[manuscrit] Cadette des 7 [Feuilleton 23]

tic-tac du temps

sexe plâtré

en rêve

en boucle

tv jt

pays du mur

daewoo clos

en hexagone

usines malgré

argent public

à perte

dedans vallée veuve

patron a emporté

PFFTTT

tous sur carreau

CRAC plateau

tv regarder

autant en emporte le vent

pleurs puis

dedans noir

langues glissent

projet pierre

s’ingénie

flopée d’enfants

pas su pas vu

sérieux pierre

ne la satisfait

pas rancune

c’est comme ça

simuler forcément

trou plâtré

en rêve

en boucle

se résigne

c’est tout

 

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

[ciné] Laidie Macbest : « The young lady », « Lady Macbeth », William Oldroyd, 2016

The young lady, Lady Macbeth, William Oldroyd, 2016, anglais, couleurs, 89mn, 2:39

The YL

Vive le loto d’Albion ! « Rape and revenge » subversif et classique dans la lande, récit d’apprentissage ou anti-conte cruel tel Les Diaboliques de Jules Barbey d’Aurevilly (1895), avec 580.000 EUR, budget dérisoire, ce premier film, financé grâce à iFeatures, un programme d’aide géré par le BFI et BBC Films, est un bijou sec, tiré au cordeau qui contrecarre une fois de plus l’assertion débile de Truffaut.

*

Un couple créatif

Le jeune William Oldroyd avant plusieurs courts-métrages, dont Best (2014), primé lors du Festival Sundance Channel Shorts de Londres, a été metteur en scène de pièces de Shakespeare, Ibsen, Beckett, Sartre et Donizetti au sein du Young Vic Theater de Londres et à la Royal Shakespeare Company (RSC). En 2004, à 23 ans, il a assisté son mentor, Deborah Warner, influencée par la pratique des quakers, sur la superproduction Jules César, créée au Barbican Centre, à Londres. Il n’est donc pas étonnant que la direction d’acteurs soit dans le film impeccable. La scénariste, Alice Birch a été dramaturge pour la Court Royal et l’idem RSC. « La relation entre les personnages et leur environnement m’a fascinée. Ce dernier est intégré à leur monde : la bruyère, les collines, les landes, la rivière sont tous des éléments vitaux qui évoluent au fur et à mesure que Katherine prend conscience de son existence et développe ses sens » indique la scénariste qui a soigné un final féministe sidérant, très différent du livre dont le film émane.

Du grand Will, le metteur en scène emprunte lointainement au Macbeth pour la trahison, le meurtre, la perfidie, la femme à poigne, déterminée et la folie, aux rebelles Hedda Gabler (1891) ou Nora dans Une maison de poupée (Et Dukkehjem, 1879) se révoltant contre le patriarcat chez Henrik, au silence et à l’absurde chez Samuel. Et ici aucune impression de théâtre filmé !

