[Cinéma] Beau Limbo : noir, c’est noir

Une vraie baffe, ce seizième long métrage, un thriller flippant, entre Les bas-fonds de Renoir (1936) et Kurozawa (Donzoko, 1957), option Chien enragé (Nora inu, 1949) – mon polar préféré – à cause du flingue perdu, et les mains de mannequins dans Le baiser du tueur (Killer’s kiss, 1955) de Kubrick. A cause de la censure – le film hongkongais, très violent à faire passer Se7en (Fincher, 1995) et The Chaser (Chugyeokja, Na Hong-jin, 2008) pour des bluettes, est légitimement interdit aux moins de 16 ans -, le film est passé de la couleur au noir et blanc pour notre plus grand bonheur grâce à l’expressionnisme poisseux du directeur de la photographie, Cheng Siu Keung, proche du cinéma japonais des années 60-70 (Kobayashi, Okamoto, Misumi). Une scène de fuite d’un parking, quasi en split screen, est d’une beauté suffocante.

« Vous qui entrez ici, laissez toute espérance. », telle est l’inscription sur la porte de l’Enfer dans La divine comédie de Dante : pluie, déchetterie, poubelles, détritus dans un labyrinthe, sans abris (« On est pauvres et paumés, personne ne veut de nous »), parfois junkies, peuplent un univers clos et oppressant lardé d’un métro aérien noctambule. L’immigré japonais fou à bec de lièvre, un peu comme dans La charrette fantôme (Körkarlen, V. Sjöström, 1921 ; J. Duvivier, 1939) s’attèle à couper systématiquement la main gauche de jeunes femmes à l’aide d’instruments contendants rouillés comme une pelle, viole l’appât. Comme l’affirmait Renoir, chacun a ses raisons. Le scénario, un arc narratif circulaire (épanadiplose) et diabolique, tiré du roman Wisdom Tooth de l’écrivain chinois Lei Mi, est signé Kin-Yee Au, auteur de PTU (R, 2003), Judo (Yau doh lung fu bong, 2004), Triangle (Tit sam gok, 2007) de Johnnie To qui l’a parfois produit.

Le fils d’Ang Lee se tape une rage de dent, justifiant le titre en mandarin de Dent de sagesse, au sein d’un duo classique, jeune flic sortant de l’école contre vieux flic bourru. L’actrice et chanteuse chinoise Cya Liu, serinant « Je ne veux pas mourir. » tout en faisant montre d’une force de vie hors du commun, ne bénéficiera pas, dans le film, d’un traitement très #me too.

Grâce aux mérités prix de la photographie du Festival international du film fantastique de Catalogne 2021, prix du meilleur scénario, de la meilleure actrice, photographie et du meilleur décor du Hong Kong Film Awards 2022, Grand Prix et Prix de la critique du Reims Polar 2023, grâce à la pression du pręsident du jury – le plus américain des français -, Gimenez, Grand prix (prix du public) et prix du jury lycéen aux Hallucinations collectives 2023, le film sort finalement sur les grands écrans. De quoi être scotché au fond du siège.   Honni Soi qui mal y pense !

Limbo de Soi Cheang (2021, n & b, Hong Kong, 1h58, interdit au moins de 16 ans) avec Gordon Lam, Cya Liu, Mason C. Lee Sun, Ikeuchi Hiroyuki, Fish Liew, Hugo Ng, Sammy Sum, Hana Chan, Kumer So, Iris Lam, Fung Yuk-Cheung.

Laisser un commentaire