Poésies au XXIe siècle

« Peste ! La poésie est virale. »

Sceptique de Fos

§ : Les poètes, soit des bons élèves bien appliqués, soit des cancres fiers de leur posture, ne savent que recracher leur leçon – avec huître=crachat ou non. Obligation de clarté, des bons mots, la maîtrise d’une langue unifiée[1], la perfection étroite qui se souhaite, en toute illusion, universelle[2], ou à l’inverse EsotErik Wahl[3], jeu d’étiquettes et entre-gens avec carnet d’adresses, classement sec, chacun dans sa case, sa chapelle, flip flap versus vroum vroum à l’ère du clash, chacun son stéréotype.

La poésie a trop de télomères usagés dans les 242 pg de chromosomes par tête de pipe. Elle a des années-lumière de retard sur les découvertes scientifiques et artistiques, Bessette (GPS avant Giorno) et Heidsieck l’affirmaient déjà.

Créer, c’est ruer dans les brancards donc ne correspondre à aucun créneau voire, encore mieux, de l’inventer : scandalisme© ; poésie polémique, « contre tout contre » pour, même si tout n’est pas bon dans le Chocons. Cabrer barbaque. Fin de la partition fictive prose / vers : roème©, vive l’hybride où chaque forme varie selon le fond. 

*

I

Au pilon, les recueils où la Marquise est à l’heure. Merle moqueur. Préférer Vos yeux d’amour, Marquise me font. Poésie générative ad lib. et post-mortem de Balpe, Play it again, Pim Pam Poum©. Préférez l’heurt. Pas du gâteau, la Marquise. Nulle histoire, caguesangue, pas de narratif[4], surtout pas. Marre de ces bons contes, cruels et genrés, – princes et princesses se marrèrent, vécurent enfant et eurent beaucoup d’heureux – ne faisant pas de bons amis et de bons I am, serinés depuis l’enfance.

Rabelais, il a perdu, certes. Icigo, devine : il[5] sort ses gryphes en publiant Pantagruel et Gargantua ; l’éditeur Dolet en douleurs sur le bûcher. Ripolin® Amyot, Vaugelas, fils de juge : barre-les crie Rabelais. Il ne faut pas pousser la grammaire dans les orties, juste la syntaxe. Poète Flaubert est un pue-la-sueur. Pas de ci pas de ça, la France ne signe pas la Charte des langues régionales. Bretons, Corses, Occitans, Picards et al. Collectionner les brichetons=mots selon. L’avenir de la poésie réside dans les apports des francophonies, Caraïbes notamment[6], Caramba. Caresser la peau du monde – Prigent récuse cette expression –  compte-tenu du paradoxe de Kantor et de l’inadéquation des mots au monde – sens sont dans béances.

II

Création est camera obscura. What’s up, Doc ? L’artiste est anarchique et tire dans le noir, selon Mahler[7], et construit des échafaudages dans le vide qu’il pourlèche. A quand une création artistique quantique ? Etudier les spins des mots par des injections de blocs de sensations. Le poète est-il l’alliancier composant les tissures de phrases protons, avec l’interaction forte entre quarks[8] grâce aux gluons ou les résultats de collisions protons-anti-protons dans un anneau pour hadrons ? Pas assez pertinent, le système standard de physique, trop beau (kaloskagatos), digne de l’astronomie chez Aristote et consorts : trop de matière et d’énergie noires inexpliquées que les mots doivent retranscrire ; les muons ébranlent l’édifice, ce clinamen ou petit grain de sable salutaire. Changer enfin de paradigme. Noir, c’est noir, noir sur blanc.

La basse de Flea des Red hot chili pepper. Etre à sauts et à gambades, avec vitesse à la Tsvétaïeva  en mode urgence, à la façon de l’éborgné à coup d’agrafeuse, Tex Avery – Gimme some more de Busta Rhymes, de blocs piochés dans un Pet words à la Good vibrations des Beach boys, dont Brian Wilson, ou dans le Journal de mes sons de Pierre Henry, des connections inédites du logiciel son en acousmonium de pièces d’Aperghis et de LouBez, de John Zorn, en buvant Eyquem[9], ce célèbre auteur d’un livre sur le rugby[10] sur l’ongle, Les essais, inspirant Proust[11], dont l’intérêt, outre d’interminables descriptions dignes d’un collégien maladroit[12], inspiré par l’historien d’art anglais, éculé jusque dans sa grammaire et sa syntaxe, un skin russe ennemi de Whistler, est la translation de sens et de sensations sur fond, à compte d’auteur avec force complaisances et lobbying[13], de critiques de salons[14] et sexualités[15] en société en mutation, anticipant le sexe des modernes. La modernité est androgyne[16]. Gare ! Montagnes russes avec ou sans cigarette. Mieux vaut profiteroles que paperoles [inserts : copier/coller de Telser ; finie, la génétique des textes]. Jean Sans œil n’a qu’un œil. Proust générera nombre de pseudo – légitimation – en République des lettres. J’ai pleuré quand j’ai terminé La Recherche, dit-elle.

