec l’acteur Donald Sutherland, « Body snatchers » d’Abel Ferrara (1992) et « Invasion» (O. Hirschbiegel, 2007). Les séries TV « Les envahisseurs » ou « Aux frontières du réel » sont postérieures à 1956. Des remakes moins avoués : « Hidden » (J. Sholder, 1987); « Invasion Los Angeles » (« They Live », J. Carpenter, 1988). Kevin McCarthy portera une cosse dans « Les Looney Tunes passent à l’action » (« Looney Tunes: Back in Action », 2003) de J. Dante. Et puis G. A. Romero, D. Cronenberg, K. Kurozawa. Le nom du groupe de métal Mass Hysteria vient-il de ce film ?

[Ciné] Pas de boogie à Brooklyn : « Quand vient la nuit »

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« Quand vient la nuit » (« The drop », Michaël R. Roskam, 2014)

Ce film va devenir un classique : un vrai drop au ventre. C’est un pur noir bien serré dans le scénario, original dans le traitement du film. Le scénar’ ? Ecrit par celui qui créa « Mystic River » (Clint Eastwood, 2002), « Gone Baby Gone » (Ben Affleck, 2006) et « Shutter Island » (Martin Scorsese, 2008) et d’après la novella « Animal Rescue » (« Sauve qui peut » dans Boston noir) : Dennis Lehane, également producteur exécutif, ici. Les codes y sont : la femme fatale malgré elle (avec la cicatrice au pic à glace au cou), Noomi Rapace (Nadia), sortie de « Millénium », le triangle amoureux, « fucking day », un trafic, le « Drop bar » qui sonne bien (unité de lieu), la pègre tchétchène et non les « tchéchénois » (hommage à Ribéry ?), le flic qui enquête, neige et nuit, l’enchaînement tragique des faits, le suspense (un parapluie problématique en digne leçon d’Hitch ; l’atmosphère à fleur de peau, sur le fil du rasoir), braquage, bastos et fight final (Matthias Schoenaerts dans « De rouille et d’os », Jacques Audiard, 2011 et Tom Hardy dans « Warrior », Gavin O’Connor, 2009 étaient déjà adeptes du free fight), etc. Vu la polysémie du terme chez les ricains, le titre « Drop » paraît meilleur : un premier coup, un dépôt en argot apaches, le coffre à argent sale, faire un score. Le titre français surfe sur les succès de James Gray (« Little Odessa », 1994 ; « La Nuit nous appartient », « We own the night », 2006), avec la communauté tchétchène esquissée à la place de l’immigration russe des grands-parents avec cette touche identique de mélancolie. Evidemment évoquer les tchétchènes à Boston aurait eu plus de force à cause des terribles attentats mais Dennis Lehane écrivait pour la série Boardwalk Empire à Brooklyn et le metteur en scène belge à l’accent Arno, Michaël R. Roskam, repéré pour « Bullhead » (« Rundskop », 2010), était plus à l’aise à Brooklyn qu’avec Boston. Autre influence citée en footage au générique : « La Proie » (« Cry of the City », Robert Siodmak, 1948). Pour la petite histoire, il faut dire que David Cronenberg devait s’y coller à « Drop » mais il a lâché l’affaire. Certains critiques songent à se référer à « History of Violence » (David Cronenberg, 2004) ou encore à Sidney Lumet, à « La 25e Heure (« 25th Hour », Spike Lee, 2002). Ensuite, pour reprendre les coulisses, il était question de Neil Burger qui a finalement tourné « Divergente » (« Divergent », 2014). Nonobstant, le producteur était heureux de payer moins cher puisque les équipes techniques étaient sur place, même si Roskam a apporté une partie des membres du staff de son film précédent.

Bien lui en a pris. Roskam vient de la BD : Tardi (pensons au « Brouillard au pont de Tolbiac » d’après un Nestor Burma de Léo Malet), Pratt. Il a suivi l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles. Aussi, s’inspire-t-il ici des travaux du peintre américain George Wesley Bellows (1882-1925 ; école d’Ashcan painters, autour du quotidien et de sa violence ; inspiré sur le tard par Edward Hopper) sur Brooklyn dont il a vu une expo. La chef décoratrice Thérése DePrez a réalisé un travail remarquable. Un bar miteux (« mytheux ») est au centre de l’affaire. Beaucoup de scènes sont tournées en extérieur pour plus de réalisme. Même Scorcese n’est pas arrivé à une telle captation d’un New York intime. Que dire du travail du chef opérateur Nicolas Karakatsanis ? Une scène de début avec reflet dans la flaque rappelle la fin de « La Soif du mal » (« Touch of Evil », Orson Welles, 1957 ; film peu aimé par son réalisateur qui avait besoin d’argent). Constamment la note bleue de la nuit, le blues, est maintenue. Des plans inversés comme paysage mental. La Dolly procure de la fluidité dans ces bas-fonds dignes de Jules Dassin (« Les Bas-fonds de Frisco », « Thieves’highway », 1948). Le sens du détail est méticuleux. La maison à côté du bar qui a servi pour de vraies exécutions dans la baignoire par la mafia (plus de 60 meurtres). Côté costumes, c’est dans les œuvres de Vermeer et du bandit Caravage que le costumier David Robinson a trouvé son inspiration. C’est admirable : peu nous chaut de l’intrigue, tout de même présente, un peu « déceptive », comme dit la doxa critique, malgré un léger retournement à la Keyser Söze (« Usual suspects », Bryan Singer, 1995), c’est l’atmosphère art boiled qui l’inspire. Ne compte que l’interaction entre les personnes ainsi que les personnages eux-mêmes sans psychologie appuyée. Comme dans « Cartel » (« The Counselor », Ridley Scott, 2012) ou chez Cormac McCarthy, Lehane délaisse sciemment l’action. Il est rare d’atteindre un tel niveau de subtilités par les moyens du cinéma. L’humour, belge, est présent : la scène après le coup de feu a déclenché un immense fou rire, relâchement de la tension. Le dialogue entre Bob et Nadia, que l’on sent complices dans la vie, est surréaliste.

Il faut évoquer Tom Hardy qui porte le film. Roskam évoque pour son rôle une « hibernation existentielle » sauce Michel Houellebecq. Méfiez-vous de l’eau qui dort pour qui a une tempête sous un crâne. Front ridé tendu. Certains évoquent Brando, pourquoi pas. Mais son regard perdu est heureusement sans commune mesure avec celui, neutre et bovin, du surestimé Ryan Gosling (« Drive », Nicolas Winding Refn, 2010 avec le ridicule scorpion sur sa veste atroce, comme un gimmick). Le répétiteur Jerome Butler l’a aidé à acquérir le flow et le parler de Brooklyn, cette voix off du début, éraillée, où le barman John Doe semble ruminer dans une barbe qu’il n’a pas. L’anglais Tom Hardy (Bob Saginowski), mannequin à 21 ans, sort du Drama Centre de Londres. En 2006, il a créé « Shotgun », une compagnie de théâtre underground. Comme il aime changer à chaque personnage, il a joué rien moins que Raumont dans « Marie Antoinette » (Sofia Coppola, 2006), Charles Bronson / Michael Peterson (« Bronson », Nicolas Winding Refn, 2008), Eames dans « Inception » (Christopher Nolan, 2010 ; ainsi que le méchant Bane dans « The Dark Knight Rises », 2012 du même réalisateur), Ricki Tarr dans « La taupe » (« Tinker Tailor Soldier Spy », Tomas Alfredson, 2011). Il tourne « Legend » de Brian Helgeland, prévu pour 2015, où il incarne les jumeaux Ronald et Reginald Kray, des gangsters qui ont terrorisé Londres dans les années 50 et 60. Il jouera en 2015 Max Rockatansky dans le reboot « Mad Max: Fury Road » (George Miller, 2015). L’homme est généreux car c’est grâce à lui que la suédoise Noomi Rapace intervient : ils tentaient de travailler ensemble depuis 2 ans. L’expérience se poursuivra dans « Child 44 » (Daniel Espinosa, 2015), avec Gary Oldman en prime. Et le regretté Gandolfini « Soprano », en cousin Marv ici, à qui le film est dédié. Il est parfait en être raté, totalement ruiné de l’intérieur, l’obèse, une petite frappe du bac à sable. Lorsque Bob panique à cause de la garde d’un chien, un pitbull nommé Rocco (en fait 3 pour le tournage ; le prénom est sans doute un hommage à « Rocco et ses frères », « Rocco e i suoi fratelli », Luchino Visconti, 1960), trouvé dans une poubelle (« animal rescue »), le cousin lui balance : « C’est un chien ! Pas un parent attardé qui débarque en fauteuil roulant avec un sac de colostomie au cul en disant : « Occupe-toi de moi ! » ». Sa sœur à Marv’ qui l’enserre. Au centre de l’histoire, le pitbull comme lien, symbole de l’innocence dans un monde dément, déréglé où chacun tente de survivre comme il peut. Le menaçant Mathias Schoonaerts (Eric Deeds) fait flipper à coup de poing sur la table mais a également travaillé le côté vulnérable à la Pacino. Le flic latino Torres (John Ortiz), petite touche cosmopolite en hommage à Brooklyn, comprend sans comprendre. Il rencontre régulièrement notre Forrest Gump Bob dans une église typique américaine kitsch achetée par une boîte d’immobilier. Jamais le barman communie, remarque-t-il ; car pas de réveillon chez Bob. John Ortiz est coutumier de l’ambiance gangster car il a joué Javier J. Rivera dans « American Gangster » (Ridley Scott, 2007).

Malgré l’odeur du pop-corn à cause d’une rare séance privée de «  Mars attacks ! » (Tim Burton, 1996), il a été possible de savourer ce film. D’autant que le nombre de spectateurs était faible. Espérons que le travail de Michel Ciment tant dans le « Positif » de ce mois que dans son émission « Projection privée » de France culture :

http://www.franceculture.fr/emission-projection-privee-michael-r-roskam-pour-quand-vient-la-nuit-2014-11-1

ou sa participation au « Masque et la plume » avec une bonne critique unanime :

http://www.franceinter.fr/emission-le-masque-et-la-plume-les-films-a-voir-ou-pas-7

portera ses fruits. Il n’est projeté que dans 3 salles à Lyon, ville d’origine de la revue « Positif ». Rajoutons-en une couche : le film a été honoré par un prix du jury pour le meilleur scénario au Festival International du film de San Sebastián 2014. En effet, si aucun flashback n’est infligé, nous en exerçons mentalement, comme dans « Usual suspects », Bryan Singer, 1995 tant Lehane est malin. Tous les clichés sont écartés pour saisir les personnages au plus près de leur humanité, même si c’est une flamme au fond d’un tunnel. Roskam a travaillé avec Lehane le passé de chaque personnage (« où, quand, quoi, comment et pourquoi ? »). Plaisir de voir le spot de la Fox Searchlight Pictures, la filiale « auteur » de la Twentieth Century Fox, pour un bon film. Entre chiens et loups, « Quand vient la nuit » travaille encore le spectateur longtemps après sa vision.

 

 

[Ciné] Ne pas perdre une Seconds

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Seconds, l’Opération diabolique (Seconds, Frankenheimer, 1966)

Saine Panique. Formé à la télévision comme William Friedkin ou Franklin J. Schaffner, le new-yorkais John Frankenheimer nous offre en 1966, année satanique, son 8e long métrage, Seconds (titre original) ou L’Opération diabolique. C’est l’ultime volet d’une trilogie dite de la paranoïa avec Un Crime dans la Tête (The Manchurian Candidate, 1962) et Sept Jours en Mai (Seven Days in May, 1964). Seconds est tourné en pleine guerre froide, 3 ans après l’assassinat de Kennedy. 3 acteurs ont figuré sur la liste noire d’Hollywood : John Randolph, Will Geer et Jeff Corey. Présenté à Cannes, le film a été un tel flop que John Frankenheimer, pourtant voisin lors du tournage de Grand Prix (1966) à Monte Carlo, refusa de se rendre à la conférence de presse à Cannes. C’est cependant un chef d’œuvre qui a été diffusé sur La plage de Cannes pendant le Festival de 2014 en version restaurée par Criterion en DCP 2K.

Seconds, L’Opération diabolique est l’adaptation d’un roman de science-fiction de David Ely adapté par Lewis John Carlino. Plutôt que la 4e Dimension, citons Hitchcock présente. Trêve de suspense, voici le pitch (d’après BiFi, France) : après plusieurs appels et visites mystérieux, un homme d’affaires quinquagénaire (Arthur Hamilton, John Randolph), qui n’a pas de Rolex, se voit proposer par une société, L’Organisation, une transformation chirurgicale qui lui rendra santé et jeunesse et, de plus, déguisant sa disparition en suicide, lui permettra de recommencer une vie nouvelle. Ayant accepté, il se retrouve peintre en vogue (Antiochus Wilson, Rock Hudson) sur la côte californienne dans le corps d’un séduisant jeune homme de quelques trente ans. Malgré une apparente réussite sentimentale avec une jeune voisine, il ne tarde cependant pas à étouffer dans son entourage. Au cours d’une soirée, passablement ivre, il livre à tous son secret ; dès lors, il représente un danger pour l’occulte société qui n’hésite pas à le supprimer, son corps servant à une future opération.

Le générique simplissime du génial Saul Bass commence par de très gros plans anamorphosés d’un visage paniqué. Le miroir déformant ne fait plus rire : l’odeur des Yeux sans visage (Georges Franju, 1959) n’est pas loin. La musique flippante de Jerry Goldsmith n’est pas pour rassurer. Ouverture : Grand Central station, New York. Hitch sort de ce corps ! Pour cette scène, il ne faudra pas moins de 7 caméras portées navigant au milieu des figurants, certaines cachées dans des valises. La légende raconte -imprimons-la donc- qu’une figurante blonde fut sollicitée pour se dévêtir dans un coin de la gare, afin de créer une diversion permettant à l’équipe de tourner les prises de vues désirées au milieu de la foule des passants ! Le suant Hamilton, qui a la juste impression d’être poursuivi, se rend à son énigmatique rendez-vous. Il se retrouve plus tard dans un canapé de l’Organisation puis dans un couloir au bout duquel une belle jeune femme dort. Il se rapproche d’elle, elle hurle, il se couche sur elle, elle se débat, il se réveille… La séquence dure 1’20 en une quarantaine de cuts. Frankenheimer sort sa palette : suppression du son avec un cri muet de ladite ; variation des lumières sur un « jump cut » de gros plans identiques ; champ et contre-champ subjectifs ; les points de vue externes placent le spectateur en position de voyeur ; multiplication des très gros plans, souvent mobiles, parfois à la SnorriCam où la caméra est harnachée à l’acteur, apparaissant immobile à l’écran alors que son environnement bouge ; effet dynamique et troublant; split screen indirect avec les miroirs (cf. La Dame de Shanghai, The Lady from Shanghai, Orson Welles, 1946); effets de distorsion des plans larges, avec l’objectif « Fish-eye » grâce à un oculaire à très courte focale (moins de 10 mm). Il faut dire que James Wong Howe, qui travailla depuis le muet à Hollywood avec Cecil B. DeMille en passant ensuite par Josef von Sternberg (Shanghai Express, 1932), Michael Curtiz (La Glorieuse parade, Yankee doodle dandy, 1942) ou Fritz Lang (Les Bourreaux meurent aussi, Hangmen also die !, 1942) parmi ses 140 films, est ici le directeur de la photographie pour son dernier film en noir et blanc. D’où la photographie vaporeuse, les cadrages déformants à la courte focale ou gros plans au grand angulaire parfois au niveau des pieds, des zooms ou des panoramiques, un noir et blanc contrasté. Une scène dans une petite salle rappelle l’ambiance kafkaïenne dans Le Procès d’Orson Welles (1962). La scène hippie de danse bachique et orgiaque à Malibu, elle aussi à caméras multiples, fait écho au Chevalier des sables (The Sandpiper, 1964) de Vincente Minnelli où Charles Bronson joue l’artiste Cos Erickson à Big sur ! L’appartement de l’artiste, où trônent des peintures figuratives au mieux pop ou parfois proche de Bacon, était celui de Frankenheimer. Un avant-goût des ennuyeuses parties entre hollywoodiens. Distorsions à tous les étages pour ce film nettement expressionniste : « Dans Seconds, l’idée de la distorsion était terriblement importante. La distorsion de ce que la société avait fait de cet homme, de ce en quoi l’Organisation l’avait transformé et quand finalement il se dirigeait vers la mort, il ne restait que cette distorsion de la réalité et le constat que tout ça n’avait absolument aucun sens. » (Positif, n°122, décembre 1970, entretien avec Michel Ciment et Bertrand Tavernier).

Le génie est également d’utiliser 2 acteurs pour le même rôle, comme le fera plus tard Luis Buñuel dans Cet obscur objet du désir (1977). C’est une idée d’Hudson qui ne se voyait pas dans le rôle du banquier ; il ne s’épargne pas lors du retrait des bandes, mal rasé. Au départ, John Frankenheimer avait envisagé un autre comédien, Kirk Douglas comme premier choix, mais la lourdeur des prothèses et du maquillage l’en dissuada. Laurence Olivier a été écarté car pas assez bankable. Alors ce fut Rock Hudson dont la journaliste Judith Crist remarqua : « Après 55 minutes formidables, qu’est-ce qu’on obtient ? Rock Hudson… ». Le comédien John Randolph, qui incarne Arthur Hamilton avant l’opération, dut travailler assidument pour acquérir un certain nombre des attitudes ou des postures de Hudson. Le problème de Rock était qu’il était enserré dans les mélos de Sirk dont il voulait sortir. Mais Hudson vit sa carrière décliner et dut revenir au genre qui fit sa célébrité. Evidemment son homosexualité masquée dans un Hollywood glamour n’est pas étranger au problème d’identités du film. Pour la scène de soirée où Tony Wilson/Arthur Hamilton mouille la meule, Rock Hudson s’est complètement impliqué dans la peau du personnage et a joué également dans un état d’ivresse avancée pour plus de réalisme.

La tête en bandelette du héros est entre La Momie (The Mummy, Karl Freund, 1932) et L’homme invisible (The Invisible man, James Whale, 1933). Une scène est touchante, celle des retrouvailles avec sa femme qui ne la reconnaît évidemment pas : « Mort, depuis si longtemps, j’ai presque été soulagée de la disparition de mon mari tant sa tristesse m’affligeait. ». Boum. La fin est glaçante : cris garantis. Juste avant, Hamilton aura l’ultime vision d’un trentenaire baguenaudant vivement sur la plage, enfant sur les épaules. Bref une critique en règle de l’american way of life, préfigurant les films de complots des années 70 tels que Conversation secrète (The Conversation, Francis Ford Coppola, 1972), A cause d’un assassinat (The Parallax View, Alan J. Pakula, 1974), Les Trois jours du Condor (Three Days of the Condor, Sydney Pollack, 1975), Capricorn One (Peter Hyams, 1977), La Théorie des dominos (The Domino Principle, Stanley Kramer, 1977). Frankenheimer : « Je voulais dire que le rêve américain, c’est du vent…Vous êtes ce que vous êtes. Vous devez vivre avec cette idée et l’accepter. Cela ne sert à rien de vouloir rêver que vous changez complètement à l’intérieur de la même société. Au contraire, vous devez apprendre à vivre avec vous-même, à vous accepter tel que vous êtes. Ensuite vous pourrez essayer de progresser et de faire progresser le monde autour de vous, à condition que vous acceptiez votre passé. Si vous éliminez votre passé, vous êtes foutu. Le rêve que caresse le héros est une échappatoire. Vous n’avez pas le droit d’échapper à ce qui vous entoure, à vos responsabilités. Vous ne pouvez pas y échapper, contrairement à ce qu’on vous enseigne en Amérique. Il faut les accepter et essayer de progresser intérieurement (…) Seconds est un film terriblement pessimiste, mais je n’arrive pas du tout à croire au thème de la seconde chance. Ce n’est pas seulement un thème américain, il devient important en France : je lis vos journaux, vos magazines, et là, je crois que vous vous américanisez dangereusement. » (Pratley, Gerald. The Cinema of John Frankenheimer. London : A. Zwemmer; New-York : A.S. Barnes & Co, 1969. The International film guide series. 240 p.).

Une sortie à Lyon cet été qui bénéficie en cet automne 2014 d’une rediffusion Ciné collection dans les salles du GRAC. Il ne faut pas perdre une Seconds : courez-y, à ne rater sous aucun prétexte !

 

[Ciné] Etant donné l’enlisement

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L’étang tragique (Swamp water, Jean Renoir, 1941)

Dans ce délicieux cinéma de Lyon, digne du Champo et autres, L’Opéra, a été projeté L’étang tragique (Swamp water) de Jean Renoir (1941) en renoi et anbl. Swamp n’est ni swag ni supertramp. C’est le premier film américain de Jeannot. Darryl F. Zanuck réclamait un film patriotique alors que la France était envahie ? Après les trompettes de la 20th Century Fox, il aura un pur americana tourné en plein air dans les grands marais d’Okefenokee, Waycrossen en Géorgie avec barbes aristées et lentilles d’eau, mocassins d’eau, avec gland ici, et alligators. Dans la burne éclectique.

Le pitch selon la BiFi : en Géorgie, un homme, Ben (Dana Andrews), s’aventure dans les marais, espérant y retrouver son chien. Un inconnu (Tom Keefer, Walter Brennan) l’y accueille plutôt mal. Il s’agit d’un individu inculpé d’un crime qui se cache dans ce lieu inhospitalier pour vivre près de sa fille, Julie (Anne Baxter), recueillie dans une ferme voisine. Les deux hommes arrivent à se comprendre et Ben sert d’intermédiaire entre le père et la fille. Ben découvrira les deux bandits (Jim et Bud Dorson, respectivement Ward Bond et Guinn Williams) qui ont commis l’assassinat reproché à Tom et obtiendra l’aveu d’un témoin. Finalement, Tom sera réhabilité.

Le scénario, plat, sans grand suspens et manichéen, a été écrit par Dudley Nichols, celui de la Chevauchée fantastique (John Ford, 1938), d’après une histoire de Vereen Bell parue en feuilleton dans The Saturday Evening Post. Comme quoi les faits exceptionnels ne font pas des scénarios fantastiques, qu’Hollywood se le dise. Ici, c’est une verrine. Dudley Nichols écrira deux ans plus tard également celui de This Land is Mine (Vivre libre, Renoir, 1943). Renoir tente de s’ancrer dans la terre américaine sans pionniers et sans mythe des frontières refoulées. Sans pilotis, difficile de se constituer dans du liquide, thème récurrent chez Renoir. Le gland, c’est la magnifique photo de J. Peverell Marley et Lucien Ballard, non crédité. Notamment un plan la nuit avec les scintillements du feu sur les visages. La sensation aquatique est bien restituée, marais stagnants compris. Mais tout ceci sent le John Ford aux petits pieds : pas d’universalité, pas de cosmogonie, pas de bigger than life, la fraternité est de façade.

La pléiade d’acteurs, ayant parfois joué chez John Ford, n’atteint pas l’osmose que Renoir réussissait à créer en France. Entre chemises à carreaux et robes Laura Ashley dans une ambiance à la Ingalls, sans aller jusqu’à la Petite maison dans la niaiserie, Anne Baxter campe une Julie sauvageonne qui se civilise. Nelly serait Mabel MacKenzie (Virginia Gilmore). Le père de Ben, Thursday Ragan (Walter Huston), serait-il un hommage à J-1 à Vendredi ou la vie sauvage ? Le sheriff, Eugene Pallette, remplit l’écran comme à son habitude. Bon, la femme palindrome, Hannah (Mary Howard). Bon, John Carradine (Jesse Wick) avec sa guitare. Bon, bon, Jeannot a vu du paysage, s’est amusé avec les acteurs qui jouent chacun leur partition, nous agrémente d’un happy end. Cela est bel et bien : so what ? En parlerait-on s’il ne s’agissait pas de Renoir ?

OUBLI : la croix dans le marais est reprise dans la scène de bal. Ben (Dana Andrews) en penseur de Rodin à la campagne.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon Post « L’homme de la rue », « Meet John Doe », Frank Capra, 1941

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John Doe, c’est le lambda. Féminin : Jane Doe. Mon film préféré de Capra. La guerre sévit en Europe, le pays sans nom ne va pas tarder à s’engager. Ce dernier a la force de dénoncer les nombreux travers de leur démocratie (corruption/lobbying, caucus/conventions, force du 4e pouvoir comme la presse, manipulations de l’opinion). C’est le dernier de la trilogie initiée en 1936 avec « L’Extravagant Mr. Deeds » (« Mr Deeds goes to town », Frank Capra), puis « Mr. Smith au Senat » (« Mr Smith Goes To Washington », Frank Capra, 1939). C’est ici beaucoup moins sentencieux, plus fluide. C’est la 2e collaboration de Gary Cooper (John Doe) qui accepte malgré un scénario pas encore écrit. Il est phénoménal tant dans la scène de mime de lanceur de base-ball dans l’hôtel que dans la prise de confiance progressive lors du discours fondateur écrit par la journaliste partie d’un canular pour garder son poste suite à charrette à cause d’un rachat, Ann Mitchell (Barbara Stanwyck, une habituée du cinéma de Capra). Deux plans en angle hollandais sont répétés lorsque le spectateur la voit taper à la machine à écrire.           Dire que Capra convoitait Ann Sheridan qui n’a pu honorer son rôle pour un problème de contrat ! Edward Arnold (D.B. Norton) joue superbement les salauds, comme à son habitude, surtout avec le lorgnon. Walter Brennan (The ‘Colonel’) est incroyable en tant que Jiminy Cricket (le sketch sur les « vautours », « hilots » et « lotta heels », accréditant la thèse du parcours christique de John Doe, Viviani, Christian. Frank Capra. Paris : L’Herminier : Ed. des Quatre-vents, 1988. Collection Spectacle-poche ; n°2. 2-907468-02-2. 142 p.). La scène de hobo, où les deux compères jouent de façon répétées avec des patates douces « Hi-Diddle-Dee-Dee » (« An Actor’s Life for Me ») de Pinocchio (1940) ou parfois l’ouverture et le final de « Guillaume Tell », l’opéra de Rossini, dans le wagon, laisse songer à John Ford. Des petits sketchs, assez rares, sont insérés : un peintre qui tente de peindre le 2e l sur la porte du nouveau manageur, qui se révélera un personnage plus complexe, Cornell ; un chien qui mange les feuilles jetées pour l’écriture du discours par la belle. « Sourpuss » (J. Farrell MacDonald) apporte un élément comique.  Tout ceci sera tempéré par l’atmosphère du film, pas trop pesante contrairement à « Mr. Smith au Senat » (« Mr Smith Goes To Washington », Frank Capra, 1939). Les scènes de foule sont particulièrement réussies, notamment lors du recueillement avec le prêtre lors de la convention puis lors de la révélation de la fumisterie, rappelant qu’une foule peut-être violente (« Furie », « Fury », Fritz Lang, 1936).

C’est le premier film produit par la Frank Capra Productions que le réalisateur avait fondé après avoir quitté la Columbia avec son scénariste, Robert Riskin dont c’est la 9e association pour reprendre 10 ans plus tard avec « Si l’on mariait papa » (« Here comes the groom », Frank Capra, 1951). Ils s’accordèrent, après avoir hésité autour de Cyrano De Bergerac et le maudit Don Quichotte (projet raté pour Welles et Terry Gilliam) pour Capra et Shakespeare pour Riskin, sur « The life and the death of John Doe » (« La vie et la mort de John Doe »), une adaptation de sujet de Richard Connell et Robert Presnell d’une histoire nommée « A reputation » (une réputation) parue dans un magazine en 1922. C’est pourquoi Capra a pu tourner 5 fins différentes. Dans l’une d’elle, le film s’arrête à la convention nationale sur une phrase du rédacteur en chef, Henry Connell : « et bien, les gars, vous pouvez mettre ça sur le compte de Ponce Pilate ». Cette fin fut jugée trop plate dans les premières projections-test (previews). Dans une autre version, John Willoughby est montré mort dans les bras du « Colonel » après avoir sauté du toit de la mairie. Capra décida de ne pas conserver cette fin car il jugeait que le public ne lui pardonnerait pas de « tuer Gary Cooper ». Enfin, une autre fin montrait l’industriel D.B. Norton contraindre le rédacteur en chef Connell d’imprimer la lettre du véritable John Doe dans les journaux et, ensuite, Ann Mitchell, la journaliste, empêcher John de sauter et de se suicider. La fin adoptée, grâce à la suggestion d’un membre de l’auditoire de la preview, fait penser à « Le Grand saut » (« The Hudsucker proxy », Joel Coen, 199, un grand flop malgré les moyens importants engagés, où Jennifer Jason Leigh emprunte nettement son rôle à Barbara Stanwyck) et, pourquoi pas, « Breaking the waves » (Lars von Trier, 1995).

Le film a été distingué pour l’Oscar 1942 de la meilleure histoire originale (Richard Connell et Robert Presnell). Une adaptation radio de 30mn a été créée le 28 Septembre 1941 par « The Screen Guild Theater » avec Gary Cooper, Barbara Stanwyck et Edward Arnold dans leur rôle.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon Post Singulier « Un étrange voyage », Alain Cavalier, 1980

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Amateur de faits divers, le metteur en scène ne fit pas cavalier seul puisqu’il co-écrivit le scénario avec sa fille, Camille de Casabianca qui joue, dans l’un de ses premiers rôles, Amélie. Quelques années plus tôt, une famille japonaise, le père, la mère et les 2 fils, voyage en Europe. En arrivant à la gare de Lyon, ils s’aperçoivent que la mère a disparu entre Trieste et Paris, distance tout de même plus longue que Troyes et Paname dans le film ! Une enquête est ouverte mais aucun signe. Alors que la famille avait dû repartir au Japon, un des fils revient en France pour mener une enquête minutieuse et finit par faire une partie du trajet à pied le long des voies ferrées. Ce qui vaut des remerciements à la SCNF au générique du début, car il n’y en aura pas d’autre à la fin, suscitant les rires de la salle.

           Pierre (Jean Rochefort, qui en fait parfois un peu trop) est un quinqua gamin, restaurant une peinture flamande du XVIe siècle, qui cherche sa mère et à connaître sa fille. Dans sa chambre d’étudiante de papier à fleurs jaunes et débordante de livres, elle s’adonne à une touchante et longue scène de boulimie. Dévorer, entre autres, la danette à la main jusqu’à l’écœurement. Un superbe arrière-plan Mondrian blanc grâce aux tiroirs vides du frigo vidangé : « je dégueule le monde » dira Amélie plus tard. C’est dur lorsqu’elle dit, message au papa, qu’elle s’est débrouillée 15 ans avec sa mère (dans la vraie vie, la monteuse Denise de Casabianca), sans lui. Camille de Casabianca réussit à être touchante malgré son parler à la Rohmer sortant de sa bouche pulpeuse, prompte à un oral de Sciences Po. Le marxisme décalé est comique : lorsqu’elle colle son oreille à un rail, hommage probable aux westerns américains, elle réplique : « j’écoute le socialisme qui arrive ». Elle rêve d’une société sans rapports marchands. La politique est également présente dans le film lorsque Marc (Dominique Besnehard avec sa tignasse) joue un hétéro entreprenant qui va en prison pour avoir riposté à des fachos. Son amie, Amélie, est blessée en représailles par les 3 gus. Seulement, ensuite, elle ne porte plus son bandage d’un plan à l’autre alors qu’ils se suivent temporellement !

           L’appartement de la mère disparue : des objets kitchs dans le couloir de l’entrée (une mini fausse tête de cerf), un crucifix mastoc au-dessus du lit, le tic-tac de la pendule dans une petite maison individuelle. François Berléand, dans l’un de ses premiers rôles également, joue un témoin escroc qui donne une piste moyennant force Montesquieu. Vogue le corail, ses compartiments, ses portes que l’on pouvait ouvrir à basse vitesse ou à l’arrêt en rase campagne. Et c’est parti pour l’improbable road movie, ou chemin initiatique, dans une France attachante. Jean Rochefort a une pierre dans sa godasse. Un plein de super dans une coccinelle verte. Les gares. Mutzig sur le panneau d’un bar. Un autre bar à trognes, comme dirait justement Mocky, où Amélie téléphone du trou du cul du monde à un américain probablement imaginaire. Scène décalée et drôle ! Très bon accent de Camille de Casabianca, au passage. Un hôtel au papier déchiré jaune pisseux. Au Dorgère, là où « La discothèque, c’est naturel », un juke box Atlanta, un flipper, un baby-foot sur lequel Pierre joue. Ce film a un charme fou. L’idiot du village en face qui se pique de fleurs, un surveillant de chemin de fer lourdaud (Roland Amstutz), un mitron dégingandé (Laurent Guérin), un guichetier méridional (Patrick Depeyrrat) coincé dans le « nord » se console à coup de perroquet en draguant Amélie. Cavalier, passionné de chemin de fer, au point de rendre explicitement hommage à la « La Bataille du rail » (René Clément, 1945), ignorant ou oubliant que la SNCF a été aussi le « rouage de la machine nazie d’extermination » (PDG de la SNCF, G. Pepy, 2011 ; affaire Lipietz, 2001), nous offre un chemin inédit autour des voies ferrées, ballasts, tunnel et viaduc. Un plan onirique saisit les rails la nuit dans une vapeur fantastique.

           Ce film s’inscrit dans un cycle amorcé depuis « La Chamade » (Alain Cavalier, 1968). Il tourne avec une équipe réduite au minimum mais, dépendant de la technique, n’arrive pas à obtenir la souplesse d’une future DV. Il retrouve son complice, le chef opérateur Jean-François Robin, depuis « Le Plein de super » (Alain Cavalier, 1975). Initialement Cavalier voulait jouer le rôle du père puis céda. Même si Jean Rochefort venait véritablement de perdre sa mère, la scène, reprise en voix off à la fin, où il crie « maman, Gino » est peu crédible. La force du film provient par contre du rapport complice entre Rochefort et de Casabianca. « C’est formidable d’être dans le présent. J’étais bien au chaud entre toi et le futur. » lui dit-il. S’il s’affirme tardivement comme le père de sa fille, elle semble être parfois sa mère ! A propos de mère, celle d’Amélie, Claire (Arlette Bonnard) est un peu absente : son personnage n’est pas étoffé. Pierre semble l’aimer encore. Largué, tout ce qu’il lui dit, c’est qu’elle a changé de voiture. 2 étrangers. Le train, métaphore du cinéma, est ce qui relie mais il peut être le mur de manque de communication quand il roule à toute vitesse sur la voie.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon Post « La Loi du désir », « La Ley del deseo », Pedro Almodóvar, 1986

imagesIci la mention de « La voix humaine » de Jean Cocteau est explicite tant la pièce jouée que dans la répétition de la scène de la femme au téléphone. Un film sans doute important au point que Pedro et Agustín créent une maison de production nommé « El Deseo » dont « La Loi du désir » sera le premier film. Une mise en abyme hitchcockienne avec un vrai-faux fellinien. Comme Hitch, Pedro tourne une brève scène dedans, un vendeur dans la quincaillerie). Comme Hitch, un suspens au bord de la falaise. Comme Hitch, un beau fondu enchaîné roues de voitures / yeux. Un plan trop maestro en contre-plongée de la machine à écrire Olympia (songeons à « Le Festin nu », « The Naked lunch », David Cronenberg, 1991 d’après William S. Burroughs ; c’est l’un des rares films où je suis sorti en cours de séance).

            Le Pablo le 5e (Eusebio Poncela) ressemble à Pedro par la méthode de travail, la construction d’œuvre d’art à partir d’éléments puisés dans la vie privée. Gageons que Pedro n’avait pas de chemise aussi atroce, bien que chère, de Pablo et d’Antonio Benitez (Antonio Banderas). Les scènes homos sont explicites. La sœur, qui tortille du cul (Tina Quintero, Carmen Maura), en fait une trans qui se serait changée par amour pour son père avec qui il/elle couchait, c’est tout de même peu crédible ! Et les poncifs catholiques : scènes de prières, la mort d’Antonio comme une pietà). Trop c’est tropico ! L’affiche a été censurée : les amants ont abandonné le lit vide. La censure fut également économique : le cinéaste a dû souscrire un crédit perso auprès d’une banque.

            La bande son est étonnante avec ses craquements de vinyls. C’est l’une des plus grandes voix du Brésil des années ’50 à ’70, Maysa Matarazzo, qui reprend « Ne me quitte pas » de Brel avec la fillette en playback, rails de travelling apparents. Ce film a obtenu de nombreux prix, notamment LGBT.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon Post « Femmes au bord de la crise de nerfs », « Mujeres al borde de un ataque de nervios », Pedro Almodóvar, 1987

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Enchaînement fatal. Une pièce filmée. Le décor (Félix Murcia) est atroce. Seule est intéressante la mise en abyme. Le générique de Juan Gatti, designer, graphiste et photographe de mode, est très réussi à partir des photos de magazines de mode des années 50 et 60. Il est inspiré, selon Almodóvar, de « Drôle de frimousse » (« Funny face », Stanley Donen, 1956). La scène commence par un doublage du kitch « Johnny Guitar » (Nicholas Ray, 1953). Selon Almodóvar, « l’intention était de montrer la solitude de Pepa par le biais du doublage ». Pepa mais pas Pepi, une Carmen Maura, aux belles jambes, qui commença avec Pedro et ne retournera que 17 ans après dans « Volver » (Pedro Almodóvar, 2005). L’actrice a-t-elle fait de l’ombre au metteur en scène ? Le dialogue, doublé donc, dans « Johnny Guitar », est le suivant : « Mens-moi et dis-moi que tu m’as attendu toutes ces années. Toutes ces années, je t’ai attendu » répond-elle. Ce qui a marqué Almodóvar dans ce film, c’est que les femmes représentent les personnages forts. La scène du gaspacho truffé de cachetons est drôle, bien sûr. Ainsi, j’ai bien la confirmation que la fabrication du gaspacho nécessite l’insertion de mie de pain. C’est d’ailleurs la seule chose qui m’a intéressée. Le chauffeur de taxi-mambo, teint en blond (Guillermo Montesinos), est irrésistible. Il pense même au collyre ! Agustín Almodóvar, le frère producteur, joue un employé de l’agence immobilière. Le plan en contre-plongée d’une cassette de répondeur est très maîtrisé, un peu trop, peut-être. La menace de l’amant terroriste chiite d’une amie de Pepa, Candela (Maria Barranco) avec ses boucles d’oreilles délirantes de cafetière Bialetti, est d’une triste actualité, surtout que Pedro aurait emprunté cette situation à la vie privée d’une amie.

            Le film, qui a mal vieilli, obtiendra de nombreux prix comme le Ciak d’or pour la meilleure actrice (Carmen Maura) et l’Osella d’or pour le meilleur scénario à Venise ; 5 Goya en Espagne (meilleur film, meilleur actrice pour la Maura, meilleur second rôle féminin pour Maria Barranco, meilleur scénario, meilleur montage).

            Au départ, « Femmes au bord de la crise de nerfs » est envisagé comme une adaptation de « La voix humaine » de Jean Cocteau (un livre déjà adapté par Roberto Rosselini en 1947 dans « Amore »). Mais le monologue de la femme abandonnée par son amant n’était pas suffisamment long pour en faire un film, donc Pedro Almodóvar a imaginé les 48 heures qui ont précédé l’abandon. Ceci dit, cet emprunt me paraît plus pertinent dans le film précédent qui va être décrit comme suit.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon Post « Les Choses de la vie », Claude Sautet, 1969

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Sautet 2e manière, après la période noire, fixée pour une quinzaine d’années jusqu’à « Quelques jours avec moi », Claude Sautet, 1988. « Les Choses de la vie » sera couronné d’un prix Louis Delluc 1970. L’écriture du film par Jean-Loup Dabadie, d’après le roman éponyme de Paul Guimard, aidé par la monteuse Jacqueline Thiédot, est admirable. Sautet mêle le récit ralenti et subjectif du conducteur à celui objectif de la vitesse normale en Eastmancolor en format 1:66. Pour la scène de l’accident, 10 jours de tournage seront nécessaires pour 66 plans grâce à 3 caméras soit 3 angles différents. Outre ce jeu constant sur le temps, le système du puzzle pour connaître une personne (cf. « La Comtesse aux pieds nus », « The Barefoot Contessa », Joseph L. Mankiewicz, 1954) est passionnant : les témoignages varient selon les impressions et les sentiments (excellent Boby Lapointe en bétailleur avec un gros plan sur les cochons), les angles changent, les temporalités sont à géométrie variable (lettre de rupture mais message de rendez-vous dans un hôtel ; flash-backs). Normal que le panneau « La noue » explose au contact de la voiture à un carrefour : « Nel mezzo del cammin di nostra vita / mi ritrovai per una selva oscura / ché la diritta via era smarrita » (« La Divine Comédie », « L’Enfer », chant 1, La forêt v. 1-3, Dante Alighieri). BB, Bernard Bérard (Michel Piccoli) doit choisir également entre deux femmes, les formidables Romy Schneider (Hélène), étincelante en Courrèges, et, joie de la coproduction franco-italienne, Lea Massari (Catherine Bérard) qui jouera peu après dans « Le Souffle au cœur » (Louis Malle, 1971).

            Les mots sont frappés sur la machine à écrire : « afabuler » (sic) jouxte « Je t’aime ». Le scénario est lancé. Tout le monde fume déjà beaucoup dans ce film, comme le metteur en scène. La clope est un marqueur du quotidien. Un des premiers plans est un superbe travelling avec les deux protagonistes marchant devant des panneaux de chantiers parfois couverts d’affiches déchirées à la Raymond Hains. L’art est partout présent : une affiche sur l’expo René Char chez Romy, une série de cartes postales de Modigliani dans la chambre du fils. Charme du village : un solex, un bar « Chez Bruno Tord boyau », une estafette, une ambulance DS. Le dialogue de Michel Piccoli est particulièrement réussi par son réalisme qui confine à la poésie sonore. Une scène fellinienne surprend : celle du mariage imaginaire en panoramique, d’inspiration tchékhovienne, où des personnes sont réunies par la force du reste de conscience avant le coma. Comme une surpuissance des sens avant le grand saut. C’est la première collaboration avec le génial Philippe Sarde. Tavernier et Riessent furent attachés de presse du film.

            Le film a fait l’objet d’un remake américain en 1993, « Intersection », réalisé par Mark Rydell. Richard Gere et Sharon Stone en tenait les rôles principaux. A noter un Razzie Awards 1995 de la pire actrice pour Sharon Stone !

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon Parce qu’il faut bien conclure

143 films, dont certains reprojetés à l’Institut entre le 24 octobre et le 11 novembre, et 315 séances dont au moins 4 merveilleux plantages. Je n’ai pas assisté à l’un mais il m’a été conté : « Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier » (Pedro, 1980) au Comœdia où les spectateurs ont été transvasés de la salle 1, à forte capacité, à la salle 4, beaucoup moins grande. Conséquence : des personnes ayant acheté leur billet depuis longtemps se retrouvent … sur les escaliers ! Puis problèmes de projection ! Mais ce n’est rien à côté de « Rambo » (« First blood », Ted Kotcheff, 1982), séance de l’Institut, commencée à point d’heure, en présence du réalisateur avec une projection arrêtée au bout de 15mn ! Aïe aïe aïe. Penelope nous a plantés. Pas de Sigourney.

L’année dernière, j’avais adoré le noir « Une si jolie petite plage » (Yves Allégret, 1948). Cette année, ce sera l’étonnant « Classe tous risques » (Claude Sautet, 1959) et le « Le Voyeur » (« Peeping Tom », Michael Powell, 1959). Une mention spéciale pour « Les Contes d’Hoffmann » (« The Tales of Hoffmann », Emeric Pressburger, Michael Powell, 1950). Pas mal pour quelqu’un qui n’aime pas Powell ! Vincent, lui, a aimé « Trains étroitement surveillés » (« Ostre sledovane vlaky », Jirí Menzel, 1966) et « Overlord » (Stuart Cooper, 1975) que je n’ai pas vu. Dommage pour ce dernier, cela m’aurait épargné un mauvais Sautet ! Une légende a plané sur « El extraño viaje » (Fernando Fernan Gomez, 1964).

