[ciné] Une découverte : Propriété privée

Propriété privée, Private Property, USA, 1960, 1h19, N & B, 1:66

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Who’s Leslie ?

Fils d’un vice-amiral de la marine américaine, Leslie Stevens écrivit une pièce au Mercury Theatre d’Orson Welles, avec qui il collabora quelques temps. Il devint scénariste pour Arthur Penn notamment (Le Gaucher, The left handed gun, 1958 d’après la pièce de Gore Vidal). Il tournera, sans succès également, peu de films : Incubus (1966), un film d’horreur dialogué en espéranto avec William Shatner, le capitaine Kirk de Star Trek, et l’ultime Three kinds of heat  (1987). Il est plus connu à la télévision grâce à la série de science-fiction Au-delà du réel (1963-1965), Le Virginien, L’Homme invisible.

Conditions spéciales

C’est en voyant la maison d’à côté, inoccupée, que lui vint cette image de deux hommes en train d’espionner leur voisine, ce qui ne laissera pas insensible Brian de Palma (Body double, 1984). Ce sera son premier film : Propriété privée. Il a été retrouvé récemment dans les archives de UCLA alors que tout le monde le croyait perdu. Si la copie est en 4k, nous distinguons des traitements différents pour la restauration de certaines scènes, plus ou moins détériorées, mises bout-à-bout.

Le polar, à l’intrigue qui tient sur un timbre-poste, est écrit, coproduit et réalisé par son auteur pour 60 000 dollars, tourné en 10 jours dans sa propre maison de Beverly Hills à Los Angeles avec sa propre femme, Kate Manx, pour son premier des deux films qu’elle tournera. La Nouvelle vague est passée par là. Il inaugure, en outre, un genre exploré ensuite dans Orange mécanique (A clockwork orange, S. Kubrick, 1971), Les chiens de paille (Straw dogs, S. Peckinpah, 1971), Les nerfs à vif (Cape fear, J. Lee Thompson, 1962 ; M. Scorsese, 1991) ou encore Funny games  (M. Haneke, 1997).

S’il s’agit d’une critique radicale de l’american way of life et du conflit de classe (le mari, agent d’assurance dépensant sans compter, qui ne regarde plus sa femme-trophée, parfumée et en nouveau « négligé », dame au foyer, faisant partie des meubles et attendant son argent de poche; « Cette femme-là ne poserait pas un regard sur vous. Laissez-moi vous dire une chose : tout est divisé en groupes, bien séparés, comme les oiseaux, les animaux, les reptiles. Un oiseau ne féconde pas un serpent. C’est impossible. Idem chez les humains. On ne mélange pas les groupes » dit le riche directeur commercial enlevé dans sa Buick skylark, dont il est si fier, dès une station-service par deux hommes semblant sortir de La route, The road, de Kerouac), il est également question, dans cette série B plus digne d’Alfred Hitchcock présente (Alfred Hitchcock Presents ; l’un des deux garçons se renseigne sur la présence dans les environs de la villa d’un certain Mr Hitchcock), qui a nourri Psychose (Psycho, 1960) que de Fenêtre sur cour (Rear window, 1954), du délitement d’un couple, certes pas sur le mode rosselinien ou bergmanien. Stevens refit jouer à Kate Manx un autre rôle de femme assaillie, chair à viol, dans Hero’s island (1962), film moins maîtrisé formellement. La réalité dépassa la fiction : elle demanda le divorce en 1962, juridiquement sordide, accusant son mari de cruauté ; elle se suicida en 1964 en avalant une dose massive de médicaments, laissant derrière elle un fils en bas âge.

Dans une ambiance qui remémore Le voyage de la peur (The hitch-iker, 1953, Ida Lupino, d’après des faits réels ; Festival Lumière 2014) et Reflets dans un œil d’or (Reflections in a golden eye, J. Huston, 1967 d’après le célèbre roman de Carson Mac Cullers), Corey Allen joue dans un rôle de sale type, Ducke –  amoureux ou méprisant, travaille-t-il pour son complice ou pour lui ? -, déjà inauguré chez Nicholas Ray, face à James Dean, dans La Fureur de vivre  (Rebel without a cause, 1955) et Traquenard (Party Girl, 1958), et Warren Oates, débute ici pour son 3e film, en puceau frustré, une carrière qui sera marquée par le Nouvel Hollywood, Sam Peckinpah et Monte Hellman notamment. La lecture homosexuelle est permise d’autant que, dans l’esprit de Des souris et des hommes de Steinbeck, le fruste, riant bêtement et faisant des reproches enfantins, et le malin dragueur, inséparables, l’un interprète un impuissant lors du viol pour sa première relation avec une femme, Duke raille Boots en lui lançant qu’il préférerait un vieux mec riche.

Image impeccable

     Le magnifique noir et blanc, jeux d’ombres et de lumières wellsiens, est signé du chef opérateur Ted McCord, directeur de la photographie du Trésor de la Sierra Madre de John Huston (1948) et d’À l’est d’Éden d’Elia Kazan (East of Eden, 1955 d’après un écrit de Steinbeck) ou encore chez Curtiz. Sans atteindre le formalisme du flippant Seconds, l’opération diabolique (Seconds, J. Frankenheimer, 1966), où la thématique prédomine dans le cinéma américain des années 70 ou Nouvel Hollywood, avec un danger qui ne vient plus d’étrangers lointains mais s’immisce, à la Théorème ( Teorema, P. P. Pasolini, 1968) dans un décor quotidien et s’introduit au cœur même du foyer, la scène de bataille dans l’eau et à l’air libre est incroyable avec ses prises de vue où les corps s’entremêlent comme une sculpture.

