Emotions ukrainiennes

Contre-Sens est un bébé du Festival Sens Interdits, nous dit au TNP Patrick Penot, à côté de Jean Bellorini. Je suis derrière l’adjointe à la Culture, Mme Perrin-Gilbert. Repéré à la Manufacture (pavillon ukrainien), dans le off du dernier Avignon, le spectacle a tourné, dans l’urgence, dans 3 CDN Rhône-Alpes : la Comédie de Saint Etienne et de Valence. C’est Imperium delendum est, avec la variante Imperium delenda est, en référence à la phrase de Caton l’Ancien lors du débat au sénat romain pendant la 3e guerre punique. Un grand rideau en noir et blanc avec des expressions en hashtag.

7 femmes en costume militaire noir avec des liserés argentés et chapeau haut façon période bonapartiste du Lesia Ukrainka Lviv Academic Dramatic Theatre, mis en scène par Dymytro Zakhozhenko. L’hiver a été fatal à Bonaparte et Hitler ; le sera-t-il des valeureux ukrainiens ? Des voix magnifiques pour des chansons classiques ukrainiennes. Après chaque témoignage, poignant, un poème, écrit dans l’urgence, de Kateryna Kalytko, Halyna Kruk et Marjan Pyrozhok. L’une des 7 égrène les articles de la convention de Genève bafouée par la Russie. Des images de guerre qui défilent. Des cris de la haine de la guerre. Une femme qui se tord de douleur en gémissant et pleurant – c’est trop. Un projecteur cru nous éblouit. Je regarde une partie du spectacle, d’une heure, avec des lunettes de soleil. Dur de voir les surtitrages qui défilent parfois vite. L’émotion ne peut pas ne pas nous étreindre. Un moment fort.

A la fin, le public se lève, Mme Perrin-Gilbert assez peu. J’avoue avoir été gêné par un discours militariste ; certes, il faut prendre les armes, résister. Un homme au fond entonne l’hymne ukrainien, tout le monde reprend derrière. Les 7 femmes ont glissé le drapeau ukrainien sur scène. Pourquoi n’est-il pas sur le fronton du TNP en solidarité ?

[Concert, Nuits de Fourvière, « The Smile »] Façon jambon d’Yorke

Nuits de Fourvière, sous la pluie à la fin d’un concert bref de moins d’1 heure 25 pour 65€, ça passe mal : un peu déçu ; un Suisse ajouterait-il « déçu en bien » ? Pas sûr. 

Le trio créé à l’occasion du Covid, The Smile (« ce n’est pas un sourire de type ahah. Plutôt le sourire de celui qui ment à longueur de temps » selon Yorke), humour yorkien, avec le fidèle Nigel aux manettes : Tom, Jonny-le-génie & Skinner, l’un des batteurs de Sons of Kemet un groupe de jazz londonien qui aurait pu inspirer Bowie. C’est un peu plus que des fonds de tiroir de Radiohead mais un peu moins qu’un album construit. On nous a promis du rock, seuls deux morceaux sont pêchus, le reste est très prog voire electronica à coups de Moog.

Les musiciens sont tous multi-instrumentistes, Yorke et sa basse rouge, un énorme synthé pour des solos, Greenwood étonne en jouant en même temps du piano et de la harpe celtique. Le plus fascinant est Skinner : une métrique redoutable à la Stephen Morris de Joy Division, des variations subtiles à la Stewart Copleand, un toucher à la regretté Toni Allen. Un grand batteur.

Le concert est introduit par un poème de William Blake enregistré par le comédien irlandais Cillian Murphy (Batman & Inception de Nolan, Peaky Blinders), rappelant qu’il existe « un sourire d’amour et un sourire de tromperie ». Quoi de plus normal après 2 jours avec Nick Cave ?