Si des progrès sont à noter cette année, il n’en reste pas moins que we want Martin Scorcese, le bruit court depuis si longtemps : pour sa filmographie, pour sa cinéphilie. Gageons que l’accueil d’Isabella y contribue.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 7 Dernière séance bye bye

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« César et Rosalie », Claude Sautet, 1972

Trop discuté, donc cantonné au premier rang. Pas plus mal pour poser son barda et allonger ses jambes. Tavernier juste derrière, se précipite vers le micro pour la dernière présentation. Il cite « Classe tous risques » (Claude Sautet, 1959 ; cf. FESTIVAL LUMIÈRE Jour 2) : ce film n’a pas été bien perçu par les critiques. Ce serait l’un des trois chefs d’œuvres du noir, Gilles Jacob dixit dans son mea culpa. Le critique de cinéma de l’époque ne regardait pas les scénaristes. Or Sautet était co-scénariste sur « Les Yeux sans visage » (Georges Franju, 1959). Sautet est hésitant avant de tourner un film. Le scenario de « César et Rosalie » existe depuis longtemps avec le « zubial » Jardin, repris par Dabadie, soit 9 ans au total. L’histoire est simple : un jour, Sautet voit un type expansif dans une casse de voiture où une superbe femme l’attendait ; il s’est interrogé sur son comportement vis-à-vis de cet homme en cas de béguin ; d’autre part, Jardin et Sautet étaient amoureux de la même femme, impliquant rivalité et amitié. Tavernier déploie tous ses efforts et sa générosité pour réhabiliter Sautet.

« Max et les ferrailleurs » (Claude Sautet, 1970) est un bide. Il est grillé en France. C’est la Paramount qui produit donc. Michelle De Broca va s’en charger, après s’être occupée des films de Louis Malle comme « Le Souffle au cœur » (1970) ou « Lacombe Lucien » (1973). Sautet pense d’abord à Catherine Deneuve et Vittorio Gassman qui se retirent du projet, ce dernier refusant de jouer un homme trompé (« Cornuto ? Jamais ! »). Michelle De Broca ne veut plus de noirceur mais un rapport de comédie intense (enjoué même quand Montand-César imite Bach, retrouvant son côté music-hall). La musique de Sarde est inspirée par Bach. L’enjeu était de casser l’aspect sérieux de Montand en intensifiant l’accent du Midi (« Rashmaninov » comme « ferry boîte »). Il imite bien le cacou, ce gamin, avec sa montre en or et le bagout fatiguant à la Raimu. Tavernier indique que l’accent est peu présent dans le cinéma français. Il n’est qu’à penser qu’aux films de Pagnol ainsi que leur remake par Claude Berri ou Daniel Auteuil, « Bienvenue chez les Ch’tis » (Dany Boon, 2007) et encore récemment « P’tit Quinquin » (Bruno Dumont, 2014). « César et Rosalie » (1972) est un succès malgré la mélancolie, la gravité. Le thème de « Jules et Jim » (François Truffaut, 1961) est repris mais inversé : la femme, indépendante part, les hommes restent amis. Le rôle de Sami Frey (David) rappelle le Prince Igor dans l’irrésistible « Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? » (William Klein, 1966). Le triangle amoureux sera si bien accompli que des tensions naîtront entre les acteurs sur le tournage. Isabelle Huppert (Marité), en rousse affirmée, préfigure Jacqueline dans « Les Valseuses » (Bertrand Blier, 1973). Et Bernard Le Coq (Michel), Michel Piccoli pour la voix du narrateur lors de la belle scène de la lettre. Une charmante bluette qui n’a pas le charme de certains films de Sautet des années 70. Le côté décalé est appuyé par une affiche de Charlie Hebdo devant le studio de dessins.

« Dès qu’on me crie action / Elle est bonne, ça va pour le son / Yé n’en pé plou » (A. Bashung / B. Bergman, « Rebel », « Pizza », 1981. Bernard se précipite vers la charmante bénévole Rachel Welsh pour récupérer le dernier « Rue du premier film », le n°7. Bien que le tirage est de loin le plus important (9100 exemplaires), il n’aura, grâce au dévouement de Rachel, qu’un numéro déchiré avec un gros scotch de déménagement ! L’alcool et les tapas (calamars et chorizo) ont été dévorés par les bénévoles : normal puisque c’était pour eux. Je revois Ivan, qui travaillais avant à l’Institut Lumière, en poste à l’UGC Cité International, accompagné d’un croupier. Ils se dirigent vers la Plateforme.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 7 Coup de poing au bide, le dernier des hommes dans la ville

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UGC Astoria, métro Masséna, cours Vitton. C’est là que j’avais vu l’incroyable « Les Salauds » de Claire Denis (2013), passé malheureusement complètement à la trappe malgré cette musique entêtante « Put Your Love in Me (Fade) », une reprise de Stuart Staples des Tindersticks d’après « Put Your Love in Me » (1977) du groupe anglais Hot Chocolate. J’ai pu également rattraper longtemps après, cet été, le magnifique et dur « Ida » de Pawel Pawlikowski (2013). Il est curieux d’assister à une projection pour sourd sans sourd : tout est sous-titré en français en plusieurs couleurs. D’où il est déductible que l’on se fout des malentendants, puisque telle est l’étiquette politiquement correct, car les mots ne sont pas identiques à ceux prononcés ! Expérience singulière.

C’est en 2013 qu’est créé à l’Opéra de Lyon « Claude » de Robert Badinter et Thierry Escaich à partir d’une nouvelle de Victor Hugo, « Claude Gueux », selon des faits réels, avec une mise en scène d’Olivier Py. Christine Taubira a eu la joie d’être caillassée, à la sortie de la première, par les anti-mariages pour tous. En 1972, Robert Badinter assistait en tant qu’avocat à la mise à mort de Roger Bontems, suite à une prise d’otage sanglante. José Giovanni passa 11 mois dans le couloir de la mort à cause d’un racket qui fit 5 morts. Grâce à la grâce présidentielle d’Auriol, sa peine a été commuée en 11 ans de prison effectifs.

Alain Delon est producteur du film. Il est prodigieux face à un Gabin vieillissant mais encore vert. C’est leur dernière collaboration. Les scènes de parloir, en jeux de regards, sont poignantes. Quand la voix off indique « Et derrière ces murs, j’ai vu une machine qui tue », ce sont les propos même de Badinter. Ce film a été un succès public et un geste engagé reconnu par Badinter lui-même. En 1981, ce dernier réussit enfin à abolir la peine de mort, c’est bien l’une des seules choses qui restera sous les 2 septennats Mitterrand. Voir le portait de Pompidou fait mal à ce sujet : combien de condamnés à mort n’ont-t-ils pas été graciés ? Michel Bouquet en flic harceleur, Goitreau, est prodigieux. Toujours ce travail de silence, hérité de son père mutique revenu de la guerre ; ses yeux chafouins. Il rappelle le teigneux Comolli dans « La Sirène du Mississipi » de François Truffaut (1968). Sont présents également : Victor Lanoux (Marcel) avec son chapeau de p’tit cake, Gérard Depardieu en jeune délinquant, qu’il faillit être, et le regretté Bernard Giraudeau (Frédéric), débordant d’énergie.

Passage à la Brocante cinéma et photographie, rue du Premier film où Ted Kotcheff, Isabella Rosselini ont leur plaque qui s’oxyde sur le mur. Je rentre en douce là où les petites mains font un travail énorme et ignoré de tous : recoller les copies, les réparer. Ici, c’était « La vie est belle » (« It’s a wonderful life », Frank Capra, 1946). Le bruit de la pellicule. Clac clac scotch. La chaleur de l’été indien. Passé les affiches, les praxinoscopes et autres appareils, vu Marco, libraire, punk, connaisseur de l’underground, amateur de Tarkos. Lui ai acheté, grâce à la charmante Marie-Emeline, une édition originale de Prévert, Jacques. « Grand bal du printemps : Photographies d’Izis Bidermanas sur Paris ». Lausanne : la Guilde du livre, 1951. 148 p. ainsi que Sayag, Alain ; MNAM-CCI ; Museum Folkwang. « Laszlo Moholy-Nagy : compositions lumineuses, 1922-1943 ». Photogrammes des collections du Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, Centre Georges Pompidou, Paris, et du Museum Folkwang, Essen. Exposition, Paris, Centre Georges Pompidou, Galerie 27, 8 novembre 1995-2 janvier 1996, puis Essen, Museum Folkwang, 4 février 1996-31 mars 1996. Paris : Centre Georges Pompidou, 1995. 219 p. 2858508321. Une belle grande américaine à hanche large avec un chapeau à la Faye Dunaway, Vicki Anderson dans « L’affaire Thomas Crown » (« The Thomas Crown Affair », Norman Jewison, 1968). Eclaté mais dans une chaise longue, je discute, bière à la main, dans le parc Lumière avec un musicien électroacoustique féru de Revox, élève du GMVL avec Bernard Fort, accompagné d’une charmante marocaine qui travaille sa thèse sur la voiture au cinéma. J’alpague également Gaëlle et Thomas, plus férus du plus que cinquantenaire Festival international du Film de la Rochelle. Je les comprends car j’avais causé avec l’inébranlable Frémaux pour caresser l’espoir que notre festival lyonnais ressemble au sérieux et à l’atmosphère bon enfant du susdit Festival de la Rochelle mais c’est peine perdue, positionnement marketing oblige probablement : le people fonctionne mieux à notre époque, un reflet bien triste de notre société actuelle.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 7 Fin du fin

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Dernière ligne droite. Je garde une place pour un couple d’habitués de l’Institut Lumière rencontré par hasard au grand pilonage de la BM Part Dieu. J’y avais récupéré d’ailleurs Powell, Michael. « Une vie dans le cinéma ». Lyon : Institut Lumière ; Arles : Actes Sud, 1997. 829 p. 2-7427-1040-X. Reste à lire le Tome 2 ! Le gars, qui bossait la semaine et a vu nombre de films le soir, mais pas « Nosferatu » (« Nosferatu le vampire », « Nosferatu, eine Symphonie des Grauens », F.W. Murnau, 1922), complet, s’est tapé la nuit précédente la tératologie Alien, en l’honneur de la mort récente du designer du monstre, le sculpteur suisse Hans Ruedi Giger, la mère Alien (« Alien Queen ») restant au chaud dans le Musée privé miniature et cinéma à St Jean (Lyon) depuis septembre pour la modique somme de 31 000 € et 120 000 € de réparation. Jeunet, vous savez, celui qui a réalisé « Alien, la résurrection » (« Alien : resurrection », 1997) mais aussi « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain » (2000), dont Serge Kaganski, critique de cinéma aux Inrockuptibles, ayant reçu le Prix Bernard Chardère 2012 alors qu’il qualifiait de façon ignoble ce film de « pétainiste », ce qui lui a malheureusement assuré la renommée, est venu parler de son expérience hollywoodienne où il ne faut rien lâcher pour réaliser le film tel qu’il le désirait (5 mois de tournage mouvementé, 85 millions $ de budget). Anecdotes de master class : la femme de caractère Sigourney, entourée de 5 coachs afin d’effectuer elle-même les cascades (un pour la concentration à la samouraï, un pour apprendre à arrêter un couteau, tellement ridicule qu’il a été viré sine die) s’impose d’emblée avec son cachet de 11 millions $, « Je connais Alien, j’en ai fait 3, toi, c’est le 1er! » mais elle défend le metteur en scène face aux producteurs; Winona, elle, est hypocondriaque et phobique de l’eau depuis qu’elle a failli se noyer. Il montre un extrait où il explique que si l’Alien n’ouvra pas la bouche, c’est parce que la bestiole est en panne ! La magie du Ridley Scott (« Alien – Le 8ème passager », « Alien », 1979), qui travailla dans la pub’, c’était de ne pas voir l’Alien, un peu comme « La Féline » (« Cat People », Jacques Tourneur, 1942). Jeunet crache le morceau en se mettant à table : « les costumes étaient tellement mal faits qu’il a dû tout couper au montage ! ». Bref, le gars a dû dormir 2h à tout casser !

J’avais vu en mai 2011 à l’Auditorium de Lyon « Les Mains d’Orlac » (« Orlacs Hände », Robert Wiene, 1924) avec l’excellent Thierry Escaich, ancien résident de 2007 à 2010, en improvisation à l’orgue. Impressionnant ! Depuis l’orgue du facteur Cavaillé-Coll, seul orgue de salle de concert en France (82 jeux, 6500 tuyaux) a été restauré en 2013 par Michel Gaillard (manufacture Aubertin). C’est David Cassan, titulaire de l’orgue de l’Eglise Notre-Dame-de-Lourdes (Paris, 20e), qui s’y colle. Et de bonne manière : des précieux moments de silence sont laissés, la musique ne commence pas dès le générique.

Acmé : « Le Dernier des hommes », « Der Letzte Mann », F.W. Murnau, 1924

Sublime moment du muet, l’expression est faible. Murnau, le plus grand. Ici ce sera « Le Dernier des hommes » (« Der Letzte Mann », F.W. Murnau, 1924), vu et revu mais ne lasse jamais. Un film d’une triste actualité sociale.

Quand le catalogue évoque la sobriété de l’immense Emil Jannings en portier, je n’en dirais pas tant ! Le colosse joue avec la caméra. Il était acteur auparavant chez Ernst Lubitsch puis dès 1906 chez Max Reinhardt au Deutsches Theater (« Le Roi Lear » de Shakespeare, « Faust » de Goethe et « Rose Bernd » d’Hauptmann) où débuta d’ailleurs Murnau comme acteur. Avec Murnau, Emil Jannings tournera encore « Tartuffe » (« Tartuff »,1925) et « Faust » (« Faust – Eine deutsche Volkssage », 1926), son plus grand rôle étant ensuite dans un film parlant « L’ange bleu » (« Blaue Angel », Josef von Sternberg, 1930). En 1938, Jannings est nommé par Goebbels à la tête de la société de production allemande, la Tobis. Le Troisième Reich le comble d’honneur : en 1938, Goebbels lui octroie la médaille de Goethe et il est consacré « Artiste d’Etat » en 1941. Voilà qui est écrit, merci la BiFi.

L’invention technique est ici permanente pour cette grande production UFA (1 million de marks dont 600 000 pour la star) : travelling en accompagnant les acteurs dans la rue, surimpression, stylisation des décors, déformation des visages. L’expression de caméra déchaînée (Entfesselte Kamera), utilisée par et pour Karl Freund, n’a jamais été aussi juste : elle est harnachée à l’acteur pour exprimer la vision subjective d’un homme éméché, allégée (8 kg), elle est à l’épaule, libérée du pied pour être portée tant à bout de bras que sur un vélo ou accrochée à l’échelle d’un camion de pompiers, posée dans la cabine d’un ascenseur. La caméra se meut, participe à l’action, devient un personnage à part entière.

En 1924, une nouvelle école est créée sous l’impulsion de l’écrivain scénariste Carl Mayer, celui de « Le Dernier des hommes » (« Der Letzte Mann », F.W. Murnau, 1924) : le Kammerspiel. Proche de l’expressionnisme, elle se différencie cependant de ce dernier par l’abandon des personnages monstrueux et morbides. Elle manifeste le souci de revenir au réalisme aussi bien dans la mise en scène que dans la psychologie des personnages, lesquels sont inscrits dans le quotidien. C’est celui-ci qui est monstrueux en soit. C’est dans ce contexte que Carl Mayer adpate la nouvelle fantastique de Nicolas Gogol « Le Manteau » (« Шинель », Shinel, soit plutôt « La Capote », en tant que pardessus traditionnellement porté par les fonctionnaires russes) publiée en 1840 puis en 1843 dans le recueil « Nouvelles de Pétersbourg ». Cette nouvelle inspirera également un film, « Le manteau » (« Il cappotto », Alberto Lattuada, 1952) et un court métrage britannique (« The Bespoke Overcoat », Jack Clayton, 1956; musique de Georges Auric; Oscar du meilleur court métrage de fiction, 1957).

L’assistant des chefs décorateurs Walter Röhrig et Robert Herlth, Edgar G. Ulmer, réalisera « Les Hommes le dimanche » (« Menschen am Sonntag », 1929) avec Robert Siodmak et Rochus Gliese puis de nombreux autres films tels que « Détour » (« Detour », 1945) ou « Le Démon de la chair » (« The Strange woman », 1946).

Le happy-end attriste, tant la volonté du metteur en scène semble ne pas être respectée. La scène ressortit de Charlot à coup de Mumm. Une magnifique restauration de la rigoureuse Murnau Stiftung en 4k.

Du coup, ce sera gâteaux au chocolat chez Bernachon, ouvert jusqu’à 17h le dimanche jusqu’à Pâques. Et là …

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 6 [SCOOP]

Des photos de Calcutta par l’esthète Urvashi Singh, en beau sari et merveilleuse cuisinière de galettes « aloo tikki » en hindi ou  » potatoe cutlets » et Gilles Maignaud, bras en écharpe, étaient présentées dans son beau domaine de Caluire-et-Cuire en cet été indien avant leur départ au Kerala. Cependant, le soir, je suis allé me sustenter à la plateforme avec Antoine Ginon, auteur de la photo ci-dessous. Cela m’a permis, sur fond de Röyksopp, d « I feel love » (1977) de Donna Summer et du regretté Bobby Womack qui avait été repris par Quentin Tarantino, Prix Lumière 2013, dans « Jackie Brown » (1997) avec Pam Grier, avec qui le chaud lapin de chanteur sortit, de discuter avec Charles Berling, venu voir Alain Cavalier (« Un étrange voyage », 1981) et participer à « La sortie des Usines Lumière ». Contrairement à l’année dernière, Jean Rochefort n’était pas présent. Charles Berling vient de recevoir l’avance sur recettes pour réaliser un film avec 2 acteurs célèbres ; il y jouera également. Comme il est co-Directeur du théâtre Liberté de Toulon TLT), à côté du Centre National de Création et de Diffusion Culturelles (CNCDC) de Châteauvallon, je l’ai informé de l’immonde attaque politique, à coups de rapport de la Cour des Comptes, dont Le Pillouër, Directeur du Théâtre national de Bretagne (TNB) à Rennes, fait l’objet. Bérénice Bejo furetait. Merci à l’équipe Lumière, Dalila, Sara, Ludo et tous les autres. Auparavant, j’avais discuté avec une bande qui a piqué nos places. Un gars à côté, habillé sport banlieue sortant d’un jogging, me vante les mérites du milieu financier qu’il a connu à New York (ambiance pas très éloignée de « Le loup de Wall Street » (« The Wolf of Wall Street », Martin Scorcese, 2013, visiblement proche de la réalité) puis en ce moment à Genève où tout roule (tu parles : a-t-il vu « Pain et chocolat » (« Pane e cioccolata », Franco Brusati, 1974 avec l’excellent Nino Manfredi ?).

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 6 « L’arrangement », « The Arrangement », Elia Kazan, 1969

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Le film, restauré par Pathé, est présenté au Pathé Bellecour salle 2 par Christopher Thompson, acteur, scénariste et réalisateur français, fils de la peu talentueuse Danièle Thompson et petit-fils de Gérard Oury. Il nous indique qu’Elia est un grec d’Anatolie. Après une suite d’échecs au box-office, il s’isole en 1966 à Paris où il écrit un roman. Il y règle ses comptes avec son pays (New York, le Lincoln Center, le Studio) et lui-même (traîtrise en plein maccarthysme), qui connaîtra, à son grand étonnement, un grand succès. Ce serait la meilleure autobiographie de metteur en scène avec celle d’Ingmar Bergman. Kazan voulait Brando mais il était out à cause de l’assassinat de M. K. King. C’est ici une de ses œuvres les plus personnelles : un extrait d’ « America, America » (1963) y figure même. Le père ne trompe pas tant il est saisissant.

Malgré Kirk Douglas (Eddie Anderson), Faye Dunaway (Gwen) et Deborah Kerr (Florence Anderson), incarnant la femme dévouée aspirant au maintien de l’american way of life, une magnifique photo avec format 2:35 et Technicolor, Panavision, c’est un ratage complet. N’est pas Tennessee Williams qui veut ; ici, c’est de la psychologie de bazar façon « européenne » mal assimilée dans le système hollywoodien. C’est ridicule et ennuyeux : un film à éviter absolument. Encore une fois, la cabine du projectionniste est restée allumée : la lumière se reflétait sur l’écran quand le noir, et il y en a beaucoup, apparaît. Quelques trouvailles à sauver : des photos d’album, issues de scènes précédentes, qui s’animent en split screen ; des images de cartoon avec onomatopées en bulles. C’est chiche. A éviter lors de la rétro Kazan à l’Institut Lumière dès novembre.

Trop crevé pour voir « Les horizons perdus » (1937) de Frank Capra dans la rétrospective Capra au Festival. Il avait été diffusé lors de la rétro, incomplète, de Capra à l’Institut Lumière en fin 2011. C’était une curiosité dans le sens où Stanislas Rodanski, un poète lyonnais (1927-1981), surréaliste empreint de Lautréamont et Nerval, enfermé de son plein gré 27 ans en hôpital psychiatrique, se réfère souvent à ce film alors que, comme Artaud, un membre de sa famille travaillait dans le cinéma (directeur de salle à Lyon). Les carnets présents lors d’une très belle exposition à la BM de la Part Dieu en 2012 se référaient très souvent au mythe de Shangri-La. Stanislas Rodanski participe au court-métrage « Horizon perdu » (Jean-Paul Lebesson et Bernard Cadoux, 37’, 16 mm, n&b, 1980), titre également d’un recueil de lettres, rêves, poèmes et récits (Rodanski, Stanislas. « Horizon perdu ». Seyssel : Éditions Comp’act, 1987. Collection Morari. 107 p. 2-87661-009-4; disponible en libre accès à la BM Part-Dieu, fonds Lyon et Rhône-Alpes, cote OO X4 ROD).

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 6 « Furtivos », José Luis Borau, 1975

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Au cinéma Opéra, une présentation pompée du catalogue du Festival par une personne peu à l’aise qui se dévoue. Le festivalier fatigue, sans son accréditation autour du cou comme un bœuf, et l’œil malheureusement tombe pour ce superbe et audacieux film. C’est l’intérêt de ce festival de faire découvrir, grâce à la connaissance étendue et à la générosité d’Almodovar, des films inconnus voire rares. C’est un devoir de le voir. Un film qui a reçu de nombreux prix mérités telle que la Coquille d’Or au Festival du film de San Sebastian.

C’est un des derniers films à avoir été tourné sous le franquisme. C’est grâce à la chute du caudillo que ce film féroce a pu être projeté sans censure. Almodovar y voit une synthèse « goyesque » entre le western et le film noir. L’hommage à Luis Buñuel est évident avec le choix de l’antifranquiste Lola Gaos (la mère Martina) qui tourna dans « Viridiana » (1961) et « Tristana » (1970 ; Saturna en référence à Goya, « Saturne dévorant un de ses fils », circa 1820). José Luis Borau, également producteur, qui joue le gouverneur (Gobernador), s’est inspiré de Lola Gaos et de la forêt. En effet, la sylve était prétexte à la propagande franquiste : « L’Espagne est pareille à une forêt en paix ». Elle servira donc de métaphore pour matamore pour un conte bien cruel. Luis Cuadrado, directeur photo d’Erice (« L’esprit de la ruche », « El espíritu de la colmena », 1973) et de Saura, photographie superbement la neige en Eastmancolor et en format 1:75.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE 2104, Lyon, Jour 6 Il y a des jours comme ça

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Un jour sans pour « Quelques jours avec moi », Claude Sautet, 1988

Attendu, Jean-Pierre Marielle n’est pourtant pas venu au Comoedia. Il ne s’est probablement pas réveillé car il était présent vers 15h sur le tournage de « La sortie des Usines Lumière » (1895) par Pedro Almodovar, Paolo Sorrentino et Xavier Dolan. Le public a poussé un Hou ! de déception. C’est donc Tavernier qui a présenté le film, l’anxieux susceptible, taraudé par ses nombreux complexes, ayant la délicatesse d’insister sur le fait que, bien qu’il présente des films, il est aussi cinéaste. Nous nous en serions doutés ! Vieillesse ennemie. Tavernier est ici légitime à plusieurs titres. Sautet a été son parrain de cinéma : réputé peu généreux, il lui a tout de même donné de l’argent pour débuter et s’est déplacé avec Jean-Pierre Melville pour dire à ses parents que le bon fils souhaitait être cinéaste. Tavernier a écrit sa première critique cinématographique avec interview pour « Classe tous risques » (1960), un film mal reçu qui a pourtant révolutionné le film noir en France (voir chronique Festival Lumière Jour 2). Il a été son attaché de presse avec Rissient pour « Les choses de la vie » (1970) et « Max et les ferrailleurs » (1971). Tavernier partageait le même goût pour Bach, Ravel et le jazz dont Sautet, qui fut également critique de jazz, et Marielle sont de grands connaisseurs. Si Tavernier souligne la musique de Sarde, que je trouve pour une fois indigente et datée DX7 80’s, c’est pour indiquer que l’influence de Ravel est notable, notamment avec les notes percussives.

Sautet avait un regard aigu, perspicace et fulgurant sur les films grâce à une grande capacité d’analyse. Beaucoup de films du cinéma français lui devraient beaucoup. Ainsi il avait indiqué qu’il ne fallait rien toucher au « Capitaine Conan » (1996), ce qui est un éloge. Oui, Tavernier aime s’envoyer des fleurs. Le point intéressant est que c’est ici le premier film où il casse la narration qui lui valait tant de succès lors sa collaboration avec Dabadie. Echec commercial mérité, « Garçon ! » (1983), le précédent film, était déjà une horreur, Montand cabotinant à fond. Il travaille pour la première fois avec Jacques Fieschi (souvenez-vous de son rôle dans « A nos amours », Maurice Pialat, 1983 où ce dernier balance de façon réjouissante ses 4 vérités au prétentieux à la chevalière en plein repas – le metteur en scène n’avait pas prévenu qu’il jouait et sur quel mode; Sandrine Bonnaire était la révélation), d’après le roman éponyme de Jean-François Josselin. C’est probablement la raison pour laquelle Jean-Louis Fieschi joue, le cinéma est une « grande » famille. Un apport plus important est le petit rôle (« Ce n’est pas le rôle de ma vie. (…) Ça ne fait rien, je m’amuse beaucoup ») joué par la grande Danielle Darrieux (Suzanne Pasquier). En outre, le critique de cinéma Philippe Carcassonne se lance dans la production avec pour condition de virer toute l’équipe technique sauf la scripte et la monteuse, Jacqueline Thiédot. Tavernier caractérise le film d’âpre et sombre. C’était en effet un contresens de voir en celui qui fut éducateur pour enfants et soutien du PCF, quelqu’un de complaisant et de pompidolien. Il est un des premiers à percevoir le déclin du tissu industriel et des entreprises de petites tailles ainsi que la déliquescence des liens sociaux en banlieue. Sandrine Bonnaire joue le rôle d’une bonne, Francine, qui mettra la main à la pâte pour son rôle de Sophie Bonhomme, en vérité l’une des sœurs Papin, dans « La cérémonie » de ce gros mangeur de Claude Chabrol (1995).

Même si N. T. Binh, dans « Sautet par Sautet » (Binh, N. T. Rabourdin, Dominique. Sautet par Sautet. Paris : Ed. de la Martinière, 2005. 384 p.) dégotait du Wilder, du Lubitsch (« Haute pègre », « Trouble in paradise », 1932 ; « La Folle ingénue », « Cluny Brown », 1946), ce cinéaste pour cinéaste que Sautet admirait tant et dont il est possible de distinguer la fluidité, c’est ici une daube irréaliste qui synthétise tous les défauts des années 80, du montage à la musique (l’étude n°3 en mi majeur op. 10, « Tristesse » de Frédéric Chopin retravaillée peu de temps avant en 1984 par Gainsbourg devenu Gainsbarre, en duo avec sa fille Charlotte : « Lemon incest », « Love on the Beat », pas son album le plus inspiré ; le prélude pour Suite n°1 pour violoncelle de Bach dont Rostropovitch effectuera une interprétation magistrale 1 an après devant le mur de Berlin détruit) en passant par les maquillages, les coiffures (celle de notre lyonnaise Dominique Blanc en pierreuse proche d’Edith Piaf façon Kim Wilde), les décors atroces de Carlos Conti dignes de « Smoking », « No smoking » (Alain Resnais, 1993) et les vêtements laids pourtant d’Olga Berluti et de Nino Cerruti. Daniel Auteuil articule aussi mal qu’Ugolin dans « Jean de Florette » (C. Berri, 1986; « Manon des sources », 1986 d’après Marcel Pagnol). Vincent Lindon n’évite pas ses tics lors du tournage. Jean-Pierre Marielle est phénoménal dans la roublardise. Dominique Lavanant est tordante dans un rôle qui l’enferre dans sa carrière. Le maquereau Max (Jean-Pierre Castaldi) est à hurler de rire avec sa laide cravate à pois et couleurs flashy. Un film à ne pas voir, sauf pour Marielle qui tire son épingle du jeu caricatural voulu par Sautet. Daniel Auteuil et Sandrine Bonnaire étaient réticents, ils auraient dû s’écouter. Puisqu’il s’agit de Limoges : Sautet est ici un éléphant dans un magasin de porcelaine. La lourdingue scène de soirée, prévue pour 7 mn dure finalement 20 mn dans un hideux décor, avec la perruque de Marie-Antoinette qui crame. Les années 80 sont des années artistiquement creuses, à quelques exceptions près. Un seul plan à sauver : les compotiers à la Cézanne derrière Fernand (Vincent Lindon) dans son appartement.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE, Lyon, Jour 5

Invité surprise : John Mc Tiernan, extirpé de ses affaires d’espionnage à Hollywood. C’est pour cela qu’il présentera « L’homme de la rue » (« Meet John Doe », Frank Capra 1941). Il montrera également « Piège de cristal » (« Die Hard », John McTiernan, 1987). J’avais bien aimé « A la poursuite d’Octobre Rouge » (« The Hunt for Red October », John McTiernan, 1989 avec Sean et d’après le roman de J. le Carré) et le parodique « Last Action Hero » (John McTiernan, 1992 avec Schwartzy et la musique d’AC/DC, « Thunderstruck » !) mais enfin il n’est pas possible d’évoquer la notion de chef d’œuvre !

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE, Lyon, Jour 5 Essai réussi

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« La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz », « Ensayo de un crimen » de Luis Buñuel, 1955, 35mm

Une mauvaise copie de ce film période mexicaine présentée dans la section « El cine dentro de mi » de Pedro ou « Le cinéma en moi ». En effet, difficile de ne pas rendre hommage à Buñuel pour un cinéaste espagnol, surtout avec l’univers d’Almodo. Pour « En chair et en os » (« Carne tremula », Pedro Almodóvar, 1996), Pedro s’inspire du coup de feu initial, sujet à une scène visuelle et érotique forte : la gouvernante (Leonor Llausas) du petit Archibald (Rafael Blanquells) regarde une scène d’émeute par la fenêtre; une balle perdue l’atteint et elle s’écroule, morte; l’enfant parcourt du regard plein de désir la gouvernante, surtout à l’endroit de la chaire nue vers les porte-jarretelles. Dans la scène de fusillade d' »En chair et en os », la tv diffuse le film de Buñuel. Almodóvar souhaitait que le bruit du coup de feu se confonde avec celui de la tv : très hitchcockien en somme ! David (Javier Bardem) perd l’usage de ses jambes. La scène fondatrice du désir de tuer (« Ensayo de un crimen » serait mieux traduit en « Essai d’un crime » en référence à Thomas de Quincey « Du crime considéré comme un des Beaux-Arts ») fait écho à la perte de jambe d’un mannequin à l’image de Lavinia (Miroslava Stern retrouvée morte chez elle à coups de barbituriques quelques semaines après la sortie du film; elle sera incinérée …); incinéré après avoir été traîné par les cheveux. La scène du début est aussi marquante que l’œil coupé dans « Le chien andalou » (Luis Buñuel, 1928). Ce fétichisme sadien (bas, chaussures à talons aiguilles, jambes galbées : éros/thanatos) aurait séduit les Bataille et les surréalistes. Le sujet est l’influence déterminante d’une idée obsessionnelle dans la vie d’un homme. Le héros rate ses crimes car quelqu’un l’exécute à chaque fois à sa place : son désir est trahi et génère souffrances. La scène de visite de touristes américains emmenés par Lavinia lors d’un rendez-vous galant menant au crime, est irrésistible. A chaque instant, j’ai songé aux « Crimes exemplaires » (« Crímenes ejemplares », 1957) de Max Aub, un chef d’œuvre d’humour noir : Aub, Max. « Crimes exemplaires ». Traduit de l’espagnol par Danièle Guibbert. Paris : Phébus, 2011. Libretto n°60. 121 p. 9782752905192. 7 EUR de bonheur. Dans le film, la boîte à musique lie jouissance et mort. Un film réjouissant par ses audaces.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE, Lyon, Jour 5 « Amour défendu », « Forbidden », Frank Capra 1932

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Après le bide de Roberto qui parle, « Forbidden » …

Philippe Garnier est essoufflé. C’est bien la seule personne intéressante à rencontrer. Un habitué du Festival. Jo Swerling est au scénario de ce mélo; c’est avec lui que travail Capra d’habitude. Garnier raconte que c’est le 3e film de Capra avec Barbara Stanwyck. La première rencontre entre Capra et Stanwyck fut houleuse lors du casting de « Ladies of Leisure » (1930); c’est le mari, Frank Fay, qui recolle les morceaux. Capra continuera avec elle malgré leur histoire compliquée car elle prouve son professionnalisme en jouant malgré le fait qu’elle s’est démise le coccyx en chutant d’un cheval lorsque celui-ci se cabra sur la plage à cause d’un réflecteur. L’histoire est assez compliquée : l’orpheline de Stanwyck, c’est son ex, car elle souhaite rester mariée avec l’acteur Frank Fay, qui picole et la bat, mais lui a fait débuter sa carrière grâce à la rencontre organisée avec Harry Cohn, patron de la Columbia. C’est un peu « Une étoile est née » (« A Star Is Born », William A. Wellman, 1937; George Cukor, 1954; Frank Pierson, 1976). Ils ont d’ailleurs adopté un enfant qu’ils battent aussi. Capra, de dépit, finit par se marier avec Lou Reburn. Les prénoms dans le film ne sont pas innocents : Lulu, est sa énième femme; Helen est celui de la mère alcoolique de Capra. Joseph Walker, le Directeur de la photographie, est celui de la Columbia : il invente des lentilles et un procédé de lumière favorisant particulièrement les femmes. La décoration est pauvre.

Pas de happy end pour le bon film le moins connu de Capra qui fut un flop à l’époque. Même le français de service d’Hollywood, Adolph Manjou, s’en tire bien.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE, Lyon, Jour 5 Bella, Isabella

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Sans avoir pu me sustenter d’un tournedos Rossellini, la belle se présente non en araignée, mante religieuse ou anchois mais en noir pour amincir la silhouette : de beaux restes. La salle est bondée jusqu’aux marches, les photographes shootent comme à Cannes. Le projectionniste de l’Institut Lumière s’y reprend plusieurs fois pour projeter le film présentant Isabella, bien que Nastassja Kinski soit très présente, peut-être confondue avec notre invité de marque !

« La peur » (Roberto Rossellini, « Non credo più all’amore »; « La paura », 1954) est la dernière collaboration de Rossellini et Bergman avec un état de décomposition du couple avancé depuis « Voyage en Italie » (Roberto Rossellini, « Viaggio in Italia », 1954). Ils divorcent en 1957, soit « 5 films et 3 enfants », résume la Rossellini. Bergman a réussi à sortir de son carcan hollywoodien. Isabella n’a jamais vu ce film de son père. La copie est restaurée de belle façon mais c’est un film raté, un sous-Hitchcock plat sans suspens. Ce film émane d’une nouvelle, « La peur », de Stefan Zweig, ce qui est déjà mauvais signe … Les miracles du scénariste, Sergio Amidei, n’y feront rien. La Rossellini devra partir avant la fin. La musique de Renzo (Rossellini) est flippante à souhait pour une intrigue plate. La suédoise tourne en Allemagne, pays qu’elle n’a pas connu depuis longtemps. En effet, Isabella rappelle le fait que Selznick a pris acte du retrait regretté de la Garbo, et préempte une autre suédoise pour « Envol vers le bonheur » (« Intermezzo: A Love Story », Gregory Ratoff, 1939). Ingrid restera 9 ans à Hollywood. Ceci dit, dans le film, les poncifs sur l’Allemagne sont pesants : grosses maisons en bois, petites filles blondes à couettes, etc. Le liquide qui sort de grosses seringues ne lasse pas de faire rire, avec Ed Wood en Background. Isabella se souvient que son père n’a jamais eu de succès, et ici c’est mérité, et le justifie en indiquant que Roberto était quelqu’un d’avant-garde qui ne fabriquait jamais le même film.

Le témoignage d’Isabella est intime. Ses parents sont morts quand elle avait 30 ans. Elle était trop intimidée pour être actrice, alors elle a commencé dans le mannequinat. Ingrid a dû voir un rôle d’Isabella. Elle se souvient du ventre énorme de son père, qui fut un playboy. Elle le fait parler dans « Mon père a 100 ans », un court de 2005 du déjanté de Winnipeg, Guy Maddin. Opposer Rossellini au cinéma commercial d’un Hitchcock est réducteur : ce dernier a réussi à transgresser la censure et à glisser de l’expérimental dans des films grands publics. Le point intéressant est qu’Isabella a fait des études d’éthologie (d’où le ridicule Green porno, sur la vie sexuelle des animaux, soit 40 courts). Roberto, à la fin de sa vie, effectuait des films scientifiques.

Ce film a été restauré, entre autres par la cinémathèque de Bologne et Immagine Ritrovata, dans le cadre d’une restauration systématique, Rossellini progetto. Le court de Maddin est formellement beau, avec un travail en found footage, pellicule griffée dont des images d’archives privées, une esthétique d’avant-garde avec une lumière magnifique sur un scénario indigent d’Isabella.

[Ciné] FESTIVAL LUMIÈRE, Lyon, Jour 5 Fossette et Fossey

Un mauvais fils1980
rŽal. : Claude Sautet

Collection Christophel

Un mauvais fils 1980 rŽal. : Claude Sautet Collection Christophel

« Un mauvais fils », Claude Sautet, 1980, 35mm

Le Fils de Claude Sautet, Yves, mathématicien de son état, confirme mon intuition : Sautet lisait et aimait beaucoup Tchekhov. Ici tout est dit dans les regards, les silences. Cinéaste de la bourgeoisie ? Ici, ce sera l’ambiance marché d’Aligre, de Félix Potin (un slogan genre vous êtes à Paris comme au village), bouffe roborative à coups de gauloises bleues chez un chef de chantier. Bien sûr, la librairie cossue (Librairie Laffitte) tenue par Adrien Dussart (l’excellent Jacques Dufilho en tête Beckett avec son magnifique monologue, sa composition sur « La Bohème » de Puccini et les dons de la soprano colorature Freni au regard de Caballé; un thème en dehors des dadas de Sautet, Bach, Ravel et le jazz car l’extrait, qui laissa l’acteur Dewaere, lui-même musicien et chanteur au point de vouloir sortir un album dont sa mère a édité des inédits, est connu du grand public). Brigitte Fossey, qui a tourné dans « Les valseuses » (Blier, 1974), parle de Sautet avec émotion : elle obtient le rôle qui a été écrit pour lui, même s’il a lorgné vers Isabelle Adjani, un moment; il lui a répété fébrilement à coups de clopes 6 fois le scénario – intégralement. Elle a rencontré des amis drogués, qui ont heureusement décroché, s’inspire de « Il n’y a pas de drogués heureux » de Claude Olievenstein, insiste sur le rôle de composition, avec sous-jacent, la célèbre opposition présente depuis Diderot entre comédiens et acteurs. Ce qui comptait chez Sautet, c’est le rythme. Biasini, deuxième mari de Romy Schneider, participe au scénario et est photographe de plateau. Dewaere et sa fossette, lui aussi présent dans « Les valseuses », est bon, même s’il surjoue à certains moments. Le rôle a été écrit à l’origine pour Depardieu. Yves Robert en père acariâtre est fabuleux dans l’incommunicabilité. C’est Dominique Besnehard qui s’occupe du casting. Claire Maurier porte bien son prénom, Madeleine, car c’est elle, malgré elle, qui rappelle la mort de la mère. Bruno Calgagni (Patrick Dewaere) reproduit le même schéma destructeur : il écrit des lettres puis abandonne. Quant à Antoine Bourseiller, il incarne un psychologue de l’hygiène mentale ! Pierre Maguelon ne sort pas de son rôle de commissaire. La musique du génial et fou Sarde balance le film, tenu dans ses silences.

Une copie 35mm qui tire malheureusement parfois vers le rouge. Des griffures du temps et des traces vertes. Mais je préfère cela à du numérique : cette dernière ne réussit pas à restituer la lumière chaude du 35mm des pellicules des années 70-80 !

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 4 Sollima le magnifique

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Du ciné Opéra au Pathé Cordelier, où le bruit du film d’une autre salle gêne, le film « Colorado », Sergio Sollima (1966) ou « La resa dei conti » soit, magie de la traduction des titres, règlement de comptes. La présentation est assurée par le monteur et documentariste, Jean-Francois Giré qui a également prodigué une master class en sus de son livre somme (Giré, Jean-Francois. Il était une fois…le western européen. Paris : Bazaar&Co, 2008, 2012, 589 p., 296 p. 9782917339060, 9782917339268). La version présentée ici est intégrale, contrairement à celle qu’il vit en 1969, amputée d’une quinzaine de minutes. Des 3 Sergio, c’est ici le style le plus sage, synthèse entre le cinéma américain, qu’il admire en tant que critique ciné, et films japonais. A tel point que le cubain Tomas Milian fait sérieusement penser à Toshirô Mifune chez Kurozawa ou, plus tard, chez Terence Young (« Soleil rouge », « Red Sun », 1971). Le travail plastique, essentiellement effectué par une équipe semblable à celle de Leone, est remarquable dans le décor naturel d’Almeria. Un générique sidérant et abstrait avec les couleurs primaires. La musique d’Ennio est incroyable lorsque Tomas Milian tente d’échapper à ses poursuivants dans un champ. Et que dire du détournement génial de « La Lettre à Élise » de Ludwig van, thème joué par le Baron pas rouge von Schulenberg (Gérard Herter) très ressemblant aux délires d’un Stroheim. Ici, le monocle ne rit pas jaune. Il est méthodique, comme Lee Van Cleef (Jonathan Corbett). Le film repose sur l’opposition Lee Van Cleef/Tomas Milian, sorte de « professore » Alain Prost / Ayrton Senna. Ennio dormait au montage de  » Colorado » mais, d’après Sollima, il s’est réveillé avec les thèmes musicaux écrits.

L’aspect politique est double. Milian, célèbre en Amérique latine, incarnait la rébellion des pays non alignés. Sachant que le scénariste, Franco Solinas, celui de « Monsieur Klein » de Losey (1976), était au PCI, la lecture politique est aisée : « Non sei assai furbo per essere un senatore ! » (« Tu n’es pas assez pourri pour être un sénateur » cf. « Il divo », Paolo Sorrentino, 2008). Tout est dit. Un religieux, père Smith & Wesson, a été un tueur. Difficile de ne pas voir une dénonciation de la collusion de la Mafia avec l’Eglise, de la corruption (combinazioni). Un film à ne rater sous aucun prétexte, du niveau de Leone, voire plus, notamment lors de la scène de duel avec plans séquences et chorégraphie. A voir exclusivement au cinéma car en format 2:35 (Techniscope et Technicolor) : ça pète, moi, en vérité, je vous le dis.

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 4 « Trains étroitement surveillés », Jirí Menzel (« Ostre sledované vlaky », 1966)

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Arrivé en retard, je m’assieds dans le noir sur un bagage d’invité du Festival Lumière. La mal baisée, qui parle tout le temps pendant le film, se précipite dès le début dans la cabine de projection pour un prétendu problème de format qui n’existe pas. C’est bien du 1.33.

Une parenthèse enchantée pour la Tchécoslovaquie, période Dubček, 2 ans avant le Printemps de Prague, et Milos Forman, ancien prix Lumière 2010, et Ivan Passer, dont  » Cutter’s Way » a été projeté l’année dernière au même Festival, qui incarnent la nouvelle vague de l’Est. Ce film a gagné un Oscar mérité du film étranger en 1968. « Trains étroitement surveillés » est tiré du roman de Bohumil Hrabal qui a participé au scénario. Comme César, nous passons ici le (Václav) Neckár. L’humour désespéré tchèque de Hrabal ou Havel est aisément reconnaissable. Splendeur des Restaurations : elle est ici superbe, même si des noirs s’interposent.

