Chloé Delaume a son jardin secret de goth avec Indochine, moi, c’est Polnareff – ce qui me valut les sarcasmes de Rodolphe, excellent sculpteur de crânes et commissaire d’expo telle qu’à la Demeure du Chaos, rencontré par hasard dans le métro. J’assume ! Moins chichiteux que Björk et Radiohead, Polni nous laisse nos coussins, spécificité des Nuits de Fourvière, qui seront amplement lancés au point, fait notoire, que Michou en prendra un dans ses mains en chantant en chœur avec le public, sur un karaoké désynchronisé à l’arrière, l’ultime On ira tous au paradis. Même les rangées de réservés, pour une fois pas hués, font la hola.
Après l’album studio de 1990, Kâma Sûtra (1989, Sony Music, composé au bar du Royal Monceau), avec le désormais classique Goodbye Marylou, ici réduit, avec des aigus squizzés, il y a eu deux albums live (Live at the Roxy, 1996 et Ze re Tour 2007, 2007), des compils (1998, 2003), le livre de 2003, la chanson inédite Ophélie flagrant des lits en 2006, la tournée triomphale de 2007 (avec un passage dans la région à la Halle Tony Garnier à Lyon et au théâtre antique de Vienne), l’inauguration in vivo de la PolnaExpo au MuPop de Montluçon (« Quand je me suis vu sur les photos, effectivement, je ne reconnaissais pas l’individu qui portait mes lunettes… »), l’autobio Spèrme (2016), le single numérique sorti en décembre, L’homme en rouge (qui évoque « la solitude de beaucoup dans ce monde, notamment à l’occasion des fêtes de Noël »), cible de railleries sur les réseaux sociaux, un album tant attendu pop rock et gai avec voix démultipliées, voix de tête, voix de reverb, claviers déments, chœurs et cordes, qui traîne (allongement du temps d’enregistrement au studio ICP de Bruxelles où officièrent, entre autres, Bashung et l’ « ami » Renaud: « j’aime faire des choses compliquées avec une écoute facile » ; l’humidité nuirait aux voix et aux doigts ; difficulté à trouver un bon climat pour l’auto-producteur ; des musiciens ne s’entendaient pas entre eux ; des ingénieurs du son ont dû être remplacés), Polni continue sa tournée de 70 dates (Epernay, Marne ; Bercy, Paris avec la controverse qualifiée d’ « accident industriel » suite aux révélations de l’hebdomadaire économique Challenges avec Gerra qui en rajoute une couche drolatique; le Zénith de Rouen ; plusieurs festivals comme les Vieilles Charrues, Carhaix ; les Nuits de Fourvière, Lyon, etc.).
Après une bande son d’attente qui commença bien (Karma Police, Ok computer, Radiohead ; Teardrop, Liz Fraser, Mezzanine, Massive attack), une musique ringarde avec nappe synthé nous brise les oreilles. Dans la fosse, il y a 3 fans, dont un couple, en perruque blonde et lunettes blanches.
Sous la tronche iconique de Polnareff, sur l’écran et la grosse caisse, un compte à rebours, repris en chœur par le public, clignote sur les écrans « 10, 9, 8, 7, 6… ». Le septuagénaire peroxydé (moumoute ?), éternelles lunettes en montures blanches et carrées avec verres opaques inventées du temps des yéyés en 1968 par l’opticien parisien Pierre Marly pour le myope opéré d’une double cataracte, médaille dorée autour du cou, ceinture de boxer pour le biker bodybuildé et bedonnant, malgré une nutritionniste qui le suit partout, buriné sous le soleil de Californie à faire rougir Séguéla, costard noir et chemise blanche débordant en queue-de-pie, approche sous les ovations des tempes majoritairement grises. Il entonne La poupée qui fait non (1966, son premier carton qui le lança : « C’est une poupée qui fait non / Toute la journée, elle fait non / Elle est tellement jolie que j’en rêve la nuit.») puis Je suis un homme (« Les gens qui me voient passer dans la rue / Me traitent de pédé / Mais les femmes qui le croient / N’ont qu’à m’essayer (…) Je suis un homme / Quoi de plus naturel en somme / Au lit mon style correspond bien à mon état civil. »), créée contre l’accusation d’homosexualité à cause de son exceptionnelle voix de tête que reprendra son « pire ami » Obispo. Chargé d’anabolisants et ayant musclé son périnée, il est souvent en arrêt, jambes écartées, tel un jockey sortant d’un western, et micro renversé façon rockeur en transe, n’hésitant pas à appuyer l’effet.
Polni renoue avec l’« époque des débuts, j’étais l’Amiral, lié à ses moussaillons… Nous avions inventé notre langage ludique (merci se disait mer sea, bye-bye s’écrivait baille baille, on n’était pas OK mais au quai, etc.), avons vécu une expérience formidable, ludique, amusante. » (Interview de Polnareff par Philippe Manœuvre, qui a collaboré à un livre sur l’artiste, Polnareff par Polnareff, Rock and Folk, n° 584, 01/04/16, p. 62-69).