Séminal Leskov

En 1847, Les hauts de Hurlevent (Wuthering Heights) d’Emily Brontë, filmé de façon peu convaincante en 2011 par Andrea Arnold et où joue déjà Paul Hilton en Mr Earnshaw, exalte, au milieu de la lande écossaise, l’amour passionné de Catherine Earnshaw pour Heathcliff. En 1857, Madame Bovary de Gustave Flaubert, en procès face à Pinard, était une femme malheureuse engoncée dans les conventions. Alors que Jane Austen publiait, un maître, bien oublié mais de retour en grâce actuellement, de la facture de Gogol, de Dostoïevski (le texte a été publié dans la revue Epoch de Fiodor et son frère) ou de Tolstoï, Nikolaï Semionovitch Leskov (Никола́й Семёнович Леско́в, 16 février/4 février 1831, Gorokhovo – 21/02/1895, année de la création du cinéma, à Saint-Pétersbourg), écrivain, conservateur au même titre que Gontcharov (Иван Aлeксандрович Гончаров), et journaliste, éditait en 1865 La Lady Macbeth du district de Mtsensk (Леди Макбет Мценского уезда). Les thèmes abordés sont la soumission des femmes dans la société, la vie dans les communautés rurales, inspirées des contes oraux populaires ou skaz, et la passion interdite. L’histoire originale avait été adaptée en opéra russe en quatre actes par Chostakovitch en 1934, classé par Staline, tout comme l’œuvre originale de Leskov, comme « ennemi du peuple » (film de Toni Bargalló, Lady Macbeth of Mtsensk, 2002). Si Andrzej Wajda l’adapta au cinéma en 1962 (Lady Macbeth sibérienne, Sibirska Ledi Magbet), il y eut notamment deux films, Katia Ismailova (Podmoskovnye vetchera, Подмосковные вечера) en Russie en 1967 (Mikhail Shapiro) et en 1994 (Valeri Todorovski) mais aussi Ledi Makbet Mtsenskogo uezda (Леди Макбет Мценского уезда, l’azerbaijanais Roman Balayan, 1989), le tchèque Petr Weigl (Lady Macbeth von Mzensk, 1992) et déjà en 1927 par Cheslav Sabinsky (muet). 1928 vit la sulfureuse création de L’amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence (Lady Chatterley’s Lover) où une femme, Constance, redécouvre l’amour et le bonheur avec un garde-chasse, un homme extérieur à son milieu. Souvenons-nous de la belle adaptation de Pascale Ferran (Lady Chatterley, 2006) avec la révélation de Marina Hands, fille de la claudélienne Ludmila Mikaël, et le toujours impeccable Hippolyte Girardot.

Adaptation clinique

Ici la Russie d’Alexandre II (abolition du servage, réforme de la justice, de l’administration et de l’enseignement ; la capitale, Saint Pétersbourg, est en ébullition) est transposée en Angleterre du nord, à Lambton Castle, château datant du début du XIXe, ère victorienne, décidément très inspiratrice, vers Chester, déjà utilisé pour la série Bienvenue au paradis (The Paradise, 1992), près de l’université de Durham où Oldroyd fit des études de théologie et de théâtre, après un an d’école d’art. Northumberland est une région sauvage des Îles Britanniques.

            La mariée de 19 ans est comprise dans l’opération immobilière organisée par Boris (Christopher Fairbank, Nic dans Batman, Tim Burton, 1989 ; Chasseur blanc, cœur noir, White hunter black heart, Clint Eastwood, 1990 ; Murphy dans Alien 3, David Fincher, 1992 ; Mactilburgh dans Le cinquième élément, Luc Besson, 1997 ; The broker dans Les gardiens de la galaxie, Guardians of the galaxy, James Gunn, 2016), le père méprisant, grincheux et autoritaire avec son fils Lord (Paul Hilton, Dr. Faustus dans Doctor Faustus, Matthew Dunster, 2012 ; Duke Octave dans Klimt, Raoul Ruiz, 2016), taciturne, alcoolique, sinistre, dédaigneux (voir Jeanne d’Une vie de Maupassant adapté, de façon controversée, récemment par Stéphane Brizé, 2016 avec Judith Chemla, Jean-Pierre Darroussin et Yolande Moreau), distant, méchant et violent : « Achetée pour un lopin de terre sur lequel pas même une vache ne brouterait ». « La nuit du mariage, c’est noir, quand Katherine est humiliée sexuellement par son mari, c’est la nuit… J’ai voulu jouer sur le contraste. Dans ce monde victorien très austère, le sexe devait aussi être viscéral. » déclare le metteur en scène. Les deux hommes se haïssent ; ils sont entourés de domestiques dont ils ignorent l’existence. Le décor est planté.

Le mari interdit à sa nouvelle femme de sortir de nouveau, cheveux au vent, de leur demeure, sur le « moor », la lande filmée en caméra à l’épaule en grand format inconnu, le 2:39. Il refuse de la toucher (après ordre de déshabillage sans effeuillage, il se masturbe devant son corps nu, de dos, avec son gros popotin et son en hors champ) : fort marrie, elle est complètement isolée. Le climax du patriarcat. Las !