III

Phrase-protée en plasticité du cerveau via les cellules gliales et les neurones-miroirs saisie par le Professeur Simon, Nobel, peintre d’abord, Naccache bono renouvelant, grâce à la neurologie, la théorie de la perception en un Cinéma intérieur[17]. Maître hérisson creuserait le même sillon, soit. Préférer les renards, les éponges à la Picasso, Schwitters, Bowie, Kubrick, la création toujours renouvelée.

La phrase est un système planétaire, avec des trous noirs entre les mots ; être dense comme une étoile à neutrons avant de devenir supernova, avec sursauts Lorimer. Le radiotélescope d’Arecibo s’écroule comme son monde. Des deux mots, choisir le moindre. La modernité, foi de Baudelaire, est fragment comme chez Héraclite Boris, le triunisme de de Duksztat est notre affaire pour la poésie visuelle :

On ne se baigne jamais deux fois dans le même effluve.

On ne se prend jamais une baigne dans le même fleuve.

On ne se bugne jamais dans le même fleuve.

La poésie est admissible si les silences sont malaxés en verbi-voco-visuel[18]. Comme la majoritaire antimatière, le silence creuse les sens puisque le mot n’est que le haut de l’iceberg – tropisme. Colère l’habite – foie. La poésie, à bout de souffle et actuellement sans relève notable, a tenté, dans les années 80 à 2000, de puiser sans succès sa création dans les arts plastiques causant un bref rebond ; le pire étant les plasticiens qui se targuaient et se piquaient de poésie, une catastrophe. Une bombe derrière chaque mot[19]. Arc électrique avant arc créatif[20]. Tout est état de tension partout dedans, comme un oxyMoretti.

Prendre le pourpre, la turbine, la foudre, l’éclair, l’élicie, l’arge, le lanciz : convection de cumulonimbus en enclume – ascendance dedans -, en ligne de grain avec chapelet ; claquage – effet dans plasma – d’isolant à l’état ionisé ; traceurs en double arborescence. TLE=elphes, TGF=flashs gamma ; sprite=sylphe=méduse inverse. Hydroxyles et hydropéroxyles nettoyeurs. Pyronimbus. Purple rain.

Le poète atterré©.


[1] Richelieu, Versailles, jardins Le Notre beaux comme une chatte bien rasée, rien ne dépasse – le vôtre, de plaisir ne comptant point. Exemples devenus désormais anglo-saxons à l’encontre du jardin anglais, faussement profonds genre R. Padgget et Louise Glück.

[2] Le coq, ergots et ego, le seul animal qui chante avec les pieds dans la merde, Coluche avait raison.

[3] De l’art pour l’art comme les Parnassiens jusqu’à A. Zanzotto en passant par R. Char, le Résistant n’ayant jamais rien compris à Heidegger, et Saint John Perse pas très léger léger. 

[4] La cible n’est point Balzac – ce qui ne tient pas chez Robbe-Grillet qui a le mérite, via Kierkegaard, de favoriser la reprise, puisque le texte est tissé, contre la variation – mais Houellebecq et ses écrits classiques post-balzaciens dont sa pitoyable poésie puisant dans le banal et le quotidien, peu pérennes, comme des rapports de sociologie, dont la profondeur et le style simple, empruntés à un domaine désormais supplanté par l’économie appliquée ici au sexe, n’atteindront jamais ceux de l’excellent Bove, sur fond de décadence fin XIXe et, parfois, de la SF.

[5] Viré de l’Hôtel-Dieu pour absentéisme.

[6] Comme l’art africain pour la création des avant-gardes du début du XXe siècle. L’alternative à la mondialisation est, foi d’archipel sur un terrain Glissant, le Toutou-monde.

