[ciné] Festival Lumière 2016 La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil : road polar pop

La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil, The lady in the car with glasses and a gun, 1970, 1h45, couleurs (Eastmancolor), 35mm, 2:35, CNP Terreaux

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La présentation s’est conclue par un échange informel et très bon enfant entre Quentin Tarantino, qui cite les derniers films en 1970 d’H. Hawks (Rio lobo), J. Negulesco (Hello-Goodbye), R. Corman (Le baron rouge, Von Richthofen and Brown), W. Wyler (On n’achète pas le silence, The liberation of L.B. Jones également présent au Festival Lumière cette année), Bertrand Tavernier, traducteur, qui ajoute sa pâte sur le Litvak français. Le film semble démodé, ce qui lui donne un charme certain, tout en y échappant. Le film est similaire à un giallo car on dirait ici un roman de gare. Thierry Frémaux, heureux d’annoncer une copie 35mm en présence du féru Quentin mais très rosée, ce qui va fort bien avec l’ambiance du film, avant probablement de tirer vers le rouge, comme La mort en direct (Tavernier, 1980), par exemple, avant numérisation. Isabelle Hubert, toute petite et emmitouflée dans ses vêtements, est dans la salle car elle tourne au même moment un film à Oullins.

     Si le marseillais Jean-Baptiste Rossi dit Japrisot est l’auteur de scénarios oubliés tels que Adieu l’ami (Jean Herman, 1968 avec Alain Delon et Charles Bronson), La course du lièvre à travers les champs (1972 avec Goodis) et Le passager de la pluie (René Clément, 1970 avec Marlène Jobert et Charles Bronson), Les enfants du marais (Jean Becker, 1999 avec Jacques Villeret, Jacques Gamblin et André Dussollier), il est, avec Simenon, l’auteur le plus adapté au cinéma avec Compartiment tueurs (Costa Gavras, 1965), Piège pour Cendrillon (André Cayatte, 1965 avec Jean Anouilh à l’adaptation), L’Eté meurtrier (Jean Becker, 1983), Un long dimanche de fiançailles (Jean-Pierre Jeunet, 2004) et bien sûr le film franco-américain La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil (Anatole Litvak, 1970).

C’est le dernier film d’Anatole (1902-1974), réalisateur américain d’origine ukrainienne de 33 films (après la UFA, il tourne Cœur de lilas, 1932 avec Jean Gabin ; Mayerling, 1936 avec Danielle Darrieux et Charles Boyer ; Pourquoi nous combattons, The Nazis strike, Divide and conquer, 1943-1945 films de propagande au côté de Franck Capra ; le mélodrame Un acte d’amour, 1953 ; un excellent thriller Raccrochez, c’est une erreur, Sorry, Wrong Number, 1948 avec Barbara Stanwyck, Burt Lancaster, film projeté dans la très prisée section Art of noir avec Eddie Muller de Frisco et Phil Garnier lors du Festival Lumière 2013 avec remise de prix à Tarantino ; un film sur la folie La Fosse aux serpents, The Snake Pit, 1948, avec Olivia de Havilland ; une délicieuse adaptation de Sagan avec Aimez-vous Brahms ?, Good-bye again, 1961 avec Ingrid Bergman, Yves Montand et Anthony Perkins ; La Nuit des généraux, The night of the generals, 1967 avec Peter O’Toole, Omar Sharif et Donald Pleasence, un film criminel aux ramifications psychologiques et historiques), doué d’un solide savoir-faire s’accommodant des impératifs commerciaux à la réputation d’artisan superficiel, qui a été « surpris et amusé » par le roman. Il faut dire que dans son roman publié en 1966, Sébastien Japrisot s’amusait à détourner les codes du noir. « La seule langue que je comprends, en dehors du français, est celle des images » déclarait Japrisot. Ici, nous vivons la leçon des films d’Hitchcock : plus un humain est innocent, plus les autres le croient coupables, à un point tel que l’individu se met à douter de lui-même et finit par se perdre dans le labyrinthe de la culpabilité qu’on lui attribue.