British humour : un chat laid contemple Katherine attablée ou alanguie à la place de la précédente femme, probablement antipathique et désagréable, dans ce manoir tendance Manderley, froid comme une de Winter, dans Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940 d’après le roman de Daphné Du Maurier, 1938) ; le vieux prêtre du comté, vient visiter la jeune femme et lui demande si son beau-père ne lui manque pas trop ; « Que nenni ! » répond-t-elle du tac au tac après la fringale de la bagatelle (« J’aime l’idée d’une séquence coupable », s’amuse le metteur en scène); Katherine s’occupe de son sévère beau-père, continue à prendre son thé comme si de rien n’était, tandis que des cris de détresse sont perceptibles devant une servante médusée ; quand elle se met à chevaucher son amant devant son mari, les bras nous en tombent – Buñuel aurait adoré ! Elle boit du vin à grandes gorgées jusqu’à épuiser les réserves et consomme ses désirs sans demander la permission à personne et sans le moindre scrupule. Le spectateur sait, il devient complice et voyeur. Pire, si le tabou de l’assassinat d’un enfant est levé, le meurtre d’un animal nous touche paradoxalement plus que celui d’un humain. C’est la force du film : « Ce qu’elle fait est mal mais, malgré tout, le spectateur ressent de la sympathie pour elle et veut qu’elle réussisse » souligne Florence Pugh. Empathique à l’insu de son plein gré, le spectateur assiste pas à pas à la fabrication et à la naissance d’un monstre, la mariée qui n’était pas en noir, en passant de victime à coupable avec son visage poupin et son regard impertinent, sombre presque hautain avec une pointe d’ironie, errant au loin derrière la fenêtre. Elle répercute les mêmes ordres que son mari (« Debout, face au mur ! ») osait lui donner tant sur les serviteurs, dont le palefrenier (le musculeux Cosmos Jarvis, MI-5 Infiltration, Spooks : The Greater Good, Bharat Nalluri, 2015), obsédé par les femmes, qui mène un jeu rustre et pervers sur Anna dans l’écurie, pour affirmer son autorité et imposer sa hiérarchie, que sur la servante métisse exploitée, même si la maîtresse lui ordonne de manger à la même table pour lui tenir compagnie. Elle se révèle manquer de conscience sociale, ce qui deviendra un atout, et de moralité – égoïste en outre. C’est finalement la soumise Anna (Naomi Ackie, actrice dans les séries Docteur Who, Doctor Who, 2015 ; The Five, 2016), devenue muette, qui sera la victime du patriarcat, du pouvoir (rapport maître/esclave au centre du roman de Leskov). La servante ne prend même pas la peine de se défendre lorsqu’elle se voit accusée, consciente que sa condition en fait une coupable idéale. Ceci dit, effrayée par l’audace de sa maîtresse, elle regarde par le trou de la serrure ses ébats. Personne n’est innocent, juste des personnes plus coupables que d’autres dans un monde clos et figé.

La révélation Pugh

            Sœur des jeunes acteurs Toby Sebastian, Arabella Gibbins et Rafaela Pugh, la Pugh fit des études à Oxford, tout en apparaissant dans des pièces jouées au North Wall Theater (Oxford). Oldroyd avait repéré celle qui a « beaucoup d’instinct et une excellente technique », la comédienne de 19 ans en 2014 dans The Falling, de sa compatriote Carol Morley. Elle y jouait une écolière rebelle menacée par une mystérieuse épidémie dans les années 1960. Elle a été nominée dans la catégorie du meilleur espoir féminin au BFI London Film Festival Awards. Plus récemment, Florence Pugh a rejoint le casting de la série télévisée Marcella avec Anna Friel et Laura Carmichael. Elle va apparaître en catcheuse british, devenue star aux Etats-Unis dans Flirting with my family (Stephen Merchant, 2018).