[7] « Archer qui tire dans le noir. » paraphrasa A. Co[h]en dans sa lettre du 27/03/1978 à D. R. Goitein-Galpérin.

[8] Les scientifiques se sont inspirés de Joyce-qui-dit-oui.

[9] A-t-il été mangé par les poux et la gale voire la vérole dans la tombe du musée de Bordeaux – si il s’agit bien de lui ?

[10] Cette ville où étudia brièvement et avec souffrance Lewis Carroll.

[11] Ni dieu ni maître ni naissance dans son œuvre.

[12] Torturant, selon la légende trop belle – mais comme le suggérait l’irish Ford, imprimons la légende -, un rat avec une aiguille de chapeau dans un bordel homo.

[13] C’est son côté proustitué.

[14] Wharton, ô Hyères, beaucoup plus douée, adaptée par Scorsese pour Le temps de l’innocence avec les ultimes Bass et Hermann.

[15] Un bottin de Qui suce qui ?, voire plus. Quant à Totor, c’est l’ancêtre de Tintin.

[16] Pour en finir avec cette mulierbrité où « Les femmes sont soupières, c’est dire l’importance du plumeau » d’après A. Vialatte.

[17] Cf. Calculs dans Roses et poireaux d’Arno Schmidt. Un nouvel apport concernant les flux de conscience semble décisif comme la première vague au XXe siècle, sur fond de freudisme, avec l’écriture automatique, Faulkner, Joyce et Woolf.

[18] La poésie, par essence intermédia (aède, troubadours, comptines, glossolalie, chanson, poésie sonore, visuelle, électronique) selon Philippe Castellin à la suite de Dick Higgins, utilisant les divers systèmes de communication, se doit de s’opposer à la communication, de l’interroger. Elle est « Une machine de destruction de la langue majoritaire » (Frank Smith, mail du 12/12/18 en réponse à « Qu’est-ce que la poésie au, du XXIe siècle ? »).

[19] « Poète, écris à coups de poing », c’est dans Aus dem leben eines fauns d’Arno Schmidt. « Un crime derrière chaque mot ! » écrit Novarina dans Le drame de la langue française dans Le théâtre des paroles.

[20] « « Amour, cela veut dire : arc / Tendu : arc, corde : l’accord craque. ») ». Poème de la fin, 5, M. Tsvétaïeva.

[Ciné] Benedetta : in godmiché we trust

Personal Jesus

Personal Jesus

« J’ai ce rêve récurrent depuis trente ou quarante ans d’être confronté à une puissance supérieure et maléfique. Le jour de ma perte, c’est-à-dire le jugement dernier, n’est-ce pas ? A chaque fois, je me réveille en hurlant. » Verhoeven est obsédé depuis l’enfance par Jésus. Pentecôtiste pendant sa jeunesse, avec crise de foi à la clé, membre du Jesus Seminar, un groupe d’étude consacrée à la véritable histoire du Christ (Robert Funk, 1985, Santa Rosa, Californie), il a commis un livre sérieux, Jésus de Nazareth (2008). Dans Turkish Délices (Turks fruit, 1973), Olga (Monique van de Ven) tombe sur un lit en imitant la croix ; dans Le Quatrième Homme (De vierde man, 1983), l’écrivain Gerard Reve (Jeroen Krabbé) picole tellement qu’il hallucine au point que son obsession, le bellâtre Herman (Thom Hoffman), se change en Jésus sexy sur sa croix avant d’apparaître mutilé, émergeant des eaux, enveloppé d’un linceul teinté de sang ; l’officier Murphy est démembré façon crucifixion par des malfrats puis marche sur l’eau (RoboCop, 1987). Dans Benedetta, dans une iconographie volontairement sulpicienne, donc kitsch, concurrençant Les Diables (The Devils, Ken Russell, 1971), Jésus décapite avec un glaive, comme dans un péplum du bon vieux temps, des serpents menaçants, se marie en grande pompe avec Benedetta qui a quelques visions lors d’un mystère en s’envoyant en l’air grâce à un système de poulies tout en remuant des jambes, s’approche du Christ crucifié en lui enlevant, à sa demande, le drap tout en constatant qu’il n’a pas de … petit Jésus.

