Vanités

Mi-figue mi-raisin

     Enfin une exposition digne de ce nom au Musée des Beaux-arts de Lyon, même si elle ne tient pas toutes ses promesses. C’est le résultat de la création du nouveau pôle des Musées d’art de Lyon, bien après celui de Marseille : le musée sus-cité ainsi que le MAC et même une timide percée du Musée des Confluences, bien à part. Dommage que la magnifique vanité gore du XVIe de J. Ligozzi (1549-1627) du Musée d’histoire de la Médecine et de la Pharmacie à Lyon 1 n’y figure point. « A la mort, à la vie. Vanités d’hier et d’aujourd’hui » : curieux thème, très classique, tout de même en pleine 5e vague de pandémie de Covid incitant à d’autres rêves. Si la scénographie de Flavio Bonuccelli est traditionnelle, il est dommage que les symboles des vanités décrits sur un mur (sablier, montre ; miroir, instruments de musique, livre ; papillon, mouche et autres bestioles ; crâne ; chandelle, fumée ; fleurs, écorces de citron ; bulle de savon, etc.) n’aient pas servi de fond global de l’exposition comme un papier peint décliné tout du long, peut-être à cause d’un manque de moyens flagrant.

Une dure entrée en matière

     Les danses macabres sont plus illustrées par des œuvres contemporaines que par des classiques (1848, 14-18). Aussi, d’atroces crobars d’Errò en début de carrière accueillent le visiteur, échaudé, ainsi qu’une œuvre mixte d’une laideur sans nom d’Armand Avril, avec des éléments récupérés, en résonance avec sa collection de sculptures du Nigéria de la seconde moitié du XXe siècle, déposée au Musée des Confluences (quid de la  restitution des œuvres au pays d’origine ?). Ce sera la seule référence à l’extérieur – rien sur l’art mexicain ou autre. Faire plaisir au dépositaire n’offre pas de joie au visiteur. Evidemment de magnifiques gravures au burin de Pencz (XVIe) mais Holbein, Dürer manquent cruellement, même si la peste, pandémie d’un autre temps, est mentionnée : par manque d’argent (les assurances notamment), aucun prêt de musées étrangers n’est à constater. C’est donc une exposition rustine où les trous sont bien bouchés, comme pour la décevante exposition Matisse, mais l’œil averti est alerté. Les âges de la vie sont illustrés par des œuvres placées au forceps : un bel Intérieur de savetier de Schaeck, une Femme âgée avec un livre dans un intérieur (1620-30) de Gerritz Pot. La gravure avec les Parques est plus pertinente donc convaincante. Dans une pièce à part, avec un avertissement bienvenu sur le fait que les images peuvent choquer, de belles photos Faces (1985-88) de Bazin sur des personnes de tous âges sur le point de mourir. De quoi avoir froid dans le dos. Vraiment très dur avec la souffrance tordant les visages, des enfants dont des bébés, surtout en début d’exposition. La mort est vue d’en face. Se récupérer avec une installation en boyaux de bêtes ?

Haut bas fragile

     La section Fragile jeunesse offre de curieuses œuvres : l’incroyable Monogrammiste M, Lucas de Leyde, ou l’eau-forte de Rembrandt, bien connue quoique très petite, La jeune fille et la mort de Frénet (1840-50) et une œuvre contemporaine passable, sans Schubert en bande-son mais évoqué. Une superbe œuvre des toujours étonnants Gilbert & George de 15 photos en noir et blanc assemblées, Cemetery youth (1980) laissant songer au best-seller Dance on my grave d’A. Chambers qui a inspiré Eté 85 d’Ozon. L’omniprésente et lassante théorie du genre est martelée avec des dessins maladroits sur un enfant qui s’interroge sur le sexe à choisir : les effets de mode commencent à devenir un diktat insupportable où le visiteur est pris en otage. Stop !

Eclectique Ecclésiaste

     Titre inévitable et attendu d’après L’Ecclésiaste : Vanités des Vanités. Bien qu’organiques, les sculptures d’Etienne-Martin, qui fit l’objet d’une exposition au Musée des Beaux-arts, rebutent malgré leur lointaine inspiration d’art océanien. L’un des joyaux du Musée des Beaux-arts, qui justifie l’exposition, c’est la Vanité, somme toute classique sans arriver à une émotion émanant de peintures flamandes, de Simon Renard de Saint André (c. 1650). Nous tournons autour de l’incroyable installation d’Erik Dietman qui n’est pas sans poser des questionnements éthiques à cause de crânes humains sachant que nombre de musées de médecine sont malheureusement obligés de fermer à cause des restes humains, nécessaires pour la pédagogie et l’enseignement. Au passage, aucun crâne de phrénologie, de Gall notamment, avec inscriptions dessus pour délimiter les zones alors qu’il en existe plusieurs au Musée d’histoire de la Médecine et de la Pharmacie à Lyon 1, le peu connu Musée Lombroso n’étant pas loin à Turin … Les révélations de l’exposition proviennent de collections particulières : l’œuvre magnifique de P. Cognée – justifiant à elle seule cette exposition, il faut prendre son plaisir, rare, là où il est – à partir de cire, jouant sur la disparition, Jim Din également dans un autre genre.

