« Sans pitié » : jouissif au pays du matin pas très calme !

Sans pitié, Bulhandang, Sung-hyun Byun, Corée du Sud, 2017, 1h57

AFR20170428001500884_04_i

  Vous avez aimé Les affranchis (Goodfellas, M. Scorsese, 1990) et Reservoir dogs (Q. Tarantino, 1992) ? Même baffe ici avec une entrée en matière fulgurante : « J’aime pas les poissons morts, t’as l’impression qu’ils se foutent de ta gueule ». Les chères bêtes aquatiques meurent les yeux grand ouverts, réflexion que je me fais à moi-même souvent, « et j’ai l’impression qu’ils me racontent des conneries ». A peine terminée cette évocation piscicole, que le type est buté tout de go. Le rouge est mis, le film de genre bien planté (le parrain qui mange du caviar à la cuillère en écoutant de l’opéra tout en narguant la flic), tendu comme un string : la buitoni (film interdit aux moins de 12 ans : voir la scène de torture à l’huile bouillante) s’étale dans de réjouissants gunfights où la chorégraphie est superbement réglée à la To ou Woo, sans omettre Ringo Lam (Prison on fire, Gam yuk fung wan, 1987; City on Fire, Lung foo fong wan, 1987 avec Yun-Fat Chow). Malgré un effet clipé et très stylisé, des mouvements de caméras (plans-séquences en boîte de nuit, travellings en prison, fusillade dans le noir ; courte focale, éclairage artificiel, balance des blancs peu naturelle ; recours à la Gopro pour suivre la projection des corps ou des savates; plans subjectifs d’un homme encagoulé, caméra qui colle au corps d’un personnage propulsé de l’autre côté d’une pièce) sont à couper le souffle. Pas de doute : le réalisateur sait filmer et digérer ses influences. La pointe d’humour affleure avec une cène suivant l’annonce de la voix off.

      La trame narrative, à tiroirs, est génialement déstructurée avec de nombreux flash-backs et flash forewards (trois époques : une antérieure à l’emprisonnement du flic infiltré, une durant la prison et enfin la période ultime des mois suivants la sortie de prison), à côté d’Infernal Affairs (Andrew Lau & Alan Mak, 2002) ou Raid 2 (Gareth Evans, 2014). Juste assez pour désorienter, pas trop pour ne pas perdre le spectateur. Les nombreux rebondissements, jusqu’à la fin, tiennent en haleine comme dans un manhwa, le manga coréen. L’âpre milieu carcéral avec son trafic de méth’ bleue comme dans Breaking Bad est mieux campé que dans Un prophète (Jacques Audiard, 2009). Infiltré, trahisons (« Ne fais confiance à personne, fais confiance aux circonstances »). Un chef de gang d’arnaqueurs est joué par la K-pop star Yim Si-wan. Jae-ho, homme de main d’un chef de gang passé caïd débonnaire en prison avec son rire de hyène caractéristique, comme dans Sang pour sang (Blood simple, Joel Coen, Ethan Coen, 1984) est joué par Seol Kyeong-gu, souvent présent dans les films de Lee Chang-dong dont l’excellent Peppermint Candy (Bakha satang, 1999) mais aussi Public enemy (Woo-Suk Kang, 2002)  et The last day (Je-Gyun Yun, 2005). Une relation ambiguë, teintée d’homosexualité latente, se joue entre les deux protagonistes dont l’expérimenté sait que l’éphèbe est un flic infiltré. Film d’hommes ? C’est oublier une flic teigneuse, obligée de rappeler à sa manière sa nouvelle recrue à l’ordre.  L’actrice Jeon Hye-Jin avait joué dans Fantasmes (Jang Sun-Woo, 2000).

      Ce troisième film, après une comédie musicale sur le rap coréen et une comédie romantique chaude, inédites hors de Corée, présenté à Cannes hors compétition à une séance de minuit avec standing ovation de 7 minutes, était l’une des révélations de la fête du cinéma, comme Black Coal (Bai ri yan huo, Yi’nan Diao, 2014) il y a trois ans. Une tuerie !

Laisser un commentaire