Conditions sine qua nonnes

Le scénariste de Verhoeven, Gerard Soeteman, auteur des scripts de la plupart des films hollandais (de la série Floris, tournée en 1969 avec Rutger Hauer, jusqu’à Black Book, Zwartboek, 2006), lui présente logiquement le livre de l’historienne de Stanford, Judith C. Brown, Immodest Acts – The life of a lesbian Nun in Renaissance Italy (Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne : « Toute nouveauté est dangereuse et toute singularité est suspecte. »). D’après les archives et minutes du procès, la schizo Benedetta, pour qui « C’est son histoire à elle avec son Jésus à elle. », profite, comme dans Basic Instinct (1992), de son autorité pour assouvir son appétit sexuel, sous l’apparence de l’ange Splenditello, sur la jeune novice Bartolomea, violée par l’abbesse. Si Jean-Claude Carrière, avec qui Verhoeven avait tenté de développer son projet sur Jésus à partir de son livre et de L’Evangile selon Saint Matthieu (Il vangelo secondo Matteo, Pier Paolo Pasolini, 1964 ; dans Benedetta, le Buñuel de Viridiana, sur la folie religieuse, Palme d’or cannoise controversée en 1961, plane), a été envisagé, c’est finalement David Birke, auteur du scénario de Elle (2016) qui a été choisi. Les thèmes du « Hollandais violent » Verhoeven sont présents puisqu’ils sont au fondement de la civilisation : violence, désir, sexe, religion, pouvoir. D’où son intérêt également pour « Trump, Caligula et Hitler », un film sur le putsch raté de ce dernier en 1923 est sur le feu.

Une attention est portée à l’accessoire symbolique : un pic à glace dans Basic instinct (1992 avec Sharon Stone, en Catherine Tramell, devenue star) ; ici, un gode « un peu rugueux » taillé dans une sculpture en bois de la Vierge possédée depuis l’enfance, le MacGuffin parfait, le scandale assuré. Il est curieux que, pour un film pour les moins de 12 ans produit par Pathé – il est difficile de ne pas mentionner les producteurs comme SBS car ils sont martelés trois fois -, les catholiques, dont le primat des Gaules, comme par exemple feu Decourtray, manipulé et parti en guerre contre La dernière tentation du Christ (The Last Temptation of Christ, Scorsese, 1988), ne se manifestent pas, peut-être est-ce dû à une sortie estivale. Tant mieux !

Les poules du couvent couvent

Le film de couvent est au croisement de plusieurs courants avec la critique institutionnelle dans Mère Jeanne des Anges (Matka Joanna od Aniolów, Jerzy Kawalerowicz, 1961), La Religieuse de Rivette (1966, énorme scandale amplifié par le performeur J.-J. Lebel), Au-delà des collines (Dupa dealuri, C. Mungiu, 2012), le côté sérieux avec Dans les ténèbres (Entre tinieblas, Almodóvar, 1983), Thérèse (A. Cavalier, 1986, prix du jury à Cannes), l’érotique septante de la nonnesploitation avec le pink Le Couvent de la bête sacrée (Seijû gakuen, N. Suzuki, 1974), Lettres d’amour d’une nonne portugaise (Die Liebesbriefe einer portugiesischen Nonne, J. Franco, 1977), Intérieur d’un couvent (Interno di un convento, W. Borowczyk, 1978).

Dans Benedetta, le Batave Verhoeven s’inspire de la vie de Benedetta Carlini di Vellano (1590-1661) lors de la Contre-Réforme où les tétins ne sont point dédaignés au couvent des Théatines au péché de Pescia (Toscane) à une époque où le lesbianisme était inenvisageable (« péché muet ») selon les conceptions en vigueur puisque seule l’homosexualité est masculine car pénétration il y a. De même que dans Basic Instinct (1992) où la question se pose encore de savoir qui est la tueuse, Sœur Felicita (Charlotte Rampling, véritable star de Benedetta, excellant avec des répliques délicieusement acides au grand plaisir de l’actrice : « Le couvent n’est pas un lieu de charité : il faut payer. » ; « Tu es une fille intelligente, ça peut être dangereux, ma petite, et pas que pour les autres. » ; « Aucun miracle ne se produit dans un lit. »), une sceptique, une voyeuse, pose la problématique du film lorsqu’elle recueille Benedetta, une lettrée de 9 ans, issue d’une famille aisée : sœur Benedetta est-elle une vraie mystique ou une intrigante ? Plane constamment L’ombre d’un doute (Shadow of a Doubt, A. Hitchcock, 1943) à propos de l’insaisissable Benedetta, héroïne d’un film intitulé d’abord Sainte Vierge (Blessed Virgin).