Le jeune cameraman Conrad L. Hall, futur directeur de la photographie de Luke la main froide (Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967), Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 1969) et American beauty (Sam Mendes, 1999), multiplie les gros plans, de visages notamment, la profondeur de champ, les contre-plongées qui changent le sens du film en une bascule étouffante. Un travelling montrant Ann et Duke danser jusqu’à se placer derrière une cage à oiseaux est lourd de sens. Il est rare de voir un filet de fumée sortant du fut du canon après le coup tiré. Dans une scène voyeuriste, métaphore d’Hollywood, la caméra cadre comme un ensemble, une scène télévisuelle, depuis l’arrière du canapé posté devant une fenêtre de la maison vide, les deux voyeurs et leurs commentaires lamentables, la bourgeoise esseulée blonde aux doigts et aux jambes interminables qui s’offre ingénument à leur propos salaces, puis une colline de Los Angeles comme décor en contrebas.

     So what ?

     Le film, bref, scandalisa avec ses références sexuelles explicites, son voyeurisme (femme se dandinant au bord de la piscine, caressant lascivement une bougie lorsque son mari lui parle d’opération financière, sa posture offerte devant le canapé, son relevé de jupe pour tenter de séduire son mari, spectateur en attente de viol).

Un film intéressant oblitéré par la répétition d’une parodie de Boléro de Ravel pour suggérer la montée de tension williamsienne.

[Manuscrit] Cadette des 7 [feuilleton 4]

zoom

cadette des 7

née cordon

autour cou

bleu bébé

failli

cadette des 7

taiseuse forcément

brune boulotte

  • nul corps ai-je dit –

couleur yeux ?

papa pudique

ne sait pas

  • nul corps ai-

réservé forcément

père

cadette des 7

taiseux pis

brume plante

ils s’aiment

c’est tout

famille peu

démonstrative

tic-tac du temps

pas dit aux enfants

qu’attendre enfant

failli y

sœur du jour

au lendemain

crépite sans

annonce à

veille ou soir

fête enfants

ne sait pas

chassée

cadette des 7

veille au soir

fête enfants

ne sait plus

peu importe

se sent en trop

cadette des 7

réservée forcément

on-dits

vivre heureux vivre cachés

en boucle sa

phrase à lui

père taiseux

tic-tac du temps

pas fêter

anniversaire

failli y

nul fumet

souffler bougies

gâteau pas

en trop

cadette des 7

réservée forcément

peu sur

photos famille

peu sûre

où c’est qu’il est le rara

le tutuce et le cokoi

en boucle

failli y

veille au soir

chassée cadette des 7

effacée forcément

photos famille

toute crachée

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

[Manuscrit] Cadette des 7 [feuilleton 3]

se joindre à

rebours foyer

au sortir table

pleurs plaintes

sans cesse

dur 7

mieux au fond

du trou dit-elle

juste la vie

épaule mari

tic-tac du temps

1 + 1

foyer labeur

au jour le jour

c’est la vie

pas à pas

famille unie pour

ils s’aiment

en silence

c’est comme ça

peu de bises

pas fêter anniversaire

ni mariage

ni baptême

c’est comme ça

pas de fête de

famille jamais

inutile s’adonne

terre seule

ils s’aiment

plaintes pleurs

pis brume plante

pas une vie

mieux au fond

du trou dit

maman à bout

sang baignoire

un à un

dedans trou

pas à pas

8 ans

enfants réclament

maman leur

3 drôles morts

côté mère loin

fond du trou

derrière loin

silence râles pleurs

à bout

ni fleur

ni couronne

rouge sur blanc

baignoire

papa taiseux

pudique forcément

on-dits

1 + 1

drôles réclament

maman leur

famille nombreuse : 7

un de plus

un de moins

c’est tout

au fond du trou

dit comme ça

3 drôles morts

loin dedans

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c’est comme ça

au trou 8 ans

flashes caméras

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

 

 

[Manuscrit] Cadette des 7 [feuilleton 2]

prendre temps

aller vite

planter décor

pas à pas

nulle description

pas corps

planter agriculteur

taiseux forcément

qualité monsieur

peu importe

taiseux forcément

agriculteur

pudique dit-on

des on-dits

peu importe

famille nombreuse

prend comme

ça vient

pas à pas

1 + 1

ça va

comme

ça vient

pas à pas

7 enfants

pas forcément désirés

jusqu’à 7

bien accueillis

toujours

un à un

pas dit aux enfants

qu’attendre enfant

c’est comme ça

pas le temps

peu importe

un à un

ça c’est fait comme ça

pas à pas

annonce à

1 + 1

taiseuse la

famille forcément

tic-tac du temps

silence à table

7 autour au

fur et à

odeur nappe

acrylique synthétique

ronds serviettes

pain du bourreau

dit-il au pain inverse

couteau dedans

langues glissent

lors soupe

noce de pain

‘vec chinchée d’

elle est saf ça rouille

noyau de

ça saque des dents

luxe miotte

tic-tac du temps

mère au foyer

le fixer là

autour du feu

faire veillon

s’agrouer

au feu

7 autour

brandon brûle

tic-tac du temps

1 + 1

crépite 2

filles cachées

pas dit aux enfants

qu’attendre enfant

dont demi-sœur

pas le temps

maman vaiss

elle effacée

famille travailleuse

jusqu’à que

laborieuse pleure

pis brume plante

papa fier

silencieux

pudique forcément

mère au foyer

sortir table

pleurs plaintes

7 pis en pis

entre biberons

puis labeur

plaintes pleurs

pis brume plante

avec mari taiseux

 