Un thème original

« Erudition : poussière tombant d’un livre dans un crâne vide. » (A. Bierce, Dictionnaire du diable). D’où la vanité des arts et des savoirs où « Il n’est rien de plus vain que de savoir beaucoup » selon l’humaniste Erasme, phrase qui résonne tout de même étrangement en ces temps de complotismes et de populismes. Deux tableaux exposés de façon permanente justifient également l’exposition : La Vanité de Picasso (1946), un dépôt du Musée Picasso à l’hôtel Salé, certainement pas son œuvre majeure mais pas inintéressante (penser aux fêtes de la mort au Mexique), et l’incroyable Les mangeurs de Ricotta de Campi (1580) laissant songer à Bruegel puis Le Nain, dont la présence ici est tirée par les cheveux, l’argumentaire reposant sur une mouche, la ricotta qui serait en forme de crâne (?) et le peintre qui serait représenté en Démocrite. Profitons-en pour remarquer que les textes explicatifs sont souvent répétitifs, notamment dans l’explicitation des symboles de vanités, les anciens cartels ayant été recyclés, les récents étant calqués dessus.

Acmé raté

La grande pièce, où les expositions décollent en général pour susciter l’admiration, déçoit nettement. Méditations est l’occasion de présenter des œuvres d’un style pompier dont Saint Jérôme – tout de même patron des bibliothécaires, ce qui n’est jamais mentionné – et Marie-Madeleine. Le thème est tiré ici aussi par les cheveux ; le gigantisme des formats n’est pas gage de qualité.

Sas moyennement sensass

A l’étage, Des plaisirs qui partent en fumée. Nous passons des bulles, occasion de peintures flamandes délicates, aux volutes de tabac dont il n’est pas indiqué qu’il avait à l’époque une vertu médicale et aidait même les noyés à revenir à la vie, soit les débuts étonnants de la réanimation au XVIIIe. C’est tout de même l’occasion de revoir le génial et drolatique Teniers II dit Le Jeune dont le permanent Joueurs de trictrac (XVIIe) et la réjouissante caricature avec singes et chat, même si c’est une copie sur gravure. Van Ostade, Brouwer.

L’absente de tous bouquets est classique, sans relief (de Hamilton, van Dael), Chardin manque alors qu’une magnifique nature morte réside dans les collections permanentes. Les personnes âgées, amoureuses de leur jardin, s’y retrouveront en picorant de la beauté dans cette ambiance de mort peu rassurante.

Après la flore, la faune : Le miroir animal on est mal. Le coq et le Lièvre de Berjon (XIXe), les Deux perdrix de Dubourg sont sans intérêt. Un atroce singe de cirque contemporain, ni fait ni à faire. Le Gigot d’Isabey étonne par sa modernité toute cézanienne. L’inévitable et permanent Carcasse de viande et oiseau de proie (1980) de Bacon, donné par Delubac – objet de la dernière grande et belle expo du monde d’avant -, impressionnante peinture semblant toutefois inachevée par surplus de dessin, n’est pas le meilleur Bacon. La photo du daim de Poitevin – artiste qui sera l’objet d’une expo ici en 2022 – est belle mais très dérangeante, surtout avec l’émergence bienvenu de la condition animale. L’animal semble en train de mourir sous nos yeux, ce qui est insupportable (Léautaud et Fallet s’en retournent dans leur tombe, pour rester dans le sujet). L’œuvre – installation – du protéiforme Bruce Nauman, à partir de mannequins désarticulés utilisés pour composer des animaux empaillés, intrigue par son hybridité. La fin de l’expo laisse un goût amer. Longtemps exposé, le fascinant quoique modeste Poisson sur une assiette (1921) de Bonnard semble fixé en réserve.   

Le contemporain et les collections particulières sauvent l’expo

Auparavant, La vie précieuse présente van Beyeren, Cruys, de Ring, le strasbourgeois Stoskopff, Kauw, son disciple, bien plus intéressant. La Nature morte de Claez. Heda (1642), pièce permanente par dépôt, fascine par sa sobriété, sa précision, sa coloration impeccable, le vernis stupéfiant, magnifiant l’œuvre, qu’utilise les flamands.  Encore une fois, les collections particulières rehaussent une exposition à la limite du terne : Les Termites – Fruits pourris (1994) du toujours étonnant Barcelò, ce grand format éclatant tout à fait incroyable de Rebeyrolle avec épaisseurs et coulures à partir d’un peu reconnaissable chou. Malgré un parcours trop labyrinthique, l’installation vidéo du génial B. Viola, Tiny Deaths (1993) absorbe par la présence/absence et remémore qu’entre chaque photogramme, l’image fantôme est révélée par la vitesse. Une expérience à la fois concrète et spirituelle, spirit même.

*

S’il s’agit d’invariant, d’un thème classique dans l’histoire de l’art, le visiteur, humblement, repart sans illusion, avec un goût amer vers le monde d’apprêt. Je regrette que la vidéo de Vinciane Desprets, cette philosophe belge, disciple de Stengers, présente lors d’une biennale à Lyon, ne soit pas projetée tant elle actualise la pensée géniale de Jankélévitch, une vraie révélation. Bien qu’il s’agisse essentiellement de mort, il faut positiver, alors la vie ou une dialectique caricaturale et hâtive.

Reste à nous délecter de la collection originale Deliceratio Corporis de N. Delestre, un réjouissant mauvais genre, aux éditions lyonnaises Fage, avec un calendrier à la clef. Le catalogue ne sera disponible qu’en janvier : est-ce dû à la pénurie de papier ?