Wall of sound vers les étoiles

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Ambiance

Je me vêtis d’une chemise, de beau style pas le truc beauf à la Magnum, à fleurs offerte par une amie allée à Hawaï. Pas de première partie. Juste une musique symphonique des tubes des Beach Boys en easy listening diffusée dans les baffles, limite mauvais goût. Une ambiance bon enfant où les générations se mêlent sans problème. Arrivé en avance, pas la queue des grands jours comme Radiohead, Björk, PJ Harvey ou d’autres. Echapper à la nana qui garde constamment ses lunettes de soleil et qui tente de resquiller en bout de rangée à l’aide d’un vieux à bouc qui passe son temps en selfies, tout comme un célibattant dans la queue d’entrée. Une beauté au teint laiteux et tâches de rousseurs qui contrastent avec les yeux verts sous cheveux noirs ébènes, genre échangiste, me mate alors que son mec, qui enverra de nombreux messages pendant le concert sur son téléphone, se force en bisous. La chieuse, probablement manipulatrice, lui semble attachée en apparence; grand bien lui fasse, chacun sa merde. Le côté femme fatale de toc nous plonge dans l’Hollywood classique.

21h tapante, le concert commence : la tournée Pet sounds, initiée en mars 2016, atterrit aux Nuits de Fourvière, au théâtre antique. C’est le seul concert que je verrai en 2017, contrairement à la richesse de la programmation l’année dernière (Radiohead, la déroutante PJ Harvey, Polni, Thindersticks … dans le petit théâtre, l’odéon, tout comme Bertrand Belin, etc.). 11 musiciens + le cabotin Chaplin, habillé en chemise verte et t-shirt rose pour que nous le remarquions bien, venu des Rolling stones, qui avait rejoint jadis les Beach Boys. Pendant ce temps-là, le cousin Mike Love, chemise bariolée à manches courtes, continue, en tant que co-créateur de chansons, sa tournée avec Bruce Johnston (Belgique avec inauguration récente d’une plage à Knokke suite à un concert mémorable il y a 30 ans ; l’Olympia, Picardie, etc.) sous le nom Beach Boys, suite à un long procès.

Alentours

Deux homos de grande taille vapotent et n’arrêtent pas de parler en commentant comme les vieux du Muppet show; devant, le gars s’affaire à filmer sur sa tablette plutôt qu’à regarder et écouter pendant qu’à côté les voisins usent du velcro pendant les chansons et chaussent leurs jumelles alors qu’ils sont au 6e rang.  Derrière des asiatiques s’excitent en français en inaugurant une chorale de cacophonies pendant que la musique, qui semble les gêner, est exécutée. Le théâtre se remplit pour finir lentement par être complet, ce qui n’était pas gagné. 50 € la place.

L’équipe de choc

      Un type joue de la guitare, du theremin, usité par Add N to (X) et Bashung (Madame rêve, La laiterie, Strasbourg pour la tournée des grands espaces), ou ondes Martenot, impossible de voir, et de la trompette. Un gars en gilet noir et chemise rose, portant à bout de bras le morse à baskets blanches Wilson, le seul qui reste puisque les 2 frères sont morts au grand dam d’une superbe basse disparue (Kokomo, chanson du retour des années 80, dont on oubliera l’inexpressif Tom Cruise dans le film dispensable Cocktail, Roger Donaldson, 1988, passera à la trappe), s’époumone en présentations façon show Las Vegas, limite ridicule et éculée, et en instruments à vent (saxos, clarinette, flûte, flûte traversière, harmonica) ; un petit jeune, le seul black, arrive à placer sa sauce grâce à son charisme avec son clavier et son omniprésent xylophone ; un autre gars se concentre sur ses deux claviers ; un batteur exceptionnel aux pompes bleues doublé d’un percussionniste qui délire parfois à la Sheila E. sur le rythme cubain joue également de la sonnette à vélo, Tour de France oblige; un grand musicien joue une grande basse blanche qui semble d’origine (celle de Brian ?), un peu trop forte au début. Al Jardin, cool bien qu’un peu scolaire en s’aidant de ses mains comme en répétitions, vieux beau avec sa trogne ravagée de Kennedy, chemise rose et pantalon bleu, joue de la guitare et arrive à pousser sa voix de belle manière en tirant sur le ratelier; son fils Matt, décontracté en noir, attaque avec maestria les aigus (le concert n’aurait pu avoir lieu sans lui) dans une tessiture incroyablement proche de Brian jeune; Wilson, à cause de l’obésité, se déplace difficilement mais arrive à se hisser à son piano blanc, tel Penguin contre Batman ou Beth Dito de feu Gossip, où il reste constamment assis, égaré parfois. Malgré ses 75 ans, Brian accuse l’âge, écarte parfois les bras au-dessus du piano tel un gourou égaré, et n’arrive pas à pousser la chansonnette, sauf à la fin puisque le ton est enfin juste, à part un étrange slam californien peu gangsta en repons ou curieux talk-over initié par Gainsbourg, mais désaccordé ici, tout le long du concert où il arrive tout de même à malheureusement gâcher la plus jolie chanson du monde, la sienne, God only knows. Les cordonniers sont décidément les plus mal chaussés. Il semble en effet parfois absent mais heureux d’être là, sentiment d’étrangeté de la part du spectateur.