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

 

[ciné] Festival Lumière 2016 Pietrangeli, la découverte

Le bel Antonio

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Qui est le chaînon manquant, Antonio Pietrangeli (1919, Roma – 1968, Gaeta, noyé sur le tournage de Quand, comment et avec qui ?, Come, quando, perché, 1969, un film sur un couple turinois en crise, terminé par Zurlini) ? L’un des cinéastes italiens les plus novateurs des années 50 et 60 : les plans-séquences, l’usage d’angles non conventionnels, un scénario et un montage fluides évoquant une pluralité de situations sans céder au film à sketchs, un soin particulier dans l’écriture narrative non linéaire, proche de la littérature contemporaine (langues locales, discours subjectif et intérieur, inventions syntaxiques), avec une nette focalisation sur les personnages féminins. A noter un rapport particulier aux autres arts (high et low culture) : chansons de variété, mode, design, architecture.

Après des études de médecine, Pietrangeli devient critique de cinéma dans la pure orthodoxie néoréaliste pour différents journaux (Bianco e nero, Cinema, Fotogrammi et Star). Il fut assistant réalisateur sur Les Amants diaboliques (Ossessione, L. Visconti, 1943) et travailla également sur La terre tremble (La terra trema, L. Visconti, 1948), œuvre-phare du néoréalisme dont Antonio sera emprunt à ses débuts avec une attention particulière sur les costumes, une construction solide des personnages. Il collabora à l’écriture de scénarios notamment pour Gianni Franciolini (Amanti senza amore, 1948; Anselme est pressé, Anselmo ha fretta; La sposa non può attendere, 1949; Dernier rendez-vous, Ultimo incontro, 1951; Les anges déchus, Il mondo le condanna, 1953), Roberto Rossellini (Europe 51, Europa 51, 1952; Où est la liberté ?, Dov’è la libertà…?; Voyage en Italie, Viaggio in Italia, 1954) mais aussi Pietro Germi (Jeunesse perdue, Gioventù perduta, 1948), Alessandro Blasetti (Fabiola, 1949), Lattuada (Sans pitié, Senza pietà, 1948; La louve de Calabre, La lupa, 1953), William Dieterle (Vulcano, 1950 avec le volcan Anna Magnani), Mario Camerini (Due mogli sono troppe, 1950), Camillo Mastrocinque (Quel fantasma di mio marito, 1950), Luigi Comencini (La traite des blanches, La tratta delle bianche, 1952), Giuliano Biagetti (Rivalità/Medico, 1953). Alors qu’il commence en 1953, pour un total de 11 films en 15 ans, il vire souvent dans la comédie dès 1955 (Le célibataire, Lo scapolo avec le romain Alberto Sordi et Sandra Milo, Nino Manfredi). Outre Suso Cecchi d’Amico, scénariste entre autres de Visconti, avec qui il se penchera sur La carrozza del S.S. Sacramento finalement réalisé par J. Renoir (Le carrosse d’or, 1952 avec Anna Magnani), il s’y collera, même quand les films sont plus dramatiques, avec Ettore Scola, qui débuta au cinéma avec Antonio, et Ruggero Maccari, parfois avec Agenore Incrocci et Furio Scarpelli (Age et Scarpelli), les quatre grands scénaristes et piliers de la comédie à l’italienne. Il côtoya aussi les auteurs Lucio Battistrada, Ugo Pirro, Franco Solinas et Cesare Zavattini.

Il réalisa Souvenir d’Italie (1957; œuvre chorale mais la moins personnelle avec Vittorio de Sica, Massimo Girotti et Alberto Sordi). Le portrait de femme, trait dominant, entre mélodrame et comédie, de son cinéma en plein boom déclinant avec exode rurale et nouvelle bourgeoisie, peu présent dans le cinéma italien à part Le chemin de l’espérance (Il viale della speranza, Dino Risi, 1953 avé Marcello) ou Le Signe de Vénus (Il segno di Venere , Dino Risi, 1955 avec Sophia Loren, Vittorio de Sica et Raf Vallone) se poursuivit avec l’étude d’un couple milanais (Les époux terribles, Nata di marzo, 1958). Adua et ses compagnes (Adua e le compagne, 1960) évoque 4 putes qui ouvrent un resto après la fermeture des maisons closes suite à l’adoption de la loi Merlin. Dans La fille de Parme (La parmigiana, 1963), d’après le roman de B. Piatti, Catherine Spaak incarne Dora, une femme spontanée, innocente en butte à des hommes mesquins et opportunistes voire lâches. Annonces matrimoniales (La visita, 1963) évoque une histoire d’amour impossible entre Sandra Milo et François Périer. Le cocu magnifique (Il magnifico cornuto, 1964) est une comédie d’après une pièce de F. Crommelynck.

Fantômes à Rome, Fantasmi a Roma, Jour 8, samedi 15/10/16, Pathé Bellecour, salle 2

Fantômes à Rome, Joyeux fantômes, Fantasmi a Roma, Antonio Pietrangeli, 1961, couleur (Estmacolor), numérique, 1h45, 1:85.

