[ciné] Une découverte : Propriété privée

Propriété privée, Private Property, USA, 1960, 1h19, N & B, 1:66

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Who’s Leslie ?

Fils d’un vice-amiral de la marine américaine, Leslie Stevens écrivit une pièce au Mercury Theatre d’Orson Welles, avec qui il collabora quelques temps. Il devint scénariste pour Arthur Penn notamment (Le Gaucher, The left handed gun, 1958 d’après la pièce de Gore Vidal). Il tournera, sans succès également, peu de films : Incubus (1966), un film d’horreur dialogué en espéranto avec William Shatner, le capitaine Kirk de Star Trek, et l’ultime Three kinds of heat  (1987). Il est plus connu à la télévision grâce à la série de science-fiction Au-delà du réel (1963-1965), Le Virginien, L’Homme invisible.

Conditions spéciales

C’est en voyant la maison d’à côté, inoccupée, que lui vint cette image de deux hommes en train d’espionner leur voisine, ce qui ne laissera pas insensible Brian de Palma (Body double, 1984). Ce sera son premier film : Propriété privée. Il a été retrouvé récemment dans les archives de UCLA alors que tout le monde le croyait perdu. Si la copie est en 4k, nous distinguons des traitements différents pour la restauration de certaines scènes, plus ou moins détériorées, mises bout-à-bout.

Le polar, à l’intrigue qui tient sur un timbre-poste, est écrit, coproduit et réalisé par son auteur pour 60 000 dollars, tourné en 10 jours dans sa propre maison de Beverly Hills à Los Angeles avec sa propre femme, Kate Manx, pour son premier des deux films qu’elle tournera. La Nouvelle vague est passée par là. Il inaugure, en outre, un genre exploré ensuite dans Orange mécanique (A clockwork orange, S. Kubrick, 1971), Les chiens de paille (Straw dogs, S. Peckinpah, 1971), Les nerfs à vif (Cape fear, J. Lee Thompson, 1962 ; M. Scorsese, 1991) ou encore Funny games  (M. Haneke, 1997).

S’il s’agit d’une critique radicale de l’american way of life et du conflit de classe (le mari, agent d’assurance dépensant sans compter, qui ne regarde plus sa femme-trophée, parfumée et en nouveau « négligé », dame au foyer, faisant partie des meubles et attendant son argent de poche; « Cette femme-là ne poserait pas un regard sur vous. Laissez-moi vous dire une chose : tout est divisé en groupes, bien séparés, comme les oiseaux, les animaux, les reptiles. Un oiseau ne féconde pas un serpent. C’est impossible. Idem chez les humains. On ne mélange pas les groupes » dit le riche directeur commercial enlevé dans sa Buick skylark, dont il est si fier, dès une station-service par deux hommes semblant sortir de La route, The road, de Kerouac), il est également question, dans cette série B plus digne d’Alfred Hitchcock présente (Alfred Hitchcock Presents ; l’un des deux garçons se renseigne sur la présence dans les environs de la villa d’un certain Mr Hitchcock), qui a nourri Psychose (Psycho, 1960) que de Fenêtre sur cour (Rear window, 1954), du délitement d’un couple, certes pas sur le mode rosselinien ou bergmanien. Stevens refit jouer à Kate Manx un autre rôle de femme assaillie, chair à viol, dans Hero’s island (1962), film moins maîtrisé formellement. La réalité dépassa la fiction : elle demanda le divorce en 1962, juridiquement sordide, accusant son mari de cruauté ; elle se suicida en 1964 en avalant une dose massive de médicaments, laissant derrière elle un fils en bas âge.

Dans une ambiance qui remémore Le voyage de la peur (The hitch-iker, 1953, Ida Lupino, d’après des faits réels ; Festival Lumière 2014) et Reflets dans un œil d’or (Reflections in a golden eye, J. Huston, 1967 d’après le célèbre roman de Carson Mac Cullers), Corey Allen joue dans un rôle de sale type, Ducke –  amoureux ou méprisant, travaille-t-il pour son complice ou pour lui ? -, déjà inauguré chez Nicholas Ray, face à James Dean, dans La Fureur de vivre  (Rebel without a cause, 1955) et Traquenard (Party Girl, 1958), et Warren Oates, débute ici pour son 3e film, en puceau frustré, une carrière qui sera marquée par le Nouvel Hollywood, Sam Peckinpah et Monte Hellman notamment. La lecture homosexuelle est permise d’autant que, dans l’esprit de Des souris et des hommes de Steinbeck, le fruste, riant bêtement et faisant des reproches enfantins, et le malin dragueur, inséparables, l’un interprète un impuissant lors du viol pour sa première relation avec une femme, Duke raille Boots en lui lançant qu’il préférerait un vieux mec riche.

Image impeccable

     Le magnifique noir et blanc, jeux d’ombres et de lumières wellsiens, est signé du chef opérateur Ted McCord, directeur de la photographie du Trésor de la Sierra Madre de John Huston (1948) et d’À l’est d’Éden d’Elia Kazan (East of Eden, 1955 d’après un écrit de Steinbeck) ou encore chez Curtiz. Sans atteindre le formalisme du flippant Seconds, l’opération diabolique (Seconds, J. Frankenheimer, 1966), où la thématique prédomine dans le cinéma américain des années 70 ou Nouvel Hollywood, avec un danger qui ne vient plus d’étrangers lointains mais s’immisce, à la Théorème ( Teorema, P. P. Pasolini, 1968) dans un décor quotidien et s’introduit au cœur même du foyer, la scène de bataille dans l’eau et à l’air libre est incroyable avec ses prises de vue où les corps s’entremêlent comme une sculpture.

Le jeune cameraman Conrad L. Hall, futur directeur de la photographie de Luke la main froide (Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967), Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 1969) et American beauty (Sam Mendes, 1999), multiplie les gros plans, de visages notamment, la profondeur de champ, les contre-plongées qui changent le sens du film en une bascule étouffante. Un travelling montrant Ann et Duke danser jusqu’à se placer derrière une cage à oiseaux est lourd de sens. Il est rare de voir un filet de fumée sortant du fut du canon après le coup tiré. Dans une scène voyeuriste, métaphore d’Hollywood, la caméra cadre comme un ensemble, une scène télévisuelle, depuis l’arrière du canapé posté devant une fenêtre de la maison vide, les deux voyeurs et leurs commentaires lamentables, la bourgeoise esseulée blonde aux doigts et aux jambes interminables qui s’offre ingénument à leur propos salaces, puis une colline de Los Angeles comme décor en contrebas.

     So what ?

     Le film, bref, scandalisa avec ses références sexuelles explicites, son voyeurisme (femme se dandinant au bord de la piscine, caressant lascivement une bougie lorsque son mari lui parle d’opération financière, sa posture offerte devant le canapé, son relevé de jupe pour tenter de séduire son mari, spectateur en attente de viol).

Un film intéressant oblitéré par la répétition d’une parodie de Boléro de Ravel pour suggérer la montée de tension williamsienne.

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