Les jeux de lumières sont sobres avec 6 rideaux derrière, parfois un ton psyché avec cercles virant au rotorelief duchampien. Une gironde s’exhibe et se laisse éclairer par les portables qui ont remplacé les briquets.

Opéra

      Les instrumentaux Let’s go away for awhile et Pet sounds, concept que le regretté Pierre Henry n’aurait pas renié, car il s’agit de fêter tout de même les 50 ans de l’album mythique, permettent de saisir la dimension opératique de la musique de celui qui est sourd d’une oreille, le Mozart du XXe siècle, Brian Wilson. La sophistication est telle que le spectateur doit se concentrer un maximum et mesurer le génie de Wilson. Nous avons l’impression de rentrer dans le cerveau compositionnel de Brian, cette conception simultanée et symphonique avec effets de reliefs, auxquels seuls les sillons d’un disque vinyl savent rendre hommage, dus également au positionnement des instrumentistes et à l’enchevêtrement millimétré des phrases musicales. Cependant les morceaux, bien que dans l’exact enchaînement de Pet sounds, ne sont pas placés au bon endroit lors du concert. Plus de trompettes et surtout plus de cordes (dont violons, harpes) n’auraient pas nui, sans céder à l’inévitable orchestre symphonique quand un artiste ou un groupe est un peu essoufflé, mais le prix, abordable, n’aurait sans doute pas été le même. Aboiements de chien, Amtrack en doppler, les musiciens sortent pour un entracte forcé de 15 mn à 22h. L’âge se fait sentir.

Si Romero vient de mourir, Chaplin, le « mort vivant » (sic), qui n’a pas sucé que des glaçons tant il est ruiné par l’héro et ressemble à Keith Richards sans arriver à son niveau, affaiblit le concert pendant un tunnel de 3 chansons dans un cabotinage à coups de pelvis et de soli agaçants de guitare sur un emportement rock’n roll assez vain. Un cheveu sur la soupe. Un morceau émerge toutefois avec l’usage du theremin et crescendo musical. Tel Timothy Carey, même mort, il semble encore bouger pour se faire remarquer, à l’occasion des saluts également. Un singulier contraste avec Brian Wilson qui semble adopter la scène et en prendre son parti.

Surf

      Enfin, alors que le concert aurait pu se terminer sur le génial Good vibrations, les tubes, surf d’abord (Barbara Ann, Surfin’ USA, Fun, Fun, Fun), s’enchaînent à la vitesse de pointe d’un Amtrack, pour terminer sur un slow déchirant, mélancolie oblige, que Wilson entonne de bouche en biais comme pour s’excuser d’exister. Le public, assis, s’est précipité dans la fosse. Les ponts entre phrases musicales, le travail des transitions, sidèrent par leur inventivité et leur modernité. Seul un David Bowie, Queen dans la foulée, ou encore un Vannier ou Goraguer y arriveront.