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Charmants fantômes

 Présentation

       C’est l’une des rares personnes sympa, quoique branchouille, de l’équipe de l’Institut Lumière, qui présente. C’est une comédie italienne à effets spéciaux de Pietrangeli. Il lui sera reproché de ne faire que des comédies pures et simples, ce qui est faux. Scola et Risi, plus décapant, seront ses héritiers. Le film a également été traduit en France par Joyeux fantômes. Sorti en 1961 en Italie, le film ne sera sur les écrans français qu’en 1965. C’est l’un de ses films les plus

connus, notamment par le nouveau procédé couleur avec surimpression. Ce sera un échec en France.

Fantômes en plein boom

Fantômes à Rome est un film singulier au regard de la riche filmographie concernant les fantômes, héros dès le début du cinéma avec Méliès, comme un négatif révélant l’image sur la pellicule. Le fantôme est inquiétant dans Que la bête meure (Claude Chabrol, 1969), déchirant dans Crossing Guard (The Crossing Guard, Sean Penn, 1995 avec Jack Nicholson, Anjelica Huston), tourmenteur dans Fantôme à vendre (René Clair, 1935) et L’esprit s’amuse (Blithe spirit, David Lean et Noël Coward, 1945 avec Rex Harrison et un oscar pour les effets spéciaux), passionné dans Sueurs froides (Vertigo, Hitchcock, 1958), Obsession (Brian de Palma, 1976) et sublime dans l’Aventure de Mme Muir (The ghost and Mrs Muir, Joseph L. Mankiewicz, 1947). Ils connaissent les crises conjugales (Le Couple invisible, Topper, Norman Z. McLeod, 1937 avec Cary Grant), les problèmes de voisinage (Beetlejuice, Tim Burton, 1988).

Ambiance d’époque

C’est un film gai, enlevé, spirituel, superbement interprété et rehaussé par la musique de Nino Rota, qui se déroule lors du boom économique en dénonçant avec une légèreté appréciable les effets nocifs, initiant ainsi la mise en lumière de la corruption immobilière, également présente dans Una vita difficile (Dino Risi, 1961 avec Alberto Sordi, Lea Massari, Franco Fabrizi), Le fanfaron (Il sorpasso, Dino Risi, 1962 avec Vittorio Gassman, Catherine Spaak, Jean-Louis Trintignant et Scola au scénario), Play-boy party (L’ombrellone, 1965, Dino Risi avec Sandra Milo), Il posto (Ermanno Olmi, 1961), Mains basse sur la ville (Le mani sulla città, Francesco Rosi, 1963 avec le sobre Rod Steiger, qui même mort, bouge encore), Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli, Luchino Visconti, 1960), Le boom (Il boom, Vittorio de Sica, 1963 avec Alberto Sordi, Gianna Maria Canale). A l’époque, le maire démocrate-chrétien de Rome, Rinaldo Santini, avait quelques démêlés liés au scandale de la gestion de l’ONMI (Opera Nazionale per la Maternità e l’Infanzia). En outre, il s’agit de la confrontation entre la bourgeoisie de nouveaux riches, incarnée par l’un des rôles joués par Marcello Mastroianni le Maestro, flanqué d’une potiche vénale, avec l’aristocratie décadente interprétée par le grand metteur en scène et acteur napolitain Eduardo de Filippo. « Laisser les vieilles choses comme elles sont » est sa devise. Car « si on les modernise, on risque de ne plus les aimer ».

Les acteurs

Si Ettore Scola, a écrit, avec Maccari et Flaianno sur une idée de l’amateur d’Histoire Amidei, un scénario inventif et intelligent et aida au tournage et au montage, Marcello Mastroianni, ici en fantôme à la Casanova et Vittorio Gassman, peintre en marge confondu par des experts incompétents avec le Caravage, seront présents dans La Terrasse (La terrazza, 1980). Telle était l’ambiance du cinéma italien : tout le monde se connaissait metteurs en scène, acteurs, scénaristes, producteurs, machinistes; ils mangeaient ensemble, s’amusaient ensemble.

La blonde Sandra Milo, celle de Huit et demi (8½, 1963) ou Juliette des esprits (Giulietta degli spiriti, 1965) de F. Fellini, a connu une brève carrière au cinéma en se retirant à 35 ans en 1968.

Ayant tourné avec Val Guest, Terence Fisher, Francesco Rosi, Vittorio Cottafavi, Florestano Vancini et Damiano Damiani, Belinda Lee ne verra pas la sortie de Fantômes à Rome car elle se tua dans un accident de voiture en Californie le 12 mars 1961. Le conducteur, son compagnon, le réalisateur Gualtiero Jacopetti lui dédicacera La femme à travers le monde (La donna nel mondo, 1963) où elle figure au générique avec Ustinov.

Divertissante beauté

L’image de Rotunno, inaugurant l’un des premiers films italiens en couleurs, est magnifique avec les nuances rouges et dorées, profondément romaines ou en blanchissant les fantômes et en blondissant les cheveux en hommage au baroque italien. Les costumes surannés de Maria de Matteis, les décors déliquescents du vieux palais italien de Mario Chiari renforcent l’atmosphère élégiaque. Un film à diffuser absolument à la tv pendant les fêtes au lieu des éternels mêmes titres.