Les scènes sont ubuesques et marquantes : un oncle magicien s’interpose devant des chars (cela ne vous rappelle rien ?) afin de les hypnotiser pour les arrêter d’avancer; un chef de gare s’occupe plus de pigeons, qui le lui rendent bien sur son képi, que de trains; le héros dort avec icelui (le képi, coquins !); il manque un baiser avec sa dulcinée contrôleuse – screwball comedy; une scène marquante érotique de coups de tampons sur fesses féminines (Chevallier et Laspalès ne renieront pas). Cette dernière scène a fait l’objet d’un visionnage pour savoir si le film était à censurer ou non. Vox populi ! Menzel joue un médecin qui rassure contre l’éjaculation précoce. Un film irrévérencieux à ravir les surréalistes, aussi réjouissant que « Les petites marguerites » (« Sedmikrásky », Vera Chytilová, 1966, soit la même année et en couleurs !).

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 4 Une histoire pas si simple

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Un spot zen avec un lever de soleil en accéléré dans le tram : TCL a du nez !

Claude Sautet, toujours : « Une histoire simple » (1978) en 35 mm avec mention « Ce film Pathé n’a pas été restauré par Pathé ». L’excellent N. T. Binh présente le film au Comoedia, salle 4, cette fois. Il est légitime à double titre : il écrit dans « Positif », une revue de gauche de ciné, née à Lyon, qui a défendu Sautet contre « Les Cahiers du cinéma » en faveur de Truffaut; il a tourné un « Claude Sautet ou la magie invisible » (2004) et a écrit « Sautet par Sautet » en collaboration avec Renaud Bezombes (Binh, N. T. Sautet par Sautet. Paris : Ed. de la Martinière, 2005. 384 p. 2-7324-3341-1). Un générique bleu et sobre comme pour « Vincent, François, Paul… et les autres » (1974), des formes semblent annoncer un baiser au rayon x, en fait la fenêtre d’un cabinet de gynéco.

Ce film est un écrin pour Romy (Marie), en confiance, qui se lâche complètement jusqu’à montrer une pointe de sein (scène de bain/sauna; une exception : le film non terminé de Clouzot, « L’Enfer »), ce qui était pourtant interdit dans son contrat. C’est Sautet qui a sorti Romy des rôles stéréotypés de princesse à la Sissi; il en fait même une actrice populaire. Un bijou pour ses 40 ans (39 ans dans le film), mais avec des femmes, comme elle le désire, pas une histoire de mecs donc. Ce sera le pendant de « Vincent, François, Paul… et les autres » (1974). Une « histoire simple » ? « Enfin, pas si simple » dit Jérôme (Roger Pigaut) dans le film. Romy jalouse tout de même le rôle d’Arlette Bonnard (Gabrielle), repérée dans « Que la fête commence » (Bertrand Tavernier, 1974) qui risque de lui faire de l’ombre : Schneider obtiendra le César de la meilleure actrice. La solidarité féminine dans le film n’était que jalousie et concurrence entre femmes. Nous imaginons Romy paisible dans la chaise longue dans la « Cerisaie » de Gabrielle vendue à la fin de l’été dans la scène finale. Une lumière fantastique sur les champs de blés, magie des copies 35mm des années 70. 4 ans plus tard, Romy se suicidait …

Sautet, c’est un travail sur le renoncement et la vie qui continue quand même. Sautet était au PCF mais l’a quitté à cause du stalinisme ambiant. C’est ici son film le plus politique. Les femmes maîtrisent leur corps (Marie avorte puis elle a un enfant d’un amour de jeunesse tout en le quittant, anticipant « Elle a fait un bébé toute seule » de Jean Jacques Goldman), la loi Veil est récente. Il s’agit ici de la femme située : vie dans la boîte, la crise. Un film d’une triste actualité avec les charrettes et les femmes monoparentales appauvries. « Vive la Crise ! » avait chanté Montand ? Pas si sûr. Dabadie a travaillé avec des auteures. Schneider est criante de vérité, Sophie Daumier insupportable. Et la grande Madeleine Robinson, la mère. Bruno Cremer (Georges) et ses silences magiques avec l’air qu’on entend filtrer du nez. Pierre Brasseur, cabotin, finit par toucher dans une scène au bar, la vitre et ses reflets, symbole de l’incommunicabilité entre les êtres, entre les sexes. Sautet leur lisait les rôles pour fixer les intentions, le rythme. Il forçait les acteurs à se dépasser qui le remerciaient parfois en retour malgré ses colères incarnées ici par Francine Bergé ou Piccoli dans « Vincent, François, Paul… et les autres » (1974). Des plans larges qui se rapprochent. Un Panaflex Panavision. Les hommes se concurrencent, perdent leurs illusions, échouent; les femmes continuent coûte que coûte.

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 3 « Berlin, symphonie d’une grande ville » (1927)

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Section Sublime moment du muet. Commencé 15 mn en retard à l’Institut Lumière. Du coup, la présentation de Joël Bouvier se cantonne à traduire les mentions en allemand du début du film. A noter que l’Institut Lumière, après avoir supprimé des séances gratuites de films muets dans la petite salle, rediffusés sur Arte (en partenariat), reprend cette année un petit festival (aller à Pordenone !). Vu que 20 mn de film pour pouvoir voir le suivant. Pourquoi ? C’est un film que je souhaite voir depuis des années : j’adore « Symphonie Diagonale » (1925) de Viking Eggelin, et les expériences d’Hans Richter (je vous conseille les projections de ses films à la cinémathèque de Bruxelles avec une musique de cabaret sur piano droit en direct : c’est surréaliste !). Suite à mes voyages à Berlin, et notamment à la visite de l’impressionnant Jüdisches Museum Berlin construit par Daniel Libeskind, où sont également diffusés en boucle des films muets d’Ernst Lubitsch, j’avais besoin de voir ce film. Las, il est édité par ZDF et Arte. La musique en directe ne m’a pas semblé fameuse et assez littérale : le train, tacadoum tacadoum (spéciale dédicace à Sam’). Le film commence par des jeux formels à partir d’un train, un « classique » de l’avant-garde dont nous ne nous lassons pas : jeux de voies croisées, perceptions étonnantes des barreaux d’un pont, etc. Train, métaphore du cinéma. Un insert intéressant au début de ce qui ressemblera à l’art optique (jeu de droites et de cercles, jusqu’à former des ciseaux qui deviennent des barrières de passage à niveaux). Se remémorer le dernier film de Clouzot, « La Prisonnière » (1967), avec Terzieff et d’après Proust. Vue aérienne de la ville laborieuse et tentaculaire. Les grands murs de briques dont il reste encore quelque traces (avec impacts de balles !). La dent creuse est pleine ! Le ku’damm. Ruttmann opte pour les plans en mouvements, en rythme, trucages optiques, absences d’intertitres, refus de mise en scène des protagonistes : un anti-film de studio, du réel sans être documentaire et sans fiction. L’immense Karl Freund, notre ami et inventeur de la caméra déchaînée (Entfesselte Kamera), monte sa caméra sur harnais pour des déplacements fluides. Le film semble toutefois moins expérimental que « L’Homme à la caméra » (« Celovek kinoapparatom », 1929) de Dziga Vertov.

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 3 Sautet, le noble art

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« Vincent, François, Paul et les autres », 1974

Le Sautet le plus connu, dont nous ne nous lassons pas tant l’harmonie des comédiens et la direction fluide des acteurs est palpable. Si ce film est en tête pour la série des films d’amis, il descend directement de Duvivier et sa « Belle équipe », 1936 ou autres atmosphères renoiriennes. C’est la troisième collaboration avec le futur académicien Jean-Loup Dabadie (l’allusion du roman sur une danseuse qui a une jambe mécanique !) et avec Claude Néron d’après son roman « La Grande marrade ».

Les critiques français opposeraient Truffaut et Sautet, qui s’entendaient bien. Ici, c’est mes amis, mes emmerdes. Les hommes sont assez lâches, les femmes se débrouillent. Pour moi, toute proportion gardée, Sautet est le Tchékhov français et non le bourgeois de droite labellisé « qualité France » : précision psychologique (Stephane Audran en Catherine est fabuleuse de vérité notamment dans la scène du bar avec son ex, François, Michel Piccoli), situation sociologique (Catherine a un travail cossu, le chômage pointe avec la crise de 1973 : un étudiant qui ne sait que faire, Vincent, Yves Montand, qui perd un temps son entreprise). C’est la situation post 68 étudiée au scalpel, sans concession : un avant-goût des familles recomposées. Yves Montand était perçu par le metteur en scène comme son double. Il finit par être touchant, derrière les agaçantes mimiques. Piccoli pique une colère en prenant exemple sur Sautet ! Et Serge Reggiani (Paul) et Catherine Allégret (Colette), la fille de Simone Signoret, et la délicieuse Ludmila Mikaël, et Pierre Maguelon, le Terrasson de la série policière « Les Brigades du tigre », avec son accent, Myriam Boyer. Sautet détestait le débraillé, le banal; tout est toujours tenu, comme Tchékhov, sur du ténu. C’est de la dentelle obtenue à coups de calgon ou de temenick. Comme le noble art, incarné ici par un jeune Depardieu débutant, comme Belmondo dans « Classe tous risque » (1959). Une 4L, une coccinelle, une Peugeot 204 : c’est le charme de l’art noble, la saisie d’une époque.

Pas pu aller à la lecture d’Edith Azam à la Scène Poétique, qui a dû migrer, à cause d’un Directeur transitoire pourtant réputé dans le milieu des bibliothécaires, de la BM Part Dieu à l’amphi Kantor à l’ENS (métro Debourg). Mon cousin avait invité avec Alain Hélissen, Edith Azam, désormais chez POL, pour Pontiffroy poésie à Metz. En outre, j’aurais bien aimé, ce qui est rare, la faire signer sur Azam, Édith. L’ écharpe douce aux yeux de soie. [Saint-Quentin-de-Caplong] : Atelier de l’agneau, 2007, 2010. Framboises foulées par les biches. [6 p.]. 978-2-930188-38-6 (br). 978-2-930440-37-8 qui m’a été gentiment offert par la Directrice de l’Atelier de l’agneau lors du dernier Jeux dits de la poésie organisé par Béatrice Brérot.

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 3 Klein clean ?

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« Monsieur Klein », Joseph Losey, 1976

Malgré des lycéens dissipés pourtant habitués à regarder des blockbusters de plus de 2h, il est émouvant de revoir ce film au Comœdia, sans présentation, en face du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (CHRD), à l’endroit même des geôles où la Gestapo torturait. La scène de fin est également éprouvante lorsqu’un grand-père a échappé à Drancy, dont la deuxième fois, grâce à un philosophe action française puis pétainiste, Pierre Boutang, ce qu’Alain Finkielkraut, tout académicien qu’il est, est incapable de comprendre. Des juifs figurants ont redonné leur fausse étoile jaune et sont partis : l’épreuve était trop dure, ce qui se comprend. Je me souvenais de Monsieur Klein perdu dans la foule. L’angle d’attaque de cette période est original. Etonnante, cette rencontre entre le blacklisté Losey et le peu trotskyste Alain Delon, autodestructeur et en quête constante de lui-même, qui a été à la rencontre du réalisateur en lui proposant le livre et a produit le film. Le scénario est écrit par Franco Solinas, Fernando Morandi et Costa-Gavras (non crédité). Delon est épatant d’ambiguïté avec son regard perdu, d’aspect fantomatique, comme dans « Le samouraï » de Jean-Pierre Melville (1965). Ceci est souligné par des tons froids, mats en Panavision sphérique et Eastmancolor, une ombre de costume portée. Au cadre, Pierre-William Glenn qui travaillera également longtemps avec Bertrand Tavernier.

Le portrait du peintre flamand traverse le film du début à la fin – la voix off finale de Jean Bouise était-elle nécessaire ?- en passant par l’avocat et « ami » Pierre (Michael Lonsdale). La peinture est présente à tous moments : du générique, métaphorique, une tapisserie avec un oiseau (vautour ? aigle ?) traversé d’une flèche, commenté en ekphrasis lors d’une vente aux enchères, explicitation inédite d’un générique, un Chagall chez l’avocat, un Braque; la scène figée de concert de musique dans le château, etc. La figure d’Ismaël dans « Moby Dick », de l’arrière-grand-père du DJ Moby, Melville, revient tant dans la bouche de l’amante que dans la pièce du double. La quête du double est une figure récurrente en art (Nabokov, Bowie, etc.) : ici les indices s’accumulent mais le double ne sera jamais perçu dans sa totalité. La connaissance est indirecte, en puzzle. La belle voix de Jean Topart, lisant une poésie, émeut à travers le poste à galène. Le dialogue au début entre Klein (Delon) et le vendeur (Bouise) est en contrechamp, l’amante entretenue se pouponnant, la Hollande sera le thème récurrent côté origine et judéité. Une pléiade d’acteurs : Jeanne Moreau (Florence), Juliet Berto (Jeanine), Suzanne Flon (La concierge, « kangourou », à contre-emploi), Louis Seigner (le père de Robert Klein sur fond de petite France et l’Ile, de cathédrale et d’horloge astronomique de Strasbourg), Michel Aumont (le fonctionnaire de la préfecture), Roland Bertin (l’administrateur du journal; dans un kiosque, un gros plan sur « Je suis partout »), Gérard Jugnot (le photographe) et même le metteur en scène lui-même au Vel’d’Hiv’. Les visages sont fatigués, cernes et fards, tirent vers le rouge.

C’est étonnant comme les affiches sont utilisées par les metteurs en scène et accessoiristes comme marqueur d’une époque. Dans un cabaret au numéro hideux à frémir, un acteur, entre Charlot et Popeck en caricature de juif avec un masque Lecoq commedia dell’arte, évolue devant une affiche du film pitoyable de la propagande nazie, « Le Juif Süss » (Veit Harlan, 1940). Elle figure également dans la Deutsche Kinemathek, Museum für Film und Fernsehen dans le Sony Center de la Potsdamer Platz à Berlin.

Un film bien nécessaire, surtout en ces temps rances de saillies sur Pétain de la part de Zemmour, dont les propos sont adoubés par nenœil Jean-Marie Le Pen.

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 2

Après Jean-Jacques Bernard et Serge Kaganski, c’est la journaliste et critique Danièle Heymann qui reçoit le Prix Bernard Chardère 2014, du nom du créateur de « Positif » et de l’Institut Lumière qu’il pollue de ses bavardages pendant les séances de projections, gâchées également à cause de sa bavarde de femme. Danièle Heymann est la fille du cinéaste Claude Heymann (1907-1994) qui fut aussi le coscénariste d’Ophuls et d’Henri Calef ainsi que l’assistant de Renoir et Buñuel. Après en avoir dirigé longtemps les pages culturelles, elle a été rédactrice en chef à « L’Express » et au « Monde ». Elle a dirigé de 1977 à 2006 la publication annuelle de « L’Année du cinéma » (Calmann Lévy). Elle est actuellement titulaire de la rubrique cinéma à l’hebdomadaire « Marianne ». Je la connais comme voix, amoureuse des chiens, dans l’émission plus que cinquantenaire, « Le Masque et la plume » sur France Inter. Elle a été membre du Jury du Festival de Cannes 1987 (Palme d’or : « Sous le soleil de Satan » de Maurice Pialat).

Un film mystère est projeté : « Tout peut arriver » de Philippe Labro, 1969. Nous n’en parlerons pas, cela n’a aucun intérêt. Son seul fait d’arme aura été, en tant que protégé, d’avoir vu mourir Melville, affecté par l’échec du mauvais « Un flic » (1971), devant lui au restaurant.

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 2 « Classe tous risques » (Claude Sautet, 1959)

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Rétrospective Sautet. Les Alizés, un cinéma sympathique de Bron où j’avais vu dans un Festival Lumière antérieur, une bonne présentation d’Agnès Varda avec sa coiffure futuriste d’ewoks, de « Cléo de 5 à 7 », 1961) à côté de la salle Demy. Un Directeur très sympathique, ancien adjoint de la Culture de Bron. La présentation, longue et documentée, a été effectuée par Hervé Dumont, fils de diplomate, ancien Directeur de la cinémathèque suisse et bon écrivain sur le cinéma, malgré un micro défectueux. Peu de monde dans la salle, ce qui n’est pas désagréable …

Ce film a été réédité l’année dernière en DVD et Blue ray : l’Amérique l’a découvert au point de l’attribuer à Melville. Sautet sort de l’assistanat (« Les Yeux sans visage », Georges Franju, 1959 par exemple) et du rôle de « ressemeleur » pour Truffaut ou Rappeneau. C’est un premier film physique sur la déchéance d’un truand auquel nous nous attachons, car père de famille, d’après le deuxième roman de José Giovanni, d’après l’histoire d’un collègue du couloir de la mort qui n’a pas eu sa peine commuée, le premier étant « Le trou » adapté excellemment par Jacques Becker (1959 : son dernier film) et diffusé lors d’un Festival Lumière précédent. C’est Lino qui a donné sa chance à Sautet pour ce film noir marqué par Hawks. Il se rattache à la nouvelle vague par l’utilisation de la voix off, le tournage de la scène de casse en direct à Milan avec caméra cachée. Le film est sobre mais des imperfections subsistent : plan mal cadré lors du travelling sur le couple sur l’escalator au début; un bureau nommé « informaciones » en gare de Milan ne lasse pas d’étonner.

La musique de Delerue est saisissante. Le Zubial s’est coltiné le scénar’ avec Giovanni. Ça n’a pas dû sucer que des glaçons. Ici, pas de chichi, pas de faux argot apache. Sautet a connu Lino sur « Le fauve est lâché » de Maurice Labro (1958). Belmondo joue ici un rôle avant d’être connu : il avait été repéré dans « Les Tricheurs » (Marcel Carné, 1958). De nombreuses références à la boxe. L’ennui est qu' »A bout de souffle » (Jean-Luc Godard, 1959) a totalement éclipsé ce film à sa sortie. Histoire de producteur : l’un voulait imposer Dario Moreno, vu son rôle dans « Le Salaire de la peur » (Henri-Georges Clouzot, 1951), à la place de Belmondo ! C’est grâce au producteur italien qui imposa en échange sa comédienne de petite amie, Sandra Milo. De bons seconds rôles : Marcel Dalio (Gibelin), sa très surprenante fille incarnant la génération yé-yé, Evelyne Ker, Charles Blavette, etc. Un beau film noir, sous-titré en anglais mais les dialogues italiens restent obscurs pour les non italianisants car pas traduits en français.

[Ciné] FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 2 « Le Vieux fusil » (Robert Enrico, 1975)

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Section Séance spéciale au cinéma Opéra. La re-sortie nationale sera pour courant 2015. Une présentation à deux couteaux : les spoilers Christian Carion, réalisateur, ch’ti vivant dans nos contrées, ici très affairé, de « Une hirondelle a fait le printemps » (2001), « Joyeux Noël » (2005), « L’affaire Farewell » (2009), chevalier de la Légion d’honneur (2011; mazette après 4 films!) et Pascal Elbé l’alsacien, acteur et réalisateur (« Tête de turc », 2010). Carion a été traumatisé par le film enfant. Elbé l’a fantasmé car ses parents lui interdisaient certaines scènes; il n’a jamais pu voir le film jusqu’au bout. La critique (« Les cahiers du cinéma » et « Libération ») était assassine : du sous-genre « rape and revenge » (cf. « Un justicier dans la ville », « Death Wish », Michael Winner, 1974), le film était étiqueté film de droite car facho. Lors de la première cérémonie des Césars en 1976, le film obtient tout de même 3 César : meilleur film, meilleur acteur et meilleure musique originale (l’excellent François de Roubaix).

« On ne devrait jamais quitter Montauban » (Fernand Naudin, Lino Ventura, « Les Tontons flingueurs », Georges Lautner, 1963). Ici, c’est un Oradour-sur-Glane mais pas dans le Limousin. La rencontre entre Noiret, avec qui a joué Elbé, et Schneider, d’origine autrichienne dans un film sur la seconde guerre mondiale, côté français, a été plutôt houleuse au premier rendez-vous, la première étant en retard à cause du taf « c’est un goujat, ce gros-là » (Enrico, Robert. « Au cœur de ma vie ». Saint-Cyr-sur-Loire : Editions Christian Pirot, 2005. Cinéma. 317 p. 2-86808-225-4). Beau cadeau pour les 40 ans de Romy, souvent en cernes : l’un de ses fils dans le film se nomme David, comme le sien. Noiret est époustouflant comme à son habitude. Le rôle change de celui d’Alexandre le bienheureux (Yves Robert, 1967). Et Jean Bouise, auquel le TNP, désormais à Villeurbanne, a consacré une salle. Beaucoup de jeux sur le miroir (souvent sans tain), la déformation de l’image. Enrico a dû se battre pied à pied avec la production pour l’âpre scène de vengeance. Il faut dire que lorsque les FTP débarquent, Julien Dandieu, le bien nommé (Philippe Noiret) ment pour assouvir sa vengeance alors que les partisans n’auraient probablement pas été plus tendres. Qui n’a pas rêvé de se faufiler dans les couloirs labyrinthiques entre un village en bas et un château en haut ?

Il est rappelé que le scénariste Pascal Jardin, le « zèbre » ou « zubial » selon le fils, a été le fils du dir’ cab’ de Laval (Jardin, Alexandre. « Des gens très bien ». LGF/Livre de Poche : 2012. Le livre de poche n°32456. 305 p. 9782253162353). Claire Denis est ici assistante à la mise en scène. Sautet, le « ressemeleur » ou « script doctor », metteur en scène de l’intimité familiale, a été sollicité pour la fin du film.

FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 2

Une queue énorme attend Michel Legrand, le triple oscarisé. Grand bien leur fasse car je déteste sa musique. Il me gâche un de mes films préférés, « L’affaire Thomas Crown » (« The Thomas Crown Affair », Norman Jewison, 1968). Ce qui n’a pas empêché qu’il siège un peu devant un piano pour infliger la mélodie « Des moulins de mon cœur ». Laurent a dégotté un billet gratuit au dernier moment. Le musicien aurait discuté de son parcours en ponctuant régulièrement d’un « hein ? Mon amour » en regardant sa nouvelle épouse, Macha Méril. Le modérateur n’était, paraît-il, pas fameux. Pas pu voir un film à cause d’une réunion qui s’est interposée au dernier moment. Il s’agissait de « L’Esprit de la ruche » (« El Espiritu de la colmena », Victor Erice, 1973), l’un des films espagnols du patrimoine les plus connus.

FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 2 « Les Contes d’Hoffmann » (« The Tales of Hoffmann »), Emeric Pressburger, Michael Powell, 1950

Toujours Institut Lumière, 11h30. Joie d’être sédentaire un laps. Une dame âgée me bloque le passage vers une place gardée à l’aide de son sac. Tavernier se vante d’avoir mangé avec Powell, Romero et Ridley Scott en causant des Contes d’Hoffmann. Il précise que dans son bureau, à propos de la rue duquel les macmahoniens s’étripèrent en direct, Powell avait une lettre d’admiration de Cecil B. DeMille encadrée. Powell a simplement remis la partition et livret d’Offenbach aux producteurs. Les machinistes l’ont également lu. Ce film aurait influencé Scorcese, Coppola et Scott (« Blade Runner », 1982 : la scène du savant-fabricant de répliquants avec les yeux).

Tell me Thelma

Ensuite la grande Thelma Schoonmaker, veuve de Powell et monteuse de Scorcese depuis « Who’s That Knocking at My Door » (« I call first », 1967), est intervenue. Le film, une vraie féérie, a été tourné en 17 jours. Ambiance de plateau période film muet car aucun son direct et usage d’hauts-parleurs sur le plateau, ce qui simplifie l’action du metteur en scène et du chef opérateur ainsi que la direction d’acteurs. Les chanteurs sont joués par des danseurs dont Moira Shearer, du Covent garden, qui joua Victoria Page dans « Les Chaussons rouges » (« The Red shoes », Michael Powell, Emeric Pressburger, 1947) et l’illustre Ludmilla Tchérina, qui danse à peine. Les caméras Technicolor trichrome ont pu être allégées; elles sont donc plus mobiles. Thelma Schoonmaker vante la scène du duel, sans son, sur le plan montage. Scorcese a regardé en boucle « Les Contes d’Hoffmann » pendant le tournage de « Raging Bull » (1980).

Enfin Scorcese

Nous l’attendons depuis des années à Lyon. Il nous a offert un petit film où il expose sa passion pour ce film. Il l’a vu et revu mais entrecoupé de pubs et en noir et blanc à la tv, émasculé de la 3e partie (c’est bien la peine : une partie des spectateurs partent à ce moment là !). Il parle d’un film composé (« composed film »). La copie a été tirée en 4k avec piste audio mécanique. A la fin, il cite la longue liste des sponsors, ce à quoi Frémaux c’était déjà essayé, soucieux de son devoir.

Olympia jaune, Giulietta rouge, Antonia bleu. Paris, Venise, îles grecques. Les décors sont mirifiques de richesse et de beauté, entre Monsù Desiderio, Picasso parfois, Cézanne et les croquis des ballets russes. Un escalier est dessiné à la craie comme, plus tard, « Dogville » (Lars von Trier, 2003). Le chorégraphe, Frederick Ashton, joue un très beau meneur de marionnettes, en continuité avec les humains. Les acteurs sont parfois suspendus à des filins. Je n’aime pas le kitch, ni les comédies musicales ni Offenbach. J’ai adoré ce film, malgré les ronflements, rots du voisin lorsqu’il se réveillait, écran de cellulaires allumés, enfin un réussi sur un opéra au cinéma. Le tampon Made in England, après un générique présentant chanteurs et danseurs en regard, est un pied de nez à Truffaut. Plutôt que de nous les briser chaque fin d’année à la tv avec « Casse-noisettes », pourquoi ne pas diffuser enfin « Les Contes d’Hoffmann » d’Offenbach par Emeric Pressburger & Michael Powell ? Dommage que le film était projeté ce mardi matin : les enfants auraient adoré ! Chaque plan est d’une inventivité étonnante. Dommage que le format adopté soit du carré ou 1:37 mais peut-être est-ce un choix technique ou tout simplement il n’en existait pas d’autres à l’époque …

« Les Contes d’Hoffmann » a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes de 1951 et a été nommé pour deux Oscars l’année suivante (Meilleurs décors et Meilleurs costumes). Il a également reçu l’Ours d’Argent de la meilleure comédie musicale au Festival de Berlin de 1951.

FESTIVAL LUMIERE 2014, Lyon, Jour 2 « Paradis perdu », Abel Gance, 1939

Suite de la rétro Sur quelques films français par Bertrand Tavernier à l’Institut Lumière. 9h30 du matin. Une restauration Pathé. Le tirage a été effectué à partir de la copie personnelle d’Abel Gance, ce qui laisse penser qu’il s’agit de la version la plus fidèle. Abel voulait tourner un Christophe Colomb (sans Depardieu !). Dans les affres avec l’œuf, le scénariste, Joseph Than, lui propose, voire plus, « Paradis perdu ».

Le chef op’ serait celui de Métropolis, selon Tavernier, qui, après avoir affirmé que le film était tourné en Allemagne, se rétracte. Le travail du Directeur de la photographie, Christian Matras, fut remarqué sur « La grande illusion » (Jean Renoir, 1937). Ce mélo, genre qui serait l’essence du cinéma, sonne juste. Abel Gance n’est pas grandiloquent et évite les biais de « Falbalas » (Jacques Becker, 1944). L’idée d’utiliser deux Micheline Presle est ingénieuse. Même Fernand Gravey est sobre ! C’est l’occasion de voir la grande Elvire Popesco (Sonia Vorochine). Gérard Landry (Gérard) a des accents de Pierre Fresney. Le film n’a pas bénéficié de conjonctures heureuses puisque les accords de Munich venaient d’être signés à la sortie du film, ce qui n’a pas du gêner outre mesure Robert Le Vigan avec son ridicule nœud papillon à pois … Les inventions cinématographiques sont discrètes chez Abel : démultiplications dans l’écran, surimpressions. A noter une scène hilarante dans les tranchées aux côté des Veuve Cliquot Ponsardin. Et puis, c’est le drame, malgré une voisine qui pousse de longs soupirs d’ennuis et gêne dans son ciré pour se protéger du froid de la clim’. Une scène vers la fin ressemble à une comédie musicale genre Ziegfeld follies sur bateau pirate. Une chanson, « Paradis perdu » sert de leitmotiv tout le long du film. Des références sont discrètement égrenées : sur le mur du peintre figure les noms Villon, Rabelais et Molière; « aux âmes bien nées La valeur n’attend pas le nombre des années » [Corneille, « Cid », II, 2]. Les dessins sur le même mur du peintre ressemblent à du Raoul Dufy. Il note l’adresse de la belle sur le postérieur de l’odalisque sur châssis.

La légende veut que Truffaut, actuellement commémoré à la Cinémathèque française, aurait vu ce film à 8 ans en pleine école buissonnière. Il ne pouvait pas le (re)voir sans tirer une larme. Truffaut aurait donc du cœur et, pour une fois, du goût ? Je me souviens encore de la projection de « Napoléon » (1927) sur 3 écrans, pour certaines scènes, dans les arènes de Nîmes.

FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 1 « Le Voyeur », « Peeping Tom », Michael Powell, 1959, 35 mm

Ce film aurait inspiré « Kika » d’Almodóvar (1993), non diffusé à la rétrospective Almodóvar à Lyon, sur ta tv réalité et le voyeurisme. Un chef d’œuvre malgré une cabine de projectionnistes, qui parlent fort, allumée en permanence, ce qui se reflète sur l’écran et gêne … Ici une copie sous-titrée en français et en allemand car venant de la cinémathèque suisse. La mise en abyme est permanente : caméras en plateau filmés (une superbe plongée avec divisions de cadres), le filmeur tourne avec des personnes qui regardent ce que lui-même a perçu, une aveugle découvre tout. Des visages sont déformés en fish-eye (comme un miroir déformant). Les couleurs pètent (Eastmancolor). Une mine de réflexions sur le cinéma. La psychiatrie est interrogée au point qu’elle éternue. Karlheinz Böhm fait de plus en plus peur avec sa gueule de bellâtre à la Kennedy avec cernes en plus. Cela change de l’Empereur François Joseph d’Autriche dans la série des Sissi dans les années 50 ! Powell pensait engager plutôt l’acteur d’origine lituanienne, Laurence Harvey. La tronche inimitable d’Anna Massey (Helen Stephens) que l’on retrouvera dans le sous-estimé « Frenzy » (Alfred Hitchcock, 1971 : souvenez-vous de la tête de l’étranglée avec la langue pendante, humour hitchcockien garanti). Moira Shearer est toujours présente (Vivian). Powell s’est investi au point qu’il produit et joue, avec sa moustache ; son fils Columba fait une figuration dans un faux film familial. La maison dans laquelle se situent ces flash-back n’est autre que celle dans laquelle le réalisateur a été élevé, à Londres. Les critiques ont été horribles à l’époque pour l’un des premiers snuff movies. A tel point que le distributeur dut retirer le film de l’affiche une semaine seulement après sa sortie. Le film marqua le début du déclin de la carrière de son metteur en scène. Un film séminal qui a influencé tant « Blow up » (Michelangelo Antonioni, 1966) que « Blow out » (1981) de De Palma (dans la séquence d’ouverture de « Sœurs de sang », « Sisters », 1973, son premier succès, des invités débattent lors d’une émission de télévision baptisée « Peeping Tom », le titre original du « Voyeur »), dont le thème du voyeurisme est central, Cronenberg ou Atom Egoyan.

A noter que « Psychose » (« Psycho », Alfred Hitchcock, 1960) est sorti à la même période en noir et blanc, grâce à l’économie de la série « Alfred Hitchcock présente » (« Alfred Hitchcock Presents », 1955-1960). Martin Scorcese et Thelma Schoonmaker ont lutté pour resortir la copie du « Voyeur », « Peeping Tom » (Michael Powell, 1959) en 1979 soit 20 ans après.

FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 1 « Une femme dangereuse », « They drive by night », Raoul Walsh, 1940, 35 mm

Rétrospective de la grande petite Lupin, Ida Lupino, l’actrice britannique qui deviendra metteur-e en scène. Un torrent de froid de la clim’ en salle 1 me vaut d’enfiler mon manteau en dépliant ma capuche qui ne masquera en rien un format 1:37 ! Un film peu inspiré dans des conditions de projections pittoresques au Comœdia : génériques de début et de fin squizzés, un long flou non voulu au début, des problèmes de mise au point (poing !) et un cadrage inadéquat tout le long. Un split screen curieux pour un appel téléphonique : deux visages séparés par un poteau téléphonique. Notre borgne a dû bigler. Un Humphrey avec sa moumoute mais pas encore connu. Warning : George Raft envoie du bois grave et joue à contre-emploi de son rôle habituel de gangster Warner. Ida fait son numéro, surtout lors du procès : bien lui en a pris car elle a été engagée au casting sur une seule prise; cela lui valut un contrat de 7 ans à la Warner. Roscoe Karns (Irish McGurn) fait le pitre. Don Siegel au montage. Franchement, cela paraît long (95mn soit un court-métrage de nos jours !) et cela ne vaut pas « Les Bas-fonds de Frisco » (« Thieves’ highway », Jules Dassin, 1948). Dispensable.

Avec Vincent (Riot-Sarcey) nous marchons comme des dératés pour arriver à l’heure et en sueur à la séance suivante. Sur les quais, des badauds attendent Jean-Hugues Anglade qui arrive à son hôtel.

FESTIVAL LUMIÈRE 2014 , Lyon, Jour 1 « Le Désordre et la nuit », Gilles Grangier, 1958

Vu « Le Désordre et la nuit », Gilles Grangier, 1958 à 11h à l’Institut Lumière. N’eût été celles de Frémaux, dignes des tatamis, c’était en grandes pompes et salle bien pleine, avec nouvelles plaques au nom des réalisateurs sur les sièges, pour cette séance d’ouverture. La présentation du film par Tavernier, Directeur de cette partie de la rétro, fut, pour une fois, peu instructive. A part le fait que les femmes de Grangier et Gabin se sont rencontrées pour faciliter leur collaboration, grande info cinématographique, rien de bien intéressant. Certes, il cite l’acteur Louis Ducreux (Henri Marken) qui joue M. Ladmiral dans « Un dimanche à la campagne » (Bertrand Tavernier, 1983). Il a pourtant oublié son ami Jacques Deray (Prix Deray du film policier français à Lyon), ici premier assistant, et affublé d’un « Service du Dr Deray ». En tout cas, Tavernier s’est pris un fou rire car débilou, un type qui pose constamment des questions débiles en intégrant des termes techniques qu’il ne maîtrise pas, est allé causer avec Béber et a dû raconter des conneries, comme d’hab’.

Ce beau film noir en noir et blanc joue sur les effets de miroirs, jusqu’au rétroviseur intérieur de la voiture. L’ouverture sur la tête inspirée d’un batteur de jazz rappelle « L’Homme au bras d’or » (« The Man with the golden arm », Otto Preminger, 1955). La mixité entre danseurs noirs et blancs est un parti pris politique assez couillu pour l’époque : ce n’est pas au pays sans nom que nous aurions vu cela à cette époque ! La mixité entre un vieux flic ravagé mais humain et pragmatique et une jeune femme paumée n’était pas encore bien acceptée moralement. Un danseur se masque au début : Jean-Pierre Cassel, non crédité, en premier plan du 2e plan ! Beaucoup de chansons, ambiance de la nuit. Un générique abstrait avec les jeux de néons. Un noir qui respecte les codes mais s’en dégage par son intimisme. Des détails du quotidiens, comme le cerisier à Maison-Laffitte (des montmorency, comme le duc !), un chat, l’animation de la rue reconstituée en studio car Gabin amenait du peuple, une maison à Montreuil. La Darrieux, ici bourgeoise, tire une tronche de circonstance comme dans « La Vérité sur Bébé Donge » (de son mari Henri Decoin, 1951) ou « Madame de… » (Max Ophuls, 1953). Et puis Roger Hanin (Albert Simoni), Paul Frankeur (l’inspecteur Chaville), le pitre Robert Manuel (Blasco) et François Chaumette (le commissaire Janin). Les films français numérisés sont désormais sous-titrés en anglais, hum. Surtout avec les nombreuses saillies d’Audiard.

Petit détail amusant. Les scènes se déroulent rue de Ponthieu, dans le 8e arrondissement de Paris, près des Champs-Élysées. Si c’était un des hauts-lieux de la vie nocturne parisienne où viennent s’encanailler nombre de personnes, nous sommes loin de Pigalle. Or, c’est dans un café de cette fameuse rue que Sautet donnait avec ponctualité ses rendez-vous professionnels avec force clopes.

FESTIVAL LUMIÈRE 2014, Lyon, Jour 1

INTROÏT

Un pot d’entrée avec du vin dégueu et du spumante, signe de crise. La pointe originale fut le calamar, outre le chorizo de mauvaise qualité. Les guitaristes de flamenco, pitoyables, ont été renommés « Los piranhas ». A défaut d’être espagnols ou gitans, ils pourraient bien jouer. Maëlle Arnaud, la programmatrice, vient me tancer pour mon bavardage. Qu’elle en fasse de même avec le couple Chardère qui nous gâche les projections en parlant pendant les films. Le buffet a été dévalisé en un rien : c’est la crise. Avec Vincent, nous discutons avec François Kigroglian, l’ancien directeur de La Fourmi que reprend Frémaux. J’avais titillé Kigroglian l’année dernière sur le sujet mais il ne pipa mot, probablement car les jeux n’étaient pas joués. Ah la période où, grand collectionneur d’affiches, qu’il vend parfois, il payait son personnel en nature, c’est à dire … en affiches !

Difficile d’être au même niveau électrique que le showman Tarantino (« Simca ! Simca ! »), adepte du 35mm, Prix Lumière 2013, pour les 5 ans du Festival Lumière. La saga Musashi Miyamoto (1961-1971) de Tomu Uchida aurait été pertinente l’année dernière, même dans une salle annexe du décati CNP Terreaux. Deux films du primé 2014, Pedro Almodóvar, ont été diffusés en avance -sage décision- à l’Institut Lumière : « Attache-moi! » (« Átame! », 1989 avec la fameuse scène du god’ dans le bain allant vers Marina Osorio-Victoria Abril) et « La mauvaise éducation » (« La mala educación », 2004). Nous pourrons de toute façon nous rattraper ensuite avec les rogatons du Festival à moindre prix et dans des conditions moins stressantes, sans peopolisation. Autre nouveauté importante : le Festival commence dès lundi matin, donc plus de films, plus de séances. Enfin un bon point. Le catalogue a été enrichi pour la première fois de commentaires de Pedro Almodóvar. Encore un bon point.

« Richard III » par Thomas Jolly : passez votre chemin car beaucoup de bruit pour rien

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I       Diverses versions

        Après la commémoration de la mort, voici celle de la naissance : encore un milkShakespeare (1564-1616) pour l’anniversaire du barde de Stratford-upon-Avon ! Pas de chance car, si il y eut Robert Hirsch en Richard III, Ariel Garcia Valdès (Georges Lavaudant, Cour d’honneur festival d’Avignon, 1984), Marcial Di Fonzo (Matthias Langhoff, 1995), Lars Eidinger en Edouard aux mains d’argent plongé dans une ambiance « Orange mécanique » (Thomas Ostermeier, Festival d’Avignon 2015), j’avais déjà eu le malheur d’assister au théâtre d’Oullins à l’excellente interprétation de Dominique Pinon, à la diction parfaite, dans une piètre mise en scène de Laurent Fréchuret, directeur du Théâtre de l’Incendie. Il s’agissait de successions de toiles peintes et de grandes tables rectangulaires d’écoliers pour symboliser ridiculement les batailles, où le seul et limité intérêt était que la première rangée était occupée par les acteurs qui la rejoignent quand ils quittent la scène afin de se rapprocher des spectateurs. Le seul mérite de Fréchuret fut de distribuer un arbre généalogique avant le spectacle.

En ce joli mois de mai, Jolly ne redore pas le tableau, même à l’Odéon, lieu du début de la tournée, où Hugo et Gautier réhabilitèrent Shakespeare.

        Côté longue traversée théâtrale, il y eut le « Mahabharata » (Peter Brook, 1985), « Le Soulier de satin » de Paul Claudel, monté dans son intégralité par Antoine Vitez (1987), un « Henry VI », déjà, raccourci à huit heures par Stuart Seide en 1994, ou encore quelques glorieuses épopées du Théâtre du Soleil, d’Ariane Mnouchkine.

Reste à monter des œuvres laissées de côté : « Cromwell » de Victor Hugo, « Empereur et galiléen » d’Ibsen, « l’Iliade » et « l’Odyssée » d’Homère, « Belle du seigneur » de Cohen.

II      Mise en scène tonitruante

        Première tétralogie : de « Henry VI » à « Richard III »

        Le Jolly truand tente de nous forcer à (l’)aimer à coups d’effets sauce Xavier Dolan (« Ce que nous avons en commun c’est que nous faisons ce que nous voulons, quand nous voulons, comme nous voulons sans attendre qu’on nous donne la permission, quitte à se démerder. Nous avons tous les deux la volonté à la fois d’une exigence artistique et d’un cinéma, un théâtre populaires. Ce n’est pas incompatible. Je crois aussi que nous sommes extrêmement liés à la “troupe” avec laquelle nous travaillons. ») dans le prolongement de son désormais mythique « Henry VI » (Festival d’Avignon 2015 ; Molière de la mise en scène 2015; édité en DVD) où il jouait, déjà, à la fin, Richard III.

Plus de 4h20 (avec entracte) n’auraient pas été de trop dans la foulée au regard des 18 heures déjà jouées, même si la tonalité crépusculaire de « Richard III », qui clôt la descente, dénote avec le cycle solaire d’« Henry VI », le tout compris dans le package de la première tératologie (1588-1593) d’un Will jeune. Jolly insiste sur la « continuité parce que c’est la même équipe, parce que ce sont les mêmes personnages, parce que j’ai laissé Henry VI à un endroit où scéniquement et dramatiquement on peut le poursuivre ». La dramaturgie flamboyante, l’allégresse du travail de troupe, les trouvailles cocasses qui créaient le suspense tout au long du marathon de « Henry VI » sont à regretter ici.

        Dépoussiérer, dit-il.

Dans un remarquable exercice d’éclaircissement de la pièce grâce à son collaborateur artistique Pier Lamandé et la dramaturge Julie Lerat-Gersant (« Putain, il pourrait être plus clair quand même. […] Sorry, Will. » ; « Mes modifications ont été faites pour essayer de gagner en lisibilité et en clarté, qui étaient mes deux objectifs premiers, sachant que le matériau est à la base assez confus. ») malgré une traduction, moins pire que celle de Bonnefoy pour « Le Roi Lear », ampoulée de Jean-Michel Déprats (Pléiade, Gallimard), les titres tombent des cintres, comme dans une bande dessinée ou un péplum, genre que je déteste, souligné par la typographie des lettres.

Or, la pièce évoque le sanglant XVe siècle : le sous-titre de la pièce indique « le débarquement du comte de Richmond et la bataille de Bosworth ». En fait, en fan revendiqué (« tout le monde a perçu le côté grand spectacle cinéma/série […] je me suis dis “Tiens, il y a quand même quelques procédés narratifs similaires”. Les séries télé ont pompé Shakespeare, il a inventé ce que l’on nommerait aujourd’hui le mainstream. […] Il doit donc accrocher le spectateur) de séries (l’affrontement des Stark et des Lannister dans « Game of thrones » ; « House of Cards », « le Seigneur des anneaux », « Twilight », « Star Wars », « Harry Potter », « Batman » avec un antihéros Pingouin, Jocker, etc.), ceci est prétexte à chapitrer la pièce par actes comme si le spectateur ne pouvait comprendre sans ce surlignage.

Comme dans les séries, il résume de façon incompréhensible lors d’un démarrage laborieux, les épisodes précédents, sans éclairer le propos, par des captations sur écrans de contrôle : « On ne comprend pas forcément, si on tombe comme ça dans Richard III, que cela fait cinquante ans que deux familles se battent et que c’est terminé » […] « on peut retrouver sur scène grâce à une captation, des images du spectacle précédent qui permettent d’avoir des éléments de compréhension ». Cela m’a échappé car trop d’images tue l’image ; heureusement que je connaissais la pièce au lieu d’assimiler ce bloubi-boulga abscons !