Le wall of sound aura décidément été fatal entre la taule pour Phil suite à l’assassinat d’une femme et Brian qui, sous l’influence du psy-gourou Landy et quelques drogues agrémentées d’alcools (voir le biopic Love and mercy, Bill Pohlad, 2014), joua du piano à queue dans sa chambre, entouré d’un bac à sable couvert des crottes de son chien, Satie n’y voyant pas à redire de sa tombe. Voilà qui comble les 50 ans du summer of love où la canicule bat son plein, la pierre chaude du théâtre antique en est témoin, en espérant que, comme le regretté Bashung à la fin de sa vie, Wilson puisse accepter derrière son piano, comme un paravent pour le timide, et recevoir les vagues d’amours et de sympathie voire d’empathie du public généreux chauffé à blanc. Drôle d’attitude pour celui qui a dépassé le mur du son, traversé le miroir d’Alice. Un concert mémorable pour celui que nous sommes certains de saluer pour la dernière fois. 23h30, fin du concert ; un peu plus de 2h15 de pur bonheur stéréo en direct. Aux produits dérivés, un anglo-saxon peste contre la chaleur en enchaînant plus de « fuck » que chez Tarantino ou Scorsese.

[Musique] Nuits de Fourvière 2016, Lyon Polnareff a du nerf !

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Chloé Delaume a son jardin secret de goth avec Indochine, moi, c’est Polnareff – ce qui me valut les sarcasmes de Rodolphe, excellent sculpteur de crânes et commissaire d’expo telle qu’à la Demeure du Chaos, rencontré par hasard dans le métro. J’assume ! Moins chichiteux que Björk et Radiohead, Polni nous laisse nos coussins, spécificité des Nuits de Fourvière, qui seront amplement lancés au point, fait notoire, que Michou en prendra un dans ses mains en chantant en chœur avec le public, sur un karaoké désynchronisé à l’arrière, l’ultime On ira tous au paradis. Même les rangées de réservés, pour une fois pas hués, font la hola.

Après l’album studio de 1990, Kâma Sûtra (1989, Sony Music, composé au bar du Royal Monceau), avec le désormais classique Goodbye Marylou, ici réduit, avec des aigus squizzés, il y a eu deux albums live (Live at the Roxy, 1996 et Ze re Tour 2007, 2007), des compils (1998, 2003), le livre de 2003, la chanson inédite Ophélie flagrant des lits en 2006, la tournée triomphale de 2007 (avec un passage dans la région à la Halle Tony Garnier à Lyon et au théâtre antique de Vienne), l’inauguration in vivo de la PolnaExpo au MuPop de Montluçon (« Quand je me suis vu sur les photos, effectivement, je ne reconnaissais pas l’individu qui portait mes lunettes… »), l’autobio Spèrme (2016), le single numérique sorti en décembre, L’homme en rouge (qui évoque « la solitude de beaucoup dans ce monde, notamment à l’occasion des fêtes de Noël »), cible de railleries sur les réseaux sociaux, un album tant attendu pop rock et gai avec voix démultipliées, voix de tête, voix de reverb, claviers déments, chœurs et cordes, qui traîne (allongement du temps d’enregistrement au studio ICP de Bruxelles où officièrent, entre autres, Bashung et l’ « ami » Renaud: « j’aime faire des choses compliquées avec une écoute facile » ; l’humidité nuirait aux voix et aux doigts ; difficulté à trouver un bon climat pour l’auto-producteur ; des musiciens ne s’entendaient pas entre eux ; des ingénieurs du son ont dû être remplacés), Polni continue sa tournée de 70 dates (Epernay, Marne ; Bercy, Paris avec la controverse qualifiée d’ « accident industriel » suite aux révélations de l’hebdomadaire économique Challenges avec Gerra qui en rajoute une couche drolatique; le Zénith de Rouen ; plusieurs festivals comme les Vieilles Charrues, Carhaix ; les Nuits de Fourvière, Lyon, etc.).