Je la connaissais bien, Antonio Pietrangeli, Jour 9, dimanche 16/10/16, Institut Lumière, Hangar, 14h30

Je la connaissais bien, Io la conosceva bene, Antonio Pietrangeli, 1965, 1h37, noir et blanc, numérique, 1:66

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Attention : chef d’œuvre !

Ferenczi dit

       Le pertinent ambassadeur Aurélien Ferenczi présente en insistant sur le fait que Pietrangeli est le trait d’union entre Risi et Fellini. Les frontières sont poreuses entre la comédie et les films dits sérieux. La bande-son est exceptionnelle dans le domaine de la variété italienne (Mina, Sergio Endrigo, Benedetto Ghiglia, Mia Genberg, Peppino di Capri, Piero Piccioni, Millie, les sœurs Kessler, Ornella Vanoni, etc.), n’eût été une chanson de Bécaud en italien, au point que le film a failli se nommer Le tourne-disque. Le travail sur la narration, grâce à Scola au scénario, qu’il aurait bien aimé réaliser mais dont il se souviendra pour Une journée particulière (Una giornata particolare, 1977), est très fin avec flashback, effet de mosaïques voire de puzzle en une élégante fragmentation de la narration. La Sandrelli change souvent de visages. Bardot devait jouer aussi. Dans ce portrait tragique, Nino Manfredi et Ugo Tognazzi ont des rôles comiques. Ce film, qui fut le premier de Pietrangeli à être reconnu par le public français, tenait particulièrement à cœur à son metteur en scène. Io la conosceva bene aurait dû être un diptyque avec Le fanfaron (Il sorpasso, Dino Risi, 1962).

Incroyable Sandrelli, 17 ans, 6e film

Rome des sixties, la dolce vita, le revers du film de Fellini (La dolce vita, 1960), Cinecittà. La Sandrelli en Adriana de Pistoia émigrant à Rome avec vue sur le Tibre est éclatante de talent et de beauté à 17 ans seulement, après 5 films déjà ! Elle change de coiffures, d’attitudes. Elle pose dans chacun des plans, lance parfois des petits regards mutins à la caméra. Et quand elle est nue en train de bronzer sur la plage … Elle est une coiffeuse, une ouvreuse de cinéma dans le quartier branché de l’Eur à Rome, une caissière de bowling à la limite de la prostitution. Si elle vogue de fêtes en fêtes, papillonne d’hommes en hommes, elle n’est pas capable de céder à un jeune garagiste (Franco Nero) qui l’aime et s’occupe nuit et jour de sa Fiat 500. Elle mise toujours sur le mauvais cheval pour réussir.

L’autre côté de la dolce vita

       Ce film appartient à une trilogie avec Annonces matrimoniales (La visita, 1963), La fille de Parme (La parmigiana, (1963). Les portraits sont sans cession dans une dénonciation radicale de la société du spectacle et ses illusions : des photographes qui veulent jouer aux agents-maquereaux, les bons vieux pervers-pépère qui attendent leur part du gâteau ou encore les petits cinéastes qui profitent de ce corps, cette chaire fraîche en soirée bonga-bonga, et de cette malléabilité pour tourner des films publicitaires prenant en dérision ces pauvres petites starlettes dont le plus grand défaut est sûrement, dans leur grande naïveté, de faire confiance aux hommes. Terrible scène comique où Ugo Tognazzi, en Baggini, acteur recherchant du travail lors de la fête de Paganelli / Fabrizi, monte sur une table devant un mécène pour faire des claquettes en imitant un train en risquant une attaque cardiaque pour divertir des gros porcs. Tognazzi continue ses suppliques peu de temps après et se fait rembarrer comme un malpropre. Brialy en Dario ne sauve pas la vision des hommes.

Un écrivain qui veut la prendre en main dresse un portrait cynique des jeunes femmes ambitieuses bercées d’illusions : « Tout lui va bien. Elle ne désire jamais rien, elle n’envie personne, elle n’a aucune curiosité. Elle n’est surprise par rien. Elle est indolore aux humiliations. Aucune ambition. Aucune morale même quand il s’agit d’argent parce qu’elle n’en est pas moins une pute. » (« Le va tutto bene. Non desidera mai niente, non invidia nessuno, è senza curiosità. Non si sorprende mai. Le umiliazioni non le sente… Ambizioni zero. Morale nessuna, neppure quella dei soldi perché non è nemmeno una puttana. Per lei ieri e domani non esistono. »).

Pietrangeli anticipe les observations de Pasolini qui analysera les changements dus à la modernisation lors du miracle économique dans les années 60 avec son lot de confrontations de concurrences citadines.

La photographie d’Armando Nannuzzi, magnifiée par une rutilante numérisation en 4k par Criterion, la Cineteca di Bologna et Titanus à partir du négatif original et d’un positif 35mm, porte un soin particulier au noir et blanc avec une recherche de contraste avec ce qui doit apparaître sur l’écran. Jeux d’adultes (Il padre di famiglia, Nanni Loy, 1967) évoque également l’urbanisation féroce de l’Urbs, Roma, dite La louve.