Certes, Dieu l’habite mais « c’est par l’exercice de sa propre croyance qu’elle parvient à faire exister les choses ou à créer l’événement. » ou rouée méthode Coué selon Efira. Pour Verhoeven, « Benedetta s’invente un Jésus qui l’autorise à avoir des relations sexuelles avec Bartolomea. ». Le film repose sur cette merveilleuse ambiguïté qu’incarne parfaitement le visage poupon, magnifié grâce à la guimpe, de la fausse blonde (« à la fois Marilyn Monroe et Gérard Depardieu » selon Edouard Baer) belgo-française Virginie Efira, omniprésente comme Kad Merad, Berléand ou Huppert, qui joua déjà un petit rôle de bigote dans Elle (2016). Benedetta va commettre le péché de chair, quand elle s’éprend d’une novice tentatrice, au parler charretier et aux pets-de-nonne faciles dans une scène de chaise percée à la Brueghel (le réalisme des primitifs flamands – où dans le tableau Le Vagabond dit Le Colporteur dit Le Fils prodigue de Bosch, 1490-1510, l’arrière-plan est croustillant – jusqu’à RemBrandt, qui n’est pas un frigo, dessinant des femmes pissant, contre les films américains où « il n’y a plus que des super-héros qui ne baisent pas et ne vont jamais aux toilettes » selon PoPaul dans le journal Elle), violée par son père et ses frères, sœur Bartolomea (incarnée par la belgo-grecque Daphné Patakia, Djam, T. Gatlif, 2017, Eleanor dans la série Versailles, 2018, Véra Clouseau dans OVNI(s), 2021), et la soif de pouvoir. « Ce qui fait que lorsqu’elle a du pouvoir, elle l’utilise, et ne voit plus sa propre médiocrité. Elle croit en plus grand qu’elle, ça me touche beaucoup, mais ça va aussi l’amener à croire en son invincibilité, à basculer de l’autre côté. » selon Efira, sensible au thème shakespearien, secondée par un coach psy & religion et remise en forme à coups de régime et d’abdos pour obtenir un corps normalisé. Efira ajoute qu’« Elle utilise sa foi pour soumettre les gens à sa volonté. » tout en posant la question essentielle post #MeToo : « si la femme détenait le pouvoir, en ferait-elle bon usage ? Ne se croirait-elle pas elle aussi investie d’une forme d’impunité ? ».

Toutes les figures d’autorité sont déboulonnées. L’abbesse – nommée d’oxymore – Felicita (C. Rampling) dénonce par jalousie et s’enflamme. Le nonce (L. Wilson), représentant du pouvoir patriarcal, arriviste, cauteleux, vicieux, lubrique à souhait, sado-maso avec son enquête, comme pour Maria de la Visitation (Lisbonne, 1580), avec torture à la bonne poire d’angoisse et l’envoi de l’abbesse au bûcher – la fin de Jeanne d’Arc est le fantasme de toute actrice, de Falconetti à Bergman en passant par Seberg et Delay – pour blasphème, hérésie et bestialité, drag-queen avec son chapeau, sa cape, ses bijoux, ses talons, gore enfin vers la fin. Jouissant d’une aura dès 1619, en arguant d’une transplantation du cœur du Christ, en contrefaisant ses stigmates (paumes, pieds, côtes et front) mais en épargnant la peste à la population conquise, Benedetta s’affirme en étant une abbesse autoritaire et exigeante tout en profitant de sa position pour libérer son corps. Il lui a été intimé depuis l’enfance que « Votre plus grand ennemi, c’est votre corps » jusqu’à enfiler une robe de bure urticante alors que sœur Jacopa, qui mourra d’un cancer du sein, rêve d’avoir « un corps en bois avec le nom de Dieu gravé dessus. ». La voix gutturale de la possédée du précepteur qui éructe « blasphème », remémorant L’Exorciste (The Exorcist, W. Friedkin, 1973), n’est pas du meilleur goût.