     Il s’agit, Ford thunderbird automatique bleue à l’appui, d’un road-movie pop voire psyché, peut-être une influence Boileau-Narcejac, sur la fameuse route du soleil, entre Paris et Villefranche-sur-Mer où la Côte d’Azur est fantasmée par un anglo-saxon. Nous voyons et sentons un parler ouvrier, les lieux de vie, les bals populaires du 14 juillet avé Pont d’Avignon. Il faut dire que le directeur de la photographie est Claude Renoir.

     Puisque Tarantino fantasme sur Samantha Eggar (1939-), trop sous-estimée selon lui, allons-y sur la belle. La britannique Victoria Louise Samantha Marie Elizabeth Thérèse, fille d’un père major dans l’armée de la majesté et d’une mère d’origine néerlandaise, sort du couvent. Après avoir joué au théâtre (Cecil Beaton, Shakespeare, Tchekhov), elle se lance dans le cinéma pour éclater dans L’obsédé (The Collector, William Wyler, 1965 cherchant à battre Psychose, Psycho, Hitchcock, sur son propre terrain, avec Golden Globe de la meilleure actrice, un prix d’interprétation féminine au festival de Cannes à la clé) aux côtés de Terence Stamp, un ancien camarade d’école éconduit qui tenait envers Samantha une rancœur tenace. Après une comédie (Rien ne sert de courir, Walk don’t run, Walters, 1966, aux côtés de Cary Grant qui signe ici sa dernière apparition au cinéma), une comédie musicale (L’extravagant Docteur Dolittle, Doctor Dolittle, Fleischer, 1967 avec le cabotin Rex Harrison dans le rôle-titre), elle tourne pour la télévision (6ème épisode de la saison 2 du Saint par exemple) tout en continuant avec Sean Connery et Richard Harris dans Traître sur commande (The Molly Maguires, Ritt, 197) ainsi qu’aux côtés de Kirk Douglas et Yul Brynner dans Le phare du bout du monde (The light at the edge of the world, Billington, 1971), une œuvre adaptée du roman du même nom de Jules Verne. Après quelques films en Italie (le giallo Overtime d’Armando Crispino, 1971), Samantha Eggar se retrouve à nouveau face à Oliver Reed, déjà rencontré dans le Litvak qui nous occupe, dans une œuvre singulière de David Cronenberg : Chromosome 3 (The brood,1979). Elle continuera à la tv dans les 80’s : Falcon Crest, Magnum ou Santa Barbara. La brune Samantha joue ici celle qui était blonde dans le roman où elle se nomme Dany Longo ; la secrétaire est d’origine italienne chez Japrisot.

     Si Stéphane Audran éclate de beauté snob, les seconds rôles sont croquignolets : Bernard Fresson en routier sympa, Marcel Bozzuffi en garagiste, Philippe Nicaud en policier suspicieux de la route à côté de … Jacques Legras, Jacques Fabbri en Docteur, André Oumansky en Bernard Thorr, l’amant maître chanteur et la jeune et jolie Martine Kelly.

La bande-son pop voire funcky de Legrand est, pour une fois, en adéquation avec le film : Je roule (chant : Petula Clark) ; Auxerre ; Mi, sol, mi, mi, re, re, mi ; Auberge Inn à Salieu ; Chalon-sur-blues ; Macon-sur-Marche ; Jerk-les-Avignon ; Le pont du Gard ; On the road (chant : Petula Clark) ; 14 Juillet 1970 ; Un cœur ; Deux piques ; Guatamalteque ; O-No-Ma-To-Pe ; La dame dans l’auto ; Les lunettes ; Le fusil.

Si nous nous doutons rapidement de l’intrigue, la résolution, didactique, est trop longue, comme dans le livre où Japrisot a besoin de soixante pages pour révéler qui a fait quoi quand comment. Cette séance était l’une des meilleures du Festival : intimiste, avec des invités passionnés, une copie 35mm rare, un public intéressé, l’impression d’être privilégié en voyant une rareté.

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