        Tout ça pour ça

Si le spectateur creuse, il sent l’absence de véritable point de vue d’une mise en scène logiquement et malheureusement bordélique. Il n’y a dans ce Richard ni la séduction du mal, qui est au cœur de la pièce, ni la monstruosité et son énigme, ni la dimension du clown tragique. Toute la complexité du personnage est gommée. La mise en scène très géométrique, très chorégraphiée est sans tension, trop diluée dans le temps, trop autocentrée.

En outre, la conséquence principale est que la longue pièce ne commence pas par la célèbre tirade : « Ores voici l’hiver de notre déplaisir / Changé en glorieux été par ce soleil d’York. » mais, à cause d’un mauvais collage, par le monologue sur la difformité. Tout ça pour ça : redondance.

La seule découverte, c’est le bébé mort-né de Lady Anne : « c’est une fois son enfant mort qu’il devient vraiment un tyran, parce que le pouvoir n’a alors plus de sens pour lui. » Ce ne sont malheureusement pas les seuls gadgets.

III    Fiat lux

Lumière-caméra

Le roi siège sur un trône surmonté de 12 écrans de contrôle, au lieu de tapisseries, pour relater le « royaume surveillé, paranoïaque, où tout est contrôlé ». Ce dispositif est réussi d’autant que le metteur en scène critique un actuel état sécuritaire sous télésurveillance n’empêchant pas les attentats. La tour de Londres devient à la fois le symbole de l’enfermement arbitraire et celui de la tour de contrôle. « Ce sont des robots lumineux. Ils ne sont pas là uniquement pour tourner dans tous les sens, ils représentent une société surveillée, un État policier et déshumanisé où la machine remplace l’humain. » Jolly aurait pu éviter la facilité de taper du pied par terre pour éteindre les écrans de surveillance.

Lumière-laser

« Le théâtre est à la bourre quand on voit ce que les éclairagistes sont capables de faire sur ce type de concerts. » Le principal apport du spectacle est l’importation, grâce aussi à François Maillot et Antoine Travert, par le fan de Lady Gaga, Beyoncé et de show télévisés, des lumières de concerts ou show live glam rock voire opéra gothique car « Longtemps, je n’ai pas su quoi faire de ma culture populaire. Au TNB, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de honte à aimer Walt Whitman, Verdi et les Spice Girls ». Le problème est que le specteateur songe plus à « Starmania » de Berger et Plamandon.

La note d’intention de Jolly affine : « Il s’agira de prolonger et d’accentuer ces pistes scénographiques en propsant un univers visuel très contemporain s’appuyant sur la technicité de la lumière : les nouvelles machines, utilisées davantage dans le monde musical sont d’après moi pertinentes dramaturguquement : tout en structurant l’espace de manière quasi-chirurgicale, elles créent, par leur nature robotique, un climat d’oppression, d’angoisse et de sophistication cohérent avec le piège tendu par Richard à ce royaume ».

L’esthétique glacée se fonde sur des effets rasants, des rais traversant la scène ou tombant du cintre, perçant le noir comme des lasers, des projecteurs fixes et articulés, dessine des flèches de lumière violente dans l’obscurité façon « Star wars » pour les « gorges de la mort » avec force son de poignards, aveugle de façon agaçante le spectateur, font de chaque entrée en scène une apparition jusqu’à dessiner la tente de Richard III et son enfermement.

Ce croisement entre hi et low cultures (Richard III est un « grand méchant comme Hollywood sait en faire », sans compter les blockbusters; tv, jeu vidéo, BD dont manga, etc.) serait intéressant si Jolly, fils d’imprimeur et d’infirmière, n’abusait pas d’un procédé passionnant qui devient lassant à force de répétitions et de démonstrations de force. « Si Shakespeare était vivant aujourd’hui, ce serait une sorte de James Cameron ou de Peter Jackson, quelqu’un qui fait du très grand spectacle, à très grande échelle et très populaire » déclarait Jolly pour « Henry VI ». Ceci dit, pas une lampe n’éclaire la scène de face !

Un décor classique

L’usage plus classique de grands rideaux de soie couleur de suie est gracieux. De même, le décor se compose d’échafaudages, comme clin d’œil aux tréteaux, d’un escalier de bois et des tubulures escamotables. Le cheval de bois deçoit : je m’attendais à un vrai canasson comme chez Castellucci.

Si l’ascension de Richard vers la couronne est un hiver glacé, crépusculaire, où se déclinent toutes les nuances de noir, je préfère Soulages, donc Claude Régy, que ce galimatia grand spectacle Grand-Gignol (scène ratée de batailles, dont celle de Bosworth, avec tromblon à confettis rouges ou l’éternel problème de la représentation de la violence au théâtre) dans un trop petit théâtre à l’italienne, celui des Célestins à Lyon.

Boule à facettes

L’acmé serait un show vulgaire et kitsch, scène de chauffe de la salle avant l’entracte, où Richard III/Jolly queer en star glamgoth au Crosby House pour son avènement techno-rock chante « I’m a dog, I’m a toad, I’m a hedgedog » (Clément Mirguet) avec clips et théâtre à l’italienne des Célestins transformé en discothèque. L’idée serait bonne sans claudettes ou choristes gothiques en robes d’inquisiteurs à gants blancs, jouées en outre par des hommes, et gogo-dancer charnu, à la tête de sanglier, venu montrer ses fesses et tendre des doigts d’honneur, héritage de la guerre de Cent ans. L’idée de montrer ses fesses est très shakespearienne au Théâtre du Globe mais pas dans le dispositif ici choisi.

Quelques pépites

        Une scène onirique réussie toutefois sur le plan visuel : Richard III foudroyé par les spectres de ses victimes en éclairs de sang. Par contre, les immenses photos de famille York et Lancaster au réalisme tape-à-l’œil n’apportent rien. Jolly devrait s’inspirer de Castellucci mu par une vraie pensée visuelle proche de l’installation de l’art contemporain.

Une scène amusante avant l’effroi immédiat : des exécuteurs de basses œuvres, Bruno Bayeux (également Lord Rivers et duc de Norfolk) et François-Xavier Phan (également duc de Buckingham) se comportent comme des gamins dans la cour de récré et rient à se rouler par terre avant de commettre sur ordre de Richard III un assassinat sur son frère Georges, duc de Clarence (Damien Avice) dans la tour de Londres.

IV    Un texte peu audible

Quel texte ?

« Je ne regarde que le texte ». Des coupes, rares, ont été opérées : le texte n’est donc pas intégral. Curieuse méthode : « j’ai interverti quelquefois le sens des scènes pour gagner en suspense, j’ai coupé deux scènes qui n’apportaient vraiment rien à l’action et puis j’ai corrigé toutes les erreurs parce que le texte de Shakespeare est bourré de fautes ». Les inversions de Déprats ressortissent plus de Yoda que de la traduction fidèle : elles sont faciles pour évoquer le temps passé.

Des répliques pirates sont glissées dans le dialogue : le très nécessaire « Thank you » (référence au livre de Torreton « Thank you, Shakespeare ! » en hommage à Shakespeare ?) ; une allusion à Nuit debout.

Où est Shakespeare ?

La musique tech hardcore est tellement forte que le texte est inaudible, même si les acteurs braillent, profèrent sans subtilité, sans vivre de l’intérieur. L’énergie constante de ce théâtre gueulé irrite ou fatigue, râpe la sensibilité des textes effacés dans leur lettre, leur force et leur beauté, pire, jusque dans leur signification. Tout en surface, l’effet, pléonastique, triomphe. Une musique lancinante hollywoodienne, digne de mélo, gâche certaines répliques.

Jolly Richard III

Jolly se taille la part du lion en jouant logiquement Richard III, le rôle le plus long chez Shakespeare. Richard III est « Dépêché avant terme dans ce monde à peine à moitié fait, si boiteux et si laid, que les chiens aboient quand je les croise en claudiquant ». La diction de Jolly ne correspond pas : comment une personne hyper lookée, très efféminée et maniérée dans son élocution (voix haute, parfois nasillarde de fausset, tics, etc.) peut incarner un sanguinaire Richard III, duc de Gloucester, « crapaud du diable » ? Aucune crédibilité pour celui qui oscille entre le bourrin en forçant sa voix et le mignon-giton. Nous n’y croyons pas à la perche-gringalet. Il respire très mal malgré sa grande colonne d’air due à sa taille imposante (« — ma — »). Il court en vain derrière son rôle interprété sans subtilité.

Pire, Peter Pan, qui rêvait d’être danseur étoile, emporté par son énergie, virevolte alors que Richard III est handicapé ! Claudiquer de temps en temps avec son attelle ou jambe sanglée dans une armature de fer détournée en accessoire punk à la Pete Doherty, ne suffit pas.

Le costume de Sylvain Wavrant, styliste inspiré par la taxidermie, est décalé avec sa parure plumes, bois, coquillages, bec d’oiseau et roche dans la bosse (« odieuse montagne ») car Richard III a un « rapport avec l’animal, le végétal ou le minéral ». Pourtant, dans le programme, il est simplement noté : « parure animale de Richard III ». Jolly ajoute que pour le « costume du tyran, nous nous sommes inspirés des représentations médiévales du diable et de ce qui est écrit dans le texte ».

Et les autres

Le nombre des personnages a été réduit. Bien que la mise en scène déborde de moyens, le meneur de la Piccola Familia avoue : « La première modification a été pratique, je n’avais pas suffisamment d’acteurs. J’en avais 21 et ce n’était toutefois pas assez donc j’ai effectué des réunions de personnages, de plusieurs ducs je n’en ai fait qu’un ».

Si Jolly raffole du plan large (épopée, batailles, scènes de groupes), les scènes de dialogues paraissent trop longues et manquent de nuances, l’hystérie cannibalise le registre émotionnel et les personnages secondaires peinent à exister.

Le jeu des acteurs, frais car ayant l’âge des rôles, parasite le texte. « J’ai eu recours à une doublure, ce qui m’a permis de travailler les réglages et avec les autres acteurs et je ne suis intervenu que dix jours avant la première sur le plateau. » Malgré cette technique, le jeu des acteurs, autonomes, est hétérogène. Ils ne sont pas au diapason car il manque à ce spectacle une direction. Peut-être est-ce dû à la méthode employée : les acteurs présentent des spectacles sur un thème ou un personnage abordé dans la pièce. « Ce n’est pas une sous-traitance, cela permet aux acteurs de s’approprier la matière. Les acteurs sont les créateurs. » En outre, « Je ne me considère pas comme un metteur en scène mais comme un acteur qui en fait jouer d’autres ». Jolly doit serrer de plus près sa direction d’acteurs.

Un jeu passéiste

Le phrasé tragique des acteurs est trop tonitruant. La scène, pourtant centrale, avec Lady Anne, transformée en vamp tendance Morticia Addams, est totalement ratée. Il est difficile de croire que le monstre séduit celle dont il a tué l’époux, qu’il la charme par la langue puisqu’elle est surjouée. Les acteurs crient beaucoup, dans ce Richard, en un jeu qui essaie de passer en force. La scénographie, qui se veut contemporaine, ne saurait masquer le jeu éculé des acteurs qui déclament, comme jadis, Marie Bell. D’ailleurs le défaut du théâtre contemporain est patent : la scénographie prend le pas sur le texte. La gestuelle à coups de mains nerveuses d’Emeline Frémont en reine Elisabeth est ridicule. Que les acteurs ne s’inspireraient-ils des recommandations d’Hamlet à l’égard de la troupe de comédiens d’une pièce dans la pièce !

Les effets sonores, globalement réussis, quoique parfois redondants, produisent une indéniable efficacité cinématographique (delay, effet cathédrale, etc.). Le problème global est que l’empilement de codes, styles et genres jusqu’à l’indigestion noie le texte.

V      Un théâtre plus populiste que populaire

Nécessaire actualisation

Comme le metteur en scène ressasse le côté « populaire et exigeant », les médias relayent. Jolly a également subi le traumatisme du second tour de la présidentielle de 2002 : « Ce mécanisme politique, d’un roi qui se sert d’un climat délétère et de la fragilité d’un peuple pour parvenir à ses fins… C’est très actuel tout ça ! » (cf. le florentin ou machiavélique Mitterrand de l’Observatoire, entouré de suicidés, de Bousquet et de la hausse du FN; la façon de gérer de Sarkozy; le DSK de New-York); « Je crois également que monter Richard III à l’aune des élections de 2017 et dans le contexte d’une poussée du Front national est important. Dans les prochaines années, je vais m’atteler à poser sur la scène un monstre politique »; « Dans Richard III, Shakespeare décrit un royaume divisé, une génération traumatisée, un climat d’angoisse post-crise » ; « Une fois au pouvoir, il n’a pas de vision et ne veut que conserver son statut, ce qui provoquera sa chute. Le personnage évolue, alors qu’il est le plus souvent présenté de façon statique » ; nous sommes dans « une période troublée et en friche. Nous ressentons le besoin d’avoir du récit au long souffle, de l’épopée. En politique, il n’y a plus de récit. Les personnages politiques aujourd’hui sont assez fades, peu importe les partis ». Le metteur en scène fait le pari d’une analogie avec notre époque, reconnaissant que nous sommes à un autre tournant de l’histoire humaine, basculant dans une ère nouvelle grâce à des mutations techniques inédites, sans que nous sachions encore quel horizon inconnu se présente à nous.

Res populum

Le paradoxe est que si cette pièce dénonce le populisme, le metteur en scène y a recours par divers procédés (lumière, musique, participation du public, éclairage de la salle, etc.). N’importe quel spectateur avisé, et il en est bien peu, se demandera s’il est bien raisonnable d’applaudir le tyran pour son couronnement. D’autant qu’un « simple greffier de justice résume l’époque : « Le beau monde que voilà ! Qui est assez grossier / Pour ne pas voir ce palpable artifice ? / Mais qui est assez hardi pour dire qu’il le voit ? » ». Le dispositif s’était révélé bien plus efficace dans « L’ennemi du peuple » d’Ibsen monté en 2013 par Ostermeier au TNP. Il faut dire que le public pouvait débattre en direct et non taper seulement dans ses mains pour adhérer et faire passer le temps.

Un succès surprenant

Par contre, il est louable qu’enfin les techniciens saluent à la fin avec l’ensemble de l’équipe. Une comédienne lira un texte en faveur des intermittents et contre la loi El Khomeri.

Le public debout ovationne plusieurs fois, comme en 2002 à Marseille le pitoyable « Sakountala » de Pietragalla, une bouillie pour grand public draguant les poncifs sur la folie en prenant Camille Claudel comme caution. L’analyse sociologique s’impose.

Faire connaître à tous prix ?

Si le résultat est de faire connaître et lire Shakespeare à des jeunes, c’est déjà beau, même si le texte est considérablement dénaturé. Voici ce que Jolly, cheveux peroxydés, dit à propos d’ « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier sur France 2 : « C’est important d’avoir eu une telle fenêtre sur la télévision publique qui mette en valeur le théâtre public. C’est une belle initiative, Laurent Ruquier l’avait déjà fait avec Joël Pommerat. Tout le monde avait vu la pièce et on dispose d’un vrai temps de parole dans ce talk show qui dure 4h30, même s’il y a quelques coupes au montage. L’impact après la diffusion a été énorme, sur les ventes de places dans les théâtres sur le DVD de Henry VI… ». Il oublie les produits dérivés (compte Twitter et page Facebook Richard III ; container R3M3 de 6 m² avec imprimante 3D, souris velue, hologrammes, projections, écrans interactifs, skype ; « L’Affaire Richard », spectacle de quarante minutes, joué chez l’habitant par deux comédiens de la troupe) en pro du marketing. On en a pour son argent comme un gros hamburger ; il s’agit plus de spectacle, de divertissement que d’art théâtral ou dramatique.

Les projets

        Quel sera le résultat pour l’enfant gâté et prodige, tout autant que prodigue, tels que Stanislas Nordey, son maître, Patrice Chéreau ou Olivier Py, avec « Fantasio », un opéra-comique en 3 actes et 4 tableaux de Jacques Offenbach d’après un livret de Paul de Musset fondé sur la pièce-éponyme de son frère, Alfred de Musset, avec des phases préparatoires ouvertes au public, « Eliogabalo », un opéra baroque façon théâtre vénitien, de Cavalli jamais monté en France, la trilogie autour de « Thyeste » de Sénèque, auteur dont s’inspire Shakespeare (« dolor, furor, nefas ») ? Ces pièces « représentent un retour aux sources du théâtre, à l’essence de cet art. Pourquoi est-il né ? Pourquoi ce genre artistique est-il présent depuis 2 500 ans ? Sénèque est un auteur qui permet de questionner l’humanité dans ce qu’elle a de plus magnifique et aussi d’examiner ses aspects les plus laids ».

A la hache, « Ashes to ashes »

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Masque et la plume divisé à stricte égalité. Dans le noir, Carole Bouquet se glisse de son long corps sur le canapé. 2e rang à l’orchestre aux Célestins : je suis sous et près, saoul de sa personne, Carole Bouquet en pantalon ample et simple. Epoustouflante, même si elle souhaite sortir de ce théâtre terrible, peut-être pas en lisant la touchante et l’excellente Linda Lê comme elle fit début 2015 ! Je désirais la voir déjà dans « Bérénice », une pièce de Racine qui me fut fatale au bac littéraire (« tend à » s’écrit avec un d !). Ici, elle est lovée dans un canapé, tenant serré contre elle un châle ou un large cardigan, pieds nus, cheveux tirés, visage lavé de tout maquillage : à nu bien qu’en composition. Etudiante en Philo, Carole Bouquet était une élève de deuxième année du Conservatoire national supérieur d’art dramatique (avec Pierre Debauche puis avec Antoine Vitez ; elle a été virée deux fois par Rosner). Elle a été appelée par Luis Buñuel pour « Cet obscur objet du désir » (1977). Elle n’y croyait pas ses yeux : études interrompues. Déjà, elle était allée en bande voir « La Dispute » de Marivaux au Théâtre de la Porte Saint-Martin avec une mise en scène de Patrice Chéreau. Le mythique Gérard Desarthe jouait déjà jusqu’à la scier. Elle rêvait de travailler avec cette figure de la scène à presque 70 ans (mon plus grand regret est de ne pas avoir assisté à « Hamlet » de Shakespeare par Chéreau au Palais des Papes pour la découverte de mon premier festival d’Avignon). Après plus de 45 longs métrages, l’ancienne timide ose le théâtre en 1992, après avoir refusé la proposition de L. Pintilie pour « Les Trois Sœurs » de Tchekhov. Elle revient enfin après cinq ans d’absence sur les planches, happée par l’île du vent au large de la Sicile où elle s’occupe soigneusement de vignes. Et de quelle manière, avec ses regards fuyants, hagards, son sourire suspect, parfois inquiétant, son teint mat ! « Harold Pinter est particulièrement doué pour ce théâtre où l’on dit des choses drôles, violentes et graves », explique-t-elle. Elle témoigne : « Mais elle [Rebecca] n’a pas vécu l’époque qui la hante, souligne la comédienne. Rebecca est dans le fantasme et Devlin tente de la ramener à la réalité » ; « il y a quelque chose de musical dans l’écriture de Pinter et le sens tient à cette musique délicate, répétitions, ponctuations ». Il s’agit ici d’ « Ashes to Ashes » (parole biblique « cendre à la cendre, poussière à la poussière », « Dust to dust, ashes to ashes », beau comme Bowie; l’héroïne Rebecca dans la Bible arrive après la faute et incarne la malédiction), ou « Dispersion », selon la traduction de Mona Thomas : « une pièce sur la mémoire, la douleur, le deuil, l’empathie » selon la comédienne. Une pièce, l’avant dernière de Pinter, prix Nobel 2005 et mort en 2008, créée en 1996 à Londres et montée en français par Harold en 1998 au Théâtre du Rond-Point avec la trop rare Christine Boisson et Lambert Wilson (qu’il était bien dans « La Célestine » au Palais des papes avec Jeanne Moreau dans le rôle principal).

            Gérard Desarthe, comédien de légende est aussi un pédagogue et un metteur en scène original. L’armoire à glaces aux lunettes opaques cachant des yeux maladifs a été apprenti menuisier à cheveux longs et aux pantalons patte d’éléphant avant de frapper à la porte de Pierre Valde, metteur en scène, réalisateur, comédien très en vue et mari de Lila Kedrova qu’il avait rencontrée. Desarthe a travaillé avec Guy Rétoré, Jean-Pierre Vincent et Jean Jourdheuil, Karge-Langhoff, André Engel, Giorgio Strehler, mais surtout avec Patrice Chéreau. Dès « Richard II », le jeune metteur en scène et comédien l’embarqua dans ses aventures. Avec « Lear » de Bond, « Peer Gynt » d’Henrik Ibsen, Gérard Desarthe inspirait Patrice Chéreau. « Pinter écrit comme un talmudiste, observe Gérard Desarthe. Chez lui, tout est fait pour mener à la recherche incessante des secrets, de l’interprétation. C’est ce qui rend son théâtre si difficile à jouer. Dans ‘Dispersion’, il concentre toutes les lignes de son œuvre : l’identité, le temps, la mémoire, la menace, le couple, la fragmentation du langage… Mais, même dans ses pièces plus « bourgeoises », il y a toujours la peur tapie derrière la porte. Si on ne joue pas Pinter en pensant à Kafka, on ne trouve pas la note juste. » Cette pensée est très profonde car j’ai énormément pensé à Frantz dans le subtil dispositif choisi, voire dans l’écriture en rapport avec Walser. J’ai trouvé Desarthe, à l’aise dans son pantalon de lin crème, peu stable sur ses pieds, dont l’un était bandé. D’où quelques rares hésitations au début. Signe qu’il n’écoutait pas son interlocutrice qu’il assaille de questions en violence rentrée afin de comprendre tout en épuisant sa jalousie, il mange le début d’une réplique de Rebecca (Carole Bouquet).

L’élément moteur du trio est évidemment le génial Harold Pinter auteur de nombreuses pièces de théâtre mais aussi de nombreux scénarios notamment pour Joseph Losey (« The Servant », 1963 ; « Accident », 1967 et « Le Messager », « The Go-Between », 1971). « Parce que les morts nous interpellent toujours, attendant que nous reconnaissions notre complicité dans leur assassinat » déclare Pinter à la création d’ « Ashes to Ashes ». Boum. Il ajoutait : « Poème ou pièce, aucune différence, je parle de nous, de notre propre conception de notre passé et de notre histoire et de ce que cela peut avoir comme répercussions sur notre présent ». Reboum. Né en 1930 d’un père juif d’origine russe, tailleur de son état, il a été soumis, avant, pendant et après la guerre, dans son quartier de l’East End londonien, à la violence des « chemises noires » de l’Union fasciste d’Oswald Mosley, contre qui ses amis et lui faisaient le coup de poing. Pinter a confié combien les images d’horreur des camps s’étaient imprimées dans son esprit de jeune homme au sortir de la guerre. La dimension juive est revenue quand il s’est mis à écrire à la fin des années 1950. Au sujet de son œuvre, le taquin serine qu’il s’agit de « la belette cachée sous le bar à cocktails ». Ici, le rongeur serait un animal de mauvais augure, pouvait être un des noms de l’innommable… Celui qui a refusé d’être anobli par la reine Elizabeth, tout en étant l’époux de Lady Antonia Frazer (l’auteur de « Marie-Antoinette » devenue cette pop horreur hype or swag de Sofia Coppola en 2005), quintessence de l’aristocratie d’outre-Manche, adorait le cricket, ce jeu anglais par excellence, dans lequel la violence s’exprime de manière cryptée. Bref, si le trio récurrent mari, femme et amant, ici diffracté en bourreau et « guide », est encore présent-absent (deux verres sont vides, deux autres sont pleins), son théâtre chausse un pas de côté par le travail de la langue quasi beckettien tirant vers Jon Fosse (« pas recommencer encore (…) finir encore (…) pas finir encore » ; répétitions de mots « encore encore encore » pour imprimer un rythme angoissant, ou « paquet » à la place de chéri puis employé selon d’autres sens ; « bébé » cousu tout du long jusqu’à l’acmé de la scène finale). Espace est laissé aux silences, lourds de sens, aux divers regards réclamant une extrême rigueur aux comédiens ainsi qu’une connaissance profonde d’eux-mêmes et de leurs jeux.

La mise en scène et surtout la scénographie (Desarthe, Jacques Connort) ainsi que le décor (Delphine Brouard) rendent grâce à une langue millimétrée qui pourfend le banal. Les mots écrits en vertical dans le décor nous plongent dans un univers intérieur tourmenté par les malheurs du monde, entre réalité psychosomatique et fantasmes, dans une scène quotidienne. Les diverses coupures avec éclairage différents (Rémi Claude), jusqu’à signifier le passage du jour à la nuit en une unité de lieu mais également dans un dépassement du langage et de l’espace mental, rendant hommage à la fragmentation de la langue et de l’être, évoquent « Scènes de la vie conjugale » (« Scener ur ett äktenskap », 1973) du metteur en scène de cinéma et de théâtre Ingmar Bergman. Ceci est renforcé par des voix amplifiées avec un léger écho, puis au fur et à mesure du délire, le delay. Nous plongeons par degrés dans la cicatrice occidentale que je nomme Oxydant. Le filtre de la mire tv se lève car aucun écran ne réside dans cet appartement bourgeois, design froid, dépouillé, plateau blanc (ses meubles rares, deux lampes rondes en diagonales ; un horizontal rubick’s cube décoratif sur la table). Ostermeier n’aurait rien renié ! La musique (Jean-Luc Rostord), ténue comme les mots, accroît l’angoisse. Rebecca tremble et laisse songer à celle d’Hitchcock (1939 d’après le roman de Daphné Du Maurier) en son manoir gothique incarné par le post-moderne. Scène finale : des hommes arrachent des enfants des bras de leurs mères, des scènes avec des trains. Emouvant pour celle qui a consacré vingt ans de sa vie à « La voix de l’enfant ». Et Nick Cave, cet héritier de William Blake, n’a jamais aussi bien raisonné en boucle de sa voie profonde en début et fin de spectacle. Tout ceci transcende un ennui qui pourrait poindre si la pièce durait plus longtemps ainsi que les gargouillis des ventres, une bouteille d’eau de ma voisine arménienne qui tombe ainsi que des gens qui lorgnent à répétition leur montre.

Ann Lecercle, auteur de « Le Théâtre d’Harold Pinter : stratégies de l’indicible : regard, parole, image » (Paris : Klincksieck, 2006. Angle ouvert; 1 383 p. 2-252-03419-X ; 9782252034194) écrit : « Sa dramaturgie met en scène une tactique discursive de l’esquive et de la diversion, pour ne pas dire de la déviance. Derrière elle se profile en toile de fond, désacralisé, le Nom de Dieu, imprononçable, de la tradition juive ». Les textes de Pinter « sont profondément ancrés dans la société anglaise, ses rites, ses tabous, ses non-dits. S’ils passent mal la Manche, c’est que ce sont des textes en grande partie cryptés ».

Ils saluent longuement, la salle est en transe. Carole Bouquet, qui a dû annuler une date pour indisposition, semble gênée, peu à l’aise, peut-être le temps de sortir d’un rôle prenant, puis reçoit enfin les applaudissements. Au regard du travail remarquable qui convoque les sens, le prix SACD du plaisir du théâtre est mérité. Un écrin pour Carole Bouquet et Gérard Desarthe.

« Voci di dentro » : un sogno è realizzato !

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Rien de tel qu’un théâtre à l’italienne pour accueillir du théâtre napolitain. Un rêve se réalise : un dramaturge napolitain avec deux frères de la même ville, Naples. Déjà vu Toni dans La « Trilogie de la villégiature » de Carlo Goldoni en 2007, d’une furieuse actualité. Le Voci a été créé en 1948 dans l’immédiat après-guerre d’une Italie ruinée. Une vie incroyable dans un immeuble : Alberto Saporito rêve d’un assassinat (thème hitchcockien) et accuse ses voisins qu’il jalouse. La famille se détraque alors autour d’un hypothétique crime qui verra sa victime réapparaître. Peut-être l’excellent Israël Horovitz s’en est-il inspiré. Saporito/Servillo rentre en délire en napolitain, alors que le regretté chanteur Pino Daniele est mort il y a peu. Jeux de gestes. Ce qui est fascinant c’est Toni qui maintient une diction parfaite en susurrant à toute vitesse, voire en chuchotant. Son frère, raide comme un croque-mort, joue … son frère. La mise en scène de Toni Servillo est géniale : des chaises empilées en fond, comme une ancienne installation à Sainte-Anne, des projections sur un mince fil, une déco minimale. Le Zi’Nicola, l’oncle joué par Daghi Rondadini, ne cause qu’en feux d’artifices et casse sa pipe en feu de Bengale ! Bref, la mécanique est folle comme un Vaudeville tonitruant avec une précision diabolique tout en délivrant une vérité crue : le rêve n’est plus permis, les gens ne savent plus vivre les uns avec les autres. Pas un ne rattrape l’autre car chacun a ses raisons. Les acteurs s’en donnent à cœur joie dans l’impro. La bande son restitue le son inénarrable de la rue à Naples.

La montre d’un spectateur sonne toutes les 15 mn ! Une dame du balcon parlant italien a suivi le spectacle partout (Paris, Marseille, Naples) jusqu’à en connaître les répliques par cœur malgré un black qui riait fortement façon Isaac de Bankolé dans « Black Mic-Mac » notamment lors du monologue de Toni Servillo sur la cravate. Elle m’a ainsi appris que Toni Servillo pourrait succéder à feu Ronconi au Piccolo teatro (Milano). J’ai d’ailleurs regretté qu’aucun hommage n’ait été prononcé en l’honneur de l’ancien Directeur du Piccolo teatro. La troupe fêta sa dernière à Lyon, Toni fit la répartie, Peppe, le frère, part en chaussant son chapeau noir. Il ressemble un peu au sec Erri de Luca. Le bar grouille de vie, les dames matent, les verres trinquent. Chapeau, Toni !

Platonov : la tribu de Dana se damna

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26/11/2014

Hier, le collectif fêtait sa décade avec un Platonov, pièce de jeunesse de Tchékhov, aux Célestins (Lyon). Retour aux sources : la première pièce jouée fut « Oncle Vania ». La salle était loin d’être pleine. Ma voisine n’a pas résisté après l’entracte à la deuxième partie, beaucoup plus courte et plus réussie où les acteurs semblent se resaisir. « Sur scène, le corps et le présent doivent primer sur le comment dire » affirme Rodolphe Dana (« La Terrasse », 26 novembre 2014, N° 227). C’est tout le problème : où est Tchekhov ? Dans des chansons américaines superbement chantées par un gars bodybuildé avec lunettes noires ? En effet, la plupart des membres de la troupe provient du Cours Florent. Se méfier des potes de promo : déjà « Anna », mis en scène par Emmanuel Daumas d’après Gainsbourg et le court métrage pour la tv (Pierre Koralnik, 1967), avec Cécile de France de l’ENSATT (Lyon) en tête de gondole. Ici, c’est Emmanuelle Devos, bien intégrée au collectif quoique arrivée tardivement quand tout était calé, avec extinction de voix, déjà pas très stabilisée, à chaque fin de phrase. Elle est ridicule en maîtresse SM avec des cornes de diable qui conduit le chien Platonov. Elle prend du plaisir en piétinant le papier bulle, comme bruit de feux d’artifice, dans une atroce piscine de jardin gonflable. Cette tendance éculée des acteurs déjà présents sur le plateau avant que les spectateurs ne soient installés. Certaines trouvailles sont toutefois intéressantes. Certes, nos amis se font plaisir mais nous n’en prenons pas ! Seul Yves Arnault (Porfiri Sémionovitch Glagoliev) tire son épingle du jeu par sa présence, contrairement à Christophe Paou en Timofeï Gordéïevitch Bougrov avec sa ridicule prothèse dentaire, façon Jerry Lewis, qui gâche l’élocution, meilleur en bandit Ossip. David Clavel en pitre Nicolas Ivanovitch Triletski, bien que censé incarner un médecin, est fatiguant. Katja Hunsinger (Sofia Egorovna Voïnitseva) est d’un pataud, cela ressemble parfois à du mauvais Boulevard mal joué, a fortiori quand elle collabore dans l’adaptation ; nous avons compris qu’elle avait du plaisir à être pied nus pour être en contact avec la scène. Si « Hamlet » est amplement cité, pourquoi ne pas avoir joué sur le théâtre dans le théâtre shakespearien par exemple ? Le jeu des personnages est caricatural : ambiance de potes beurrés autour d’un barbeuqu’. Le rajout du « face to face » est-il bien nécessaire tout comme « J’aime les filles » de Jacques Dutronc ? Loin le « Platonov », cette pièce de jeunesse maladroite, mise en scène par le génial Jacques Lassalle avec Denis Podalydès à la Comédie française en 2003. Aux Célestins, les costumes de Sara Bartesaghi Gallo sont atroces, le décor pas mieux. Le changement de décor par les acteurs même symbolise le collectif en action. La musique est peu pertinente. Les « possédés » acteurs gesticulent et gueulent comme chez Macaigne (est-ce à la mode ?) mais il n’en reste rien : beaucoup de bruit pour rien où les petits riens tchékhoviens sont étouffés. Le seul intérêt aura été de voir la culotte d’une actrice portée par un bellâtre bodybuildé (le velu Dana, metteur en scène jouant Platonov, en slip ridicule, pour les dames ?) et de réentendre le « réparer les vivants » dont s’est inspiré Maylis de Kerangal pour le titre de son dernier roman. C’est gentil de nous convier à un spectacle, vulgaire du reste, de fin d’année mais cela ne vaut pas le prix du billet ! Bref, si « Rien, on s’ennuie » au début de la pièce, cette mise en scène n’est rien et m’ennuie. Petit Platon, petite mise en scène « Au théâtre ce soir ». Que diable Devos, cette beauté à la Modigliani, est-elle venue faire dans cette galère ? Elle m’avait indiqué que, contrairement aux autres actrices, Tchekhov n’était pas son rêve, que c’était le hasard des rencontres. Bizarre Devos qui regrette de n’être connue que dans le 4e arrondissement de Paris alors qu’elle rêvait d’être célèbre depuis toute petite. Peut-être a-t-elle voulu retrouver les planches du théâtre, le contact avec le public et l’esprit de la troupe. Pour voir un Tchékhov original, préférer le Théâtre de l’Unité de Jacques Livchine où les pièces sont jouées dans les champs avec une pointe de Commedia dell’arte mieux assimilée.

Mulière : quel cinéma !

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Attention abonnés Lumière !

Ceux qui ne connaissent pas le Musée Lumière à Lyon seront intéressés. Si les membres clubs ont reçu une invit’ de la part de l’Institut Lumière, les abonnés ont une misérable réduction (4 EUR de moins). Pour ces derniers, c’est un attrape-couillon dans la mesure où 95 % des pièces proviennent du musée délocalisé sans le délicieux parquet qui craque. Quand ils arrivent à faire valoir leur droit, non sans mal parfois, à la caisse. Voilà qui est dit pour les futurs entubés de 2017 où l’expo résidera au rutilant Musée des Confluences.

Soufflons les bougies du 120e anniversaire du cinématographe, le gâteau est amer. Le public se pressait au Grand Palais pour découvrir la nouvelle invention et les projections des premiers films en 75 mm lors de l’exposition universelle de 1900 à Paris, Ville Lumière, où les visiteurs avançaient sur des tapis roulants. Vous êtes désormais accueillis par un misérable stand vantant les atouts de Lyon, OnlyLyon, marketing et comm’ obligent puisqu’une ville devient désormais une marque.

« Ils auraient pu s’appeler Abat-jour, mais ils s’appelaient Lumière » ironisait Jean-cul God, croyant une énième fois, faire rire son monde et ses adeptes réunis dans une cabine téléphonique à peu de frais.

Plongeons donc dans l’exposition « Lumière! Le cinéma inventé » consacrée aux frères, dont le directeur de l’Institut Lumière à Lyon et délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux est commissaire avec le critique Jacques Gerber. Après les néons bienvenus, une chronologie, parsemée de plus de cent cinquante brevets déposés (couveuse, tulle gras pour les brûlés, etc.), abstient d’expliquer pourquoi a été retirée au dernier moment l’effigie des frères Lumière sur un billet de banque quand le franc existait encore… Les faits sont têtus : Louis Lumière, ingénieur (physique, mécanique) et artiste (photographie, cinéma), vantait les mérites scientifiques du IIIe Reich devant l’Académie des sciences en 1943 ; son frère Auguste, médecin, fut membre du comité d’honneur de la LVF.

La scénographie signée Nathalie Crinière est intéressante, avec cette pellicule au plafond, plus décorative qu’autre chose, que personne ne voit en détail car mal adaptée au lieu, trop petit et trop haut. L’expo (1 500 m²) est enserrée dans le Salon d’Honneur du Grand Palais, en étau entre Velasquez, JP Gaultier et Icônes américaines. Une maquette de l’usine Lyon-Monplaisir en 1903, avec la découverte de l’émulsion sèche améliorée et le succès des « étiquettes bleues » ou plaques photographiques instantanées au gélatino-bromure d’argent, procédé inventé par Louis à 17 ans, qui a mis la photographie à la portée de tous les amateurs, représente en 1895 une surface de 6 000 m2 et 260 ouvriers à l’emploi puis 4 hectares occupés par 800 employés en 1913 suite à la production de plaques de verre, de papiers sensibles et de produits chimiques.

Avant le cinéma

Dans l’espace « Prélude », s’ensuivent les classiques appareils de pré-cinéma : la lanterne magique ou projection d’images peintes sur des plaques de verre à travers un objectif via la lumière d’une chandelle ou d’une lampe à huile, le polyorama panoptique, le lampadophore boule, la lanterne polychrome, le thaumatrope ou jouet optique, le phénakistikope, le zootrope (étymologiquement, « roue de la vie »), nom de la maison de production de Coppola, le praxinoscope et la chronophotographie mise au point par Etienne-Jules Marey et Eadweard Muybridge. Des boutons servent à animer certains appareils façon Palais de la Découverte. Rêvons du musée d’Exeter alimenté par feu le réalisateur engagé Bill Douglas. Evidemment Demeny et Reynaud sont également présents. Thomas Edison inventa le kinétoscope avec son assistant, William Dickson, le 14 avril 1891 à New York. En 1894, Antoine Lumière découvre cet appareil lourd à Paris où il faut coller son œil sur un œilleton pour observer individuellement l’un des 70 films tournés entre 1891 et 1895 grâce à la création de l’américain, une caméra de prises de vues, le Kinetograph, avec un format 35 mm. « Ce qu’Edison a inventé c’est Canal+. C’est-à-dire que c’est un rapport individuel à l’image. On paye et puis on a son image animée. Les Lumière, ils inventent le spectacle cinématographique », relève Jacques Gerber. En 1895, les français dament le pion à celui qui ruina Charles Cros. Et tac. Quant au 35mm, Quentin Tarantino, Steven Spielberg, Paul Thomas Anderson, James Gray, Philippe Garrel ou Christopher Nolan résistent encore.

L’invention du cinématographe

Louis Lumière synthétise fonctions de prise de vue et projection en un seul appareil : « Pour imprimer des déplacements successifs réguliers, il met au point un mécanisme très similaire à celui de la machine à coudre, qui fait successivement avancer et s’immobiliser le tissu, le temps que le point soit réalisé ».

Le cinématographe, soit « l’écriture du mouvement », sera inventé le 13 février 1895 (brevet du Cinématographe Lumière, n° 245 032) : « Appareil servant à l’obtention et à la vision des épreuves chronographiques ». Il sera fabriqué en série dès la fin décembre 1895 dans les usines des frères. Le cinématographe n° 1, utilisé pour la première projection publique, trône comme un bijou sous verre, éclairé de haut et en rotation. La spécificité était le mécanisme qui permet l’entraînement de la pellicule de façon intermittente. Des modifications seront ensuite opérées, notamment pour réduire les à-coups au visionnage. Une présentation soignée réussie, tout comme le feuilletage virtuel de documents techniques ou catalogue de films. Le génie de Louis Lumière est qu’« Il a tout intégré, du tournage et de la fabrication des films jusqu’à la conception du mode d’exploitation ».

A côté, une grande peinture du père, Antoine Lumière, né en 1840 en Haute-Saône, est très mal exposée, tout en hauteur, inondée de la lumière du spot, quel que soit la position du visiteur, façon empilement XIXe. Après avoir tenté sa chance dans les affaires à Paris puis Besançon, où naissent ses fils Auguste (1862-1954) et Louis (1864-1948), il ouvre un atelier de photographie à Lyon. Si l’associé et néanmoins fils Louis invente, le père, photographe, n’est pas très bon gestionnaire.

Les frères Lumières réalisateurs

Le 22 mars 1895, les frères Lumière présentent leur premier film devant les membres de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, rue de Rennes, à Paris. « Oh la la, ça, c’est l’avenir ! » s’exclama Léon Gaumont, directeur du Comptoir général de la photographie, en assistant à la conférence du jeune Louis Lumière intitulée « L’Industrie de la photographie et la photographie des couleurs de M. Lippmann ». A la fin, incidemment, il présente un petit film de moins d’une minute, tourné trois jours plus tôt à la sortie des usines Lumière à Lyon, rue Saint-Victor, rebaptisée depuis rue du Premier-Film. C’est bien sûr de « La Sortie des usines Lumière » dont il s’agit, soit la première (19 mars 1895, jour de grand soleil pour impressionner les premières pellicules en celluloïd de 17 mètres de long après des giboulées persistantes ; la pellicule a été retrouvée dans les années 80 dans une poubelle du cours Gambetta à Lyon car une personne qui la tenait de son grand-père l’avait détruite pour toucher l’argent de l’assurance) des 3 versions. La caméra était positionnée dans la salle à manger de leur contremaître Vernier, dont la fenêtre donnait sur leur usine.

Le premier prototype se caractérisait par un entraînement de la pellicule à l’aide d’un système à pinces déjà de façon intermittente grâce au système d’excentrique. Le mouvement de la manivelle à l’arbre portant l’excentrique est transmis par l’intermédiaire d’une courroie extérieure avec l’excentrique triangulaire. Ce prototype a servi à expérimenter diverses solutions techniques et a de ce fait subi plusieurs modifications successives. Le prototype n°2 avait des griffes qui viennent s’introduire dans les perforations pour faire avancer la pellicule de manière plus précise, un excentrique triangulaire et un système de transmission du mouvement de la manivelle par chaîne, à l’intérieur de l’appareil. C’est ce deuxième prototype qui a servi à tourner et à projeter la dizaine de films de l’année 1895, qui présentent tous les mêmes caractéristiques : images jointives à angles vifs décalées vers la gauche en raison de la forme de la fenêtre de prise de vue.

Le clou de l’expo, même si la reconstitution de Jacques Grange est un peu froide, c’est le décor orientalisant du Salon Indien, cette ancienne salle de billard du Grand Café (actuel hôtel Scribe, boulevard des Capucines, Paris), lieu de la première projection publique payante, le 28 décembre 1895. Les 33 spectateurs sont subjugués par des films d’autofictions (« le Repas de bébé » ou « vue », puisque c’est ainsi que les Frères nommaient leurs bobines, d’Auguste et de son épouse donnant la becquée à leur fille, « La Pêche aux poissons rouges » « les Forgerons », « la Mer ») et burlesques (« La Voltige » « le Saut à la couverture », « le Jardinier » rebaptisé « l’Arroseur arrosé »). Insatisfaits de la qualité de « La Sortie des usines Lumière » pour une séance publique payante, les frères Lumière tournent deux nouvelles versions durant l’été 1895, demandant à leurs ouvriers de rejouer la scène, un dimanche après la messe notamment. Pour accélérer la sortie, les Lumière demandent à leurs employés de rapidement se disperser vers la droite ou vers la gauche. Dans la version officielle, la troisième, la carriole a disparu, les hommes portent des canotiers et les portes de l’usine ont le temps de se refermer. « Pour tourner ‘La sortie des usines’, il faudrait aujourd’hui cinq assistants, des techniciens partout. Or, ils l’ont filmé à deux. C’est une prouesse incroyable » déclare Tavernier.