Lapoirie d’angoisse

Ce film est une nonne Bouvelle. La lumière, à la de La Tour, grâce aux bougies, LEDs et rampes à gaz, est incroyable moyennant une production à plusieurs dizaine de millions de dollars. « Vous, les directeurs de la photo français, vous n’éclairez quand même pas beaucoup ! » lance Verhoeven, taquin. C’est pourquoi il choisira Jeanne Lapoirie (Les roseaux sauvages, A. Téchiné, 1994 ; Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, 2000, 8 femmes, 2002 et Le temps qui reste, 2005 de F. Ozon ; Michael Kohlhaas, A. des Pallières, 2013 ; 120 battements par minute, R. Campillo, 2017 ; Valeria Bruni Tedeschi et C. Corsini) qui a la particularité de travailler au zoom (avec  des Angénieux sphériques : jusqu’à une sensibilité de 1600 ISO, une ouverture d’obturateur à 300° en se battant contre son chef électro !), à deux caméras à l’épaule dans le même axe. « Les blancs devaient être atténués, et toutes les couleurs étaient permises à condition qu’elles soient estompées, jamais vives ou saturées. » selon le metteur en scène (Positif, n°725-26). Avec une femme à la photo et au cadre, pas besoin de « coordinatrice d’intimité » dans les scènes de nu où les ébats, chorégraphiques avec un « doux Jésus » échappé dans un soupir, sont moins ridicules que dans La vie d’Adèle (Kechiche, 2013, Palme d’or à Cannes).

Les références sont : Ivan le terrible (2e partie, La conjuration des boyards, Ivan Groznyy. Skaz vtoroy: Boyarskiy zagovor, S. M. Eisenstein, 1958 «  avec ses plans longs caractéristiques, d’un point de vue photographique » et pour ses noirs et blancs) et Le septième Sceau (Det sjunde inseglet, I. Bergman, 1957 avec, pour emprunt musical, le Dies iræ d’Erik Nordgren) pour la séquence de procession ; Huit et demi (81/2, F. Fellini, 1963) et les films d’Hitchcock comme La Mort aux trousses (North by Northwest, 1959).

Choisissant au maximum la lumière naturelle et le décor réel, il a fallu intégrer les plans truqués comme ceux de la comète – fait réel d’époque -, dont la lumière a été recréée sur la place véritable avec des SkyPanels Arri, dans le ciel rouge, Verhoeven ayant été échaudé par les effets spéciaux sur Mars dans Totall Recall : Voyage au centre de la mémoire (Totall Recall, 1990). Les extérieurs ont été tournés dans la petite ville de Bevagna (Lazio) et le Val d’Orcia entre Florence et Rome, Montepulciano (Toscane), les intérieurs dans les abbayes du Thoronnet (Var) et de Silvacane (Lubéron).

Dans une séquence d’anthologie, un suicide de nonne, Verhoeven mêle, avec une montée des marches, digne de Carlotta, filmée à la caméra à l’épaule, Sueurs froides (Vertigo, Hitchcock, 1958) et Le Narcisse noir (Black Narcissus, M. Powell, E. Pressburger, 1947) soit la place de Bevagna en extérieur nuit, le vrai toit de l’abbaye et un tournage en fond vert. Une dernière séquence offre une ambiance bucolique, comme les églogues d’époque, entre poils pubiens en triangle versus ticket de métro réduit à confetti où Benedetta, confiance chevillée au corps, médite sa reconquête.  

L’étalonnage a été effectué en deux semaines, sans Verhoeven, bloqué à Los Angeles. Le film a été projeté avec un grand décalage à cause d’une opération de la hanche pour le réalisateur âgé de plus de 80 ans puis les vagues de Covid. La pandémie actuelle permet d’interpréter ce film sous un autre angle avec la métaphore de la peste, déjà présente dans La chair et le sang (Flesh+Blood, 1985) avec force bubons tant l’intuition sûre de Verhoeven permet de capter l’esprit du temps dans un « film au contenu oblique avec un personnage merveilleusement complexe » selon Efira.

*

La musique est un mélange d’inévitables chants d’Hildegarde von Bingen (XIIe siècle) et de la musicienne Anne Dudley puisant chez Szymanowski et les cantiques sacrés de Stravinsky.

Mobilisé par ses projets, Verhoeven planche sur la trahison et l’entourage de Jean Moulin, un thriller contemporain se déroulant à Washington, une mini-série tv d’après Bel Ami de Maupassant (1885) avec son scénariste Soeteman.

Benedetta, P. Verhoeven, 2021, 2h07, couleurs, franco-hollandais. Avec : V. Efira, D. Patakia, C. Rampling, L. Wilson, L. Chevillotte, C. Courau.