Du soleil dans les yeux, Antonio Pietrangeli, Institut Lumière, Hangar

Du soleil dans les yeux, Il sole negli occhi, Antonio Pietrangeli, Institut Lumière, Hangar

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       Le premier film de Pietrangeli est un mélo néoréaliste, dans la continuité de ses critiques cinématographiques, et féministe alors que le néoréalisme est simultanément en crise. C’est l’Italie du début des années 1950 façon Journal d’une femme de chambre de Mirbeau aidé d’un scénariste et romancier Ugo Pirro en sus de Suso Cecchi d’Amico. Le film a failli se nommer Celestina mais la censure italienne n’a pas voulu. L’axe choisi par rapport à une société machiste est : « quelle histoire peut-on raconter pour que le spectateur se pose des questions ? ». Sorti en 1953, le film ne sera sur les écrans français qu’en 1955.

Galter / Celestina

« Fiancée idéale des italiens », Irène Galter, en réalité Patuzzi, avait été découverte par Giuseppe De Santis dans Onze heures sonnaient (Roma, ore 11, 1952 avec la magnifique Lucia Bosé). Elle ne tourna qu’entre 1952 et 1958 où elle se maria avec un industriel.

Celestina, belle jeune fille, rustique, naïve (le car qu’elle prend, dans le film, pour la première fois; se perdre dans les immeubles qu’elle découvre; mettre le gaz pour calmer un bébé; son inexpérience de l’amour) et croyante, quitte à contrecœur son village de Castelluccio (Ombrie) pour trouver du travail dans la capitale. Ses deux frères aînés doivent partir pour l’Australie, pays d’immigration italienne, pour tondre des moutons. Ils échouent, vendent la maison; Celestina est sacrifiée et bloquée. Elle casse la statuette d’ange dès le départ de son village, signe d’une descente progressive en enfer. L’Eglise et ses œuvres, incitant ses ouailles à la soumission et au respect des mœurs, y fait office d’agence de placement. Elle sera « Séduite et abandonnée » (Sedotta e abbandonata, Pietro Germi, 1964).

Une scène forte d’amour au bord du lac est somptueuse. Casque d’or (Becker, 1952) ou Partie de campagne (Renoir, 1936) ne sont pas loin.

Sociologie acide

Pietrangeli décrit avec humour un petit monde catholique, très hypocrite. Les notations psychologiques sont précises; il évoque les différents milieux sociaux. La nouvelle bourgeoisie snob (homme intempérant, femme harpie et leurs trois enfants) est symbolisée par l’immeuble moderne où elle vit. Les riches commerçants bedonnants au ton rieur et populaire annoncent les nouveaux riches du miracle économique italien. Le professeur à la retraite chez lequel elle officie s’avère paternel et bienveillant, mais illustre à sa manière cette vieillesse rejetée dans l’Italie pauvre et en reconstruction que montrait Vittorio de Sica dans Umberto D (1952). Elle sort avec un conformiste et ennuyeux policier. Les héritiers du vieux professeur la menacent de procès en découvrant que celui-ci envisage de lui léguer ces terres, possibilité qui semble nourrir la passion du prétendant policier.

Ferzetti, le mâle veul

Fernando, lâche, bien que sincèrement amoureux, hésite ainsi avec une fiancée richissime qui le couvre de cadeaux et l’associera à un commerce lucratif. Gabriele Ferzetti interprète Fernando le plombier dragueur. Il trouvera bientôt chez Antonioni (Femmes entre elles, Le amiche, 1955 ; L’avventura, 1960) des rôles portant la veulerie du mâle italien aux sommets du septième art.

Solidarité féminine

Les seules relations fiables, synonymes d’amitiés (balade à Castel Gandolfo, danser au bal), s’illustrent à travers les femmes et leurs divers dialectes, les ouvrières entre elles. Les exemples d’émancipation avec Marcella (Pina Bottin) qui élève son fils seule, d’entraide lorsque cette même Marcella achève son film sur une vraie note d’espoir contrairement à Je la connaissais bien (Io la conoscevo bene, 1965)

Roma

Le personnage principal, c’est finalement Rome, où est né Pietrangeli, une ville qui change à marche forcée. Nous découvrons, comme Celestina, la proche banlieue (Flaminio) et non les borgate de Pasolini. La Rome nouvelle est brossée grâce à un mouvement de caméra sur une petite place balayée par le vent. Nous voyons la piazza Cantù, le petit orchestre de la piazza Esedra, de la piazza Bologna, du Nomentano, du Salario, des Monti Parioli. Les petits détaillent abondent : « abbasso Lazio » (« à bas la Lazio », « è vietato ballare il boogie-woogie » (« il est interdit de danser le boogie-woogie »), « è vietato sostare davanti all’orchestra » (« il est interdit de se tenir devant l’orchestre »), les volontaires du PCI qui envahissent les quartiers populaires. Toute une ambiance !

 

 

[Manuscrit] Cadette des 7 [feuilleton 1]

Slimani, prix Goncourt avec Chanson douce ? Alors voici ceci, avec quelques extraits sur Sitaudis et dans Nioques n°13, 2015 :

nulle description

noir sur blanc

baignoire dedans

rouge sur blanc

silence verdict

prison huit ans

pleure flashs

caméras gros plan

pleurs en boucle

enfants réclament

maman leur

aimant mari

attend huit ans

noir sur blanc

silence aller à

l’os jusqu’    à

silence rouge

sur blanc – polar ?

trop compliqué à

trop genre

socio social sociétal

trop code

se confronter silences

à barbaque les mots

noir sur blanc

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

[ciné] Festival Lumière 2016 Jour 5 Chance de voir « Lucky Jo »

Lucky Jo, Michel Deville, 1964, 1h31, noir et blanc, 1:66, Comœdia, salle 1

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Que de duos !