Le magicien Georges Méliès, qui a immédiatement compris l’importance de l’invention, se souvint : « A ce spectacle, nous restâmes tous bouche bée, frappés de stupeur, surpris au-delà de toute expression. A la fin de la représentation, c’était du délire, chacun se demandait comment on avait pu obtenir pareil résultat ». Durant cette année 1895, les frères ont tourné sous la direction de Louis Lumière des dizaines de films, principalement à Lyon et à La Ciotat. Pour l’ogre baroque, créateur de la cinémathèque française, Henri Langlois : « il fut un temps où le cinéma sortait des arbres, jaillissait de la mer, où l’homme à la caméra magique s’arrêtait sur les places, entrait dans les cafés où tous les écrans ouvraient une fenêtre sur l’infini. Ce fut le temps de Louis Lumière ». Il témoigne également au côté de Renoir dans un documentaire filmé par Rohmer (« Louis Lumière », 1968). Langlois enchaîne les poncifs désolants et éculés d’époque au marxisme prégnant tels que les pauvres d’antan seraient soi-disant plus proches des personnes d’aujourd’hui que les bourgeois. Il contredit Rohmer sur la caractéristique triangulaire en insistant sur la diagonale pour finir son raisonnement en concédant que Rohmer avait raison : édifiant. L’éponge Renoir, vieillissant, semble plus pertinent, même s’il enchaîne les clichés d’époque, comme à son habitude pour celui qui fut communiste quand il le fallait, antisémite aussi avec cette lettre à Tixier-Vignancour, sans trop se fouler. C’est d’une opération massive de légitimation des inventeurs en artistes dont il est question en faveur des frères Lumière. La critique est tributaire de son temps, elle vieillit mal. Un cocktail, des Cocteau y allait de sa petite phrase dans son style inimitable : le cinéma serait l’« écriture moderne dont l’encre est la lumière ». Parmi les citations sur les murs de l’expo, Maurice Pialat évoquait « le miracle Lumière » : « La vie comme on ne l’avait jamais vue », avec « une ingénuité, une pureté qui s’est perdue ». Sur le côté réalisateur des frères, Thierry Frémaux surenchérit : « Le cinéma des frères Lumière, c’est le cinéma de l’innocence, de la pureté. Leur caméra est curieuse et généreuse. Leur geste inaugural, c’est filmer des hommes et des femmes (…). Lumière a fait de la mise en scène dès le premier film, ‘Sortie d’usine’. Lumière s’inscrit plus dans une veine naturaliste d’enregistrement du réel du monde ».

Ils ne se sont tout de même pas décarcassés dans le salon en rediffusant un film lourdement pédagogique sauce CRDP commenté avec la voix de Michael Lonsdale, en boucle au Musée Lumière.

          Il est possible de visionner les films des concurrents des Lumière – Léon Gaumont dès 1895, Charles et Emile Pathé en 1896 et Georges Méliès – qui contribueront à faire du cinéma une industrie. La France domine le développement du cinématographe jusqu’à ce que les États-Unis prennent l’avantage après la Grande guerre.

Le cinéma, acteur de la mondialisation

Les films tournés à partir de 1896 auront tous la même forme d’image dorénavant standardisée : images à angles arrondies centrées entre les perforations et séparées par une barre de cadrage, et conservent la longueur de 17 m qui correspond à la capacité du chargeur et la largeur de 35 mm.

          Louis Lumière employait un langage direct à l’égard de ses nouvelles recrues. Au début de l’année 1896, un an après un accueil enthousiaste, l’inventeur du cinéma cherche des opérateurs capables de sillonner la planète : il veut qu’ils constituent un catalogue d’images en mouvement afin de diffuser le cinématographe dans le monde entier. « Ce n’est pas un métier que nous vous offrons mais plutôt un travail de forain, de batteur d’estrades, lance alors Louis Lumière. Cela peut durer six mois, plus peut-être ! ». Parcourront le monde parmi 31 pays actuels avec la précieuse caissette de 5 kg, Gabriel Veyre (Mexique, Cuba, Venezuela, Colombie, Canada, Japon, Chine et Indochine comme « Le Village de Namo » tourné en 1900 au Vietnam à partir d’une chaise à porteurs où pointe le sourire d’un enfant courant après la caméra), diplômé de la faculté de médecine et de pharmacie de Lyon, Félicien Trewey, prestidigitateur, Félix Mesguich, membre d’un régiment de zouaves et permissionnaire à Lyon, Alexandre Promio intriguant pour être présenté à Louis, auteur du premier travelling de l’histoire du cinéma, Constant Girel, Marius Chapuis, etc. L’un des rares intérêts de l’expo au regard du Musée Lumière est la présentation du fonds Gabriel Veyre (« Gabriel Veyre, opérateur Lumière », de Philippe Jacquier et Marion Pranal, Actes Sud/Institut Lumière, 1996). Selon Philippe Jacquier « Lorsque le sultan de Marrakech fait venir Gabriel Veyre dans son harem, en 1901, c’est pour que les femmes de ce harem puissent, par l’intermédiaire des images Lumière, découvrir le monde entier. A ce moment précis, les Lumière ont gagné ». En moins de neuf mois, l’apport à une nouvelle étape de la mondialisation est essentiel en se fondant sur la diffusion industrielle des produits photographiques des usines Lumière à partir de comptoirs à l’étranger. L’humanité atteint au stade du miroir. « La mondialisation des images, c’est la création d’une nouvelle mémoire et d’une captation du temps, estime Jacques Rittaud-Hutinet, historien du cinéma et auteur du « Cinéma des origines. Les frères Lumière et leurs opérateurs » (Champ Vallon 1985). Ce sont des films d’une minute, et on a le sentiment que la mort est vaincue par la science. Nous allons nous voir revivre éternellement ». Pouvoir et image étant intimement mêlés depuis des siècles, les souverains et monarques saisissent l’importance du fait d’être filmés. Le cinématographe est présenté le 5 juin 1896 à Belgrade au roi Alexandre Obrénovitch et à la reine mère Nathalie, le 12 juin à la reine d’Espagne et le 3 août au tsar Nicolas II. Intéressant est ainsi le mur proposant la mise en regard d’une quinzaine de films tournés dans des villes étrangères par les opérateurs Lumière et des prises de vues en direct de ces mêmes cités aujourd’hui, désormais saisies en webcam. Bref, puisque le dossier de presse insiste lourdement, il s’agit d’« apporter le monde au monde » selon le cinéaste et Président d’honneur de l’Institut Lumière, Bertrand Tavernier. 1422 films seront tournés entre 1895 et 1905. Bien que quantité ne rime pas avec qualité, symptôme de notre époque, ils sont présentés en split screen sur 10 mètres de haut et 6 de large. Cette présentation serait sensée nous ébaubir : « On va pouvoir dire en sortant : ‘ J’ai vu tous les films Lumière ’ » selon Thierry Frémaux. Tu n’as rien vu dans cette fresque : trop d’images tuent l’image. Je suis plus sensible à un aplatissement du monde où rien n’est hiérarchisé, tout se vaut.

La figure du spectateur mondialisé dans l’instantanéité spéculaire émerge. « Le public est dans un premier temps subjugué par le cinématographe, raconte Jacques Rittaud-Hutinet. Puis, avec le temps, il entre dans un rapport original avec cette invention : ce qu’il voit lui appartient. Il veut voir dans sa ville son propre train, puis il veut voir sa propre image, il veut entrer dans un rapport de possession avec celle-ci. » N’eût été le syndrome du doublon, il est possible de regarder des films du catalogue Lumière grâce à des visionneuses verticales high-tech en verre comme des totems. Chacun peut choisir sa ville (Marseille, Lyon, etc.), sa thématique : interactivité, personnalisation.

Autres inventions et perfectionnement des Frères Lumière

            Le photorama est inventé en décembre 1900 par les frères Lumière à l’aide de prises de vues réalisée avec le Périphote. Il s’agit du premier procédé permettant en un unique cliché, à l’instar de la mode du panorama au XIXe siècle, créé en 1787 par le peintre irlandais Robert Barker (1739-1806), de projeter sur un écran cylindrique une photographie à 360 degrés. Malheureusement, ce n’est pas ici concluant, à cause de légers décalages d’appareils. Dommage.

            La photographie couleur était enfin à la portée de tous grâce à l’autochrome (brevet du 17 décembre 1903), premier procédé en couleur développé de façon industrielle s’imposant pendant 30 années. Louis Lumière considérait l’autochrome comme son véritable chef-d’œuvre. L’art est ici évident au point de penser à des peintures de Claude Monet ou Gustave Caillebotte. Trop complexe, trop fragile avec ses plaques de verre, l’autochrome a périclité. Il reste ces images projetées comme celle de personnes en maillots de bain rayés de la famille Lumière à la plage aux couleurs chatoyantes, obtenues à partir de la fécule de pomme de terre. C’est avec une magnifique photo de que Tavernier rendit hommage à ce merveilleux procédé dans son meilleur film, selon moi, « Un dimanche à la campagne » (1984) d’après le livre du scénariste Pierre Bost « Monsieur Ladmiral va bientôt mourir ».

Si en février 1935, Louis Lumière invente le cinéma en relief ou 3D avec des lunettes anaglyphiques à verres bleus et jaunes pour l’anniversaire du quarantenaire en créant plusieurs films dont une nouvelle version de l’ « Arrivée du train en gare de La Ciotat », la seule et belle surprise de l’expo est la diffusion dudit film sans lunettes par une société française, pionnière en matière d’écrans stéréoscopiques, Alioscopy. Une réussite totale pour une première mondiale. Une façon de mettre en valeur le savoir-faire et l’inventivité français. James Cameron étudierait l’utilisation de ce nouveau procédé.

Pour compléter le tableau, ils inventent également, ne l’oublions pas, la stéréophotographie et l’hologramme.

De l’argentique au numérique

            Le parcours confronte ensuite les cinéastes d’aujourd’hui au cinéma des origines : une misérable pellicule, pièce unique provenant de la Cinémathèque, peu prêteuse, l’abandon du 35 mm avec le DCP (Digital Cinema Package) de 2015 de « La Dolce vita » de Fellini à côté des onze boîtes de 1960, des anciennes caméras de Lelouch à sa dernière caméra numérique, rare autre apport de l’expo par un passionné du cinéma plus qu’un réalisateur marquant. Joie du numérique, un documentaire passionnant, « Side by side » (2014) même si parfois technique, de Christopher Kenneally et produit par l’acteur et réalisateur Keanu Reeves, confronte l’avis des professionnels sur le passage de l’argentique au numérique avec l’abandon afférent du format 35 mm. Malheureusement, la salle est fermée car le matériel est en panne !

Différents artistes interrogent le statut de l’archive, de la caméra et du réel. Sur un écran géant défilent les remakes de « Sortie de l’usine », devant l’Institut Lumière, construit sur le site de l’usine de la famille Lumière à Lyon, classé en 1994 par Jacques Toubon alors Ministre de la Culture, par six réalisateurs dont Quentin Tarantino, Pedro Almodóvar et Xavier Dolan avec le gotha de la grande famille du cinéma de Jean-Pierre Marielle à Tahar Rahim, en passant par Irène Jacob et Tim Roth. Dommage que le people Frémaux n’ait pas songé à diffuser les remakes tournés avec les abonnés-acteurs le fameux jour anniversaire, le 19 mars 2015. Cela aurait été un bel hommage à ceux sans qui le cinéma ne pourrait exister : le spectateur. Isabelle Huppert, Monica Bellucci, Gaspard Ulliel, Jacques Audiard, Claude Lelouch, Jean-Pierre Marielle, Virginie Ledoyen, Jerry Schatzberg, Claudia Cardinale, Paul Belmondo, Chiara Mastroianni, Costa-Gravas étaient présents au vernissage… . Louis Lumière fut le premier président du Festival de Cannes en 1939, qui n’aura finalement pas lieu. Le logique hommage au terne Festival de Cannes 2015 s’est, quant à lui, fendu d’une célébration de la fraternité derrière la caméra, puisque Paolo et Vittorio Taviani (85 et 83 ans, Palme d’or 1977 pour « Padre, Padrone »), Jean-Pierre et Luc Dardenne (64 et 61, Palmes d’or respectivement 1999 et 2005 pour « Rosetta » et « L’Enfant »), Joel et Ethan Coen (61 et 57 ans, Palme d’or 1991 pour « Barton Fink » et présidents du jury cette année) ont été invités. Si les Wachowski (« Matrix », 1999) étaient absents, ils ont une excuse de taille : depuis que Larry est devenu Lana, Andy n’a plus de frère, mais une sœur !

            La trace de l’esthétique Lumière est présente chez Robert Bresson, garant du cinématographe, Maurice Pialat, William Klein (3 photographies noir et blanc en grand format à la fin de la courte expo : « Wings of the Hawk », « 42nd Street », « Selwyn et Apollo »), Crasneanscki.

 

Cueillons la marguerite au 104

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Forza Païni

Dans un brouhaha autour des arts urbains où de jeunes danseurs de hip-hop répètent dans les coursives, une expo gratuite dans l’immense nef centrale dans une antique fabrique de marbres funéraires à la limite d’Aubervilliers (XIXe arrondissement) rend hommage à la firme à la marguerite, du prénom de la mère de Gaumont, la plus ancienne société cinématographique du monde : « 120 ans de cinéma : Gaumont, depuis que le cinéma existe ». Dominique Païni, ancien directeur de la salle Studio 43 (Paris), ex-distributeur et producteur de films (Philippe Garrel, Jim Jarmusch, Jean-Marie Straub, Jean-Luc Godard, Juliet Berto, etc.), anciennement curateur au Centre Pompidou (l’essentiel « Hitchcock et l’art », 2001 ; « Voyage(s) en utopie », 2005) et au Louvre, ancien directeur de la Cinémathèque française, directeur de collection cinéphile chez l’éditeur Yellow Now et critique dans Art Press ou aux Cahiers du cinéma, est le commissaire de cette exposition. Son intelligente griffe se ressent. Catherine Millet, la rédactrice en chef d’Art Press, le compare au regretté Harald Szeemann. La scénographe, Nathalie Crinière, la même que pour l’expo « Lumière ! Le cinéma inventé », reprend l’idée ludique de la salle de projection, tente gardée ici par des cariatides en stuc, dans la vaste verrière où il convient de suivre les tapis rouges. « Au Grand Palais, c’est le cinématographe qu’on célèbre, ici, c’est le cinéma », résume Dominique Païni.

Gaumont fait son cinéma

« Le cinéma n’est pas né dans les salles, mais sous les tentes des fêtes foraines, rappelle Dominique Païni. Au début, c’était une attraction. » Les films présentés sont signés, entre autres, d’Alice Guy (« La fée aux choux », 1896 pour contrer « L’arroseur arrosé » des Lumière et afin de fidéliser les forains qui ont acheté les projecteurs), l’assistante de Léon Gaumont qui en réalisa des centaines dès 1896, de Louis Feuillade qui lui succéda à la direction de la production, créant des feuilletons (« Bout-de-zan », « Judex », « Fantômas », « Les Vampires », etc.) afin de conserver un public accroc. Sur le côté, un piano en libre accès permet à tous d’accompagner les extraits. Les actualités Gaumont (l’empereur François-Ferdinand chasse ; les Américaines portent des montres sur leurs souliers ; le président Taft est à Paris ; l’aéro-traîneau est promis à un grand avenir ; les chapeaux de Doucet font l’admiration des Parisiennes ; le défilé de mi-carême passe place de la République ; lord Kitchener est élégant ; un parc d’attractions est créé à Milan ; la Seine est en crue ; la manif du 1er mai est interdite ; en 1914 on fait du ski à Chamonix, l’aviateur Jules Védrines s’envole dans un aéroplane fabriqué avec du papier de soie et de la colle blanche, un inventeur présente l’Equilibre-Freineur, dispositif qui permet d’allumer sa clope sans tomber de vélo, des soldats français confiants s’installent à Verdun, le sourire aux lèvres), projetées avant les films dès 1910, défilent.

Tout sur Léon

Léon Gaumont (1864-1946) est un self-made-man, lancé dans la vie active à 16 ans « en tant qu’arpète, chez un fabricant de jumelles. Issu de la toute petite bourgeoisie parisienne, ce matheux s’est formé au progrès de la science dans les sociétés savantes ». Il fabriquait à partir de juillet 1895, grâce à trois commanditaires dont Gustave Eiffel, en reprenant le Comptoir général de la photographie des frères Richard, des appareils de projection et de prises de vues (échec du procédé commercial de prise de vue trichrome, le « Chronochome », pourtant moins coûteux que la peinture à la main des pellicules) avant de se diversifier rapidement dans la production d’abord aux Buttes-Chaumont (le même XIXe arrondissement). « Je fais le pari qu’il n’a pas encore l’idée du cinéma à ce moment-là », avance Dominique Païni. « À ce moment-là », Gaumont flaire surtout les affaires, vend aux forains des appareils de projections concurrents de ceux des Lumière. Avec l’aide de l’artiste et photographe Georges Demenÿ, il travaille leur sonorisation et la couleur. Il privilégie ensuite la distribution. Sa société s’essoufflant, il l’abandonne à d’autres, au tournant des années 1930, pour finir ses jours à Sainte-Maxime (Var) en faisant de petits films « sur les recherches scientifiques et techniques. Pour s’amuser ». « La maison a changé de propriétaires plusieurs fois, elle a une histoire longue de 120 ans et complexe. Mais elle est la doyenne, de fait elle retrace une grande partie de l’histoire du cinéma français », a déclaré Ariane Toscan du Plantier, directrice de la Communication et du patrimoine chez Gaumont. A côté, trônent les reliques des premières salles de cinéma, notamment le célèbre Gaumont Palace, écrin de 3 400 places (jusqu’à 6 000 places) construit en 1910 sur l’hippodrome de la place de Clichy à Paris, longtemps le plus grand cinéma du monde, avant d’être détruit en 1973.

Trésors

Parmi les 3 salles, pénétrons dans l’historique, la salle des trésors de la Gaumont. Un buste de Léon Gaumont nous contemple, un Stéréospido, appareil photo 8×16 « pour voir en relief », datant de 1900 est exposé en vitrine. Dans la pénombre, un magnifique diorama, ancêtre de la photo inventé par Louis Daguerre en 1822, prêté par le musée des Arts forains, se révèle. Il s’agit d’une toile peinte translucide dont l’image, un port de pêche au pied d’un volcan – l’Etna, en éruption, se modifie avec la lumière projetée derrière. « Pour la première fois dans l’histoire humaine, le temps est restitué comme une sensation » selon Dominique Païni. Magnifique découverte. Des affiches représentent « Prométhée enchaîné », le film de frères Gaziadis (1927), ou « Salammbô » de Flaubert, revu par Pierre Marodon (1925). « On y observe le passage de l’Art déco à l’Art nouveau, l’art et l’industrie ont toujours été étroitement liés », précise Dominique Païni, A côté, un dessin animé aussi beau qu’une œuvre de Paul Klee, créé en 1910 par Emile Cohl tourne en boucle. Un petit film en couleurs tourné à l’aide d’une caméra trichrome montre Trouville et Deauville en 1913 façon Boudin. Une « lettre dessin » de Cocteau adressée en 1944 à Pagnol lui demandant, sans résultat, de produire « La Belle et la Bête » (1946), un « conte de fées sans fées » selon le poète, d’après la nouvelle de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Là, un éventail qui permettait de se rafraîchir dans les salles surchauffées.

Les livrets des « Grands Films artistiques Gaumont », époque du muet, incitent au rêve : « Le Collier vivant » (Jean Durand, 1912), « Les Mystères des roches de Kador » (Léonce Perret, 1912), « La Force de l’argent » (Léonce Perret, 1913), « La Petite Danseuse » (Louis Feuillade, 1913), etc.

Les photos s’étalent dont celle de la mythique Musidora, première vamp du cinéma, qui a été l’objet d’une rétrospective au Festival International de cinéma du Film de la Rochelle 2015.

Féru de communication, Gaumont table sur les objets publicitaires : du petit manuel pour comprendre les dialogues des « Tontons flingueurs » (Georges Lautner, 1963) où la publicité de l’époque s’applique à traduire le langage fleuri de Michel Audiard, aux faux lingots pour « La Soif de l’or » (Gérard Oury, 1993) en passant par les boîtes d’allumettes Astérix (« Astérix & Obélix contre César », 1999), les cartes à jouer « Carmen » (Francesco Rosi, 1984), un faux œuf Fabergé pour « Fantôme avec chauffeur » (Gérard Oury, 1995).

Soignant ses campagnes publicitaires, la Gaumont commande des affiches marquantes, dont celle du « Printemps » (Feuillade, 1909), en écho à l’art nouveau, celle, célèbre et inestimable, de « Fantômas » (graphiste anonyme), un pied sur Paris, celle de Ram Richman, fasciné par l’Extrême-Orient, pour un film peu connu mais qui ne semble pas impérissable, « Daïnah la métisse » (Jean Grémillon, 1931), laissant songer aux œuvres de Picasso ou de Man Ray, dont un extrait est présenté avec Charles Vanel et Laurence Clavius pour symboliser l’arrivée du parlant avec « l’Atalante » (Jean Vigo, 1934). Défilons également devant « Roman d’un tricheur » (1936) avec un Sacha Guitry à silhouette cubiste, « Zéro de conduite » (Jean Vigo, 1933), affiche ornée de taches d’encre et précisant « avec Jean Dasté et les cinquante gosses du collège », « Extase » (« Ekstase », Gustav Machatý, 1933), avec le visage d’Eddy Kiesler qui deviendra, à Hollywood, la « plus belle femme du monde » sous le nom d’Hedy Lamarr (Hollywood Babylon !). Plus loin, deux affiches figurent côte à côte : « Lancelot du lac » (1974), de Robert Bresson, dessinée par Savignac, le grand affichiste, et « JLG/JLG, autoportrait de décembre » (1994) de Jean-Luc Godard avec, en lieu et place du nom du producteur, la mention suivante : « Les héritiers de Léon Gaumont présentent ». Et l’affiche signée Andy Warhol pour le film « Querelle » (1982) de Fassbinder, d’après le roman de Jean Genet ou encore celle du film de Luc Besson, bien à l’honneur, en anglais toutefois : « The Fifth Element » (1997).

En boucle, Pialat lance son éternel « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. » sous quelques huées lors de la remise de la palme d’or à Cannes en 1987 pour son film « Sous le soleil de Satan ». Un peu plus loin, deux lampes Gallé (66×40 cm) en pâte de verre avec pied en fer forgé de Brandt font office d’éclairage TSF qui donnent « des sons agréables dans un objet élégant ». Un autre haut-parleur à air comprimé brevet Lumière fabriqué par la Société des Etablissement Gaumont (Circa 1925), installé sous l’abat-jour dont la publicité vante les mérites.

Apparaissent alors les costumes de « Belles de nuit » (René Clair, 1952), de « La Famille Fenouillard » (Yves Robert, 1961), sympathique adaptation de la bande dessinée de Christophe (1893), de son vrai nom Colomb, justifiant ainsi le choix de son pseudo (ah ah ah !), nonobstant professeur de physique de Marcel Proust, des « Visiteurs » (Jean-Marie Poiré, 1993) accompagné des moulages issus des effets spéciaux, de « Grosse Fatigue » (Michel Blanc, 1994), la robe noire et dorée de « Jeanne d’Arc » (1999) de Luc Besson, les figurines promotionnelles d’« Oss 117, Le Caire nid d’espions » (Michel Hazanavicius, avec Jean Dujardin et Bérénice Bejo, 2006), emblème de la nouvelle politique de coproduction de Gaumont, ici avec Mandarin. Un dessin préparatoire de Jean-Paul Gaultier pour le film de SF de Luc Besson, allié à Columbia, « Le cinquième élément » (1997).

Gaumontrama

Une salle surprenante, bien pensée, Gaumontrama. C’est une grande pièce garnie de costumes sur les murs et de 15 toiles suspendues au plafond où sont projetés 140 extraits de films parmi les classiques du catalogue Gaumont de 1897 à nos jours. Ils défilent selon des thématiques : toits de Paris (« Fantômas », André Hunebelle, 1964 ou Belmondo dans « Peur sur la ville », Henri Verneuil, 1975 avec cet œil de verre, le nœil lnœil de Verneuil tombant sur le toit qui hanta mon enfance, etc.), le Moyen Age (« Lancelot du Lac », Robert Bresson, 1974 ; « les Visiteurs », Jean-Marie Poiré, 1993, etc.). Et, au hasard, le « Rendez-vous de juillet » (Jacques Becker, 1949), « French Cancan » (Jean Renoir, 1954), « Un condamné à mort s’est échappé » (Robert Bresson, 1956), « Bande à part » (Jean-Luc Godard, 1964) ; « L’homme-orchestre » (Serge Korber, 1970) où Louis de Funès répète dans une ambiance ultra-kitsch ; « La Folie des grandeurs » (Gérard Oury, 1971), le « Grand Blond avec une chaussure noire » (Yves Robert , 1972), « Mais où est donc passée la 7e compagnie » (Robert Lamoureux, 1973), « La Boum » (Claude Pinoteau, 1980) avec une Sophie Marceau en début de carrière qui rachètera à Gaumont son contrat d’exclusivité pour un million de francs en 1982 ; le « Guignolo » (Georges Lautner, 1980), « Sauve qui peut la vie » (Jean-Luc Godard, 1980) ; « La Chèvre » (Francis Veber, 1981), symbole d’une comédie française populaire de qualité avec le duo Depardieu-Richard ; « Subway » (Luc Besson, 1985), « 37°2 le matin » (Jean-Jacques Beneix, 1986), le « Péril jeune », Cédric Klapisch, 1994, etc.

Les costumes de films scintillent : celui du « Schpountz », (Marcel Pagnol, 1938), d’ « Elena et les hommes » (Jean Renoir, 1956), celui de « Signé Arsène Lupin » (Yves Robert, 1959), celui, chatoyant, de « Don Giovanni » (Joseph Losey, 1979), interprété par Ruggero Raimondi et taillé par Anna Lisa Nasalli Rocca, celui de « Léon » (Luc Besson, 1994), celui en charcuterie d’« Il reste du jambon », d’Anne Depetrini (2010), créé par Justine Lacroix et signé Carlotta Saracco, interprétée par Anne Marivin, proche de la robe en viande de l’artiste Anna Sterbak Vanitas (1987) ou de celle portée en 2010 par Lady Gaga. Un résultat éblouissant.

Installations

Une autre salle, interactive celle-là, se nomme « La Cueillette des marguerites ». Conçue par le cinéaste plasticien et écrivain Alain Fleischer, elle permet au visiteur muni d’un lourd miroir de faire apparaître sur les murs, le sol ou le plafond, les centaines d’étoiles, acteurs, comme Jean-Pierre Cassel, et actrices (Catherine Deneuve, Béatrice Dalle, Bernadette Laffont, etc.) qui constellèrent les films Gaumont durant plus d’un siècle tandis qu’une voix égraine leurs noms. « C’est au spectateur de convoquer les acteurs », s’amuse Dominique Païni. C’est tout aussi vain que l’installation inintéressante d’Annette Messager. Concernant la primée de la Biennale de Venise 2005, deux installations se battent en duel dans un recoin : « Chimères » (1982) prolongerait l’imaginaire des premières fictions Gaumont, comme « Les Vampires » (Louis Feuillade, 1915) ; « Histoire de robes » (1990) inviterait au souvenir de stars qui enflamment les films produits et diffusés par Gaumont depuis 1895. Ceci suggèrerait la nostalgie de l’artiste pour des personnages et des actrices de cinéma dont le costume aurait contribué à la mythologie. Écho aux vrais costumes de cinéma, de l’espace intitulé « Gaumontrama ». Mouais.

Bien que modeste, cette exposition est bien plus inventive et réussie que celle intitulée « Lumière ! Le cinéma inventé » sentant la naphtaline bien qu’utilisant des nouvelles technologies.

 

Delubac is back !

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Vernissage, et beaucoup de vernis hier, de l’expo « Jacqueline Delubac, le choix de la modernité » aux Musées des Zobars de Lyon. Jacky n’est pas étrangère au tissu car la lyonnaise est issue d’une famille liée à l’industrie de la soie. Dans les 20’s, elle monte de Valence à Paris pour devenir danseuse. Elle débute au cabaret l’Empire dans une revue où elle imite Joséphine Baker. Elle deviendra actrice en commençant véritablement sa carrière tant sur les planches que sur la toile avec Sacha Guitry.

            En 1935, Sacha offre à Jacqueline Delubac le rôle de Marie Muscat, une jeune blanchisseuse qui gagne à la loterie, dans son premier film, Bonne chance. Le regard, la grâce et le côté grande mondaine parisienne de cette ravissante brune au jeu moderne à l’américaine a su séduire l’auteur réalisateur aussi bien dans la vie qu’à l’écran, et Sacha Guitry dirige à dix reprises son épouse. Femme d’un croupier magouilleur dans Le roman d’un tricheur (1936), Loulou dans Mon père avait raison (1936), Joséphine de Beauharnais dans Les perles de la couronne (1937), Flora dans Remontons les Champs-Elysées (1938), Jacqueline Delubac ravit à chaque fois par son jeu étonnamment moderne et sa classe naturelle. Elle est une petite servante, étourdie et maladroite, dans Le mot de Cambronne (1937) ; une grande bourgeoise qui fantasme sur son valet de chambre dans Désiré (1937) ; une journaliste malicieuse et équilibrée qui doit affronter, pour l’amour d’un homme, la grande actrice Gaby Morlay dans Quadrille (1938), dont un long extrait est projeté dans l’exposition. Mais, dans la diversité de ces rôles, elle reste pour tous les spectateurs la Parisienne type. Après son divorce avec Guitry, sa carrière s’essouffle. « J’étais tellement guitrysée au théâtre comme au cinéma que les metteurs en scène avaient peur que je ne me déguitryse point « , explique-t-elle. C’est avec les Guitry, père et fils, qu’elle s’initie à la peinture classique et à celle du XIXe, des dessins de Tiepolo, un pastel de Quentin de la Tour, puis Renoir, Braque, Cézanne, Matisse, des bronzes de Degas (+ superbes pastels de danseuses) et Rodin. Nous avons droit à un portrait de Lucien (Guitry), le père de, ami des artistes. Des salles un peu fouillies avec pléthore de photos de cinémas et de théâtre où elle parade en Paquin et Schiaparelli. D’où également la présence des couples Chardère et Chirat, dont les femmes respectives sont d’origine arménienne, ainsi que d’autres membres de l’Institut Lumière qui a fourni photos et affiches de cinéma et qui projettera des films où Jacky joue. Elle divorce de Guitry en 1939, année de la date de fabrication de la malle Vuitton, l’homme qu’il aime quand « il lui fait mal-le » aux initiales du planqué au service de son art, défendu par Huster, à la voix nasillarde. Souvenons-nous de l’exposition et de la rétrospective Sacha Guitry à la Toubianathèque en 2007.

            Si Jeunes filles en détresse (1939) de Georg Wilhelm Pabst se contente de la parer des atours d’une grande vedette et de lui faire faire la coquette, Dernière jeunesse de Jeff Musso – premier rôle dramatique de l’actrice – lui permet de nous offrir la même année son jeu probablement le plus brillant. Fille perdue, elle rend fou le vieil homme qui veut la sauver. Elle joue encore les héroïnes perfides : L’homme qui cherche la vérité d’Alexandre Esway et Le collier de chanvre de Léon Mathot en 1940 ; Fièvres (1941) de Jean Delannoy. Elle joue dans un film passé inaperçu, J’ai dix-sept ans (1945) d’André Berthomieu, puis, quatre ans plus tard, dans un policier et une comédie de Raymond Leboursier, La vie est un jeu, avant de s’éclipser définitivement du monde du cinéma en 1950. Mais nous sommes loin de la Garbo.

            Jacqueline Delubac décide de se consacrer à ses collections d’objets d’art. Collectionneuse avertie, elle rassemble des toiles de grands maîtres qu’elle lègue au musée des Beaux-Arts de Lyon parce que Paris, le MNAM notamment, n’en a pas voulu, Képénekian dixit, devenu premier adjoint au maire ! Bref, elle se maque avec un diamantaire arménien, Myran Eknayan, plus féru d’impressionnistes et de peintres du début du XXe. Ceci nous vaut un superbe Déjeuner sur l’herbe de Monet (1865-66, en dation au Musée d’Orsay, joie ed la défiscalisation), un fragment d’une composition audacieuse (6*4,6m) que l’artiste laissa inachevé et redécoupa lui-même en 1884. La peinture trône dans un magnifique salon rouge cramoisi. Myran lorgnait également du côté d’un inattendu Corot, Saint Sébastien et un Picasso de jeunesse, Le nu aux bas rouges (Paris, 1901). Trois bronzes de Rodin ont été légués à Lyon.

Elle fréquente assidûment les galeries avec un œil expert, car elle n’est pas Miró. A New York, elle trouve les Deux femmes au bouquet (Fernand Léger, 1921) et La femme au chevalet (G. Braque, 1936). Elle possède ainsi plusieurs œuvres du même artiste : 2 peintures et une composition à l’encre du superbe art brut Fautrier, une toile, des gravelures et une aquarelle de Picasso, 2 tableaux de Léger, idem pour Poliakoff, Lam et Dubuffet sans causer de Francis Bacon. La salle la plus réussie, car le parti est de reconstituer l’appart’ sur le quai d’Orsay, papier peint et moquette léopard compris, est la salle à manger, vert émeraude. Chaque cartel, assez éloigné des œuvres pour laisser le papier peint dans son jus mais ne permettant pas de comprendre, resitue l’appartement d’époque avec les œuvres. Ainsi, les invités mangeaient leurs œufs et autres nez à nez avec un énorme Bacon, Etude pour une corrida n°2 (1969), végétariens, végétaliens et vegans s’abstenir ! La grande découverte est un artiste encore vivant bien que né à Istanbul en 1931 : Bitan. Elle a commandé un magnifique diptyque abstrait pour lancer sa carrière. La lumière rend justice à cet écrin. Dès décembre 44, elle achète à la galerie parisienne Louis Carré son premier tableau, L’atelier aux raisins de Dufy : Raoul au violon ! A partir de 1951, les achats s’accélèrent pour des œuvres d’artistes renommés : Braque, bénéficiant il y a peu d’une juste rétrospective, Picasso, qui a beaucoup volé à ce dernier, Léger, Miró. Une étonnante nature morte de Rouault. Artung, la pétillante se rend directement dans l’atelier. Ainsi, elle achète un Hartung (T. 1955-33) directement chez le producteur.

Une fois le diamantaire clamsé en 1985, notre rock’n roll de diamants, se lâche : un dessin de Mathieu par-ci, deux sculptures de Germaine Richier par-là, des peintres à sujets plus ardus comme Lam, un Yves Tanguy, deux surréalistes que j’adore, un Brauner. En 1982, elle achète Carcasse de viande et oiseau de proie de Francis Bacon (1980).

L’art déco est déroutant au milieu de ces peintures et sculptures exposés, certes tel qu’en son appartement, façon superposition XIXe (voir la fondation Gustave Moreau dans son atelier). Elle a confié les aménagements à un décorateur en vogue dans les années 70, Henri Samuel. Des chenets en bronze doré trônent au pied de Le Verre d’eau V de Jean Dubuffet (1967). Nous restons sur notre soif. Que dire des chaises-sculptures noires de Ruth, façon orange mécanique (Homme, Ruth Franken) autour du Bacon acheté en 1982. A côté, il y avait des sièges du XVIIIe ayant meublé le grand salon du château d’Abondant dans l’Eure. Cela a très mal vieilli, tout comme cette lampe dégoulinante de … César !

Comme avec la Récamier, nous pénétrons dans l’intimité de Jackie : sa chambre à coucher. Allons à la Vogue, journal qui la sélectionna comme l’une des 10 femmes les plus élégantes avec ses larges pantalons « slacks », ses fourrures et fourreaux de soie. Les robes sont cousues par Paquin, Chanel, Lanvin, Ungaro, Alaïa et Cardin. En détournant le chapeau de Sacha, elle lance la mode du couvre-chef masculin pour les femmes. Parée de ses atours digne de la Pompidou, elle est conviée aux soirées mémorables comme le « Bal My fair lady » d’Hélène Rochas (1965), le mythique « Bal Proust » des Rotschild (1971), un « Dîner des têtes surréalistes » au château de Ferrières (1972) en robe rose de Cardin avec le visage masqué par une pomme pendant d’un chapeau melon Magritte en référence au Fils de l’homme (1964). Un Manet pour clore, peintre que je goûte peu, Jeune femme à la pèlerine (1881). Premier jour d’expo : carte blanche en nocturne à Alexis Mabille, couturier haute couture originaire de Lyon, collaborateur avec Yves Saint Laurent et modernisateur du nœud papillon, car un rien l’habille.

Jusqu’au 16 février, Musée des Beaux-arts de Lyon.

Waow Star wars identités/identities

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Commémoration des 120 ans de l’invention du cinéma à l’Institut Lumière à Lyon avec les abonnés, dont l’un en invalidité pour avoir travaillé dans la chimie comme ouvrier chez Lumière, et bien d’autres, qui reconstituent La sortie de l’Usine Lumière à Lyon, comme à chaque festival Lumière (par Cimino, Tarantino, etc.). Raison de plus pour aller côté Méliès, selon la stupide classification, en rangeant son chapeau pour l’expo à la Sucrière de Lyon, Star Wars identities. 19,5 EUR l’expo, ça vaut le coup d’avoir TF1 et RTL en logo sur le billet ! Pas de vestiaire cause Vigipirate.

L’expo est petite mais riche, très intelligemment scénographiée. En effet, à l’entrée, un bracelet est distribué ainsi qu’un capteur de téléguidage pour commentaires. Le bracelet enregistre chaque info au fur et à mesure. Vous composez votre identité numérique, virtuelle, au cours de l’exposition (origine, apprentissage, environnement, rencontres, valeur, etc.) : vous pouvez la visionner à la fin grâce au bracelet et se la faire envoyer par mail moyennant une charte de conditions d’utilisation draconienne (droit à l’image, etc.). Chaque salle est introduite par un bref extrait de film et un prêchi-prêcha pas inintéressant pour les enfants et ados. Surtout à l’heure du virtuel (pseudos sur Facebook, Tinder, twitter ; avatars dans les jeux comme Second life, etc.). Ce qui m’a gêné, c’est l’idéologie en arrière-fond : le comportement selon le big 5, une probable théorie psychosociologique anglo-saxonne ; l’évacuation du problème du genre. Car l’expo est clairement anglo-saxonne, une voix québécoise nous guide parfois. Seulement devant la vitrine Darth vador, la langue originale gâche presque l’audition de la traduction, le niveau sonore entre les 2 versions ayant été mal réglé. Si l’autre est présent avec les nombreux extra-terrestres et androïdes, les conceptions sur l’identité, sujet éminemment politique et polémique, posent questions au regard de l’expo concomitante sur Bowie à la Philarmonie de Paris.

Tout y est, sauf les images de films, peu présents à part de rares extraits sur l’apprentissage, avec possibilité de s’asseoir enfin sur un banc. La voix de Sir Alec Guinness, acteur de Lean, en Obi-Wan Kenobi. Manque un sabre laser allumé. Nous apprenons que Lucky Skywalker, qui était auparavant une femme pour devenir un homme flanqué d’une sœur jumelle, avait un autre nom. Nous apprenons que Chewbacca était vert avec des oreilles pointues pour devenir celui que nous connaissons, sa voix étant un mix de morse et d’ours. Nous apprenons que Darth vador avait une cape de bédouin avec un casque allongé vers l’avant. Si le casque allemand est évoqué, aucune mention concernant les samouraïs. Nous apprenons que les yeux de Yoda sont calqués sur ceux d’Einstein. Les études avant maquette animée sont passionnantes. Beaucoup de droïdes (C-3PO, où l’acteur a fortement souffert au point de se coincer contre un mur entre chaque prise; R2-D2, etc.) dont Lucas serait à l’origine de la dénomination. Lucas, droïdes, Fellini, paparazzi ! Des extraterrestres combattant l’Etoile noire lors de la Bataille de Yavin étaient des marionnettes animées par quelqu’un du Muppet show (Jim Henson).

Les costumes sont tous présents : par exemple ceux de Nathalie Portman en Padmé Amidala à différents stades. L’un des costumes, blanc, est un rappel de Leia Organa d’Alderande qui trône d’ailleurs en captive de Jabba. Son costume du premier épisode remémore Courrèges, l’escrime et l’astronautique. La scène de Jabba le Hutt sur Tatooine est reconstituée : Han Solo est figé, avec les empreintes réelles de la tête et des mains d’Harrison Ford. Le Hutt était campé sur deux pieds avant d’être l’atroce limace.

La galerie de vaisseaux spatiaux est fascinante. Plus loin, l’un d’eux est un mélange d’hamburger et de mandibules avec un dessin très précis. Le véhicule de course de Luke avec des rayures bleues sur le modèle de la voiture de sport de Lucas. Le plateau est sonorisé avec des jeux de lumière au néon. Les beaux dessins de McQuarrie, qui avaient rassuré les studios à l’époque, et d’autres. La musique manque grandement en ambiance.

A la sortie, une boutique avec produits dérivés, tous plus laids les uns que les autres. Très attaché à la première trilogie (1977 à 1983), décroché après. Un attachement particulier pour l’Episode IV, « La Guerre des étoiles » (1977) : un évènement à l’époque, même si « 2001 l’Odyssée de l’espace » (S. Kubrick, 1968) avait déjà établi les fondements du genre. A l’heure des clones, des avatars et des images de synthèse, le côté artistique semble oublié. Pas d’âme dans les trilogies suivantes. Peut-être une question de génération. Reviens Ray Harryhausen ! Le meilleur film de Lucas n’est-il pas « THX 1138 » (1971) en passant par « American Graffiti » où l’amour des voitures est déjà présent (1973) ?

John Giorno au Palais de Tokyo : Jour J pour John ou le tout-à-l’ego

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C’est dans une ambiance d’état d’urgence en pleine Cop 21 que je me faufile dans ce foutoir qu’est devenu le Palais de Tokyo, avec ses murs décharnés jusqu’au béton brut de pseudo squat, réservant toutefois une salle pour soirée privée VIP – un scandale, qui n’a l’air d’étonner personne, pour un musée public.

John & me

Comme ici le nombril trône, profitons. John Giorno, j’avais lu avant lui, dans la même fournée, à Expoésie en 2006 à Périgueux (Hervé Bruno, Féroce Marquise) : la poésie faite corps avec passation d’énergie même si nous ne comprenions rien, en absence de traduction, malgré son élocution claire et douce. Je lui avais demandé comment prononcer « Joseph Paul Jernigan », un texte répétitif contre la peine de mort au Pays sans nom, sur un condamné à mort tranché et scanné millimètre par millimètre pour servir de modèle numérique pour un CD–ROM éducatif d’anatomie humaine, « Visible man », à partir d’un reportage glaçant sur Arte. J’avais dû assurer mes arrières auprès du sympathique fauve au sourire carnassier pliant son visage de lune avec force fossette et nez à la Cæsar d’une famille basilicate du XIVe siècle.

Intentions

« John est le symbole d’une époque, un court moment dans les années 60 où une communauté d’artistes, de danseurs, de poètes a travaillé ensemble à créer la culture américaine moderne, résume Rondinone. C’est l’un de ses derniers représentants. » Pour John, le dernier, c’est plutôt Patti.

Rondinone décrit sa scénographie : « J’ai imaginé l’exposition en 8 chapitres qui représentent chacun une facette de l’œuvre foisonnante de John Giorno. L’ensemble reflète son processus de travail et permet de comprendre la double influence de la culture américaine et du bouddhisme sur sa vie et son art ».

Marketing John

          L’accueil de l’expo commence par un cliché : le « I love NY » de Milton Glaser détourné en « I love John Giorno » en rouge par Scott King. Un artiste n’est pas là pour se faire aimer mais pour s’exprimer. Ce kitsch m’énerve d’emblée. Disons que l’amoureux plasticien et vidéaste Ugo a créé en 4 ans un mausolée éphémère, le Taj mâle. En sont-ils à vendre un t-shirt en produit dérivé avec cette phrase éculée et vide au temps du marketing omniprésent, répété par Andy, l’un des plus grands fumistes du XXe siècle (« Andy était un habile politicien », J. Giorno dans « Sleeptalking », Pierre Huygue, 1998), objet d’une exposition en face au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris ? Une charmante fille en patin me distribue le violet « God is man made » (2013, 14’), évidemment non traduit, qui fut notamment performé par JG au vernissage de l’expo « John Giorno » en avril 2015 au Flux Laboratory  (Carouge, Genève, Suisse). Ici, c’est la réactivation, dans le cadre du festival d’automne, de la performance « Street works » (1969).