Travail d’équipe

Mise en valeur par de longs plans-séquences, souvent fixes et en plans serrés, parfois répétés (scènes reprises exactement du même point de vue : par exemple, au moins quatre fois, nous voyons la servante Anna entrer dans la chambre de Katherine exactement de la même façon), la photo d’Ari Wegner (beaucoup de courts-métrages et quelques films dont The Tragedy of Hamlet Prince of Denmark, Oscar Redding, 2007), clinique à la scandinave (les tableaux mélancoliques de Vilhelm Hammershøi) et jouant sur la symétrie, oscillant entre De la Tour, le Caravage pour le côté canaille sournois, et Vermeer, est superbe. Les tons gris et froids contrastent avec le bleu de la robe, telle une corolle de pétales alanguie et fanée.

Jacqueline Abrahams, la chef décoratrice avait travaillé sur The lobster (Yorgos Lanthimos, 2015) et La dame en noir 2 : L’ange de la mort (The woman in black 2 : Angel of death, Tom Harper, 2014). « Nous avons utilisé des pièces d’époque autant que possible et nous nous sommes procurés des tissus et des imprimés un peu partout, dans des collections de costumes, des boutiques vintage et des magasins d’antiquités » détaille Holly Waddington, chef-costumière dans deux films de Mike Leigh (Happy-Go-Lucky, 2008 ; Another year, 2010) et de Steven Spielberg, Lincoln (2012 avec Daniel Day-Lewis), et Cheval de guerre (War horse, 2011).

*

            La musique est quasi absente, ce qui est fort agréable. Le travail du son est centré sur le silence total ponctué par les bruits quotidiens, le frou-frou de la robe bleue devenue celle d’une femme libérée et triomphante, quoique menteuse et répondant avec des répliques cinglantes. Le bruit du vent de la lande devient obsédant. Un film à savourer d’autant qu’il ne dure que 89mn (1h29), nous épargnant tous ces longs longs-métrages de plus de deux heures. Comme quoi, il est possible de tourner un bon film court avec peu de moyens. Les festivals ne s’y sont pas trompés tant les prix pleuvent : meilleur film au Festival de Cinéma Européen des Arcs 2016, au San Sebastián International Film Festival 2016, au Thessaloniki Film Festival 2016 et au Zurich Film Festival 2016, meilleur metteur en scène au Palm Springs International Film Festival 2017, meilleure actrice pour Pugh au Dublin Film Critics Circle Awards 2017, etc.

[manuscrit] Cadette des 7 [Feuilleton 22]

sexe plâtré

en rêve

en boucle

tic-tac du temps

cuisine intégrée

high tech

aliments sous

cellophane

casser

œufs jaune

à part maman

cordon bleu

  • autour cou

failli y –

silence à table

expat’ autour

odeur nappe acrylique

rouge sur blanc

synthétique

2 drôles autour

congélo blanc

à côté

n’y pense plus

langues glissent

lors soupes

c’est comme ça

maman elle est champion

du gratin fraise

cadette des 7

attention pour

ses 2 drôles

colchide dans prés

 

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

[manuscrit] Cadette des 7 [Feuilleton 21]

plus su

pays matins frais

n’y pense plus

pierre qui roule

allers-retours boulot

s’ingénie

pas vu pas su

tic-tac du temps

allers-retours

tête corps

compliqué dedans

silence sexe

plâtré en

rêve en boucle

un jour bogue

cadette des 7

se met en 2

dedans baignoire

se vide

expirer inspirer

expulser masse

molle humide

  • cordon glissent

ici du corps

dedans baignoire

rouge sur blanc

  • rouge panique

au pays des matins calmes

dedans noire de sang

par terre -traces

n’y pense plus

du corps

dedans baignoire

salle de bain

sale de sang noire

c’est comme ça

fœtus dedans

congélo blanc

n’y pense plus

emmailloté fœtus

dedans essuie-

tout blanc

enrobé n’y

pense plus

tête corps

fœtus emballé

dedans sac

plastique blanc

dedans congélo blanc

pays matins frais

plus su

c’est comme ça

 