       Après une bande son d’attente qui commença bien (Karma Police, Ok computer, Radiohead ; Teardrop, Liz Fraser, Mezzanine, Massive attack), une musique ringarde avec nappe synthé nous brise les oreilles. Dans la fosse, il y a 3 fans, dont un couple, en perruque blonde et lunettes blanches.

Sous la tronche iconique de Polnareff, sur l’écran et la grosse caisse, un compte à rebours, repris en chœur par le public, clignote sur les écrans « 10, 9, 8, 7, 6… ». Le septuagénaire peroxydé (moumoute ?), éternelles lunettes en montures blanches et carrées avec verres opaques inventées du temps des yéyés en 1968 par l’opticien parisien Pierre Marly pour le myope opéré d’une double cataracte, médaille dorée autour du cou, ceinture de boxer pour le biker bodybuildé et bedonnant, malgré une nutritionniste qui le suit partout, buriné sous le soleil de Californie à faire rougir Séguéla, costard noir et chemise blanche débordant en queue-de-pie, approche sous les ovations des tempes majoritairement grises. Il entonne La poupée qui fait non (1966, son premier carton qui le lança : « C’est une poupée qui fait non / Toute la journée, elle fait non / Elle est tellement jolie que j’en rêve la nuit.») puis Je suis un homme (« Les gens qui me voient passer dans la rue / Me traitent de pédé / Mais les femmes qui le croient / N’ont qu’à m’essayer (…) Je suis un homme / Quoi de plus naturel en somme / Au lit mon style correspond bien à mon état civil. »), créée contre l’accusation d’homosexualité à cause de son exceptionnelle voix de tête que reprendra son « pire ami » Obispo. Chargé d’anabolisants et ayant musclé son périnée, il est souvent en arrêt, jambes écartées, tel un jockey sortant d’un western, et micro renversé façon rockeur en transe, n’hésitant pas à appuyer l’effet.

Polni renoue avec l’« époque des débuts, j’étais l’Amiral, lié à ses moussaillons… Nous avions inventé notre langage ludique (merci se disait mer sea, bye-bye s’écrivait baille baille, on n’était pas OK mais au quai, etc.), avons vécu une expérience formidable, ludique, amusante. » (Interview de Polnareff par Philippe Manœuvre, qui a collaboré à un livre sur l’artiste, Polnareff par Polnareff, Rock and Folk, n° 584, 01/04/16, p. 62-69).

« Beaucoup de gens se plaignent qu’il n’y a pas de nouvel album mais, s’il y en avait un, cela ne changerait pas la construction du spectacle. Le public a envie d’entendre les chansons qui lui rappellent ses propres souvenirs », a expliqué le chanteur. Comme Monk, Coltrane ou Zappa le perfecionniste revient sans cesse sur son œuvre en la revisitant pour la parfaire. Ainsi « la version live 2016 de « L’Amour Avec Toi » n’a plus rien à voir avec l’original de 1966 ! Mais les bonnes chansons traversent le temps et les styles. La sauce change, pas le plat principal. » (Rock and Folk, n° 584, 01/04/16, p. 62-69). Si le tout est de bonne tenue, c’est la première fois que j’assiste à un massacre d’une chanson, Le bal des Laze, un désormais classique de la chanson française avec le laborieux Pierre Delanoë aux paroles (« Dans le château de Laze / Le plus grand bal de Londres / Lord et Lady de Laze / Recevaient le grand monde / Diamants, rubis, topazes / Et blanches robes longues / Caché dans le jardin / Moi je serrais les poings / Je regardais danser / Jane et son fiancé »), toute en dépouillement – qui fut un bide à sa sortie et interdit de radio à cause des pendus, par son compositeur et interprète, avec forces nappes synthés et guitares ainsi que les choristes en torsions ridicules et surannées sauce caricaturale Motown. Je me suis fortement esclaffé tout le long de la chanson. Si à l’époque, il lui fut préféré la face B, la chanson country blague, Y’à qu’un ch’veuY’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu / Il n’y a qu’une dent, il n’y a qu’une dent / Y’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu / Y’a qu’une dent dans la mâchoire à Jean. »), elle vire ici soit à la colo soit, vu les tempes grisonnantes, à Age tendre et tête de bois. Polni s’amuse comme un fou ! C’est communicatif.