Rentrer dans la ronde des mots

La première salle immersive est un hommage de l’excellent artiste suisse Ugo Rondinone : dans l’installation vidéo, toujours soignée, tournée en gros plans, plans épaule, américains ou larges en écrans diffractés, au théâtre du Palais des Glaces en 2011, John, chat noir chat blanc, fardé et accoutré d’un smoking 27 fois noir ou blanc, pieds nus, tel l’étrange et terrifiant Al dans « Lost highway » (D. Lynch, 1997), éclairés par une poursuite, « danse sur place » (selon l’expression du regretté Bernard Heidsieck, son ami et facilitateur en France) son texte aigre-doux écrit en 2006 pour ses 70 ans, « Thanx 4 nothing » (« Merci pour rien »). Lola Montès prend le pouvoir : amour (« Bob, Jasper, Ugo »), sensualité et sexualité, drogue, liberté jusqu’au suicide, consommation jusqu’au poison, glas des rêves perdus, amis disparus, amitiés trahies, mauvais sentiments dissipés par le temps qui passe (« Amérique, merci pour le manque d’égards »). Magnifique exercice d’admiration de l’amant, sans omettre ce « merci d’exploiter mon ego énorme » par trop présent. Un journal de traductions peut être pioché par le visiteur à l’entrée.

John (Giorno) chez Jorge (Borgès)

La salle suivante, que même un nyctalope ne peut trouver, est une section archives. L « exposition visuelle », l’ « installation monumentale », « The archive of John Giorno (1936-2015) » (Ugo Rondinone, 2015) se compose de 11 751, selon les syndicats, à 15 147 documents, selon la police, sous forme de feuilles plastifiées de papier de format A4 en fac-similés réunis dans de grands classeurs.

Très jeune, Giorno voulait être poète. « Mais bien sûr, on te soutiendra ! » répondirent sa modiste de mère et son père intellectuel qui lui permirent de vivre comme il l’entendait. « Ils avaient cette naïveté propre à la seconde génération d’immigrés italiens qui pensaient que leurs enfants pouvaient devenir président. Alors, imaginez, poète… » Si les références homosexuelles étaient Gide et Genet, les écrits de Jack Kerouac étaient « le miroir de [ses] aspirations », la lecture de « Howl », cri libertaire d’Allen Ginsberg contre la bienséance puritaine, fut un tel choc à sa sortie en 1956 qu’il s’orienta derechef vers la poésie d’avant-garde en abandonnant l’« objectif corrélatif » de T. S. Eliot et la New York school of poetry. Une question me trotte dans la chambre de discernement : et si John Giorno était un sous-Ginsberg tant leur parcours sont identiques (études universitaires, contre-culture, engagement, oralité, musique – Dylan d’un côté, le punk rock John Giorno Band de l’autre, homosexualité combattive, l’amant Burroughs, le bouddhisme dont la création et la direction d’un centre bouddhiste tibétain) ? La contribution dans le remarquable catalogue de Daniel Kane (« »Pourquoi est-ce si ennuyeux ? » : John Giorno, le « Pornographic Poem » et les inepties de l’Ecole de New York de poésie ») est éclairante : alors que l’ouvrage de Ginsberg était une alternative radicale au maniérisme de Frank O’Hara, poète Camp à abattre selon Giorno (« Avec la mort de Frank O’Hara, l’Ecole de New York de poésie a pratiquement disparu, avec ses marchandages et sa stupide écriture poétique » lettre de Giorno à Burroughs), le « »Pornographic Poem » rejette le style grandiloquent d’Allen Ginsberg, qui insistait pour élever la sexualité gay au rang de sacrement ». Cependant, la récente production de Giorno rejoint la révélation mystique de Ginsberg.

Trop d’info tue l’info pour le maniaque de l’archivistique depuis 1965, battant Yves Bonnefoy dans le domaine : déglingue, création, famille ; coupures du « New York Times » ou d’autres feuilles de choux (« Ce concept de magazine littéraire est arrivé à ce moment-là [début des années 1960] […]. La version élémentaire en était le magazine imprimé au miméographe (ou duplicateur à pochoir) »), programmes de rencontres de poésie, de performances (Tanger, Polyphonix, etc.) ; couvertures de « Gay Sunshine », « le journal de la libération gay » ; ephemera, flyers de levée de fonds pour son maître tibétain, photos de lui en polo blanc, au Chelsea Hotel shooté par Burroughs ; lui avec sa mère en vacances à Atlantic City, photos des voisins, de voyages, de vie mondaine, lui, lui, lui, etc. Le tout est encadré de poèmes visuels en couleurs de John Giorno, entre Laurence Wiener et Ben, tapissés sur les murs : les premières sérigraphies militantes des années 60 et 70 (« A Youth winces », « Un jeune grimace » ; « Black cock », « Pine noire », « Buddhas and Bodhidattvas », etc.), la série « Welcoming the flowers » (« accueillir les fleurs », 2006) ainsi que les récents « Rainbows paintings », très gay friendly (le célèbre « Life is a killer », « La vie est une tueuse » ou « La vie est une tuerie », 1989 ; un facile « Just do it »)  dans une ambiance colorée pas du meilleur goût. Le mécanisme qui amène à cette pratique est intéressant : « Lorsque vous les interprétez, vous voyez quels vers illuminent le public. Et là, vous vous dites : « Oh, ça, ça va fonctionner en peinture »». Mais il s’agit plus de « poèmes slogans » (Marcus Boon), proche du « Flag » de Jasper Johns, que de poésie visuelle ou concrète.

Andy à tout-va

Après des études à Columbia, JG devient agent de change à Wall street. Là, il rencontre Andy lors de sa première exposition personnelle à la Stable Gallery de New York après un vernissage le jour d’Halloween en 1962 pour la première expo pop à la Sidney Janis Gallery. Le « pédé radical » (« Qui est John Giorno ? », Ugo Rondinone) décrit la grande perche de publicitaire à perruque : « Andy aimait uniquement faire des pompiers et encore occasionnellement. […] Mais Andy était simplement difficile. Et ses pompiers n’avaient rien de bien formidable […] Surtout quand tu manques de pratique (rires) […] La chose intéressante que tout le monde ignore, c’est que Andy avait un corps magnifique et une grosse queue » (interview de John Giorno par Rob Pruitt). De quoi vous casser un mythe ! Voilà qui augure en tout cas de la rédaction actuelle des mémoires de Giorno.

John sera le héros mondialement connu du premier long métrage d’Andy, « Sleep » (1963) selon le principe bazinien de l’ « impassibilité de l’objectif » (« L’ontologie de l’image photographique », 1948), piniolade comprise. Voici donc le film de plus de 5 heures, avec un montage donnant l’illusion d’un long plan-séquence, de son amant endormi. En résonance au concert de John Cage en septembre 1963, la première dudit film au Gramercy Arts Theatre était agrémentée par Warhol d’une diffusion des « Vexations » (1893) d’Erik Satie. Cette double peine nous est ici infligée. Plus loin, dans « Sleeptalking » (1998), une vidéo du plasticien et vidéaste français Pierre Huygue, Giorno dort avec le même cadrage avec beaucoup d’années de décalage. Il raconte le contexte de création de « Sleep » sans oublier au passage : « En 1964 […] Andy Warhol s’est débarrassé de moi. Vous avez entendu parler de la manière dont Andy Warhol laissait tomber les gens quand il lui semblait qu’il ne pouvait plus rien obtenir d’eux ? ».

Dans ses premiers courts métrages, d’environ 4 minutes et sans titres, «  Andy le Warhola au nez rouge » filmait déjà John allongé lors de fêtes ou week-ends amicaux, notamment en été 1963 dans la retraite rurale et rustique d’Old Lyne (Connecticut) avec E. Ward, la galeriste de Warhol, et son ami peintre W. Chamberlin. Comme dans un Brakhage, John, surexposé, s’étend à poil dans le hamac. Dans un autre film de 16mm en noir et blanc de la même année (4’’30), John, nu et décomplexé, nettoie le matin les plats de la cuisine d’un repas arrosé de la veille. Passionnant et décisif pour l’histoire de l’art ! Dans ses « Screen Tests » (1964-66), Warhol creuse le portrait : statique, muet, noir et blanc, ni narration ni action. Dire que ce sont ses longs métrages underground qui furent la cause de leur rupture. Bref, John sous toutes les coutures.

Du pop art à la beat generation

Giorno passe de la pop, avec l’utilisation de l’ « image trouvée » (« found images »), dans les journaux ou ailleurs, par Bob Rauschenberg, Jasper Johns ou Andy, à la Beat (Allen Ginsberg et Jack Kerouac en 1958, William Burroughs en 1965, Gregory Corso) avec le cut-up et les poèmes permutés (delay, feedback) de Brion Gysin dès « Subway sound » (1965), le « dialogue précognitif » de Burroughs. La transition semble fructueuse : « mis à part l’art et leur carrière, Andy et les artistes pop ne s’intéressaient à rien. William s’intéressait à la politique ». Ils vécurent donc dans le Bowery, ancien quartier crasseux devenu tendance, dans un immeuble qui fut occupé par un Y.M.C.A., lieu de drague homosexuelle, par un marchand de meuble, par Fernand Léger en exil. Burroughs vivait au sous-sol, le « Bunker », avec une fenêtre … condamnée, entouré d’une machine à calculer Burroughs, une machine à écrire, des peintures, son arme et des cibles de tirs dans le gymnase. Le grand Bill disait : « John Giorno élève les questions au niveau presque insupportable d’un cri de reconnaissance surprise. Ses litanies issues des couches souterraines de l’esprit se réverbèrent dans votre crâne et ventriloquent vos propres pensées ». Dans le « Bunker », le défilé des rock stars, comme Patti Smith, David Bowie, Iggy Pop, était fréquent. C’est là, encore, que Mark Rothko a peint ses « Seagram Murals ».

Une salle très réussie plastiquement : les apophtegmes noirs et gris de John (« Just say no to family values », « Dites simplement non aux valeurs familiales » ; « Everyone is a complete disappoinment », « Chacun est une déception totale » ; « Don’t wait everything », « N’attendez rien ») avec des téléphones à cadran mobile en bakélite noir aux quatre côtés. Après « Dial M of Murder » (« Le crime était presque parfait », A. Hitchcock, 1954) en 3D, Dial-a-poem, avec une majorité de poésie politique radicale (Diane di Prima par exemple, auteur des « Revolutionnary letters » offrant le mode d’emploi de la fabrication du cocktail Molotov), était un service téléphonique qui proposait en 1968 des poèmes lus par leurs auteurs aux personnes qui composaient un numéro, en même temps que la diffusion des « Basketball diaries » de Jim Carroll. C’est après une très ennuyeuse conversation téléphonique, raconte Giorno, que lui est venu l’idée du vaste projet alors que la poésie avec 50 ans de retard. « J’avais anticipé un phénomène, celui de la publicité au téléphone. Vous faites un numéro, et vous avez au bout votre horoscope, du sexe ou les cours de la Bourse » explique-t-il. Une nouvelle relation poète-public, avec un texte sorti de la page, était née, principal apport de Giorno. Des disques Fluxus à « Ubuweb » (Kenneth Goldsmith), en passant par la revue « Où » (Henri Chopin) ou « Dock(s) » (Blaine/Akenaton), la lignée est fructueuse. Bien qu’un téléphone soit en panne, je suis tombé sur les canadiens déjantés de « Four horsemen », pionnier du Language poetry. Un partenariat avec nos amis Orange permet d’écouter Nathalie Quintane, Stéphane Bérard, etc. pour la partie française en composant le 0800 106 106. Le succès fut tel qu’il édita rapidement des disques vinyl dans la série Dial-a-poem.

Bouddha open bar

Sensibilisé dès ses études à Columbia, Giorno a versé depuis les années 70 dans le bouddhisme tibétain tendance nyingmapa, remontant à Padmasambhava. Diverses peintures et sculptures tibétaines du XIIIe au XIXe siècles proviennent du voisin Musée national des arts asiatiques – Guimet. Le moulage de la cheminée à taille réelle (« Still.life (John’s fireplace) », Rondinone, 2007), coulée dans le bronze et peinte de façon réaliste, devant laquelle se recueille maîtres et disciples bouddhistes pour la cérémonie traditionnelle du feu, fait face à l’autel de Giorno orné de brocart de Bénarès. « De manière générale, on peut considérer le poème comme un mandala, en ce qu’en son centre, en tout concept, se trouve l’esprit du Bouddha, et ce qui l’entoure forme son mandala, son palais » explicite Giorno, proche de Düdjom Rinpoché, qu’il a accueilli chaque année dans son loft du Bowery. L’utilisation de colonnes (« Balling Buddha », « Cancer in my left ball », « Grasping at emptiness », etc.), de double vers ou de répétitions (« orientations dans le temps » Burroughs, boucles ou loops sur magnétophone comme Max Neuhaus et Steve Reich), de l’aléatoire peut être inspirée de sa pratique bouddhiste. Il creuse la nature vide de ce qui l’entoure, des mots et des images en liberté (esthétique, politique, spirituelle) et en correspondance. Reste à trouver le décentrement d’un moi omniprésent dans cette exposition. Lu et non approuvé par le label bouddhiste.

Influences

          D’atroces portraits de Giorno, d’une confondante naïveté, par la scène new-yorkaise (Billy Sullivan, Verne Dawson, Elizabeth Peyton qui tente « de faire une image qui saisirait la John-ité douce et radicale de John », Judith Eisler) accueillent le visiteur. Les photos en noir et blanc (« Serrer les poings et sauter comme un chat »; lui, souriant dans un polo blanc à col roulé) de Françoise Janicot sauvent le tout. Le Thaïlandais Rirkrit Tiravanijab a transposé du 16mm au DVD sa dizaine d’heures de prise de vue au plus près d’un Giorno lisant. Si nous évitons l’autoportrait, rien n’indique en quoi la façon d’énoncer de Giorno, sa poétique, aurait influencé les générations ultérieures. Et pour cause, car tel ne fut pas le cas : son intonation, travaillée, lui est propre. Restera sa générosité (humaine, Dial-a-poem, GPS, divers combats) son énergie et sa fréquentation de l’underground new yorkais. Las, nous pouvons admirer, à la sortie, les diverses expressions de J. Giorno dans un clip de l’une des dernières chansons du groupe de M. Stipe, R.E.M., We all go back tu where we belong, John (2011).

          Reste à nous affaler dans un pouf en explorant sur tablette, grâce à Angela Bulloch (« Happy Sacks »), les GPS (Giorno Poetry Systems) fondé en 1965 lors du mouvement pour les droits civiques et la guerre du Vietnam avec 55 albums et 150 collaborateurs (poètes, performeurs, musiciens) produits. C’était « une façon pour un poète de se connecter à des millions de personnes. Comme la vidéo. Ou les CD. On peut jouer les albums chez soi, mais aussi les entendre à la radio » (« Chicago review », 40, 2/3, 1994). Et devinez quoi ? Un album s’intitule « Big ego » (1978). Tel aurait pu être l’intitulé de cette exposition monographique.

Les à-côtés

En novembre, Giorno, jambes fléchies et bassin souple, est venu performer ses textes, tel un conférencier motivationnel, un comique ou une pop-star. La machine s’emballe, il se plante sur . Dommage.

J’ai fait le yoyo entre l’exposition et un marathon « Lectures ! », organisé par Véronique Hubert au-dessous avec Mariane Alphant, Laure Limongi, Stéphane Bérard, Paul Armand Gette, Daniel Foucard. Je suis tombé pendant un ridicule « Aérobic de genre Paul B. Preciado Non mixte » (Pascal Lièvre), la soporifique Nina Esber et le docte Arnaud Labelle Rojoux, « Récit de la vie de Michelangelo Merisio, dit le Caravage ».

Pour en finir avec

Cette exposition non chronologique n’est claire que pour des personnes connaissant déjà John Giorno et les diverses périodes traversées. Je n’ai pas ressenti l’effervescence et la richesse de la scène underground new yorkaise, de la Factory au punk en passant par la Beat generation. L’ambiance sonore ne se réfère nullement au rock ou punk rock.

John Giorno pourrait enfin conclure : « merci pour me laisser être un poète / un noble effort, voué à l’échec, mais le seul choix » (Thanx 4 nothing, Merci pour rien, Ugo Rondinone, 2011). Beckett était plus radical car moins dans le divertissement. « Quand je parle de performance, je veux parler de DIVERTISSEMENT ! Vous comprenez qu’il s’agit de l’industrie du divertissement, en fait ! Et je trouve ça fascinant » (J. Giorno, Chicago review, 40, 2/3, 1994).

 

[Expo] WieBo oui : let’s dense !

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Introït

Une exposition remarquable, venue du Victoria and Albert Museum (V&A ; commissaires : Victoria Broackes et Geoffrey Marsh, directeur du département « Spectacle vivant » ; mise en scène : agence Clémence Farrell ; éclairages : Atelier Audibert) à Londres et adaptée à la sauce française (là-bas : plus mode et design ; ici : plus musical ; 100 mètres de moins ; plus de recul pour apprécier les visuels, ambiances moins confinées mais parcours plus labyrinthique ; salle finale moins impressionnante que l’effet cathédrale au V&A ; sous-titrage des vidéos, traduction de tous les textes ; coin rajouté sur le rapport entre Bowie et la France), dans un nouveau lieu, un étron comprimé, imitation Frank O. Gehry, entre deux blocs de béton avec fonte d’alu en jeux de lumière, La Philarmonie de Paris, flanquée d’une étrange attèle rouge. Les travaux continuent. L’entrée avec ses pics au plafond laisse songer en des temps pompidoliens éloignés et démodés. A l’instar de Nouvel, je me suis demandé également si un procès pouvait être diligenté concernant la signalétique indigente où il est de bon ton de ne pas indiquer où est la billetterie, agrémentée d’un panneau « guichet fermé », quoiqu’ouverte, alors que nous tentions de prendre un billet. Des filles avec un anneau dans le nez, des filles qui ressemblent à des garçons et réciproquement, des acteurs-trices, des fans de la première heure et les générations suivantes, des John Do pas Jones, etc. Présent dans les starting-blocks le dernier jeudi à 11h, 15 mn de queue. Le catalogue de l’expo, traduit par Jérôme Soligny, écrivain, musicien, compositeur pour Etienne Daho et journaliste havrais, est déjà épuisé. Autre indice : le millionième visiteur a été repéré le 5 mai à Paris. L’heureux fan, un instituteur niortais, reçoit en cadeau le catalogue d’exposition dédicacé The man who sold the world par David Bowie en personne. En dernière ligne droite, les horaires étendus à minuit.

Pourquoi ce succès ? Si le risque est l’iconisation (nombreuses citations ; mouchoir en papier portant la marque du rouge à lèvres de la star sauvé de la tournée Diamond Dogs en 1974 ; la fiche anthropométrique, face et profil, du matricule 59.640, prise par la police de Rochester (USA), le 25 mars 1976, date à laquelle Bowie fût arrêté pour détention de cannabis puis rapidement libéré ; le trousseau à clefs de David & Iggy à Berlin en 1977 au 155, Hauptstrasse ; une cuillère à coke ; un croquis sur un paquet de Gitane éventré, etc.), trait de notre époque, David Bowie est, comme Hitch, « la toile blanche sur laquelle nous dessinons nos rêves » selon le sociologue britannique Simon Frith. Le caméléon parle à tout le monde grâce à la culture pop et à l’interdisciplinarité, faisant feu de tout bois en captant ses diverses époques. Une des rares personnes à faire bouger les lignes, comme il est dit aujourd’hui, en surfant sur de véritables transgressions, pas celles serinées actuellement aux Beaux-arts.

Bowie is. This is it (M. Jackson): les identités. It = ileli, bien avant la théorie des genres (cf. Oscar Wilde, Jean Genet que Bowie a rencontré et fêté dans The Jean Genie d’Aladdin Sane, Devine chez Waters, etc.). Coup de tonnerre : silhouette élégante, David Bowie, affirme en 1972 sa bisexualité au magazine Melody Maker. 3e sexe : la (post-) modernité est décidément androgyne. L’intitulé concernant l’expo Hugo à la BNF pourrait être également appliqué : « L’homme-océan ». Ou alors The world of David Bowie comme le titre de sa première compilation, en mars 1970 chez Decca.

Un nouveau concept d’expo déjà entrevu à Starwars identities ; mais ici, c’est plus grand et nettement moins cher. La thématique n’est pas éloignée. Bowie a exploré avec une hyperactivité créative, jusque dans ses excès, les recoins de ses diverses identités (homme/femme/3e sexe/extraterrestre ; les avatars : Ziggy Stardust, Aladdin Sane, Halloween Jack, The Thin White Duke, Nathan Adler). Un système de casques est distribué. La société allemande Sennheiser a mis au point le système : « Chaque boîtier contient un identificateur qui reconnaît les ondes transmises dans les différentes salles, explique Robert Généreux, directeur commercial de la marque. Quand vous bougez, le signal s’éteint, et le suivant se déclenche. » L’avantage est le côté immersif. L’inconvénient est de tomber sur des autistes qui gueulent leurs impressions, voire chantent faux, vous percutent car absorbés par l’audio au point de devenir aveugle. En outre, entre le son de la salle et celui du casque, qu’il est possible toutefois d’enlever, le tout peut se révéler cacophonique en simultané. D’autre part, l’ajout proliférant d’adjectifs ou noms en rouge n’ajoute absolument rien, voire brouille le message.

A l’entrée, nous tombons nez-à-nez avec une performance drolatique du couple mythique Gilbert & Georges avec english humour : le thème de l’identité est posé, l’anglais avec son excentricité, la question de la sexualité. Le costume taillé par Yamamoto (Kansai pas Yoji), une combi Tokyo Pop (1973), inspiré du théâtre Kabuki, qui ressemble tant à un disque vinyle qu’à un clown blanc à rayures, sert d’enseigne de l’expo, outre l’éclair d’Aladdin Sain de Brian Duffy, de la même fournée – qui n’a d’ailleurs jamais été porté en tournée. Ce sera notre oncle Ronald pour celui qui est coté en bourse ! Pour situer à quel niveau de maigreur le workaholic se trouvait alors : il n’a pas été possible de faire rentrer « la brindille », Kate Moss, lors d’une récente séance de photo, dans le costume d’Aladdin Sane ! Bowie avait découvert le travail du nippon lors du défilé londonien du créateur en 1971, très théâtral et remarqué. Il s’agissait au départ d’une création pour femme. Mais « Bowie ne laisse jamais les idées des autres ni les normes sociales interférer avec ce qu’il veut faire », souligne Victoria Broackes. « Bowie représente une idée de liberté : être qui l’on veut, s’habiller en homme ou en femme, être homosexuel ou hétérosexuel, c’est un message extrêmement important et libérateur ».

So young

La première pièce cause jeunesse dans le contexte historique et social de l’Angleterre de l’après-guerre avec la grisaille de l’époque et ses maisons détruites avec tickets de rationnement : la pupille gauche dilatée (les yeux ne sont donc pas vairons, voyons !) à cause du coup de poing de son copain George Underwood à l’âge de quinze ans, le passage du quartier défavorisé de Brixton à l’upper class, le déménagement du jeune photogénique à la branchée Soho en faisant le tapin (The London Boys, une chanson sur la drogue, l’aliénation, la compétition), devenir connu pour ambition, il pastiche l’acteur et chanteur maniéré Anthony Newley, il traîne dans divers petits groupes (une publicité en 1966 pour l’un de ses premiers groupes, Kon-rads avec sa tenue « mod » avec cravate et costume de velours en gardant une coiffure années 1950 ; le show théâtral de Riot Squad avec maquillage à la Arthur Brown dont il fit souvent la première partie ; jouer du sax, bottes hautes et chemises froufroutantes, cheveux longs et vestes de tweed, lorgnant côté Pretty Things ou Downliners Sect avec la morgue rhythm’n’blues en sus dans King Bees ; Manish Boys ; Liza Jane, qui ne devait plus rien au gospel qui l’a inspiré, digne des Kinks au sein d’un groupe nommé Lower Third, chanson reprise aux USA pendant la tournée Reality sur le riff détourné de Smoke on the water de Deep Purple, etc.) dont il maîtrise l’image (croquis de tenue de scène d’un groupe du début, Delta Demons : dessins de costumes, des esquisses de décors), l’apprentissage du mime et du théâtre avec Lindsay Kemp, avec qui il couche tout en mettant les bouts avec sa maquilleuse et sa costumière Natasha, rencontré grâce à Twink, le batteur fou des Pretty Things, la revendication de pouvoir porter des cheveux longs (à la tv à 17 ans, cravate op art et coiffure à la Marriott, pour défendre la Société contre la cruauté envers les chevelus ; cf. plus tard La coupe à 10 francs, Philippe Condroyer, 1975). Tout y est : do 7e majeur, suspendus, descentes de basse chromatique et inversions, le modal siphonnés des Beatles ; mélodies fortes sur des harmonies outrées ; la spécificité bowienne est le travail fin des transitions, des ponts, le travail de la voix de tête et, avec l’âge et la clope, de la voix de poitrine en modulant sur une longue colonne d’air.

Contexte familial : ses tantes Una, Vivienne et Nora ont subi des internements, des électrochocs et des lobotomies ; sa mère, Peggy, ouvreuse de cinéma, avouait volontiers être « folle ». ; le père, un héritier, dilapide le patrimoine d’une fabrique familiale de chaussures du Yorkshire en se rêvant patron de night-club. Le demi-Frère ? Terry Burns, le bien nommé, de dix ans son aîné, étiqueté schizophrène, s’échappe d’un institut psychiatrique du Surrey pour finir, en 1985, par aller s’allonger sur des rails de chemin de fer. Jump, they say (Black tie White noise », Savage, mai 1993, LP produit par Bowie et Nile Rodgers ; un disque que ma mère m’avait offert en référence à mon cousin, qui lui-même sera tardivement diagnostiqué schizophrène, amateur de Bowie). L’évocation était déjà présente dans All the Madmen (The man who sold the world, 1971). L’influence de Terry a été déterminante. Il fut le premier héros du jeune Bowie. Musicalement, il a fait découvrir à 13 ans les clubs de jazz et de rock londoniens, l’énergie du live. En littérature, il l’a introduit aux poètes de la beat generation, ces Allen Ginsberg et William Burroughs, que Bowie côtoiera plus tard. Mentalement, il l’a initié à l’instabilité psychique. « C’est un homme venu de nulle part, appelé David Jones, probablement le nom le plus commun que vous pourriez avoir en Angleterre, qui est devenu une superstar. Ses hauts et ses bas, la façon dont il a travaillé pour se développer sur le plan artistique, musical et personnel, il y a beaucoup à apprendre de tout cela », explique Victoria Broackes. Elle rajoute : « Ce n’est pas seulement une histoire créative, mais une histoire démocratique d’ascension sociale, qui parle au commun des mortels. »

Des vitrines multimédias en 3D composent des tableaux mobiles et musicaux avec incrustations d’objets (guitare Framus à 12 cordes, saxo blanc en plastique du même type que celui de Charlie Parker, un blouson vert). Bowie déclare : « Cela aurait pu tourner autrement, j’aurais pu devenir Elton John ». Disons-le, David Robert Haywood Jones était un petit kéké à chapeau ou wanna be qui a réussi grâce à son intelligence et à ses rencontres. Il avoue lui-même dans une interview qu’il faisait exprès de glisser des livres dans sa poche pour frimer en intello ; sauf qu’il finissait par les lire. Sa grande influence est non pas Elvis mais le génial et oublié Little Richard qui s’est reconverti en prêtre malgré ses tenues folles d’antan.

Le spectateur s’esquiche en file indienne pour espérer lire les légendes avec des pièces disposées un peu en fouillis. Cafoutche et auto tamponneuse ! Là : une lettre du 17 septembre 1965 dans laquelle il annonce à son manager son changement de nom : M. Jones devient Docteur Bowie en référence au couteau à deux lames de James Bowie, mort à Fort Alamo ; il se démarque ainsi de Davy Jones, le chanteur des Monkees, un groupe de pop US passé aux oubliettes. De façon générale, la légende française est difficile à relier avec la pièce tant les objets sont nombreux (300, soit 120 caisses, piochés dans plus de 70 000 documents, dont au moins 60 000 photos, à 95 % extraits d’archives personnelles du méthodique Bowie, The David Bowie Archive, où une personne est affectée spécialement) ; pire pour les indications anglaises, bien du plaisir !

Major Tom pousse

Une vraie éponge, voire un opportuniste, comme Picasso ou Andy. Bowie a une propension, jugée fâcheuse par certains, à voler au secours de ses idoles, en plus ou moins bonne posture, artistique ou financière. Ainsi, il a produit (avec Mick Ronson) Transformer de Lou Reed, All The Young Dudes de Mott The Hoople (pour qui il a également signé la chanson-titre de ce LP) et Raw Power d’Iggy And The Stooges. Ses influences : le Velvet (voir le « test pressing » du premier disque du Velvet Underground and Nico, offert en 1966 par Andy Warhol qu’il rencontre en 1971 à la Factory, fiasco mondain où l’icelui est qualifié par l’anglais de « poisson froid », accusation dont il fait également l’objet : quand Bowie lui joue en acoustique son « Andy Warhol » (Hunky Dory, RCA, décembre 1971, LP produit par Ken Scott, un ingé son des Beatles, et David Bowie), le pape du pop art pète les plombs: « Il avait envie de rentrer sous terre ; je pense qu’il s’est senti dénigré dans la chanson… ») et la faute à Dylan. Il invente des processus de création, ses textes manuscrits de chanson comportant assez peu de ratures, parfois avec une écriture de bon élève, selon son état.

Ce sont les images du premier voyage sur la Lune de la mission Apollo 11 et de la Terre vue du ciel, qui vont faire décoller sa carrière. Il écrit alors Space oddity, en résonance au film 2001, l’Odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, 1968) de Stanley Kubrick. La partoche est présente ! Accompagnant les images de l’alunissage qui tournent en boucle sur la BBC quelques mois après le début de la mission Apollo, le titre aux évocations spatiales va, après du temps pour s’imposer, connaître un immense succès. L’affiche du film est ici, nous planons. Le clip n’est pas encore inventé même si le scopitone existe, le mime fait fureur : Major Tom décolle, Bowie est en orbite. L’opportunisme de Space oddity a déplu à Tony Visconti, l’ami américain, qui a refusé de le produire. Tant pis, il accédera au Top 5 anglais. Le fond de la couverture de l’album est emprunté à Vasarely (op art ou art cinétique), que Bowie rencontra, qui me berça à Aix-en-Provence outre les magouilles du doyen Debbasch. Plus loin, le jeune publicitaire Bowie s’amuse à détourner l’image de la pochette des Beatles, Sgt pepper’s lonely hearts club band.

Si les connexions entre arts sont constantes, selon le principe de Lavoisier que rien ne se perd et tout se transforme « Son œuvre est très interconnectée avec elle-même, poursuit Victoria Broackes. Par exemple, dans l’expo, on peut voir le croquis du dos de la pochette de « Space Oddity », son deuxième album. Dessinée par la main de Bowie, y figure l’image d’un clown blanc à côté d’une vieille dame. Des personnages (l’Auguste d’Halloween Jack, costume créé par Natasha Korniloff) et une situation que l’on retrouvera dans le vidéoclip de « Ashes to Ashes », dix ans plus tard. Les idées cheminent dans l’esprit de Bowie, qui ne se contente pas de produire une chose après l’autre : ses créations relèvent d’un cortex sophistiqué et aux ramifications multiples ». Les connexions apparaissent alors comme des évidences : la proximité des pochettes de Heroes et de l’album The idiot d’Iggy Pop, les passerelles subliminales derrière les visuels de Scary monsters ou de The next day » avec son carré blanc que nous décrit son concepteur graphique.

L’odeur des sixties et du Swinging London est palpable pour l’ancien résident au Marquee (Blow Up, Michelangelo Antonioni, 1966). John Stephen, l’arbitre des élégances et son His Own Clothes à Carnaby Street plein de pantalons rouge sang, de turtleneck lilas et des shoes de daim gazon trouvés chez les gays new-yorkais ou italiens. Les affiches de concerts, un petit dessin bouddhiste, émouvant, placardé dans sa mansarde, les pochettes originales, le graphisme étant capital chez Bowie, contrôlant tout de A à Z. La guitare Gibson Les Paul, popularisée par Link Wray luit de mille feux.

Ziggy et alii

L’ensemble molletonné de Ziggy Stardust, réalisé par Freddie Buretti, un artiste rencontré dans la boîte gay, Le Sombrero, accentue, en 1972, la posture androgyne de Bowie qui était ici inspirée par le Droog Alex (Malcolm McDowell) d’Orange mécanique (A Clockwork Orange, S. Kubrick, 1971, d’après un texte de l’inventeur langagier Anthony Burgess). D’où la signalétique constamment orange.

Changeant totalement de look et multipliant les déclarations tapageuses, Bowie pique sans vergogne à Vince Taylor, à l’enseigne Ziggy dans l’East side. L’et, aux cheveux rouges, grâce à la femme de Mick Ronson, à l’ensemble veste-pantalon ajusté avec des bottines rouges à lacets, une guitare bleue, des ongles vernis de blanc, devient l’idole des teen-agers anglais, à l’instar de Marc Bolan de T. Rex, avec qui il travaillera (affiche du concert de Tyrannosaurus Rex, dont Bowie assure une première partie avec un spectacle de mime façon Marceau en soutien à la cause tibétaine ; dans leur seul enregistrement officiel, il couche un solo dans The prettiest star, Mercury, juin 1970, 45T produit par Tony Visconti, même si l’ambiance n’était pas au poil aux studios Trident ; lorsque, trois ans plus tard, Bowie réenregistrera la chanson avec les Spiders from Mars pour Aladdin Sane, Ronson dupliquera le solo de Bolan à la note près) avant de se brouiller. Ziggy évolue, avec son groupe rebaptisé les Spiders from Mars, dans des décors réalisés par George Underwood, au rythme des chorégraphies de Lindsay Kemp et dans des costumes extravagants de Natasha Korniloff (« l’ultraviolence en tissu liberty »). Une émouvante photo avec un Bowie en bleu électrique, cheveux rouges et platform boots en vinyle, qui chante Starman à la télé anglaise pour Top of the Pops le 6 juillet 1972 en tenant par l’épaule le regretté guitar heroe mort d’un cancer du foie, Mick Ronson : Bowie fédère dès lors les adolescents mal dans leur peau, les parias, les hétéros frustrés, les gays refoulés ou non et tous les déprimés, pour qui il devient un dieu. Il plonge alors la pop dans « une ère faite de mode, de théâtralité et de sexe ». Dès le lendemain, raconte Marc Almond, l’ancien leader de Soft Cell, tout le monde se demandait dans la cour de récréation « s’il était queer parce qu’il avait aimé ce Starman androgyne ».

Bowie tue Ziggy Stardust au sommet de sa gloire dans un mythique concert à Londres, dans un Hammersmith Odeon sold out, le 3 juillet 1973 où le public admire une avalanche de satin, de soie, de couleurs flashy, de maquillages outranciers, de chaussures à semelle compensée et de poses équivoques. David Buckley dans la biographie fouillée David Bowie, une étrange fascination, explique : « Le petit garçon de 3 ans s’est découvert une fascination ‘contre nature’ pour la trousse de maquillage de sa mère. « On aurait dit un clown, déclarait Peggy, sa mère, en 1985. Quand je lui ai expliqué qu’il ne devait pas se maquiller, il m’a répondu : ‘Tu le fais toi.’ J’ai dit oui, mais que ce n’était pas pour les petits garçons. » ». Les gays sortent du placard (John i’m only dancing) à qui il fait un clin d’œil en mimant le sexe oral avec la guitare de Mick Ronson. Qui sait que Jeff Beck a joué (The Jean Genie, Love me do, Round And Round), bien qu’absent du film de DA Pennebaker (Ziggy Stardust and the spiders from Mars, 1973)? La qualité de son jeu ou sa tenue ce soir-là en seraient la cause, mais la pingrerie du manager Defries était telle qu’il est fort possible qu’ils ne se soient pas mis d’accord sur le salaire que le musicien devait obligatoirement percevoir pour sa participation à un concert filmé.

       Derrière une vitrine, Bowie fait encore scandale en apparaissant trois fois en travesti dans le clip drolatique Boys keep swinging. Un très beau costume noir sobre avec chaussures à talons discrets, le tout n’aurait pas été renié par YSL. « Ladies and gentlemen and others ». Une tenue stricte portée lors de la remise d’un Grammy Award à Aretha Franklin, dont il ne se sentait pas digne, à l’Uris Theatre de New York le 1er mars 1975 : https://www.youtube.com/watch?v=xUu-_F9vWnk . Et un Hamlet sans casser les œufs avec crâne comme vanité au pied.

Le glam avant la tempête

Passons au glitter ou glam. Un mix remarquable empiète sur les chants au casque. Trop de db sur DB ! Au passage, I’m afraid of americans » (album Earthling, 1997 où Trent Reznor de Nine Inch Nails, dans un remix, zone et file à donner des sueurs froides dans le clip boosté de Dom et Nick) avait été mis à fond lors du 11 septembre 2001, date d’ouverture dudit XXIe siècle, avec The star-spangled banner repris par Jimi Hendrix. J’aurais pu mettre à fond aussi This is not America avec le guitariste de jazz Pat Metheny et son acolyte pianiste, Lyle Mays, extraite de la BO du film de John Schlesinger The Falcon And The Snowman (Le jeu du faucon, 1985). Bowie côtoie nos vies et l’histoire avec sa grande hache aspirée. Des costumes de Yamamoto, avec force kimono avec, au dos, David Bowie en idéogrammes, le styliste témoignant avec un atroce collier corail et une veste multicolore à faire rire. Beaucoup de costumes ont été créés à une période par Buretti. Un clip dada avec Joey Arias et Klaus Nomi au chœur, repéré comme mannequin vivant dans une vitrine de magasin, pour un Hypnotic performance au SNL (1979). Engoncé dans son costume de Brooks Van Horn inspiré du Cœur à gaz de Tzara mélangé avec la géniale Sonia Delaunay, les deux folles robotiques aux voix d’or transportent Bowie jusqu’au micro … Le génie côtoie le ridicule : ils y vont à fond ! (« The man who sold the world » : https://vimeo.com/49104160). J’avais découvert cette chanson grâce à la reprise de Nirvana dans leur célèbre MTV Unplugged à New York en 1994.

Le plus impressionnant est le verbasizer, un logiciel développé spécialement pour Bowie dans les années 90, générant des phrases aléatoires : il pioche au hasard dans les 5 colonnes lors de ses concerts. Il retrouve ainsi le cut up de Burroughs (voir le manuscrit de la chanson Blackout sur Heroes, RCA, octobre 1977, LP produit par Bowie et Visconti ; un moment, il pose lors d’un shoot – photo ! – avec un jean grunge devant une photo en noir et blanc de lui avec le pape du beat). Interconnexion, encore et toujours.

Passés une lettre d’hommage (1976) d’Elvis, bourré d’amphét’ avec couronne hawaïenne, à Bowie, des échanges entre Bolan et Bowie, des scénos de Baal d’après Brecht (téléfilm diffusé en 1982 par la BBC ; cf. Volker Schlöndorff, 1970 avec Rainer Werner Fassbinder) dans une fraîcheur toute rimbaldienne teintée de romantisme allemand. Sa veste anthracite de 1982 (Baal, RCA, février 1982, EP de 5 chansons, produit par Visconti et Bowie) repose sur une table. La photo de Lily Marlène façon Harcourt. Une belle fille se trouve mal et se repose sur un trop rare siège. Un storyboard arty d’un projet inabouti autour d’Hunger City. Baste, elle rate le costume de l’Union Jack lorsque Bowie a sollicité le génial et regretté Alexander McQueen, alors jeune diplômé de la Saint Martins School de Londres, pour cette création portée sur la tournée Earthling en 1997. L’artiste a été inspiré notamment par la veste aux couleurs du drapeau britannique de Pete Townshend des Who. « Il a mélangé une esthétique très punk, ces déchirures, ces brûlures de cigarette, avec cette tradition du tailleur britannique classique, ce qui est très Bowie », commente Victoria Broackes. « A l’époque, Alexander McQueen n’était pas encore très connu du grand public. Mais Bowie a toujours su travailler avec les gens les plus extraordinaires et intéressants ». Arrêt sur musique : Earthling (aux manettes Reeves Gabrels et Mark Plati, 1997) est l’album enthousiasmant, mis en boîte à New York aux studios Looking Glass, qui m’a fait redécouvrir un énième Bowie en revisitant son album complémentaire Outside (BMG, septembre 1995, LP produit par David Bowie, Brian Eno et David Richards ; encensé par Françoise Hardy ; le tripal A small plot of land, le liquide et crooner The motel, l’ambiancé d’Eno pour Wishful Beginnings, I’m deranged choisi magnifiquement par David Lynch pour l’ouverture sidérante de Lost Highway, 1997) dont la pochette est peinte par Bowie himself. Le concept était inédit : l’album était, sur internet, découpé en segments dans chaque chanson, un studio virtuel était reconstitué et chaque internaute pouvait composer son album. Comme Pete Gab’, Bowie et les NTIC. Toujours avec un déclic d’avance, la critique a été désarçonnée face à cet album jungle-drum’n bass. Les délires guitaristiques et claviéristes rappellent le piano rock de Mike Garson de la chanson-titre sur l’album Aladdin Sane. J’étais tellement aux anges que je voulais voir la tournée de Bowie mais c’était à Toulon dont la mairie était FN à l’époque. Ethique de conviction.

A côté, le costume toile d’araignée à fausses mains inventé par la costumière Natasha Korniloff en 1973, arboré par Bowie lors d’un spectacle diffusé sur la télévision américaine, deux mains dorées viennent recouvrir la poitrine. Composé d’un filet noir évoquant une toile d’araignée révélant largement le corps, cette tenue comportait à l’origine une troisième main sur l’entrejambe. Mais jugée indécente par la chaîne, cette main a finalement été remplacée par une sorte de legging. A côté des maquettes de la tournée, la censure rôde dans Diamond dogs où le sexe aurait dû apparaître sur la pochette de l’album, planche contact à l’appui. D’ailleurs, la dystopie, hantée par l’expressionisme de Metropolis (Fritz Lang, 1927), dont l’affiche est présente, Diamond Dogs (RCA, mai 1974, LP produit par David Bowie, mixé par Tony Visconti), avec Halloween Jack, est né du refus des ayants-droit d’adapter 1984 de George Orwell. Censure aussi sur le papier peint Laura Hashley dans les années 90 où Bowie tenait à représenter des sexes en dessinant des personnages ! L’artiste est aussi protéiforme que le génial Kurt Schwitters, du design papier à en-tête jusqu’au metzbau en passant par la marqueterie, la poésie sonore ou écrite, les collages et tableaux. Un artiste à part entière, un adepte du rock théâtral et de la performance au même titre qu’Alice Cooper.

Ciné, théâtre, mime

Une salle projette des extraits de films, où Bowie se révèle meilleur qu’Elvis mais n’apparaît pas comme un immense acteur.

L’homme qui venait d’ailleurs (The man who fell to earth, Nicolas Roeg, 1976, adapté d’un roman de l’Américain Walter Trevis, L’Homme tombé du ciel, 1963), où David Bowie incarnait de façon plaisamment étrange, Thomas Jerome Newton (cf. le pendant féminin Scarlett Johansson en The Female dans Under the Skin, Jonathan Glazer, le film le plus important de 2013), vu à l’Institut Lumière. C’est en regardant Cracked Actor, le documentaire d’Alan Yentob sur la tournée Diamond Dogs, que le cinéaste Nicolas Roeg a eu l’idée de faire appel à David Bowie. Ce film est important car il contribuera au processus de reconstruction amorcé par l’artiste dès 1975. Conscient que pour échapper aux abus qui lui détruisent la santé il va devoir regagner l’Europe, Bowie utilisera l’album Station to station comme véhicule. Pour la scène, il va inventer un nouveau personnage, le fameux Thin white duke, qui doit beaucoup à l’extraterrestre du film. Bowie mettra une photo de Thomas Jerome Newton en couverture de l’album et de son successeur (Low en 1977). A la fois perdu et déterminé, le Thin white duke, comme Newton, porte un costume sombre (avec ou sans veste) sur une chemise blanche et va tout mettre en œuvre pour échapper à son destin. Aussi, parce qu’on lui refusera la possibilité d’en signer la bande originale, Bowie virera son manager d’alors et trouvera l’équilibre, notamment budgétaire, en présidant à son destin. Enfin, et même si très peu de ce qu’il avait enregistré pour le film avec Paul Buckmaster s’est retrouvé sur Low (quelques pistes du morceau Subterraneans), il est possible d’affirmer que les faces B des deux premiers albums du triptyque européen, sous influence krautrock, doivent leur caractère de musique de film à The man who fell to earth.