       Le film est présenté par Tavernier, qui parle du côté écologique du film (« des cerises au goût de cerises ? » demande Eddie Constantine / Lucky à Georges Wil(l)son / Simon rangé des voitures dans son jardin de banlieue) dans Voyage à travers le cinéma français (1930-1970) (Bertrand Tavernier, 2016 pour qui Lucky Jo est « vif, amusant, intelligent inventif. Je l’avais sous-estimé et il gagne beaucoup à être revu. »), des jeux de mots, comme dans La femme en bleu (1972), considéré par Deville lui-même comme un second premier film, et Jean-Paul Salomé, réalisateur (Restons groupés, 1998; Belphégor – Le fantôme du Louvre, 2001; Arsène Lupin, 2004) et acteur (Le petit lieutenant, 2005), assistant (La lectrice, 1988) et ami de Michel Deville, qui écrit actuellement des haïkus, rencontré sur Péril en la demeure (1985 avec Nicole Garcia, Michel Piccoli, Christophe Malavoy). Salomé insiste sur l’invention par Deville d’une ponctuation en fin de plans-séquences. Il filme avec élégance à coups de petits panoramiques rapides. Il commence toujours par un gros plan. Il ne fait pas plus de 4 prises.

Il adore tellement les comédiens (par exemple l’excellent Dossier 51, 1978, qui le dispute à La jetée, C. Marker, 1962, d’après une enquête de Gilles Perrault sur laquelle plusieurs metteurs en scène se sont cassés les dents quant à l’adaptation, avec François Marthouret, Didier Sauvegrain, Patrick Chesnais, Roger Planchon, présenté par Michel Deville au Zola à Villeurbanne au Festival Lumière 2010 près de la salle Planchon au TNP dont il fut directeur), qu’il allait au Conservatoire en repérage ou voir des pièces de théâtres, comme Tavernier. Deville faisait lui-même ses castings. Il n’est qu’à voir ici la distribution : le duo Brasseur père, sobre et tenu – ce qui est rare, et fils, qui rend hommage à Deville pour l’avoir laissé improviser son personnage et ses dialogues avec papa, réunis pour la première fois à l’écran, en flics Loudéac philosophes; Françoise Arnoul (Mimi qui pousse la chansonnette triste : « J’aime mon Totor, mon picador, mon bouton d’or, mon duc d’Windsor. C’est lui le plus fort et je l’adore… »), Georges Wilson (Simon) et Christiane Minazzoli (Adeline; présente déjà dans Casque d’Or, J. Becker, 1952 et A toi de faire, mignonne, Bernard Borderie, 1963) du TNP; Jean-Pierre Darras (Napo), Christian Barbier (le commissaire).

Deville en campagne

Michel Deville, réalisateur, co-scénariste et souvent co-producteur, hérita, pour son sixième long-métrage, d’un film de commande par un producteur débutant, Jacques Roitfeld, avec Eddie Constantine en vedette imposée. Il s’agit d’une adaptation de Main pleine de Pierre Lesou, également auteur du Doulos porté à l’écran par Jean-Pierre Melville (Le doulos, 1963). Le scénario, avec adaptation, les dialogues (« Demain il y aura peut-être de l’impondérable, si vous voyez ce que je veux dire… J’ai un horoscope dégueulasse… »; les nombreuses citations latines apprises en prison dans les pages roses du dictionnaire comme Fugit irreparabile tempus) et le montage, rapide, sont travaillés par Nina Companeez ou Kompaneitzeff (1937-2015), fille de Jacques Companeez, scénariste de Casque d’or (Jacques Becker, 1952), la collaboratrice de Michel Deville pour une décennie sur une douzaine de films. Elle porte ici une attention aux femmes, à leur sensualité voire à leur érotisme.

Lucky Lucky

Lucky Jo est plus réussi que les Constantine traditionnels car les codes du film de gangsters sont ici inversés : Constantine porte la scoumoune. Avec son chapeau à la Al Capone au petit pied, avec ses combats à la Don Quichotte sans moulin à vent, ratant ses créneaux, qui a « les mêmes horaires que les flics » et arrivant toujours en même temps qu’eux sur les lieux, il devient tricard : « A force, on devient superstitieux, les types qui ont travaillé avec toi, ça leur a pas réussi ». Les bagarres mises en scènes par Claude Carliez, aussi crédibles que celles d’un film de Bruce Lee, sont nettement meilleures que chez Lemmy Caution, y’a pas d’mal. Et pour cause le chorégraphe et cascadeur n’est pas le même ! Le dilemme est cornélien : Constantine veut moins de bagarres, Deville en rajoute tous les quart d’heures sous la pression du producteur; Michou veut sortir des films de femmes, Companeez en rajoute une couche.

Tout sur Eddie

Après plusieurs cures de désintoxication alcoolique, tant le Caution au lüger et aux prises avec les Cigarettes, whisky et p’tites pépées lui collait à la peau au point d’être désagréable avec le petit personnel, Constantine était ravi de jouer ce rôle. Sauf que Deville lui rajoutait des scènes de bagarres !

Un sacré coco, Eddie (1917-1993) ! Fils et petit-fils d’émigrés russes, chanteurs d’opéra, il est devenu chorus-boy à Broadway et à la MGM où il sera crooner dans les comédies musicales. Il est arrivé en Europe en 1949 en suivant sa femme danseuse, Hélène Musil. Il est engagé dans des cabarets parisiens. En 1952, Edith Piaf le choisit pour partenaire dans la comédie musicale la P’tite Lily, de Marcel Achard et Marguerite Monod. Eddie Constantine enchaîne les tubes à force de tours musicaux : Enfant de la balle, Et bâiller… et dormir, L’homme et l’enfant, Ah ! les femmes, etc.