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

[manuscrit] Cadette des 7 [Feuilleton 20]

verte se calcine

sang -et si ?

failli y

frémit à

n’y pense plus

tête corps

pierre qui roule

allers-retours boulot

cadette des 7

balade les 2

affection matern

elle pays du mur

heureux cachés

zone délimit__

p’tit déj’ bus

allers-retours

colline maternelle

attention pour

d’autres drôles

pays du mur

français fréquentent

français s’invitent

réservée forcément

cours yoga

inspirer expirer

corps se retourne

fœtus vert

ical lon git

udinal

habits amples

avec – nul

corps – n’

y pense plus

pas feu vert

tête corps

dedans silence organes

c’est comme ça

« Je vous conseille de lire Erik Wahl. C’est un excellent poète. Il n’a pas encore publié de livre mais, on peut découvrir ses textes dans des revues comme Nioques. » Cyrille Martinez, D-Fiction

[Ciné] Bien/mal Aki : Kaurismäki fait du Kaurismäki : « De l’autre côté de l’espoir »

L’autre côté de l’espoir, Toivon tuolla puolen, Aki Kaurismäki, 2017, Finlande/Allemagne, 1h38

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Vieilles recettes

Un générique avec incrustation digne des truculentes séries B voire Z – des nanars, parfois réjouissants ou non. Fatigué (« Je suis fatigué, je veux commencer à vivre ma propre vie. »), au point de laisser tomber sa trilogie sur les réfugiés et les ports, Kaurismäki fatigue également ses spectateurs en un film d’1h38 qui paraît malgré tout trop long. Si L’autre côté de l’espoir (Toivon tuolla puolen, 2017) commence comme Le Havre (2011, Prix Delluc 2011), tourné il y a 6 ans déjà, il se prolonge en un remake d’Au loin s’en vont les nuages (Kauas pilvet karkaavat, 1996). A la Berlinale, où le batave Verhoeven, rentré de nouveau en grâce depuis Elle (2016), lui offrit le prix de la mise en scène auréolé de l’Ours d’argent, Aki-le-poivrot, sexagénaire, a déclaré raccrocher pour profiter de la vie au Portugal au milieu de ses coteaux (« depuis 1986, je ne vais plus au cinéma. Je suis parti vivre à la campagne. » ; c’est peut-être le problème de ce cinéphile qui vit sur ses acquis dans un système bien posé). La lassitude du réalisateur est patente, tout comme son impuissance. Le jugement du réalisateur sur lui-même est juste : « Il [le film] est honnête. Je ne peux pas dire que j’en ai honte. ». Mais ce n’est pas la grande eau de L’homme sans passé (Mies vailla menneisyyttä, 2002), grand prix au Festival de Cannes 2002.

            Les mêmes uniformes boutonnés sur des ambiances postsoviétiques et murs bariolés de couleurs tranchantes, n’eût été un poster d’Hendrix et un juke-box, servent une rengaine qui sent, fût-elle d’intermèdes de rocks de rue, de potes ou de bars enfumés (le Wall street café avec, entre autres, un blues finlandais, Oi Mutsi mutsi datant de la fin des années 1970 signé du folksinger Tuomari Nurmio, très populaire en son pays, qui dit ceci : « Maman, maman, allume la lumière / Je vais mourir bientôt / et quitter la compagnie / Peut-être quelque part / tu me trouveras un complet blanc / On me jettera bientôt dans un trou noir…) comme pour remplir à tout prix en un montage maladroit, le réchauffé, l’artificiel ou le saumure du hareng-saur. Une séquence émouvante : lorsque Khaled joue du saz dans le centre de rétention. C’est toujours la même histoire : celle d’opprimés qui tentent de s’évader, de s’offrir une nouvelle condition. Les mêmes plans dépouillés, les aubes ou crépuscules brumeux, les visages blafards, la gomina dans les cheveux. Pas de doute, nous sommes en Kaurismäki. Le monde se divise en deux : ceux qui inventent constamment et ceux qui creusent leur sillon. Lui, il creuse.