En 1983, en voie de starification globale assumée, David Bowie publie en avril l’album commercial Let’s dance que Nile Rodgers-l’homme-qui-touche-de-l’or-avec-sa-basse (de Chic à Daft punk), produit avec bisbille en sus avec Stevie Ray Vaughan. Avant de partir en tournée mondiale marathon, Bowie passe par le festival de Cannes pour le rôle du Major anglais Jack ‘Strafer’ Celliers, avec une scène de mime lourde dans sa geôle, tout comme celle de ses débuts projetés à côté (que Cassavetti juge, à juste titre, neuneu dans The mask (a mime), de 1969, dans lequel David joue le visage blanc) dans Furyo (Merry Christmas Mr Lawrence, 1983, le transgressif, politique et colérique Nagisa Ôshima avec la célèbre musique de Ryûichi Sakamoto, leader de Yellow magic orchestra, et une des premières apparitions de Takeshi Kitano). Lors de la tournée Serious moonlight tour, il s’inspire du personnage de Celliers : la chromie légèrement passée et dominante du film (le beige des uniformes, le gris-vert de la forêt, l’orangé du sol) va se retrouver dans les costumes pastel portés durant la tournée et l’éclairage de la scène, bien plus chaud que les néons crus.

Le voici en Jareth the Goblin King, « Your eyes can be so cruel, just as I can be so cruel » dans le dispensable Labyrinthe (Labyrinth, Jim Henson, 1986) produit par Lucasfilm, loin du magique Dark crystal (The dark crystal, Jim Henson, Frank Oz, 1982, revu en copie 35 mm à un Epouvantable vendredi à l’Institut Lumière avec le prince du mauvais genre, Fabrice Calzettoni, en présentation). Une musique écrite par Bowie.

Le kitschissime Absolute beginners (Julien Temple, 1986), d’après un roman culte de Colin MacInnes avec cette épouvantable chanson-titre enregistrée à Abbey Road avec, pourtant, l’excellente chanteuse Sade en duo, qui tournait sans cesse à la radio jusqu’à la saturation. Digne d’une prestation d’Elvis, hum, bon, né le même jour, un 8 janvier.

Sollicité par l’artiste/réalisateur Julian Schnabel (Basquiat, 1996), Bowie interprète Warhol jusqu’à porter, sur le tournage, perruque, lunettes et blouson ayant appartenu au maître de la Factory.

Plus surprenant, alors que Ashes to ashes cartonne, un extrait de la pièce The Elephant Man à Broadway, carton d’invit’ à l’appui, où Bowie se révèle sidérant en Merrick, figure qui est également visible dans Under the skin (Jonathan Glazer, 2013). La lettre d’hommage de John Hurt, excellent dans Elephant man (The Elephant Man, David Lynch, 1980), à Bowie est émouvante. Sont exposés l’austère pagne en bure porté au théâtre pour « The elephant man, les modestes sandales portées dans La dernière tentation du Christ (The last temptation of Christ, 1988) de Martin Scorsese.

Clips clac

Perclus de fatigue, je me hisse à l’espace clips. Là, des diffusions de clips sur écrans à l’ancienne, selon votre disposition physique sur l’échiquier. Des gens se disposent inévitablement devant moi, je les hèle à la main. Une masse façon banquier Stern sans latex, une nana sévèrement lookée se déhanche.

Le clip de DJ (musique d’Eno et Carlos Alomar, sur Lodger, RCA, mai 1979, LP produit par Bowie et Visconti), que je ne connaissais pas, assez simple, dans une rue où Bowie se fait rouler des patins par les deux sexes, à l’improviste, à Londres.

Où l’on apprend que lors d’Ashes to ashes (Scary monsters), le clip le plus cher de l’époque avec force couleurs solarisées et noirs et blancs, des gens ont été recrutés à la va-vite dans un night-club pour jouer sur une plage. Steve Strange, du groupe Visage, mort récemment, et les Blitz kids de Berlin y apparaissent avec bulldozer dans le dos. Major Tom se révèle junkie.

Le clip de David Mallet pour l’insupportable Let’s dance, avec Bowie fringué en homme d’affaire Mugler, en mémoire de son pitoyable groupe Tin machine lors de sa traversée du désert (Tin Machine,       EMI, mai 1989, LP produit par Tin Machine et Tim Palmer ; Tin Machine II, Victory Music, septembre 1991, LP produit par Tin Machine, Tim Palmer et Hugh Padgham). Jump they say (Black tie white noise) avec son look de salaryman (il venait de se marier avec la mannequin Iman Abdulmajid qui lui fit rencontrer Al B Sure pour la chanson-titre de l’album). Au passage, une reprise du Moz Morrissey (I know it’s gonna happen someday) est à tomber. Un remix Fame ’90 clippé par Gus Van Sant, paru en single en 1990 à l’occasion de la sortie de la compilation ChangesBowie.

Je chante les basses sur Hallo spaceboy (Earthling) remixé par Pet Shop Boys, une redécouverte très enfouie. Du même album, Floria Sigismondi se colle le speed Little wonder avec un luciférien Bowie dans son costume noir présenté à côté : délire assuré. Dans un autre clip de l’icelle sur The stars (are out tonight) (The next day, ISO, mars 2013, LP produit par Bowie et Visconti et enregistré à New York), digne d’un film, avec crédits au générique (comme Thriller de John Landis avec M. Jackson le 02 décembre 1983), Tilda Swinton, le pendant physique de Bowie, pète les plombs avec les cheveux explosés tout en coupant une volaille façon Massacre à la tronçonneuse.

L’artiste Tony Oursler, vu au Jeu de Paume, aux commandes du clip de la chanson lente au refrain sépia We are we now (The next day), avec les retrouvailles avec Berlin (Potsdamer Platz, KaDeWe) tourne dans la tête avec persistance. Voilà pour les années MTV, aucun média n’échappant à Bowie.

Heureusement, nous avons échappé au ridicule Dancing in the street filmé par David Mallet en 1985 avec Mick Jagger, un single caritatif enregistré à l’occasion du Live Aid repris du classique de la soul popularisé par Martha And The Vandellas, où ils ont font des tonnes à London Docklands en multipliant mimiques, simagrées, gambades et sauts de cabri façon jogging.

Pas de Never let me down (EMI, avril 1987, LP produit par Bowie et David Richards), chanson-titre en hommage à l’assistante de Bowie, Coco Schwab, avec l’inévitable Mondino. Ouf !

I & US

Terrorisé par le souvenir de ses débuts, Bowie est obsédé par l’idée de renouvellement. Il file donc aux Etats-Unis avec force gomina (Dapper Dan ?) et coco dans les naseaux. Il se penche sur la musique noire préfigurant la disco favorite du milieu gay et décide de sortir un album dansant, Young americans, qui laisse tout le monde perplexe mais séduit les Yankees en 1975. Il côtoie l’Apollo Theater et recrute les meilleurs choristes. Bien qu’aguerris, ils comprennent mal la façon, déconstruite, d’écrire du « godardien » Bowie. Disons-le, ils en baveront en studio (sur Arte : David Bowie en cinq actes de Francis Whately GB, 2013, 60 min). Lennon participe au chœur sur l’hypnotique Fame, une reprise des Flares, qu’il coécrit avec le fameux riff funcky d’Alomar. Désormais exilé à Los Angeles où il vit dans une maison encombrée d’objets liés à l’occultisme égyptien, il détruit sa santé, maigrit, voit des sorcières, fait exorciser son logis et pense que Jimmy Page, le guitariste de Led Zeppelin, adepte d’Aleister Crowley, lui veut du mal. Enfermé dans sa chambre, les rideaux noirs invariablement clos, il lit The spear of destiny de Trevor Ravenscroft qui présente le nazisme comme une société secrète née de l’occultisme XIXe siècle, se passionne pour Goebbels « à cause de la façon dont il a utilisé les médias » et est fasciné, comme Dali, par les nazis pour « leur quête du Graal ». En 1976, cette photo de Bowie période The man who fell to earth, revenant de tournée à Victoria Station, et faisant un salut nazi devant sa cohorte de fans, avait terriblement choqué. Quelque temps auparavant, dans une interview à Playboy, il avait expliqué qu’Hitler était la première rock star avant Mick Jagger. Il parle de Golden dawn dans certaines de ses chansons, sans oublier la notion de surhomme chez Nietzsche, présente très tôt (After all dans The man who sold the world , 1971). Cette partie sombre, démontrant la complexité du personnage, est gommée de l’expo, dommage. Et, pour cause : Bowie a fait supprimer des agences de presse toutes les photos compromettantes. Entouré d’un aréopage de serviteurs censés le couper du monde, l’artiste, à qui il arrive de ne pas dormir pendant une semaine, est en chute libre. Hautain, agressif, maladivement avare depuis qu’il a compris que son manager, Tony Defries, lui a fait signer un contrat qui garantit de le ruiner, Bowie enregistre néanmoins un chef-d’œuvre moderne, Station to station. Celui qui a peur de l’avion et se surnomme désormais le « Mince duc blanc », fantasme sur le Vieux Continent.

BerlIggy

Passant donc de la coke de la californication à l’héro dans la ville divisée en deux, le squelettique et blafard Bowie, amateur de la période de Weimar, se rassérène en Europe. La salle berlinoise, l’une des plus réussies, avec un plan de Berlin mangé par les pas et prolongé par des écrans avec diffusion de musique influencée par Kraftwek et autre kosmische musik (Can, Faust, Neue, etc.), expression plus pertinente que Krautrock. La trilogie, faussement berlinoise, est nommée, selon Bowie et Eno, adepte de la Stratégie Oblique, trilogie européenne. Seul l’album Heroes a été intégralement enregistré à Berlin, aux studios Hansa, près du mur. Le synthétiseur analogique AKS à l’origine de la trilogie Low, Heroes et Lodger (enregistré à Montreux et mixé à New York), offert à Bowie en 1999 par Brian Eno, trône, majestueux, après le Stylophone pour Space oddity », le Mellotron et autres machineries. Le romantique germanophile appréciera les photos du chanteur en apnée expressionniste, d’un Iggy Pop au piano, peint par Bowie de façon peu originale mais très Die Brücke, avec images originales à l’appui (Erich Heckel), ou du studio installé entre deux miradors. Sur le côté Iggy, la collaboration de Bowie avec Pop est aussi d’un intérêt bien compris : Bowie accompagne l’iguane comme claviériste lors de sa tournée de 1977. Au milieu des années 80, Bowie reprend à son compte certaines des chansons écrites à quatre mains, mais avec davantage de succès (China girl).

France

Bonus. La salle française, prétexte à conf’ de Soligny. Une longue histoire d’amour pour Bowie, dont l’un des regrets est de ne pas être sorti avec Françoise Hardy. Un registre manuscrit stipule la venue de David Bowie & The Lower Third à la discothèque parisienne le Golf-Drouot, les 31 décembre 1965, 1er et 2 janvier 1966, pour « 2 000 F, hôtel en plus ». Un publi-rédactionnel extrait de Golf-Drouot Actualité, où Robert Madjar fait la promotion dudit Bowie et d’un autre jeune chanteur, Arthur Brown : « Vous ne serez pas déçus après les avoir découverts. Et comme les jeunes Anglais du Marquee, vous les réclamerez à nouveau, j’en suis sûr ». Qu’on se le dise, Bowie s’est produit à Paris dès 1965 ! Cocorico même : la France est le premier pays où il tournera en extérieur.

Les enregistrements épiques de Pin ups  (juillet 1973), The idiot d’Iggy, produit par Bowie, Low (septembre 1976 ; titre de travail : New Music : Night And Day ; méthode de travail : rythmiques jetées sur bande à la hâte, beaucoup de temps consacré à l’enrichissement du son, prises de voix rapides) au milieu des années 70 s’effectuèrent au château d’Hérouville, un studio créé par le musicien opportuniste Michel Magne, vers Pontoise, près de Paris. Matons le livre d’or du château d’Hérouville avec les paroles d’une chanson enregistrée in situ. Laurent Thibault, ingénieur du son audit château, se remémore les séances d’enregistrement. Il s’amuse de l’image bisexuelle de Bowie : « Je n’ai jamais vu un homme courir autant après les femmes ». Bowie est même passé au Havre, embarquant sur le France en avril 1974. Côté people et glamour, c’est un grand amoureux de la France, de sa littérature (le précieux ronsardien Jean Genet en particulier), de Paris où il a demandé Iman Abdulmajid en mariage sur un bateau-mouche. Etape fondamentale que la France : il se débarrasse des sales tics chopés aux USA entre 1974 et 1976, ainsi que d’un management jugé aussi néfaste qu’inefficace. Au tournant de la décennie, Bowie va également rompre avec Angie, obtenir la garde de leur fils, Zowie, et devenir maître de sa carrière, notamment sur le plan pécuniaire. 2004 : crise cardiaque. Bowie a essaimé via Suede, Placebo et tant d’autres.

Coda

Dépôt des casques. Une salle hallucinante en clôture : 21’ de bonheur sur 360° avec trois extraits de concert (dont Ziggy évidemment, le très rock The Jean Genie avec Bowie à l’harmonica). Deux vieilles braillent pour continuer la conversation. Un couple d’étudiants rit de leurs amis asiatiques. Je me cale en diagonale sur d’immenses pouffes pour jouir de la vue, une belle cuivrée se pose à côté de moi. Encore des costumes (Alexander McQueen, Thierry Mugler, etc.) éclairés en son et lumière pendant le passage des concerts, des objets, encore des objets, une maquette pop délaissée car le décor était trop onéreux ainsi que celle du pharaonesque Glass spider Tour (1987) avec son araignée géante au-dessus de la scène, ses musiciens (Peter Frampton à la guitare !) et ses six danseurs (parmi lesquels Melissa Hurley, petite amie de ces années-là).

Was is will. Sortie à 17h après 6 heures d’immersion Bowienne. Les sens ont été convoqués. J’ai peut-être mal lu, mais il manque la référence fondamentale à Scott Walker, que Bowie tenta d’imiter comme crooner, allant jusqu’à lui piquer sa petite amie et à chanter Brel lui aussi ! Tout le parcours du rocker, décrit par Cyrille Martinez dans Musique rapide et lente (collection Qui vive, édition Buchet-Chastel), est respecté.

Las des produits dérivés, livres en pagaille, 45t pressés pour l’occasion, dont Heroes, en vinyle bleu sous pochette semblable à celle de l’époque, chanté en français, la belle affaire ! L’homme d’affaire Bowie, excellent marketeur, en a profité pour caler la sortie de The next day avec l’expo anglaise. Une visite filmée de l’exposition version V&A, David Bowie is happening now (Hamish Hamilton, Katy Mullan, 2013), est projetée dans plusieurs dizaines de salles de cinéma Gaumont Pathé en France. Wiebo, une commande, est un concert performance imaginé par Philippe Decouflé et composé de reprises de chansons de Bowie interprétées par Sophie Hunger, Jehnny Beth et Jeanne Added avec artistes de cirque et danseurs. Une orchestration in vivo de 2001, l’Odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, 1968) de Stanley Kubrick à la Philarmonie. Ce week-end SF inflige en before un travail indigent de Jeff Mills, l’ancien DJ d’Underground resistance à Detroit en quête de légitimité, avec chorégraphie nullissime à la Cité de la Musique sur fond de monolithe rose … L’expo part en Australie (Melbourne) puis aux Pays-Bas (Groningen).

LouBez m’attend à la Cité de la Musique avec des Paul Klee provenant de collection particulière, une trilogie Bacon de la Tate modern, jamais vue malgré la rétro à Pompidou, des magnifiques Vieira da Silva, des photos en noir et blanc de Lucien Clergue, une installation sonore multicanale de Repons, joué à la carrière Boulbon à Avignon, des partitions, l’émouvant original d’Un coup de dé jamais n’abolira le hasard de Mallarmé de chez Doucet !

Biennulle du design à Saint Etienne

Les sens du beau, l’essence du beau. Thème tentant. Recta au resto éphémère à la Téci du design malgré une grève annoncée qui n’existe pas, un problème de caténaire à vif, un suicide sur la plus vieille ligne de France TER ! Une tonne de docs pas très développement durable. Signalétique zéro pour s’orienter. Un bras pour performance culinaire dans un lieu fascinant, comme un Le Bec réussi ou un Cerise et potiron avec cachet. Des signets abstraits (plat, entrée, dessert) où un garçon nous indique comment tricher nonobstant une carte absconse aux bons soins de l’Institut Bocuse (tarte au citron déstructurée façon aquarium, nouilles à l’encre de seiche, etc.). Des plaques réfléchissent un faisceau en plein jour, idée lumineuse d’un étudiant de l’EASDSE. Nappes blanches rigides.

Le plus réussi est coréen : bois, faïence, céramique travaillés de manière fine, entre art traditionnel et méditation. Une merveille : « Vitality 2014, beyond craft & design ». Une vidéo présente à chaque fois leur méthode de travail. La classique tradition/modernité. Le patchwork sans wok « Proust coreana » de Mendini n’est pas des plus réussis dans la série des sièges atroces Proust par Mendini.

« Serial beauty » est assez classique : un designer pour des produits chics vendus dans le commerce. Encore moins bien, « No randomness », la cohérence des formes, une pseudo explicitation du design ordinaire : le losange pour le stop, le pantone x pour l’orange de sécurité, le système métrique, les œufs en barre. Inintéressant.

Même pas vu « Ça aurait plus », déconseillé par un congénère in vivo.

Très amusant : A-T-T-E-N-T-I-O-N, quoique misant sur la jeunesse ludique entourée d’appareils électroniques (la fameuse interactivité). Les lunettes anti reconnaissances faciales sont sympathiques. J’ai adoré « Nonfacial mirror » (Shinseungback Kimyonghun), un miroir qui se désoriente dès que vous tentez de vous mirer. Inutile mais drôle avec une technologie complexe : Duchamp aurait adoré (j’ai songé au « Portrait d’un imbécile » de Soupault, un simple miroir).

« Cabane » : pipeau. Un français : Des Moutis mutandis. Une cabane de bois, l’enfance. « Walden » de Thoreau pendant feuille par feuille … Nullissime. Une classe de maternelle s’ébat dans une rue intérieure.

L’atroce « Vous avez dit bizarre » ou comment se forcer à montrer et exposer le mauvais goût (Bart Hess et Alexandra Jaffré) où quelques rares belles pièces réussissent à transpercer, des têtes de flamands par des danois par exemple.

« L’essence du beau » (commissaire : Sam Baron). J’en attendais beaucoup, j’ai été déçu, même si la scéno est belle. Tombé dans le piège de la définition de la beauté, les français se distinguant dans l’utilisation de concepts abstrus qu’ils ne maîtrisent pas (du Derrida au pays de Descartes). Belle faïence et verre réunis par un libanais. Une chemise en soie soi-disant attractive-répulsive. Une cuisine originale façon alchimiste de Nimbus. Les écoles de design européen ont encore à se creuser la tête.

L’inévitable « Artifact ‪#‎H » peut-être évité, à part le « No stop fourniture » de Sophie Vaugary avec table et chaise en tiges d’acier pour béton. Facile mais efficace.

Plus loin, « Réserve déboussolée » laisse beaucoup attendre pour peu de résultat : des belles sérigraphies d’Elza Lacotte où l’on pointe du doigt avec i-pod pour écouter des musiques de la plateforme indé 1D touch (« Sunshine everyday » de Swell et plein d’autres), des photos en noir et blanc ma foi pas mal de Richard Bellia.

L' »art-lab : connexion » laisse vraiment sur sa faim pour un pseudo participatif. Peut-être n’était-ce pas le bon moment.

A la Platine, « hypervital » est remarquablement scénographiée, même si certains objets sont inutiles car n’ont jamais fonctionné, comme cette caméra sur plusieurs angles comme une mouche. Ceci est mis en regard avec des manuscrits datant parfois du XVIe siècle. Ainsi  » L’onanisme, dissertation sur les maladies produites par la masturbation » par M. Tissot avec l’atroce appareil empêchant le bambin de se masturber. Une section espace amusante avec nourriture lyophilisée, combinaison, etc. Un « bestiaire », pour les enfants, dispensable pour les adultes.

Plus loin, le classique mais intéressant « Beauty as unfinished business » (commissariat : Kim Colin et Sam Hecht). Ce miroir d’aluminium qui se tend et se distend selon votre geste des jambes à l’aide d’une cellule photoélectrique est excellent. Une bouteille d’une marque discount trône sans intérêt.

Sans trop d’intérêt mais permet de respirer du vert : « Née dans les fougères Recherche en territoires ». A côté la superbe petite médiathèque dotée de mobilier mobile, de carrés monochromes de couleurs différentes et d’une matériauthèque jonchée d’objets mis à la file.

Même au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne, les coréens déçoivent (Hye-Yeon Park et Seung Yong Song) : des cubes insignifiants devant un panneau qui laisse furieusement songer à Lawrence Weiner. Puis la cata Lee « Red » Bull : du monumental où l’on marche sur des dalles de miroirs. Le coup de la grotte avec du son amplifié avec écho, un palais des glaces kitch pour fête foraine ratée, des dessins atroces d’étude ou non. A côté, de l’arte povera, no comment. L’excellent Jochen Gerz laissé avec aucune explication : ça tombe à l’eau. Le seul intérêt aura été d’apprendre qu’Hermann Nitsch a continué à créer dans les années 2000. L’expo à l’étage relève plus du graphisme facile que de l’art. La ruine et la modernité, gnagnagna …

Enfin, « Rolling club » à l’Hôtel de Région à Lyon Confluences, une première extension de la Biennale pour une première fois. 3 circuits (Objets d’art, objets de design, objets singuliers) où il est possible de circuler sur les bords mais non à l’intérieur. Dommage. La création de son paysage perso et du croisement est pipeau, même si l’interrogation essentielle est celle de la porosité des taxinomies (un objet d’art peur être aussi celui du design et inversement, etc.). Ils se sont creusés la tête pour avoir des objets de petite taille (carotte de trottoir, cartes à jouer ou de crédits, du Journiac, du Pommereulle, du Janssens, un petit Arp, Valensi, un Gina Pane, des objets surprenants du scientifique Jean Painlevé, le génial coupe-papier « Benbecula », 1961 d’Enzo Mari, l’inutile « Rondel Holder », 2002 d’Oskar Zieta aussi fonctionnel que le presse-agrume de Starck, l’incroyable bouteille d’eau collector Ty Nant de Ross Lovegrove, un « Bikini frit », 2015 de Vincent Labaume, un couteau apache, l’excellente et mythique Lava lamp « Mathmos astro », 1963 d’Edward Craven-Walker, etc.). Bref, plus un inventaire à la Prévert.

Biennale de Lyon, Archéologie du futur : la Sucrière fond au soleil

13e Biennale, chiffre fatidique. Le New-Yorkais Ralph Rugoff, sémioticien ou expert dans l’analyse des signes visuels, directeur depuis 2006 de la Haywardv Gallery à Londres, un lieu public dans l’une des pires architectures digne du « brutalisme », s’y colle. « J’y ai appris à utiliser l’architecture sans lutter contre. C’est ce que j’ai voulu faire aussi à La Sucrière. » L’axe principal, « La vie moderne », le premier volet d’un triptyque sur 3 Biennales, s’articule autour de « la nature de notre époque et des dialogues qu’elle entretient avec le passé ». Sont questionnées l’actualité (les crises économiques, les inégalités sociales, l’immigration, le néocolonialisme, etc.), l’évolution de la société (le numérique, le virtuel, le travail, les loisirs, etc.), l’art lui-même et ses conditions d’exposition.

C’est la dèche : une misérable feuille A5 pour présenter les artistes ; un catalogue à 5 EUR ; 20 % d’artistes de moins que les éditions précédentes ; moins de pièces d’art contemporain. L’avantage est que le peu de pièces est exposé dans un grand espace sans effet d’accumulation. Il n’est pas certain qu’une autre biennale ait lieu, eu égard à l’amoindrissement des subventions municipales malgré Thierry Raspail déclarant que le «  budget artistique de la Biennale est stable, autour de 1,1 million d’euros depuis cinq ou six éditions ». Thierry Raspail, sur la retraite, allonge la sauce de deux ans. Les chaises vides s’accumulent, ce qui est plutôt agréable pour s’asseoir bien que laissant une impression désagréable de vide à occuper à tout prix.

Une soixantaine d’artistes qui viennent de 30 pays différents (Afrique, Asie ou Amérique latine), 65 % ont reçu des commandes. 20% des artistes sont français. La communication insiste sur le travail des artistes avec la région lyonnaise, avatar de la crise, ce qui n’empêche pas Collomb de parader, façon Christophe et son œuf, à Confluence, ce quartier aseptisé pour bobo, dans « Métropolis » d’Arte.

Les silos de la Sucrière sont pollués par la femme guerrière du dessinateur de l’underground américain, Robert Crumb, prince du mauvais goût. La Sucrière, ancienne usine reconvertie en 2003, s’ouvre aux visiteurs avec « Enigma » (Liu Wei, 2014), un labyrinthe de matières quotidiennes (mousses géantes, cordes, toiles) entourant parfois un tuyau à incendie rouge de pompier. La métaphore de la mégalopole inhumaine laisse songeur. Un jeu sur les sens : l’orientation, l’odeur des matières, les jeux sur la couleur verte. L’énigme, c’est un projecteur inutile et bruyant, censé dessiner un carré de lumière, qui utilise le plus d’énergie de toute l’expo. Le miroir est le minotaure : « Portrait d’un imbécile » de Philippe Soupault ?

          Le spéculaire reflète une œuvre simple et réussie, créée pour la Biennale : « Upside down … » (Haegue Yang, Corée du Sud, 2015). Il s’agit d’un remake de « Structure for 3 towers » (Sol Lewitt, 1986) avec 3 cubes de 500 stores vénitiens suspendus éclairés par des néons.

          Quand l’art devient socioculturel avec l’italienne Marinella Senatore, c’est-à-dire sans intérêt et plein de bons sentiments. D’une part « The world community feel good », une création 2015 : une photo des usagers de clubs de lecture des bibliothèques de Vaux-en-Velin et Saint-Cyr-au-Mont d’Or avec les livres choisis (A. Gavalda, A. Nothomb mais aussi M. Darwish, V. Woolf en allemand, etc.) lus (2 écouteurs et chaises). Un avatar du pipeau art relationnel. D’autre part, une photo a saisi une chorale d’aveugles chantant la chanson des canuts, composée par Aristide Bruant, qui évoque la révolte des ouvriers tisserands de la soie à Lyon en 1831 : « Pour gouverner, il faut avoir / Manteaux ou rubans en sautoir / Nous en tissons pour vous grands de la terre / Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre… ». Elle a eu les plus grandes difficultés pour faire chanter la chorale avant les discours officiels lors du vernissage. Des cartels traduisent les paroles en anglais et en braille.

Julien Prévieux accumule dans un humour simplet des balles de golf ou gants de boxe truqués, des raquettes de tennis à double cordage, des baskets à ressorts, la crosse de hockey incurvée pour mieux contrôler le palet et autres inventions qui ont permis à certains athlètes de contourner les règlements pour une « Petite anthologie de la tricherie » (2015, création). Une pluie de voix relate les magouilles sportives. La vaseline trône : « C’est l’aspect corrosif de notre société compétitive », souligne le commissaire Ralph.

          Toujours dans le gadget sonore, le niçois Céleste Boursier-Mougenot, artiste représentant la France au pavillon français aux Giardini à la Biennale de Venise, présente le bruitiste « Aura » (2013-2015). Il utilise comme détecteur « l’aura électromagnétique des portables des visiteurs » à leur passage. « Je ne dénonce rien ! Je fais une proposition, c’est un message de liberté », dit-il. Les averses de noyaux de cerise sur une batterie en noyer sont générées par les mobiles des visiteurs entrant dans le cercle électromagnétique. Bruyant.

A côté, le grec Andreas Lolis a placé son « Permanent residency » devenu « Monument to the Greek » (2014-15, création), un provisoire abri de SDF avec palettes de bois, cartons, plaques de polyester, bois de chantier sculptés en marbre. Ce « monument dédié à la crise grecque » dénonce « le matérialisme » et le « vide de l’existence humaine ». « On peut faire d’autre chose et le nommer aussi ‘modernité’. Jusqu’ici, les sculptures étaient en marbre pour être admirées par les gens. Je montre des cartons, des boîtes et des palettes pour faire découvrir aux gens ensuite qu’il s’agit d’une sculpture en marbre. C’est une manière ‘moderne’ d’expliquer. J’invite les gens à toucher la sculpture. Seulement en touchant on peut comprendre ce qui se passe. Seulement regarder n’est pas suffisant, il faut le sentir. » J’ai demandé s’il était possible de toucher : impossible.

Le néo-Zélandais Simon Denny présente l’installation la plus grande de l’expo, « The personnal effects of Kim Dotcom », 2014. Il s’agit de saisie en 2012 des effets personnels (voitures immatriculées France, un jet-ski, des objets de luxe, une sculpture de samouraï en fer avec des accessoires de voitures moulés) du créateur de Mégaupload, l’escroc Kim Dotcom. Comment exposer ce qui provient du net ? Pas convainquant.

Anna Ostoya, « Yellow, red, blue » (2015, création). Enfin de la peinture mais ici une trilogie très photoshop. Images retravaillées façon « Nu descendant l’escalier » de Duchamp : la manifestation en soutien de Charlie Hebdo place de la République ; Falconetti en bleu dans la « Passion de Jeanne d’Arc » (Dreyer, 1928).

Nguyen Trinh Thi, « Landscape Series #3 », 2013. Photo et diapo : séance diapo autour de la mémoire au Vietnam (blessures cicatrisées, etc.). Préférence pour Coralie Trinh Thi.

Daniel Naudé, « Photos animalières » : photos de vaches à Madagascar, en Afrique. Rapport à l’animal. Inintéressant.

Camille Blatrix (France) avec « Liberté, amour, vitesse », (2015, création) offrirait un travail ironique sur l’objet, ici un distributeur automatique de billets. Bien que s’agissant soi-disant d’hommage direct à Tati, l’humour du distributeur sentimental à la tristesse du monde tombe à plat.

Klaus Weber (Allemagne), « Emergency blanket » (2015, création). En aluminium, un homme en taille réelle est recroquevillé dans une couverture de survie sur un tapis de yoga.

« Clock rock » est une horloge en marbre mais sans indications horaires à balancier.

Les silos sont occupés pour la première fois : les artistes se sont battus pour se les voir attribuer.

Cameron Jamie expose ses totems de céramiques ou terre émaillée tentaculaires et crûment polychromes sur socle de couleur et de formes différentes (2014-15). La salle ovale laisse songer à celle de l’orangerie.

L’artiste international qu’affectionne Bowie, Tony Oursler, a créé pour la Biennale « Weak-classifers » : le silo devient chapelle ou planétarium avec des sièges cosy Fatboy. Des visages (une blonde aux yeux bleus, un black) sont projetés avec, en superposition, les techniques de reconnaissance faciale généralisées comme constellations. La surveillance devient beauté. Le son confine à la poésie sonore avec une partition de paroles.

Otobong Nkanga, une nigériane d’Anvers, offre un simple mais efficace « Weling you go do ? » (« qu’allons-nous faire ? »). Les cordes lient entre elles les sphères de béton car tout est connecté. Pour évoluer, il faut tout bouger. La poésie sonore (« Savez-vous combien nous sommes ? » ; parcours de vie et forces rassemblées) est également présente avec une bande-son à la last poet et un inévitable « I have a dream » de King.

          Au premier étage, Kader Attia, franco-algérien né en 1970 à Dugny et installé à Berlin, ne se foule pas trop avec ses agrafes clouées dans le béton. Réparation, reconstruction avec « Traditional repair, Immaterial injury » (« Réparation traditionnelle, blessure immatérielle », création 2015).

« Réparer l’irréparable » est un labyrinthe cacophonique de bureaux en open space (une table, une chaise, un écran, un casque audio ou deux haut-parleurs) : en une vingtaine d’ordinateurs des interviews de guérisseurs, griots, thérapeutes, praticiens, ethnologues, psychanalystes voire ethnopsychologistes, philosophes, théoriciens, quelques patients aussi, offrent un discours complexe sur les notions de réparable, et donc d’irréparable, telles qu’elles peuvent s’écouter d’une société à l’autre (du Nord au Sud).

          Le Nigérian Georges Osodi esthétise les détritus du downtown ou des bidonvilles de la mégalopole Lagos, symbole du boom démographique et des contrastes abyssaux riches/pauvres. Les photos sont attendues et pourraient, bien qu’établies sur une réalité existante, conforter le discours misérabiliste sur le Tiers-monde, concept du démographe Sauvy.

Le pékinois Guan Xiao présente une installation-pieuvre inintéressante, « One the rest of all » (2015), à l’aide de tubes en aluminium, avec trois sculptures et dix écrans : « Pour moi, les sculptures et les vidéos sont deux médias différents. Il n’y a pas de lien direct, mais il y a incontestablement un lien. Souvent des choses perçues comme contradictoires sont les mêmes choses. C’est notre manque de connaissance qui fait que les choses anciennes soient considérées comme différentes des choses ultramodernes. » Les écrans diffusent en continu des images dénichées sur le net de toutes natures : apparaissent alors un parking souterrain, un œil qui tourne ou « There’s nothing here ». « La vie moderne est une vie remplie de plein de choses. En quelque sorte, c’est la même chose que le vide. Les idées contradictoires : le bien et le mal, le nouveau et l’ancien, l’artisanat et le high-tech, tout cela est pour moi la même chose. »

La roumaine qui vit à New York, Andra Ursuta, a sculpté « Sculptures n°1 et n°2 » (2012). Il s’agit, d’après des images photographiques, de deux statues de marbre de jeunes femmes roms en voie d’expulsion, vêtues de gilets en pièces de petite monnaie (cents obtenus à coups de « ‘xcuse pour la dérang’ »), dérisoires cottes de maille. Son « Commerce extérieur mondial sentimental » est un atroce panneau de basket, flanqué d’un Fritz (« Scarecrow »), la mascotte allemande lors de la coupe du monde de foot, à la place de l’aigle conquérant allemand en guise de panier.

Passons les photos créées pour la Biennale de Marina Pinsky, pour observer l’œuvre facile de Mohammed Bourouissa (création 2015). Des photographies de chevaux, héritage de la frontière et des pionniers américains, sont imprimées sur des capots et autres pièces de carrosserie customisés, symbole de la société américaine, à partir d’un travail sur certains quartiers de Philadelphie (Northwest notamment).

          Le canadien Jon Rafman a construit pour la Biennale une bruyante cabine de visionnage translucide (« Glass troll game ») afin de diffuser d’atroces vidéo dénuées d’intérêts (« Erysichthon », 8’04’’ ; « Community feel good »).

A côté, le taïwanais Lai Chih-Sheng se ridiculise avec une simple icône bureautique symbolisant le contenu multimédia en cours de chargement (« Instant », 2013). Comment perdre son temps devant un écran en général mais aussi devant cette pièce nullissime.

L’Anglais Mike Nelson explique que sa création 2015 est une « œuvre [qui] n’est pas particulièrement apocalyptique. C’est une autre incarnation de mon travail que j’avais commencé à Birmingham avec M6, du nom de l’autoroute qui passe par la ville. À Lyon, j’ai intitulé mon travail alors A7, la route du Soleil. Pour faire cette œuvre, nous avons collecté les pneus crevés et déchiquetés au bord de l’autoroute. Après, je les mets en scène sur des socles de fer et de béton, mais la signification est inhérente à ces objets. C’est un matériel naturel, issu de la terre. Avec ces objets on expose toute l’histoire des empires, des colonies, l’exploitation de gens, l’exportation des matériaux, l’accélération de l’histoire grâce aux technologies, le transport vers l’Afrique, l’Amérique, l’Europe. C’est une combinaison entre Histoire et technologies, jusqu’à ce que cela collapse et explose… et atterrit en tant que résidus au bord de la route, comme des ready-made existentiels. » Duchamp a encore une fois bon dos. Brancusi n’a qu’à bien se tenir !

Encore un étage, le bon, car il sauve le reste. Au gré d’un parcours spacieux, Tatiana Trouvé semble s’inspirer de Charlotte Perriand pour présenter avec force dessins et collages, ses aménagements intérieurs enserrés dans des fers forgés à la Mondrian. A la fois moderne, sur le confort moderne, et en référence à une école désormais classique.

L’allemande Hannah Hurtzig diffuse une vidéo « Ecologie des morts » et « Leçon de nuit n°2 » avec un étrange dîner, entrecoupé de propos philosophiques pointus de la belge Vinciane Desprets en train de faire la cuisine (mort/vivant, cru/cuit). Humour noir assuré sur fond d’effroi. La mort n’est pas tant évacuée de la modernité, elle est conçue autrement.

Le recyclage permet d’accéder enfin aux balcons en jouissant de la vue sur la Saône. En réponse aux détritus qui encombrent la planète, Michel Blazy, né en 1966 à Monaco, fait un usage potager des ordinateurs, des lecteurs DVD, des caméras numériques, des baskets en les transformant en jardinières qui prennent l’air. Un tableau en forme de basket est composé de pulls, pantalons et chaussettes, parfois teints.

Pénétrons enfin dans les installations immersives. L’odorat est le sens qui fait appel au cerveau primaire. C’est l’avenir de l’art contemporain. A l’instar de Penone (« Hypnos » avec ses feuilles de lauriers), Hicham Berrada, né en 1983 à Casablanca et installé à Paris, pour qui « tout existe dans la nature, et que nous en faisons partie » présente « Mesk-Ellil » : « C’est un jardin de nuit, un jardin clair-obscur avec des jasmins à floraison nocturne. C’est la plante qui a l’odeur la plus forte de tout le règne végétal, mais elle ne fleurit normalement qu’à partir de dix heures le soir. Pendant l’exposition, on inverse simplement le cycle jour et nuit pour offrir cet odorat aux visiteurs pendant les jours de l’exposition ». « C’est un jardin de nuit, un jardin clair-obscur avec des jasmins à floraison nocturne. C’est la plante qui a l’odeur la plus forte de tout le règne végétal, mais elle ne fleurit normalement qu’à partir de dix heures le soir. Pendant l’exposition, on inverse simplement le cycle jour et nuit pour offrir cet odorat aux visiteurs pendant les jours de l’exposition. » Il ajoute qu’il fait « des expériences pour montrer ce que l’homme fait sans trop réfléchir. Ici, par exemple, on se coupe de la nature avec une seule espèce dans des terrariums clos, sans prédateurs. Dès qu’on est coupé d’un écosystème, des milliers d’autres problèmes apparaissent et on doit rentrer dans quelque chose d’extrêmement chirurgical qui fait presque peur, avec un contrôle de dizaines de paramètres… ». L’installation en lumière bleutée fonctionne d’autant, grâce à l’écho du travail sonore d’autres pièces à côté. Hicham Berrada a reçu à la Biennale de Lyon le prix de l’artiste francophone 2015. La révolution de jasmin réside encore dans nos têtes.

          L’Égyptien Magdi Mostafa, né en 1982, a construit « The surface of spectral cattering » (2014) avec une vue aérienne et nocturne du Caire à l’aide de 10 000 LED et quelque 23 000 connexions alimentées par quinze sources d’électricité qui reconstituent foyers et édifies. Le tout est baigné dans le noir. Une passerelle est à monter pour admirer plan, cartographie et paysage nocturne. « Cinquante pour cent de l’œuvre sont très réalistes, l’autre moitié, le côté sonore, vous embarque dans un rêve. » La bande-son minimaliste, issue d’un espace imaginaire, évolue d’une insoutenable cacophonie au silence. « Je suis né à Tanta, une petite ville dans le nord de l’Égypte. Pour moi, de déménager en 2000 au Caire, c’était le début d’une nouvelle vie moderne. La troisième vie moderne commençait quand j’ai voyagé et découvert plusieurs capitales internationales. Pour moi, la vie moderne est très liée aux grandes capitales. » « Pour moi, la modernité n’est peut-être ni positive ni négative, mais simplement intéressante. C’est un choix. J’essaie de vous faire méditer à l’intérieur de la technologie, de travailler plus vos sentiments que votre cerveau. » Rien de bien neuf cependant.

L’américain Alex Da Corte (création, 2015) avec « Taut Eye Tau », (« œil tendu par la protéine Tau ») s’inspirerait de Kubrick et Lewitt en réfléchissant sur le bleu, dominant, et le jaune à partir de la maladie des morgellons qui aboutirait à Alzheimer. Vu les installations culturistes et la vidéo d’un cyborg musculeux aux pieds rouges, préférons Alzheimer à Al-Qaïda ! Les bananes, le schtroumpf ne donnent pas la banane. Le son ne sauve rien. Mauvais goût assuré.

Les sculptures « Mid-sentence » (2015) de la suédoise Nina Canell pètent des câbles électriques sous terrains fondus sous la forme de monticules rabougris et désactivés : ils ressemblent, baignés dans du béton, à des bonbons anglais. Le son est amusant au contact éloigné d’autres installations ailleurs qui prennent leur ampleur à leur contact.

Avec le turc Ahmet Ögüt is no good avec « Workers taking over the factory » (création, 2015), ses machines mêlent deux industries lyonnaises : textile et cinéma avec les 120 ans de l’invention Lumière avec pellicule sur machine à coudre, des socles-visionneuses. Un t-shirt, en vente en produit dérivé, clame « 100% sans patron ». Lors de la commémoration de la « Sortie d’Usine » (Lumière, 1895), des personnes arboraient des logos d’entreprises sinistrées comme Fralib’, etc. En partenariat avec l’Institut Lumière. Amène le sourire : ne mange pas de pain.

          Enfin un très bon film, « Landscape for energy » (2014) du taiwanais Yuan Goang-Ming avec des panoramiques par drone sur une musique électro minimale lardée de boîte à musique sur un manège abandonné. Les baigneurs insouciants des plages de South bay à Taïwan, près d’une centrale nucléaire façon Fukushima, se retrouvent en affiche à la Martin Parr. Aussi fort que Gursky mais en film.

Parti à 18h, une femme de ménage actionne un appareil à laver sur sol lisse : la plus belle œuvre, la vie moderne, quoi.

Biennale de Lyon éphémère : passez votre chemin

Nothing at Halle Girard

Cet espace éphémère, dans la tradition de la biennale de la friche, était une ancienne chaudronnerie (1857), devenue un espace de stockage d’essence et de gasoil, reconvertie en espace à paintball, traces de peintures faisant foi, de concert pour les Nuits sonores (Kraftwerk en 2015 avec projection 3D !) pour finir en parcours de BMX puis dans le tertiaire. Une rue peinte comme à Sète, une porte latérale en planche de bois pourris, un haut façon grange. La plus belle œuvre de ce Palais de Tokyo décentralisé, est une grue rouillée d’origine agrippée à l’intérieur. 11 artistes curatés par Hilde Teerlink, virée du Frac Lille pour devenir directrice du Magasin de Grenoble. Comme de bien entendu, pas de « Vie moderne » sans modernité donc sans Baudelaire. D’où le « parfait flâneur », en slalomant entre les putes au bord du no man’s land et les voitures affairées avec le dino, la structure intitulée Musée des Confluences, en point de mire. L’amatrice de Modiano, la sinistre technocrate de la Culture, Fleur Pellerin, serait passée non officiellement, probablement suite aux conseils d’Hollande et Valls pour qui il faut se taper de l’art et leur dire que c’est bien car ils sont sensibles, ces artistes. Passerait-elle car la Fondation Pierre Bergé finance, le même qui file du fric au PS ?

          Une misérable rosace de mousse polyuréthane, « lointains intérieurs » (2015) de Sarah Fauguet et David Cousinard (ENSBA) accueille les visiteurs. Rodolphe, le commissaire d’expos et artiste aux mille crânes, est obligé de prévenir de ne pas marcher sur les dalles blanches crades.