       Il est Caution dès 1952 dans le nanar de Borderie, La môme vert-de-gris où Georges Wilson est déjà présent. Il empile Cet homme est dangereux (Jean Sacha, 1953), encensé par Tavernier (dans une entrevue, il déclare « une bouffée d’air frais dans les polars engoncés de l’époque. Jean Sacha était cultivé. Il avait même fondé, dans les années 1930, une revue de cinéma où il interviewait Rouben Mamoulian, celui de La Reine Christine (1933), avec Garbo, où il célébrait les travellings de Raoul Walsh… Après Cet homme est dangereux, il s’est embarqué dans une série de scénarios plus catastrophiques les uns que les autres. Et il a fini comme roi de la bande-annonce, notamment pour les films de François Truffaut, qui l’adorait. » suite à son évocation truculente dans Voyage à travers le cinéma français (1930-1970), Bertrand Tavernier, 2016), Les femmes s’en balancent (Bernard Borderie, 1954), Vous pigez ? (Pierre Chevalier, 1955), Comment qu’elle est (Bernard Borderie, 1960), Lemmy pour les dames (Bernard Borderie, 1962), A toi de faire, mignonne (Bernard Borderie, 1963). Caution se transforme en Bruck Bridford le temps de Ces dames préfèrent le mambo (1957), en Larry Blake (Votre dévoué Blake, Jean Laviron, 1954), en Barry Morgan (Je suis un sentimental, John Berry, 1955, un metteur en scène blacklisté, comme Losey qui devait louer des noms différents, ou Dassin, même en France que Constantine fait tourner), Fred Barker (L’homme et l’enfant, Raoul André, 1956, film où il chante avec sa fille Tania), en Eddie Morgan (Le grand Bluff, Patrice Dally, 1957), en Bob Stanley (Incognito, Patrice Dally, 1959), en Eddie McAvoy (Me faire ça à moi, Pierre Grimblat, 1960), en Jackson le ventriloque (Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961), en Billy Caro (Les femmes d’abord, Raoul André, 1962), en Jeff Gordon (Des frissons partout, 1963 et Ces dames s’en mêlent, 1964, Raoul André) et aussi en Nick Carter dans Nick Carter va tout casser (Henri Decoin, 1964) et Nick Carter et le trèfle rouge (Jean-Paul Savignac, 1965).

       Certains metteurs en scène tentent de le sortir de son personnage : Henri Decoin (Folies-Bergère devenu, par la suite, Un soir au music-hall, 1956), Alvin Rakoff (Passeport pour la honte, 1958), Claude de Givray (Une grosse tête, 1961), Jean-Louis Richard (Bonne chance, Charlie, 1961).

Apparaissant dans le sketch la Paresse de Godard pour Sept Péchés capitaux (1961), il est réemployé dans Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution (1965).

Après l’échec du film de Godard, il revient à son rôle de prédilection : Je vous salue Mafia (Raoul Lévy, 1965), Feu à volonté (Marcel Ophuls, 1965) et A tout casser (John Berry, 1968) dont la vedette était Johnny Hallyday en pleine période Yé-yé SLC Salut les copains.

       Vivant avec une jeune productrice de télévision en Allemagne, il entame dans les années 70-80 une autre carrière : Peter Lilienthal (Malatesta, 1970), Rainer Werner Fassbinder (Prenez garde à la saint putain, 1971; La troisième génération, 1979), Ulli Lommel (Der zweite frühling, 1975), Ulrike Ottinger (Bildnis einer Trinkerin, 1979; Freak Orlando, 1981), Lutz Mommartz (Tango durch Deutschland, 1981), Rosa von Praunheim (Rote liebe, 1982), Ottokar Runze (Der schuffler, 1983).

Il joue des personnages étranges dans les films de l’Anglais Christopher Petit (Flight to Berlin, 1984), le Finlandais Mika Kaurismaki (Helsinki-Napoli, 1987), le Danois Lars von Trier (Europa, 1991 avec Jean-Marc Barr). Il reprend du service pour Godard dans Allemagne, année 90 (1990).

Plaisant

       Lucky Jo est un film étrange, pour notre plus grand plaisir, car il mélange des tons différents (policier, comédie et drame). Pour Michel Deville, « Jo est un personnage plus fouillé que ceux qu’interprète Constantine ; un homme doué d’une grande sensibilité, plein de bonne volonté, de gentillesse et qui se bat contre le sort ». Constantine, attachant et touchant donc, erre dans un Paname, irréel pour décor grâce à la magnifique photo de Claude Lecomte, dans une petite 500 accompagné d’un cocker. « C’est une comédie policière et sentimentale dans le ton poétique […] une tristesse diffuse […] apparaissant sous l’humour » (le regretté J. Siclier). Normal pour une sortie … un 11 novembre 1964 ! Nous retrouvons les thèmes récurrents dans les films de Deville : la désillusion, le rêve impossible, l’imagination comme recours et comme survie – et l’association du désir assouvi, de la féminité et de la mort. La musique ironique de fête foraine de Georges Delerue insiste sur le côté comique et allège le fond.