[Cinéma] Il Boemo : tout un poème !

Ce film, un biopic – classique, en flash-backs, sans être académique – est un miracle d’autant qu’il a failli ne pas exister, par manque d’argent : Václav exhume un compositeur émérite – formé, grâce à la bourse du comte Vincent von Waldstein, à Venise par l’organiste et compositeur Giovanni Battista Pescetti (1706-1766) -, baroqueux finissant, contemporain de Gluck et Haydn, précurseur du romantisme, l’imprononçable Josef Mysliveček (Prague 1737- Rome 1781, mort seul et pauvre de syphilis à cause de vénériennes vénitiennes), «  Il (divino) Boemo », le minotier aisé officiant essentiellement en Italie (Venise, Naples et Rome ; Turin, Milan, Bologne, Padoue, Florence), vingt-trois opere serie dans un style classique, plus de 80 symphonies, des oratorios, environ 8 concertos essentiellement pour violons, de la musique de chambre, des trios, quatuors et octuors. Ses opéras n’ont jamais été représentés après sa mort. Il existe peu d’enregistrements : un par Magdalena Kožená, trois enregistrements des années 70-80 de qualité médiocre de ses opéras. Fils de musicien et de documentariste, le réalisateur, de nationalité désormais française, a rencontré l’historien américain Daniel Freeman qui a publié aux Etats-Unis Josef Mysliveček, Il Boemo, The Man and His Music et Vaclav Luks, corniste, claveciniste, musicologue, chef d’orchestre et fondateur de l’ensemble Collegium 1704, pour tourner le portrait documentaire Confessions d’un disparu (Zpověď zapomenutého, 2015, Fipa d’or dans la catégorie Musique et spectacle en 2016), sur Josef Mysliveček, alors que Luks venait de monter l’opéra d’il Boemo, après avoir retrouvé la partition en 2013, L’Olimpiade, après des recherches à la BNF (Richelieu), la bibliothèque de l’Arsenal, les archives de Naples et la lecture de récits de voyage de Sade, Denon et le traité musical, Voyage musical, de Burney, les Mémoires de Casanova et le précieux témoignage de Mozart (1756-1791) – incarné ici par le jeune pianiste virtuose allemand Philip Amadeus Hahn loin de l’insupportable cabotinage d’Hulce dans le trop hollywoodien Amadeus de Forman (1984) qui rêvait de tourner un film sur Josef Mysliveček -, puisqu’ils se sont rencontrés deux fois (juillet 1770 à Bologne et, en 1777, à Munich), quand le génie avait une dizaine d’années, l’admirant au point de lui emprunter deux oratorios et l’ouverture de son premier opéra italien Mitridate à partir de l’ouverture de La Nitteti. Il a fallu réunir pour le chant diégétique, Raffaella Milanesi pour Se cerca, se dice, chanté par le castrat Marchesi, Emöke Barath et sa fraîcheur, Giulia Semenzato, Krystian Adam et Philippe Jaroussky, Simona Saturová, toute en rondeur soprano, chante hors cadre sous les traits de l’inénarrable diva Gabrielli (1730-1796), jouée par l’actrice italienne Barbara Ronchi. Ruiné, il Boemo fut physiquement ravagé par la syphilis, le génie Mozart l’éclipse, comme Dylan dans la fin d’Inside Llewyn Davis (frères Coen, 2013).

Images sobres à la lumière naturelle et bougies comme certaines séquences de Barry Lyndon de Kubrick (1975) – ce rogaton impressionnant de Napoléon – dont O’Neil semble se mirer dans l’acteur principal, très ressemblant, d’Il Boemo, Dyk, jouant un queutard où, comme chez Fellini, chaque femme ouvre un chapitre (l’élève énamourée et dévouée, l’aristocrate libertine, l’insupportable diva et la femme mariée avec mari méfiant et jaloux). Le choix du cadre est précis. Retrouvant la qualité légendaire de la photo chez les tchèques, citons la direction photo : Diego Romero. La caméra à l’épaule – beaucoup de plans rapprochés – permet de ne pas évoluer dans un film historique amidonné, nous sommes proches des personnes. Les scènes tournées à l’opéra au Teatro Sociale de Côme en son direct sont vivantes : l’opéra comme lieu de rencontres, y compris sexuelles ; parler ; manger ; des détritus jetés des loges de l’opéra avec dédain par les aristocrates sur le peuple du parterre. C’est un film, une étude de mœurs, sur un XVIIIe où, malgré les effusions de sentiments, les libertins, les classes sociales sont compartimentées avec inégalités, la condition de la femme n’est pas extraordinaire à cause de la soumission dans des rapports patriarcaux de domination, le statut de l’artiste, au destin instable, est peu enviable. Une scène, le roi de Naples, Ferdinand IV, déféquant devant le compositeur est un hommage à la culture italienne où il est recommandé au bébé, qui doit en être fier, de bien chier (ben cagato) dans le pot. Le Roi lui commande, dans cette posture, un opéra, Il Bellerofonte, qui triomphe en 1767 au Teatro San Carlo grâce à l’interprétation d’une des plus grandes cantatrices de l’époque, Caterina Gabrielli.

Il Boemo, film tchèque, italien, slovaque de Petr Václav. Avec Vojtech Dyk, Elena Radonicich, Barbara Ronchi, Lana Vlady, Alberto Cracco (2h20).