« Beaucoup de gens se plaignent qu’il n’y a pas de nouvel album mais, s’il y en avait un, cela ne changerait pas la construction du spectacle. Le public a envie d’entendre les chansons qui lui rappellent ses propres souvenirs », a expliqué le chanteur. Comme Monk, Coltrane ou Zappa le perfecionniste revient sans cesse sur son œuvre en la revisitant pour la parfaire. Ainsi « la version live 2016 de « L’Amour Avec Toi » n’a plus rien à voir avec l’original de 1966 ! Mais les bonnes chansons traversent le temps et les styles. La sauce change, pas le plat principal. » (Rock and Folk, n° 584, 01/04/16, p. 62-69). Si le tout est de bonne tenue, c’est la première fois que j’assiste à un massacre d’une chanson, Le bal des Laze, un désormais classique de la chanson française avec le laborieux Pierre Delanoë aux paroles (« Dans le château de Laze / Le plus grand bal de Londres / Lord et Lady de Laze / Recevaient le grand monde / Diamants, rubis, topazes / Et blanches robes longues / Caché dans le jardin / Moi je serrais les poings / Je regardais danser / Jane et son fiancé »), toute en dépouillement – qui fut un bide à sa sortie et interdit de radio à cause des pendus, par son compositeur et interprète, avec forces nappes synthés et guitares ainsi que les choristes en torsions ridicules et surannées sauce caricaturale Motown. Je me suis fortement esclaffé tout le long de la chanson. Si à l’époque, il lui fut préféré la face B, la chanson country blague, Y’à qu’un ch’veu (« Y’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu / Il n’y a qu’une dent, il n’y a qu’une dent / Y’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu / Y’a qu’une dent dans la mâchoire à Jean. »), elle vire ici soit à la colo soit, vu les tempes grisonnantes, à Age tendre et tête de bois. Polni s’amuse comme un fou ! C’est communicatif.
C’est un show à l’américaine, scénographié par Thomas Dechandon. A l’arrière, trône un écran en polygone avec projo, me remémorant lointainement le dispositif quadriphonique de Pink Floyd pour la tournée au début des années 90 de A momentary lapse of reason. Des figures 3D vintage imitant les hologrammes dessinent un chêne centenaire sur Qui a tué grand’ maman, une femme anamorphosée pour Goodbye Marylou. 2 claviers dont Nick Smith, 2 batteries (dont une avec percus, le seul Français de la troupe, Mino Cinelu, qui se donna à cœur joie pour un laps exotique ; Virgile Donati). Outre les deux derniers nommés, deux autres survivants de la tournée 2007 – c’est dire si ils sont bons tant le perfectionnisme de Polni est connu – s’activent, Brad Cole, chef d’orchestre et claviers, et Tony MacAlpine à la guitare, bras droit de … Steve Vai, qui fait le jam, avec Freddie Fox dans les électriques Dans la rue, Tam tam (l’homme préhisto) (Bulles, 1981), Tout, tout pour ma chérie (1969), plus réussie que lors de la tournée 2007, présentés avec de bizarres enchaînements, un long interlude de guitares heroes de variet’ , un peu ridicule, pour Smoke on the water de Deep purple – où les croulants se ridiculisèrent à le rejouer à Montreux cette année avec le fils de Zappa qui s’en est pourtant bien sorti, permettant à Polni de se faire la malle, ou encore Purple rain de feu Prince au milieu de Je t’aime. Pas de Radio ! De temps en temps, les intermittents s’activent dans la pénombre pour amener un piano à queue où Polni laisse majestueusement jouer ses doigts boudinés à la Fats Domino en voulant parfois démontrer en force sa virtuosité (Love me, please love me, l’un des « saucissons » ou tube, mot de Prévert, de 1966 grâce au sorcier d’Europe n°1, Lucien Morisse, terminé suicidé : « Devant tant d’indifférence / Parfois j’ai envie de me fondre dans la nuit / Au matin je reprends confiance Je me dis, je me dis / Tout pourrait changer aujourd’hui ») mais laissant toujours transparaître son plaisir de jouer. 4 choristes sur tabourets de bar(fly) dont 3 femmes noires aux longs cheveux ondulés, 1 canadienne de Vancouver – Polni se trompant sur sa localisation tout comme, ensuite, dans la présentation où il omet le bassiste malgré nos insistantes demandes, 2 de LA. Il insiste lourdement sur le mec.
Il faut dire que le décontracté Polnareff ne manque pas d’humour, notamment en jouant, tout en finesse digne de Bigard, sur le chiffre du département ou en insistant sur son nouvel album alors qu’il s’agit d’un défilé de ses anciens tubes. Se détache un Polnareff très généreux, frisant parfois avec le mauvais goût voire la vulgarité. Malgré sa légende tenace et ses casseroles, Polni n’a pas les nerfs sur scène. Toutes les facettes du personnage, authentique bien que show-biz, sont là. Re-à poil. A prendre ou à laisser.
Avec ce best-of réorchestré d’1h45, les mélodies sont impeccables, les arrangements musclés, la voix de tête miraculeusement conservée. Seul regret : la limitation des aigus, notamment pour Lettre à France (1977) où l’introduction a carrément disparu : « Depuis que je suis loin de toi / Je suis loin de moi / Oui, j’ai le mal de toi parfois / Même si je ne le dis pas, je pense à toi tout bas. »).
Malgré des gouttes de pluie pour l’attente, nous pouvons dire que nous avons entamé les Holidays (paroles : Jean-Loup Dabadie, désormais académicien). S’il se sent français à LA, il capte encore bien l’esprit du temps : « J’ai le sentiment de voir un pays qui perd un peu son identité » déclare-t-il justement à propos de la France au Figaro (interview de Bertrand Saint-Vincent, Le Figaro, n° 22290, Le Figaro et vous, 09/04/16, p. 28).