Le rire fuse tout de même dans ce bouiboui à la déco flashy sauce Demy et Almodovar, très studio quoi : trois bras cassés limite jean-foutres à la Marx Brothers, une serveuse, un portier lugubre qui sert de boute-en-train lors de l’arrivée du froid et bureaucratique service d’hygiène et un cuistot qui, clope au bec dans une cuisine agrémentée d’une niche de chien, mitonne ses spécialités telle la sardine dans sa boîte accompagnée de sa patate bouillie pour faire local avec un prix en marks finlandais, font le sketch, caricatural, à la Tati – plans fixes, du cendrier en aluminium comme les pieds des danseurs en passant par la porte des toilettes et le serveur du restaurant – comme éternelle marque de fabrique désormais éculée, tournant à vide, et jeu de brique, figé, des acteurs – lassant. La Chope dorée, gagnée grâce à un poker, devient un sushi bar où les pieds nickelés servant de personnel, déguisés de façon ridicule en nippons, collent sur des puddings de riz des filets de hareng saur badigeonnés d’une épaisse couche de wasabi, de cette sorte qui essaye de nous tirer les larmes le long du film tant la dose est forte. Après le débarquement d’un car de japonais, le resto deviendra indien. Bien vu et irrésistible. Remercions le chien d’Aki qui lui a fait découvrir ce resto, devenu le modèle, par hasard en faisant pleurer le mérinos. Malgré le minimalisme des effets du walshien et hawksien mâtiné de Capra et Chaplin, d’éclaboussures chromatiques en dialogues mutiques, la densité idéologique semble dissoute dans l’avachissement philosophique. Aki n’a plus la foi bien qu’il ait les foies.

Coups de poings

            Il s’agit d’un film politique sans être à thèse, didactique ou dénonciateur, sans dialogue militant (cf. Costa Gravos, Ken-le-survivant-Loach). Dans cette tentative de rencontre entre un univers autosuffisant et une actualité, la fable grossit le trait avec une certaine lourdeur et manichéisme cependant. La colère du « punk et anarchiste » est ici son moteur. « La façon dont on traite les migrants en Europe est criminel. Et les crimes contre l’humanité, je ne les accepte pas. ». Aki ajoute : « les Finlandais sont très suivistes, très soumis, ils se conforment à l’autorité ». Enfin un qui s’y colle même si le lucide (« Je n’accorde plus l’indulgence à l’humanité. Elle ne le mérite pas, elle est trop cruelle. Il n’y a pas de pitié, dans l’homme. Aucun joli trait. Quelquefois, une grâce tombée d’en haut. C’est tout.») encense Mutti Merkel, chancelière du pays co-producteur du film, en omettant toutefois une dose de cynisme (obtenir de la main d’œuvre pas cher pour maintenir la croissance). Le syrien Khaled, mécano d’Alep (le kurde d’un village du Nord-Est de la Syrie, Sherwan Haji, acteur de téléfilms dans son pays natal qui découvrit Aki en cours d’art dramatique de Damas; il vit aujourd’hui en Finlande, arrivé par amour, où il réalise et produit des films et des installations vidéo via sa société Lion’s Line ; parti en Grande-Bretagne, il a étudié la mise en scène et il a écrit un mémoire sur les méthodes de travail des cinéastes avec leurs comédiens puis a animé des stages sur les techniques de jeu), se dirige illico vers les douches publiques puis au commissariat le plus proche, pour demander asile, où il est accueilli par les flics de Finlande se fendant d’un sobre « welcome » avec un barbu blond en uniforme qui, caché derrière sa machine à écrire et la fumée de sa cigarette, lui répond : « ça coûte rien d’essayer. Vous êtes pas le premier. », il est enjoint de raconter avec neutralité, par le truchement d’un questionnaire serré, son épopée (il a perdu tout ce qu’il avait et tente de retrouver sa sœur dont il a été séparé lors d’un contrôle à une frontière), son passé, son parcours, sa religion dans un lieu neutre excluant toute compassion (« état-bureaucratique », voire « légale-rationnel » selon Max Weber) puis sommé de rentrer chez lui par une décision aussi absurde qu’irrévocable alors qu’un énième massacre en Syrie est diffusé en même temps à la tv.

