[théâtre] Novarina : l’ombre de lui-même.

A la question « Qu’est-ce que le silence pour vous ? », Novarina me répondit dans sa période La voix négative : « La mort. ». C’est pour cela que la mise en scène de Le jeu des ombres est fondamentalement ratée : le sujet principal est la mort, à travers Orphée, mais Novarina, c’est la logorrhée (il reste quelques rares listes, de plus très réduites par rapport à ce qui est annoncé dans le texte – trop de coupes -, un duo comique qui permet de retrouver enfin notre Novarina d’antan, un monologue sur les conceptions de dieu de Leibnitz à … Ophélie Winter en passant par Serge Pey). Bien que la mort ait toujours été présente dans le théâtre de Novarina, c’est un sujet qu’il redoute quand il devient central, peut-être est-ce dû à l’âge avançant. Orphée réussit mieux à Pi. Novarina évite le fait qu’Orphée – ici un grand maigre comme un héroïnomane avec un blouson comme le conducteur de Drive -, se détourne des femmes, qui se vengent et le tuent, au profit des hommes. Pourtant Ovide (Les Métamorphoses, Livre X) est sans cesse cité, Dante est plus discret (les Enfers ; la toile de fond, inspirée lointainement de Kiefer, est plus réussie que les atroces crobars de Novarina) mais la présence de Virgile n’aurait pas été du luxe. La lyre est suggérée par un étrange instrument en fin de pièce, comme un rattrapage. L’auteur du Discours aux animaux se limite sur l’animalité et les animaux, son thème majeur, sauf vers la fin également. Le début est lent et peu novarinien, Novarina jette ses dernières forces dans le final. Nous nous prenons à rêver que toute la pièce ait été comme la fin.

La musique a toujours été présente dans le théâtre de Novarina. La pièce est une commande de Bellorini du TNP qui mit en scène Orfeo de Monteverdi à la Basilique de Saint-Denis (2017) alors qu’il dirigea le TGP : le créateur de L’opérette imaginaire, au service du metteur en scène, est réduit entre extraits d’opéra – pas toujours traduits -, la belle musique originale de Trouvé par un petit orchestre – c’est une tarte à la crème depuis des années – comme à Die Baracke puis la Schaubüne, quelques effets de cabarets, la chanson chilienne de Violeta Parra, Gracias a la vida, bref une comédie musicale avec des morceaux hétérogènes sans fluidité et cohérence autre que le thème, parfois très mal chantés pour deux acteurs notamment, dont une germanophone à l’allure teutonne que nous comprenons mal surtout quand elle présente les personnages au public – à faire passer Birkine pour une diva. C’est une co-création Novarina / Bellorini voire un putsch du metteur en scène sur le dramaturge qui n’arrive pas, à cause de la musique invasive, à laquelle tient Bellorini, à dérouler ses talents. Peut-être est-ce dû au Covid et à une création par transfert de fichiers. Avant, Novarina écrivait sur mesure pour les comédiens, Baudinat, Znik, Pinon, Sourdillon, Paccoud, Marcon, etc. La traversée de la langue n’a plus lieu, les effets de Novarina sont coupés et tournent donc un peu à vide. Il s’agit de fragments mal tissés et non une coulée, sans cesse gênée par d’autres extraits d’autres livres d’autres auteurs ou d’extraits musicaux. Il ne reste que le squelette ; heureusement que la langue est suffisamment forte pour résister au rouleau compresseur Bellorini. Les atroces costumes bobo kitchs de Makaïeff – la Criée, qui vit un atroce Falstafe du même Novarina en guise d’adieu cabotin de Maréchal qui me fit sortir de la salle avant la fin, ce qui est rare, est co-productrice de la pièce – n’arrangent rien. Un gloubiboulga indigeste. Pauvre Novarina ! La scénographie, assez pauvre, est brièvement réussie avec les restes de piano, un comique qui émerge, avec une lampe frontale ou non, d’une trappe du sol façon Beckett, un autre drolatique à la stature de Znik mais au talent moindre.

Sur la papier, la pièce avait tout pour réussir. Le metteur en scène, commanditaire, a parasité le texte trop engoncé ; Novarina a dû se limiter et se plier aux exigences de Bellorini. Quel dommage pour la première pièce de Novarina au Palais des Papes à Avignon entre deux vagues Covid, après un autre texte réussi créé à la Comédie française avec bonheur !