          Ce fut le cas pour une visiteuse happée par les écrans. « Entre chien et loup » (2015, 5’44’’) d’Anne-Charlotte Finel est très réussi avec un grammage noir et blanc façon « Blairwitch » sur le rapport entre les animaux (cerf qui perd ses bois, biches) et la ville proche à l’aube ou au crépuscule. La bande son invite à un envahissement vengeur de la faune (comme les renards ou sangliers à Berlin sur le Kud’am) mais la foulée d’un jogger rassure. En résonance, « Veillée » (2015, 6’33’’) rendent les arbres luisants. Cette lauréate du prix vidéo de la Fondation Sommer issue de l’ENSBA sait créer une ambiance.

D’hideux panneaux publicitaires à LED s’amusent à faire des figures comme si nous étions à Noël. Si ils sont d’Arash Nassiri forçant à s’arracher, sa vidéo « Tehran-geles » (2014, 18’09’’), projetée sur un mur, passionne, grâce à son passage au Fresnoy. Il s’agit de la communauté iranienne à Los Angeles, avec vue de drone sur la skyline, l’entrelacement de routes. Des témoignages d’iraniens sont en décalage avec les vues sur la ville-circuit électronique.

          Une œuvre assez réussie, le gonflé « Gonflable … » (2015) est celle de Vivien Roubaud : des lustres qui virevoltent, grâce à des moteurs, dans des sphères de PVC. Les machines célibataires attirent. Féérique et drôle. Lauréat du prix Révélation Emerige.

          Passons les maquettes indigentes de Mengzhi Zheng, les photos de Pierre-Olivier Arnaud, le poussif « Exsangue » (2015) d’Anne-Charlotte Yver, l’installation lamentable de Rodrigo Matheus, une œuvre ratée « La grâce et la nature » autour de la mouche par Marie-Luce Nadal, pour nous concentrer sur « Can we see well enough to move on ? » (2014, 1’50’’) par le collectif Polar Inertia, né de la scène techno underground, exploite le couloir pour offrir un tunnel avec lumière stroboscopique (attention épileptique). Rappel de la période des raves et des free parties.

          Ils sont 11, comme l’équipe de l’OL en déroute cette année. Plus flanc que flâne.

Docks art faible

          A côté du cube orange (duo d’architectes Jakob et Macfarlane), nouvellement investi par Euronews, se dresse la tête de gondole d’OnlyLyon, siège du groupe GL Events, conçu par l’architecte Odile Decq : chaises et canapés design, Bocuse en gros plan qui sucre les fraises. Pour ma première, bien qu’il s’agisse de la 5e édition, c’était, comme on dit, déceptif, parfois du niveau d’une dernière année d’étude d’Ecole d’art, et encore. C’est parti pour les « solo shows » : une galerie, un artiste, sauf pour White Project (Paris) qui n’a pas tranché entre Laurent Roux, peintre sur carton, avec notamment un autoportrait terminé le jour de l’ouverture, Nicolas Moneim, un ancien des Beaux-Arts de Saint-Etienne qui teint des savons d’autrefois et le Canadien Talwst, qui enferme les contradictions du monde actuel dans de petites boîtes à bijoux. Même les bonnes galeries Chartier (Lyon) et Fille du Calvaire (Paris) exposent des artistes peu convaincants. S’en tirent Alan Goulbourne représenté par la Galerie Louvet (Paris), même si l’alu et la forme font songer à une resucée des années 70 ; l’Allemagne renforce sa puissance avec les troublants portraits peints d’Harding Meyer (Galerie Voss, Düsseldorf) ; les collages d’impressions textiles à partir d’images numériques, suite à une résidence à Pierre-Bénite du Colombien Andrés Eamirez (« LL / A moon garden », Galerie Escougnou-Cetraro, ex Galerie See studio), dont une légitimement achetée par la Ville de Lyon. Thomas Cristiani et Antoine Roux ne cassent pas des briques pour Un-Spaced Gallery (Paris). La cène de l’ENSBA Lyon, représenté par Octave Rimbert Rivière, diplômé des Beaux-Arts de Lyon en 2013, est indigente (bananes pourries, etc.). Reste la belle vue sur le dragon Musée des Confluences de la mezzanine. Du cul qui ne choque même plus avec les photos quotidiennes de Patrick Wokmeni (Galerie Olivier Robert, Paris). Le projet spécifique de Robert Suermondt, proche de l’art conceptuel s’inspirant du cinéma, sauve du marasme. A retenir, d’autant que la jeune galerie bruxelloise a coulé. Reste à se réfugier vers l’hommage à l’abstrait Stéphane Braconnier (1958-2015) qui n’est pas sans rappeler l’Ecole de Nice. Pailhas de Marseille, reviens parmi nous !

Biennale de Venise 2015 : è pericoloso sporgersi

Préférer le billet Intero Special 2days à peine plus cher car tout voir en un jour, Arsenale et Giardini, est quasi mission impossible à moins de voir l’expo Van Gogh à la vitesse d’Artaud.

1-Préliminaires

Le peuple de la Sérénissime « vit dans l’indifférence de la Biennale », confie un élu local. Allergique à la moindre manifestation ostentatoire de l’art contemporain dans la ville, ils se sont battus, sans succès, contre la construction d’un nouveau pont à Venise par l’architecte catalan Santiago Calatrava et ont réussi à faire démonter « Le Garçon à la grenouille », œuvre de l’américain Charles Ray, que la collection Pinault avait installée à l’extérieur de la Punta della Dogana, elle-même concession de seulement 30 ans, remplacée depuis par le réverbère qui préexistait depuis le XIXe siècle. Longue est l’histoire du vandalisme, Napoléon n’étant pas tendre avec Venise.

1.1 chiffres

Evacuons les chiffres : 89 pays (contre 58 en 1997) ; 136 artistes dont 89 qui exposent pour la première fois ; 16 artistes viennent de pays africains. 159 œuvres, un nombre exceptionnellement élevé, ont été spécialement créées pour la Biennale. 11.000 m2. 44 événements collatéraux. La Biennale, avec près de 3 millions de visiteurs, enregistre deux fois plus d’entrées que le palais des Doges. La 56e Biennale de Venise sera la plus longue de son histoire car elle a été inaugurée avec un mois d’avance pour la faire coïncider avec l’Expo universelle de Milan. La Biennale d’art contemporain de Venise a 120 ans. Elle est confiée pour la première fois à un commissaire d’origine africaine.

Si le Vatican est présent pour la deuxième fois, outre les pays nouveaux venus (du Mozambique à l’île Maurice, de la Mongolie aux Seychelles), la Biennale marque le retour de vieux candidats, comme l’Équateur (absent depuis 1966), les Philippines (depuis 1964) et le Guatemala (depuis 1954).

Un Lion d’or a été décerné au Ghanéen El Anatsui à la Biennale de Venise. Voilà pour le dossier de presse.

1.2 piments

Evacuons les scandales :

1.2.1 décès

Jane Farver, longtemps curateur du Queens Museum, qui travaillait sur l’œuvre et le catalogue de Joan Jonas, artiste présente à cette Biennale au Pavillon américain, rebelle féministe, réputée proche de Richard Serra, a disparu brutalement.

Le peintre allemand Ekkehard Drefke s’est noyé en glissant dans le Grand Canal lors d’un repérage vers le Palais des Doges.

1.2.2 mosquée no, mosquito si

L’expo du pavillon islandais dans l’église désaffectée datant du Xe siècle, Santa Maria della Misericordia, où l’artiste suisse Christoph Büchel a recréé une mosquée en action avec tapis de prière, salle d’ablutions, mihrab (la niche de prière indiquant la direction de La Mecque) et minbar (la chaire du prédicateur) a été fermée pour désordre public car la communauté musulmane, avec qui l’artiste a travaillé, venait prier. Souvenir de la bataille de Lépante où Cerventes perdit une main gauche ?

1.2.3 parce que Danh Vo bien

Le vietnamo-danois Danh Vo, traumatisé par le catholicisme, est le commissaire du pavillon Danois et de l’expo « Slip of the Tongue » chez Pinault, alla Punta della Dogana, réhabilitée de façon épurée par l’architecte japonais Tadao Ando, où il scie l’embase d’une Vierge en bois de l’entourage de Nino Pisano (XIVe siècle) pour l’emboîter dans le fragment d’un sarcophage romain en marbre du IIe siècle également retaillé. Il débite un torse grec d’Apollon (IIe siècle) pour l’enfermer dans une boîte en bois.

1.2.4 YBA in YMCA

« Allez voir le pavillon anglais : exceptionnel ! » s’esclaffe François Pinault. Sarah Lucas, figure de la YBA (Young British Artists) Generation, n’amuse qu’elle-même avec ses corps féminins nus tronqués appuyés sur des cuvettes de chiotte, cigarettes plantées dans l’anus dans un pavillon Grande-Bretagne total look jaune vif. Notre princesse des élégances a invité un duo féminin explosif punk, « 100% Beefcock & The Titsburster » (« 100% queue de bœuf et l’exploseur de nichons »). La mort du « Colonel » Kurt a enterré le revival punk. « Trop sage, pas assez naughty girl » selon Anish Kapoor.

1.2.5 Crimée

Panique au Pavillon russe, foi de Mistral, lorsque des artistes ukrainiens sont venus en treillis avec stickers « on vacation » (en vacances), occuper pacifiquement les lieux lors du vernissage de l’artiste Irina Nakhova. En 2013, le pavillon avait été envahi par des militants gays. Les ukrainiens exposent dans un pavillon transparent à l’arrivée du vaporetto arrêt Giardini : « Hope ! » avec l’équipe de la Pinchuk Foundation de Kiev.

1.2.6 tchin-Chine

Enfin, le Kenya, déjà coutumière de la chose à cause de Paola Poponi, et la République de San Marino présentent dans leurs murs les œuvres d’artistes uniquement chinois. L’argent n’a pas d’odeur.

2- Sombre est le monde qui sombre

« All the World’s Futures », soit « Tous les futurs du monde », expression passe-partout dans un contexte mondialisé à force de globish, par le curateur américano-nigérian Okwui Enwezor, formé à la New Jersey City University, directeur de la Haus der Kunst à Munich, commissaire de la Documenta XI en 2002 à Kassel, de la Biennale de Séville en 2007, de la Triennale de Paris en 2012. Le commissaire s’inspire « d’un paysage mondial à nouveau brisé et en plein désarroi, marqué par des troubles violents et paniqué par les spectres de crise économique ». Trois sous-chapitres: « Le vivant : une durée héroïque » ; « Jardin du désordre » et « Capital : lecture en temps réel ».

Le côté positif est l’introduction en masse de pays dits émergents au sein dei Giardini et à l’Arsenale (le In). Ils ne sont plus cantonnés dans le reste de la ville. La peinture et le dessin sont également présents, les photos et les vidéos sont envahissantes, souvent pas pour le meilleur.

2.1 guerres à tous les étages

« Diverses époques ont eu ainsi leur grand conflit, qu’elles n’ont pas choisi, mais il faut choisir son camp » (Guy Debord, « In girum imus nocte et consumimur igni », 1978)

La prise en compte du monde actuel est prégnante grâce à une vision politique assumée : la guerre est omniprésente avec, à l’accueil de l’Arsenale, les couteaux-nymphéas d’Adel Abdessemed en écho aux néons « War » « Death » « Pain », du « Raw War » datant de 1970, acmé de la guerre du Vietnam, de Bruce Nauman ; « L’ambassade », 1973, un court métrage de Chris Marker sur la prise de la Moneda au Chili, un film projeté en hommage à la très politique Biennale de Venise 1974 qui commémorait ce triste évènement ; n’eut été un cartel indigent, les cinq écrans avec ballon crevé de la cinéaste belge Chantal Akerman, « Now », installation provenant de la collection du Jewish Museum de New York, évoque le conflit israélo-palestinien, par l’utilisation de la vitesse d’un paysage qui défile et une bande-son rugueuse ; Gonçalo Mabunda, célèbre pour avoir transformé en sculptures les armes de la guerre civile qui a ravagé le Mozambique; les vidéos tournées clandestinement, entre documentaires célébrant la vie quotidienne des Syriens ordinaires et logiques d’auto-production avec l’esthétique idoine, par le collectif syrien Abounaddara, etc.

Un Lion d’or politique remis à l’Arménie, sise sur une île éloignée (San Lazzaro degli Armeni, pavillon monté par la mécène Adelina Cüberyan von Furstenberg), à l’heure de la commémoration du génocide arménien, est un peu gros. La bien-pensance est tenace avec un Sarkis présent tant chez les turcs que chez les arméniens avec deux grands arcs-en-ciel de néon. Amen.

Dans le pavillon serbe, Ivan Grubanov expose des drapeaux amassés tels des chiffons destinés à recueillir un mélange de couleurs sur l’horizon des murs immaculés où figurent les dates de naissance et de mort de ces « United Dead Nations », parmi lesquelles figurent celles de l’empire Ottoman (celui qui dura le plus longtemps), de la Yougoslavie (1918-2003), de la RDA (1949-1990), de l’Empire austro-hongrois (1867-1918).

La guerre est intérieure aussi au Vénézuela avec des cagoules de cartel ou de guérillero dans des films qui valent à peine une présentation de fin d’étude aux Beaux-arts. A côté, un inévitable jeu sur les signes indigènes, barque à l’appui. Du pavillon Israël, nous ne retiendrons que les pneus sur le pavillon, une manière intelligente de se distinguer.

Même l’excellente Jenny Holzer ne convainc pas au Museo Correr, en collaboration avec la Fondation de l’Art Ecrit de Frankfort, avec les grandes toiles de la série « War Pantings » où elle utilise des documents anti-terroristes et militaires déclassifiés des Etats-Unis comme fondement de sa réflexion artistique. Une autre œuvre, incongrue dans ce musée, dénonce le big brother qu’est devenu internet. Dommage que la porte d’entrée du couloir NTIC soit cassée, surveillée par des gardiens rochons : réparer ne doit pas être dans le programme.

2.2 échouer

Difficile de ne pas évoquer les vagues actuelles de migrants, a fortiori en Italie : les valises entreposées du « Western Wall » de l’Italien Fabio Mauri en 1993, un artiste à la marge de l’Arte povera ; le photographe Tobias Zielony expose dans le Pavillon Allemand (« Fabrik » ) des coupures de journaux africains et diffuse un reportage au cours duquel il a suivi des réfugiés illégaux, notamment érythréens, manifestant sur les toits de Berlin ; l’algérien Massinissa Selmani dessine, en s’inspirant d’images d’actualité – des réfugiés syriens, par exemple ; les belles cartes géographiques peintes en pointillés colorés par Tiffany Cheung reflètent l’accélération des déplacements de réfugiés ; l’hymne allemand interprété par une chorale de réfugiés africains chantant chacun dans leur langue maternelle, dont le yoruba, une œuvre du Nigérian Emeka Ogboh ; la bannière du collectif Gulf Labor alerte sur les conditions de travail déplorables des ouvriers asiatiques sur le chantier du futur musée Guggenheim d’Abou Dhabi. Chez un particulier, Palazzo Donà Brusa, nous traversons la cuisine dans un Pavillon privé Campo San Polo(-nais) pour aboutir au destin d’un esclave moderne qui fait le ménage : « Dispossession ». Le fameux « plombier polonais » n’est pas loin.

2.3 le retour du refoulé

Si, certes, l’esclavage était et est atroce, nous renvoyer dans les dents systématiquement un retour de boomerang hargneux fatigue, d’autant que les acteurs des conflits actuels (selon l’arc sunnite/chiite, Daech au Moyen orient et en Afrique qui recrute des occidentaux qui commettent les pires atrocités ; à noter que le pays d’origine du commissaire, Enwezor, est celui qui est envahi par boko haram ; l’interland asiatique avec les talibans et les tchétchènes, sans évoquer l’eurasisme prôné par Poutine, en accord avec Pékin) épousent le même discours. C’est oublier également que certains africains du Nord ont été également d’affreux esclavagistes à l’encontre de l’Afrique sub saharienne. Tablons toutefois sur une soit disant prise de conscience de visiteurs qui ignoreraient l’ignoble traite des noirs tant ils vivent sur une île par temps de mondialisation, elle-même génératrice d’autres types d’esclavages.

La pièce la plus réussie est le film de l’écrivain ghanéen John Akomfrah, « Vertigo sea » : la triple projection relate l’échouage de bateaux négriers et d’esclaves les fers aux pieds, la noyade des boat people vietnamiens, le massacre des bébés phoques. Cette dénonciation, nécessaire, aboutit à une bonne conscience politiquement correcte assez dérangeante in fine tant dans sa forme que dans son contenu.

Les poncifs sur l’Afrique sont produits par les artistes dits indigènes eux-mêmes, pas besoin de la bonne conscience occidentale en phase (post-)colonialiste : l’art de la récupération au pavillon Angola au Conservatoire ; les toiles de jute déchirées tissées ensemble du ghanéen Ibrahim Mahama le long d’un couloir monumental entre deux murs de 10 mètres de hauteur au sortir de l’Arsenale ; le dessin d’animation d’une femme forcément épuisée sous le poids du monde de la Kényane Wangechi Mutu, artiste soutenue depuis longtemps par le commissaire Enwezor ; le pavillon Belge, le premier construit (1907), exposent des artistes indigents autour de l’histoire sanglante du Congo « Personne et les autres » (musique du cru, foutoir, etc.).

A propos d’indigène, on ne coupe pas à l’art du cru mâtiné de sociétal, « Le Temps de la mauvaise façon » : Fiona Hall expose des œuvres réalisées avec des tisserandes aborigènes de façon muséale. Atelier macramé exotique. Moi qui suis féru d’art aborigène, je n’ai pas du tout accroché. Dommage, d’autant que le Pavillon australien, le dernier construit, est un superbe grand parallélépipède noir inspiré des sculptures minimalistes de Richard Serra. Nous préférerons le hall à Hall !

La vidéo panoramique des polonais C. T. Jasper et Joanna Malinowska « Halka/Haïti, 18° 48′ 05″N, 72° 23′ 01″W », inspiré du « Fitzcarraldo » de Werner Herzog, donne à voir longuement un « Halka » en plein air en Haïti. Bon, so what ?

La mise en évidence du racisme fascine avec les grands dessins au graphite et à l’encre de l’Américaine Lorna Simpson. « True Value » joue sur le stéréotype de la femme noire comparée à un félin. « Three Figures » rappelle les émeutes raciales.

Le caricaturiste danois Lars Vilks résume tout : « Les artistes africains qu’on voit ici ne sont pas transgressifs. Ils obéissent aux règles édictées par l’Occident. Et c’est l’assurance du succès. Ici, avec le blanc-seing d’un commissaire d’exposition réputé, on se dit que c’est de qualité. Ils peuvent être lancés, mis sur le marché ». Le commissaire Enwezor serait-il l’alibi d’un Occident qui l’aurait adoubé pour mieux se laver les mains de ses actions sur un continent ?

2.4 das Kapital

Dans le même ordre d’idée, dénoncer le capitalisme alors que la publicité a été énorme autour de l’achat (30 millions d’euros par Pinault aux galeries Gagosian, Thaddaeus Ropac et White Cube ; la Biennale est un immense marché où une dizaine de collectionneurs, arrivés en yacht de préférence, font la loi et imposent leur – et donc le – goût) des huit immenses toiles de Georg Baselitz, autoportraits inversés, superbement exposées comme dans l’abside d’une cathédrale en fin de parcours à l’Arsenale, alors que le tout sent le recyclage d’argent sale à plein nez, c’est un peu fort de café stretto. En 1980, les sculptures de Georg Baselitz accompagnaient les peintures d’Anselm Kiefer… Maintenant, c’est Hans Haacke, avec un voile bleu au milieu dont on ne voit pas le rapport avec la choucroute. Le manque d’explications est évident. Ce sont les merveilleuses photos (bourse, grandes surfaces, etc. ) d’un artiste inconnu qui attirent l’attention : Andreas … Gursky !

C’est Canadissimo (BGL) avec un dépanneur (épicerie) à l’identique ; un atelier de peinture qui laisse songer à celui de Bacon. Passé un atroce échafaudage, chacun compose une fresque à partir de pièces de monnaies lancées dans un jeu de domino. Ludique.

Escrime au bord de l’eau avec des asiatiques façon skywalker avec des fibres de verre démontables.

C’est un pavillon grec laissé en l’état où Maria Papadimitriouis transplante la boutique qu’un artisan de Volos en faillite lui a cédée pour qu’elle puisse alerter le monde. C’est une parodie, bien composée, avec motion capture entrecoupée de breaking news sur un drone maléfique, dans un cube froid façon Tron dans un pavillon allemand. Dommage que le public reste passif sur des chaises longues avec une odeur de terrain de tennis synthétique ; l’interactivité aurait été intéressante. C’est l’œuvre, égale à elle-même dans la laideur, du suisse Thomas Hirschhorn, hanté par l’éternelle flemme, en nous épargnant les odeurs de pneu. Sa dénonciation tombe comme d’habitude dans le vide en confortant le système dans lequel il s’insère. Ce sont, malgré de banales maquettes autour, les saisissantes photographies de Walker Evans pendant la Grande dépression, déjà vues au RIP d’Arles. Ce sont les chansons populaires et des textes issus de luttes ouvrières dans les travaux de Jeremy Deller et Charles Gaines : tiens, c’est la « Carmagnole » qui passe ! C’est la perf’ à l’Arena à partir de Luigi Nono, « Non Consumiamo… (à Luigi Nono) », un leitmotiv sorti de « Musica-manifesto no1 : un volto, del mare ; Non consumiamo Marx », une œuvre de Luigi Nono conçue à partir des protestations qui accompagnèrent la Biennale de Venise en 1968.

C’est « Kapital » (2013), une vidéo sur deux moniteurs d’Isaac Julien sur un dialogue avec le théoricien marxiste David Harvey en 2012. Le commissaire explique que cette lecture « fouillera dans « l’état des choses » et questionnera « l’apparence des choses », se déplaçant de l’énonciation gutturale de la voix à la manifestation visuelle et physique entre les œuvres d’art et le public. » Ben voyons. La dernière œuvre d’Isaac Julien à Venise était commandée par Rolls-Royce … C’est la lecture de « Das Kapital » de Karl Marx, « une épopée, comme l’Akhand Path des Sikhs qui se récite sans discontinuer » selon Enwezor. Cela fait rire quand l’on voit que des pays pauvres ou en faillite (cf. Pavillon espagnol à coup de … Dali et … Amanda Lear entourés de jeunes obnubilés par la question du genre alors qu’Almodovar a déjà tout dit dans la movida) se ruinent littéralement pour exposer à Venise. Sans parler des personnes payées au noir par le pays du Pavillon national, souvent des artistes eux-mêmes, travaillant dans la Biennale pendant plusieurs mois.

Un pays inconnu : une marque de montre suisse (« In Switzerland they had brotherly love – they had 500 years of democracy and peace, and what did that produce ? The cuckoo clock. » Orson Welles/Harry Lime dans « Le troisième homme », « The third man », Carol Reed, 1949), mécène officiel. Un pavillon comme un revêtement de tuyau de clim’, façon serre andalouse dans « 2001 », qui abrite des belles fleurs technologiques par Vasconcelos, une portugaise née à Paris, comme son nom l’indique.

Switcher en se sustentant d’un witch dégueu au milieu d’un beau mobilier d’un design italien connu en buvant un café d’une marque de café bien connue. Discuter avec une spécialiste française de l’art brut qui vit à Taiwan, visitant la Biennale depuis 16 ans. Elle est déçue par le pavillon central ai Giardini. Ruminer que le capitalisme, grand Moloch, remâche tout car fondé sur le désir.

3- Un peu de beauté dans ce monde de brut

Dénoncer, c’est bien. Faire œuvre en même temps, c’est mieux.

3.1 Asie en force

Le pavillon japonais fait l’unanimité : dans « The Key in the hand », Chiharu Shiota a fait pendre pendant 2 mois 400 km de fil rouge avec plus de 100 000 clefs suspendues. Une mère a apporté les clés de son voyageur de fils, décédé. Les barques sont une transition de la vie à la mort, plus côté shinto que grec (Achéron). Certains évoquent les bateaux échoués de migrants en Méditerranée ou ailleurs, pourquoi pas. Simple et évocateur. Certainement le Lion d’or du public : ce prix devrait être créé. Glenn Lowry, le puissant directeur du MoMA (Museum of Modern Art), est resté longtemps en arrêt. De Mircea Cantor, l’artiste franco-roumain, prix Marcel Duchamp en 2011, à Guy Bärtschi, le galeriste genevois, de Georgina Adam, plume redoutée du « Financial Times » à Nicolas Bourriaud, directeur lourdé des Beaux-Arts de Paris, tous se sont arrêtés pour contempler l’installation.

L’œuvre n’a toutefois pas pu être admirée dans des conditions normales car le toit était en réparation en plein jour. La pièce, normalement plongée dans le noir était … lumineuse. Enfin, à chaque instant, la structure risque de s’effondrer, comme l’indique les nombreuses fissures aux murs trop fins.

La Corée fait coup double avec un pavillon ai Giardini, « The ways of folding space & flying » de Moon Kyungwon & Jeon Joonho, une œuvre futuriste totale rappelant Kubrick sur fond de taoïsme (chukjibeop, bihaengsul), seule commande – où une femme solitaire aux airs robotiques évolue dans un univers blanc clinique – répondant finalement au thème général imposé, et un magnifique pavillon privé « Dansaekhwa » au Palazzo Contarini-Polignac (attention : jusqu’au 15 août !), avec Lee Ufan (1936-), autour de l’art abstrait, minimal et monochromatique de Chung Chang Sup (1927-2011), Chung Sang Hwa (1932-), Ha Chong Hyun (1935-), Kim Whanki (1913-1974), Kwon Young Woo (1926-2013) et Park Seo Bo (1931-), maître de Lee Ufan, dont les œuvres proviennent du Musée privé Samsung. Les amateurs se pressaient, lors du dîner féerique offert par la galerie Kukje (littéralement « international »), pour acquérir leurs œuvres minimalistes dont la cote va exploser, au-dessus de 500 000 dollars. Passionné par l’Art déco, le couple Américain Gary et Nina Wexler ne jure plus que par Ha Chong-Hyun, qui pousse sa peinture derrière la toile, ou les écritures systématiques de Park Seo-Bo. Un Lee Ufan lui-même pas très inspiré au regard de ses intéressants confrères.

Au magnifique Palazzo Morosini, propriété d’une banque italienne connue, Zheng Guogu et le Yangiang Group, déjà vus à la Biennale de Venise 2003, à Documenta XII en 2007, à la Biennale de Lyon 2009 et à la Triennale d’Auckland en 2013, transforment une ancienne usine de chaussures en faillite en installation où la cire blanche recouvre chaussures, étagères, travail à la chaîne et volonté mercantile d’une épaisse couche de cire neigeuse (« Last day. Shop of frozen entities »). « Das Kapital Football », un océan de très gros ballons sur lesquels les citations de Marx sont écrites en chinois, laisse perplexe. Un vigile surveille de façon comique. Plus loin : « Nietzsche is dead ! Suicide after sale ! …» Bon, bon.

A noter que la présence des chinois s’étend également à l’Arsenale en tant que pavillon national In croissant d’année en année. Jusqu’au café Florian avec une belle œuvre, bien intégrée, de miroirs, qu’une femme de ménage s’échine à nettoyer, où les clients peuvent consommer dans une étrange atmosphère de palais des glaces versaillais.

3.2 turpein !

La Roumanie est représentée par Adrian Ghenie, né en 1977. Il peint (oui, de la peinture, enfin ! Cela existe encore ! Ouf !) : des autoportraits ; des portraits de Charles Darwin, d’autres d’Hitler et de Lénine ; de grandes compositions qui tiennent du paysage dont une vue d’un sous-bois de bouleaux enneigé (« Miniature persane ») par temps d’apocalypse. L’une des œuvres les plus connues de l’artiste trône : « Les Funérailles de Duchamp II » (2009). Le corps est allongé parmi les couronnes de fleurs et de feuilles, les draperies et les plissés, peu reconnaissable. La toile est délibérément inachevée. Avec ses tableaux travaillés au couteau, Bacon n’est pas loin.

La beauté, c’est aussi « Land sea » de l’irlandais Sean Scully, une valeur sûre, au Palazzo Falier, la fenêtre donnant sur le Grande Canale. L’odeur de la peinture à l’huile se mêle aux exhalaisons iodées de la lagune. Les peintures monumentales ont été réalisées spécifiquement pour l’occasion. Une intégration parfaite avec Venise. Rêvons d’une expo Rothko/Scully.

3.3 nature

Rêvons « Rêvolutions » au Pavillon français avec Céleste Boursier-Mougenot, un sétois, ancien compositeur de la compagnie « Side one posthume théâtre » de Rambert. Il nous avait réjouis avec « From here to ear » à la Biennale de Lyon 2013, avec des oiseaux dont les déplacements sur des cordes de guitares sauce perchoir produisaient de la musique. Ici, dans la lignée de la « Troisième révolution industrielle » de Rifkin, les arbres, des pins sylvestres, se meuvent sur roulettes dans leur motte de terre grâce à l’émission de leur propre énergie (leur métabolisme, la circulation de la sève et leur sensibilité au passage de l’ombre à la lumière) à bas voltage ou courant différentiel à basse tension. Avec ce principe de transmutation, du son est émis par l’interaction entre les arbres ainsi que leur comportement dans et avec la nature, à savourer assis par terre dans une ambiance que Terry Riley ou La Monte Young n’auraient pas reniée. « J’aime rendre perceptibles les choses invisibles qui nous entourent, un peu comme un médium », explique l’artiste, en confiant s’être inspiré « des théories du botaniste Francis Hallé pour qui les arbres ont des émotions et sont capables, par exemple en cas de stress, d’émettre des composés organiques volatils afin d’avertir leurs semblables ». Un mécène australien a mis la main au porte-monnaie. A retrouver également à la Biennale de Lyon en septembre.

Dans le Pavillon américain, Joan Jonas, représentée par la galerie Yvon Lambert, qui a mis la clef sous la porte tant Yvon est dégoûté du monde actuel de l’art contemporain, est une artiste célèbre, pionnière de la vidéo et de la performance de la fin des années 60. Je n’ai pas été sensible à ses installations vidéo, composées également de dessins, d’objets et de sons, à l’univers parfois enfantin, en lien avec les ateliers que l’artiste mena dans des écoles new-yorkaises, en relation avec la nature.

Dans le trip nature (culture/nature, tradition/modernité), la « Città irreale » du petit jeune Mario Merz, dit Capt’aine igloo, à la Gallerie dell’Academia expose (1966-1994) ses inévitables espaces virtuels à partir d’éléments pauvres comme pain, fils de fer, néon et verre cassé. 8 igloos dans un couloir. Aucune surprise.

Herman de Vries (1931-), le néerlandais dans un pavillon allemand offre « To be all ways to be », entre land art, herbier et Pennone, sur fond de Gassendi, jeu d’odeurs naturelles compris (rosa damascena), ponctué de poésie visuelle. Possibilité d’accéder à la Madonna del monte en vaporetto. Des asiatiques s’extasient à coup d’appareils photos devant un pauvre scarabée vivant échappé du bosquet : la nature peut être plus belle que l’art – cf. Jan Fabre.

               Au Pavillon Aalto de la Finlande Visa Suonpää et Patrick Södelund (IC-98) nous plonge dans le noir afin d’accéder à une magnifique vidéo contemplative « Abendland hours, years, aeons » où la nature est exaltée en un panthéisme rehaussé par la musique de Max Savikangas.

3.4 des sens

               La suisse Pamela Rosenkranz envelopperait dans un délicieux rose laiteux un parterre d’eau avec une odeur de peau de bébé. Le vert végétal serait par endroits produit par la lumière et le rose chair par une salle remplie d’eau colorée. Bien que doué d’un odorat fin, rien senti. Probablement daltonien aussi. Passé complètement à côté, peut-être la pluie a-t-elle altérée l’œuvre. A cause du manque de geyser genevois ?

Côté odeur, « The dialogue of fire. Ceramic and glass masters from Barcelona to Venice » au Palazzo Tiepolo Passi, près de l’arrêt de vaporetto Sa’ Toma. Des flacons de parfums, avec échantillons, en verre de Murano, odeurs vénitiennes en prime. Nombreuses assiettes peintes par Joan Brossa, Roland Topor et bien d’autres. Des coussins de verre où il est impossible de se lover tant l’envie pointe. Ponton sur la lagune : un trafic de fou d’où « Nave no » ou « venezia è una laguna » sur des banderoles pendues à des balcons de particuliers).

Le pavillon Pays nordiques (Norvège) ai Giardini présente de belles architectures de verres brisés de l’afro-américaine Camille Froment, « Glass harmonica », avec concert façon Björk comme à la cour de Marie-Antoinette mais, heureusement, sans Sofia Coppola. Un retour contemporain vers la Venise du XVIIIe.

Du verre toujours, avec l’excellente expo payante « Glastress Gotika » dans le magnifique Palazzo Loredan, celui d’un banquier du XVIe, transformé en Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti. Au milieu des illustres Murano lustres, des commandes spéciales en verre sont en résonance avec des pièces provenant de l’Hermitage (armes, bijoux, heaumes). Ainsi ces casques de tortures en verre remémorent Abou Ghraib. – Cette pièce paraît beaucoup plus pertinente que ce qui est présenté au Pavillon Irak dans la Cà’ Dandolo près de l’arrêt de vaporetto Sa’ Toma (une vidéo de réactions au discours de T. Blair ; des belles photos noir et blanc) – . Wim Delvoye s’en donne à cœur joie avec son vitrail d’x. Un russe réalise un magnifique lustre … de moules de caméras de surveillance « Big Brother ». En haut, l’ancienne banque est transformée en banque de semences afin de sauvegarder les espèces, clin d’œil aux anti-Monsanto, une alerte écolo. Plus bas, passées une bibliothèque de tranches de livres en verre par un chinois et une mandibule géante, des russes projettent une vision guerrière SF, entre la saga « Starwars » et « Blade Runner » (Ridley Scott, 1982). La Russie a d’ailleurs l’un des pavillons les plus réussis ai Giardini avec une dame, de la clique d’Ilya Kabakov – ce dernier étant présent à « Glastress Gotika » – qui offre un panoptique/panorama avec vitraux en panoramique en jouant sur la persistance rétinienne et sur la hauteur.

L’Autriche est très « less is more ». Heimo Zobernig gomme l’architecture avec arche de Josef Hoffmann et Robert Kramreiter à l’aide d’un vaste plafond noir et un sol qui a été nivelé et noirci. L’artiste a renoncé à placer la seule sculpture qu’il avait envisagée. L’ouverture à tous vents oblige le gars payé au noir à tout nettoyer quand il pleut. Un pavillon qui fut parfois plein à craquer d’œuvres exposées.

Fi des nationalités, l’écrivain russe Vladimir Sorokin, avec « Genia Chef », renverse la perspective en créant le pavillon de « Telluria », un pays qui n’existe pas.

4- Il conto per favore !

Plaisir de retrouver un artiste argentin vu à la Biennale de Lyon 2013 : l’intrus continue à s’occuper d’aéromodélisme grâce au balsa et au plastique.

4.1 en marge

Chez Pinault à la pointe, simple richart dans son Fest-noz accompagné de son art advisor à l’isola San Giorgio Maggiore où les invités sont priés de montrer patte blanche trois fois, de précieux cocons se fabriquent dans un aquarium où les talentueuses larves de trichoptère de l’artiste Hubert Duprat agrègent patiemment les particules d’or et les pierres précieuses qui scintillent autour d’elles, non loin des pages tirées d’ouvrages superbement enluminés par des moines copistes vénitiens mais dépecées et vendues à la découpe par les armées napoléoniennes, à côté d’un Giovanni Bellini, d’« Iris » de Rodin aux cuisses ouvertes, des chandeliers de l’hôtel Majestic, où furent signés les accords entre Américains et Vietnamiens en 1973 ainsi que des œuvres de Lavier (canapé en formes de lèvres rouges géantes dessiné par Salvador Dali, un énorme congélateur, etc.) ou Broodthaers (meuble avec coquilles d’œufs, symboles de la préparation de la peinture classique). « Carnation Milk » est la marque du lait concentré américain que Danh Vo a bu enfant. L’ « Achrome » (1962) de Manzoni, le « Tamerlano » (1968) de Luciano Fabro, les pièces de Tetsumi Kudo laissent froid tandis que « Work » (1961) de Sadamasa Motonaga (Gutaï) intrigue. Envie de plonger du « Powerless structures, fig. 13 » d’Elmgreen & Dragset. Le titre de l’exposition (« slip of the tongue » signifie lapsus, langue qui fourche) est emprunté à celui de l’une des œuvres de l’artiste Nairy Baghramian, née en 1971, dont sont présentées trois installations peu marquantes. Ce panorama laisse sceptique malgré les valeurs sûres. « De toute façon, on traverse une époque comme on passe la pointe de la Dogana, c’est-à-dire plutôt vite. Tout d’abord, on ne la regarde pas, tandis qu’elle vient. Et puis, on la découvre en arrivant à sa hauteur, et l’on doit convenir qu’elle a été bâtie ainsi, et pas autrement. Mais déjà nous doublons ce cap, et nous le laissons après nous, et nous avançons dans des eaux inconnues » dit la voix sur un travelling sur l’eau au travers della Punta della Dogana où suivent les portraits des dadaïstes en groupe, du cardinal de Retz et du général von Clausewitz dans « In girum imus nocte et consumimur igni » de Debord qui fit se dérouler la VIIIe Conférence de l’Internationale Situationniste à Venise.

Délaisser le Palazzo Grassi avec les néons de Raysse, déjà rassasié de « Nemausus », la fontaine à Nîmes et de ses expos au Carré d’art.

Pour happy few, car Venise sera toujours Venise, l’hôtel Marriott, construit par Matteo Thun, repose sur une terre artificielle, l’île des Roses, sortie des eaux au XIXe siècle. De nombreuses pièces sont disséminées dans le jardin. Comment y accéder sinon en bateau-taxi ? très démocratique !

Moins loin et desservi par le vaporetto, la fondation Cini, sur l’île San Giorgio Maggiore. Elle présente plusieurs expositions, dont celle d’Enki Bilal, « Inbox », nouveau venu à la Biennale : chambre noire, immersion, images floues. Avec le soutien de la maison de vente aux enchères Artcurial.

A côté, le photographe japonais Hiroschi Sugimoto, connu pour ses clichés noir et blanc, a réalisé sa première œuvre architecturale, le « Salon de Thé Mondrian ». Conçu pour faire écho au Stanze del Vetro (« les chambres de verre »), une installation culturelle dédiée à l’art du verre qui se trouve sur la même île, ce pavillon de verre s’inspire des principes édictés au Japon au XVIe siècle pour la construction des salons de thé. Il se compose de deux structures : une cour ouverte et un cube de verre lumineux, dans lequel le maître de thé peut officier pour deux invités.

La Peggy Guggenheim Collection (« Energy made visible ») expose les toiles monumentales de Jackson Pollock (« Mural », 1943) et examine l’influence de photographes telles que Barbara Morgan sur son « dripping ». Loin le temps où Peggy devait prendre l’alcoolique et dépressif Pollock, peu reconnu à l’époque, sous son aile aimante.

Cette année, à la Galerie d’Art Moderne de Venise et à l’Espace Don Perignon, ce sont 60 œuvres, dont ses 4 dernières toiles, de Cy Twombly, mort récemment, qui sont exposées dans la Sérénissime.

Installée dans le Palazzo Fortuny, l’exposition « Proportio », créée par la fondation Axel & May Vervoordt, propose d’explorer l’omniprésence des proportions universelles dans l’art, la science, la musique et l’architecture : les chiffres sacrés, la suite de Fibonacci, la quadrature du cercle, le Modulor de Le Corbusier. Des œuvres commandées pour l’occasion à des artistes majeurs tels que Marina Abramovic, Anish Kapoor (quatre grands disques concaves au gris de plus en plus sombre, regardent une roche en bronze inspirée à Giacometti par « La Mélancolie » de Dürer), Massimo Bartolini, Rei Naito, Michael Borremans, Izhar Patkin, Maurizio Donzelli, Otto Boll, Francesco Candeloro, Riccardo De Marchi et Arthur Duff côtoient des créations connues d’artistes comme Ellsworth Kelly, Sol Lewitt, Carl André, Agnes Martin, Fausto Melotti Mario Merz et Ad Ryman.

4.2 l’addition

Au total, quelques pépites dans un océan de banalités même si le commissaire prône un « projet dévolu à une nouvelle évaluation de la relation de l’art et des artistes à l’état actuel des choses ». Même le génial Steve McQueen, avec « Ashes » déçoit par un dispositif peu adéquat (projection sur les deux côtés d’un écran), un split screen étant plus pertinent. A l’avers, un pêcheur rayonnant des Grenadines, surnommé Ashes, à l’avant d’un bateau flottant sur les Caraïbes, se pavane. Au revers, deux hommes creusent une tombe blanche avec son nom gravé dessus dans un cimetière à flanc de colline où viennent paître les chèvres, à poser un grillage et à cimenter l’ensemble pour accueillir la dépouille d’Ashes, tué lors d’un règlement de comptes mafieux. Grave. D’après des faits réels : rencontré en 2002, disparu après avoir découvert de la drogue sur la plage.

Le jugement global de Lars Vilks, auquel j’adhère, tombe : «  C’est de qualité, mais c’est aussi à l’arrêt. Il n’y a rien de neuf, rien de courageux ».

L’expo ne fait qu’avaliser une évidence que tous cachent : nous sommes en guerre. Alors nous avons droit à un catalogue des horreurs : Ebola, guerre civile, trafic humain, catastrophe naturelle, destruction environnementale. Pourquoi pas mais l’Arsenale se présente comme une accumulation labyrinthique, pas toujours cohérente.

Flâner dans i Giardini est un plaisir, même si un photographe padouan en free-lance pour des chinois tempête contre le mauvais entretien du sol et de la pelouse suite aux pluies intermittentes. Par ailleurs poser des œuvres de Parreno en néon en plein jour au milieu des chemins n’est peut-être pas la meilleure condition pour voir les figures de l’artiste français.

Découvrir i padiglioni laterali est un must go on : être chez l’habitant sur les pas d’une Venise secrète.

Au centre d’une scène immense avec des gradins sur deux étages, appelée l’Arena, au Pavillon central assez décevant, conçue par l’architecte britannico-ghanéen David Adjaye sur le modèle rectangulaire du Parlement britannique, il est possible de voir des films. Une médiatrice m’assure que Straub et Huet (« Geschichtsunterricht », 1972, « Klassenverhältnisse », 1984 et Fortini/chiens, 1976) sont allemands … Dégât de la mondialisation et de l’arasement. Un Chris Marker est projeté uniquement en anglais …

Si le peintre figuratif écossais Peter Doig, né en 1959, Prix Turner 1994, exposé à la Tate Britain et au Musée d’Art Moderne de Paris en 2008, laisse pantois au Palazzetto Tito, avec ses peintures sombres et tourmentées avec des jeux sur la matière, les variations de texture et d’épaisseur, inspirées du romantisme allemand en confrontant l’homme à une nature sauvage et non-identifiable, teintées de mise en abyme comme les maîtres anciens, c’est le bonheur de rencontrer au hasard d’un workshop le poète sonore et visuel Giovanni Fontana qui explique sa poétique épigénétique. Il évoque au détour son intervention récente lors d’une soirée hommage à Bernard Heidsieck à la Maison de la Poésie de Paris : c’était le seul étranger invité. Il conte sa performance à Rome avec son ami Ennio Morricone pour les 150 ans de l’Unité italienne.

Pour l’ancien directeur du musée d’art moderne de la Ville de Paris et organisateur des « Magiciens de la Terre » au Centre Pompidou en 1989, cette Biennale est « moins novatrice qu’elle n’y paraît, avec beaucoup d’artistes confirmés. Dommage que son commissaire se soit révélé davantage un chien de garde qu’un chien de chasse ». La Biennale peut être résumée par la vidéo « L’Homme qui tousse » (1969) de Christian Boltanski placée dans un recoin du Pavillon central : sur des images tournées en pellicule, un homme, assis au sol, crache et tousse à n’en plus pouvoir. Il étouffe, crache, vomit son sang. A moins que ce ne soit de la peinture rouge. Vain. Un artiste confirmé pourtant. Boris Achour tombe lui aussi à plat. Mais peut-être est-ce dû à la disposition des œuvres.

Bref, il ne pourra pas être affirmé : « Das Kapital » ! « That’s all folks ! ».

http://www.franceculture.fr/emission-la-dispute-d-ete-arts-plastiques-speciale-biennale-de-venise-all-the-world-s-future-2015-08