            « Mon message au gouvernement de ce pays vieillissant, qui se dépeuple et se désertifie, est qu’il est absurde d’empêcher des jeunes gens diplômés et dynamiques de s’installer en Finlande », a récemment écrit le cinéaste au quotidien finlandais Helsingin Sanomat. Le gouvernement finlandais a géré, sous la pression du parti anti-immigration Les Vrais Finlandais, la crise des réfugiés en 2015, quand elle a dû accueillir 32 500 demandeurs d’asile. C’est l’une des proportions par habitant les plus élevées d’Europe pour ce pays de 5,4 millions d’habitants. Les mesures prises ? Décourager les candidats à l’immigration en réduisant en 2016 les prestations sociales et en durcissant les critères d’obtention de l’asile. L’ambition de Kaurismäki est grande : « Je ne veux pas seulement changer le public, je veux changer le monde. En tout cas l’Europe. Ou au moins la Finlande. Ou cinq ou six personnes en Finlande ».

            Le syrien rencontre l’irakien Mazdak en centre de rétention. Il noue amitié dans le centre d’accueil (Simon al-Bazoon). « C’est le hasard qui les a réunis, mais ils fonctionnent bien ensemble, parce que lorsque l’Irakien parle [et que] le Syrien reste en retrait. » selon le metteur en scène. Conseil de Mazdak : « sourire, car ici on renvoie les gens tristes ». Khaled réplique : « Je suis tombé amoureux de la Finlande, mais si tu savais comment s’enfuir d’ici je t’en serais reconnaissant.». Même une habitante native de Finlande, une actrice pilier de la troupe Kaurismäki dont la trogne ne s’oublie pas, Kati Outinen, veut quitter au plus vite son pays pour boire du saké à Mexico.

            La violence est présente comme un effet de réalité. Une brute néonazie, un skinhead, traite un réfugié syrien de « youpin », ce qui prête, malgré la triste situation, à sourire. Stupidité du racisme en une seule réplique. Harcelé par les skins, Khaled est provisoirement sauvé par une troupe de loqueteux, d’éclopés et d’ivrognes surgissant des tréfonds du parking, tels des zombis, où ils croupissent. Le sel de la terre (Herbert J. Biberman, Salt of the earth, 1954) s’éveille.

            De l’autre côté, dans un appartement modeste, un homme, Wikström (Sakari Kuosmanen, un acteur fidèle depuis Calamari union en 1985), vendeur de chemises comme le père de Kaurismäki, et une femme se séparent sans mots, encadrés de l’un de ces légers décalages qui composent l’univers burlesque et grave de Kaurismäki. Il lui jette des clés sur la table. Elle avise sa dive et terrible bouteille, le cendrier qu’elle continue de remplir frénétiquement, et laisse transparaître un sourire fataliste qui cligne de l’œil sous ses bigoudis en écrasant une cigarette sur le symbole de leur amour défunt. Tout est dit, montré plutôt.

*

            La rencontre entre Khaled et Wikström se déroule dans un lieu beckettien : « C’est ma chambre. – Non, c’est mon local poubelle. ». L’humanité de l’un sauvera l’autre, grâce à la solidarité, alors que rien ne l’y prédisposait. Ce sont les actes des hommes dans certaines situations qui révèlent leur vraie nature. La fin, limite Arlequin, est dite ouverte même si j’en connais un qui n’en sortira pas en bon état. Un peu facilement lacrymal sans être pour autant mélo.