C’est un show à l’américaine, scénographié par Thomas Dechandon. A l’arrière, trône un écran en polygone avec projo, me remémorant lointainement le dispositif quadriphonique de Pink Floyd pour la tournée au début des années 90 de A momentary lapse of reason. Des figures 3D vintage imitant les hologrammes dessinent un chêne centenaire sur Qui a tué grand’ maman, une femme anamorphosée pour Goodbye Marylou. 2 claviers dont Nick Smith, 2 batteries (dont une avec percus, le seul Français de la troupe, Mino Cinelu, qui se donna à cœur joie pour un laps exotique ; Virgile Donati). Outre les deux derniers nommés, deux autres survivants de la tournée 2007 – c’est dire si ils sont bons tant le perfectionnisme de Polni est connu – s’activent, Brad Cole, chef d’orchestre et claviers, et Tony MacAlpine à la guitare, bras droit de … Steve Vai, qui fait le jam, avec Freddie Fox dans les électriques Dans la rue, Tam tam (l’homme préhisto) (Bulles, 1981), Tout, tout pour ma chérie (1969), plus réussie que lors de la tournée 2007, présentés avec de bizarres enchaînements, un long interlude de guitares heroes de variet’ , un peu ridicule, pour Smoke on the water de Deep purple – où les croulants se ridiculisèrent à le rejouer à Montreux cette année avec le fils de Zappa qui s’en est pourtant bien sorti, permettant à Polni de se faire la malle, ou encore Purple rain de feu Prince au milieu de Je t’aime. Pas de Radio ! De temps en temps, les intermittents s’activent dans la pénombre pour amener un piano à queue où Polni laisse majestueusement jouer ses doigts boudinés à la Fats Domino en voulant parfois démontrer en force sa virtuosité (Love me, please love me, l’un des « saucissons » ou tube, mot de Prévert, de 1966 grâce au sorcier d’Europe n°1, Lucien Morisse, terminé suicidé : « Devant tant d’indifférence / Parfois j’ai envie de me fondre dans la nuit / Au matin je reprends confiance Je me dis, je me dis / Tout pourrait changer aujourd’hui ») mais laissant toujours transparaître son plaisir de jouer. 4 choristes sur tabourets de bar(fly) dont 3 femmes noires aux longs cheveux ondulés, 1 canadienne de Vancouver – Polni se trompant sur sa localisation tout comme, ensuite, dans la présentation où il omet le bassiste malgré nos insistantes demandes, 2 de LA. Il insiste lourdement sur le mec.

Il faut dire que le décontracté Polnareff ne manque pas d’humour, notamment en jouant, tout en finesse digne de Bigard, sur le chiffre du département ou en insistant sur son nouvel album alors qu’il s’agit d’un défilé de ses anciens tubes. Se détache un Polnareff très généreux, frisant parfois avec le mauvais goût voire la vulgarité. Malgré sa légende tenace et ses casseroles, Polni n’a pas les nerfs sur scène. Toutes les facettes du personnage, authentique bien que show-biz, sont là. Re-à poil. A prendre ou à laisser.

       Avec ce best-of réorchestré d’1h45, les mélodies sont impeccables, les arrangements musclés, la voix de tête miraculeusement conservée. Seul regret : la limitation des aigus, notamment pour Lettre à France (1977) où l’introduction a carrément disparu : « Depuis que je suis loin de toi / Je suis loin de moi / Oui, j’ai le mal de toi parfois / Même si je ne le dis pas, je pense à toi tout bas. »).

Malgré des gouttes de pluie pour l’attente, nous pouvons dire que nous avons entamé les Holidays (paroles : Jean-Loup Dabadie, désormais académicien). S’il se sent français à LA, il capte encore bien l’esprit du temps : « J’ai le sentiment de voir un pays qui perd un peu son identité » déclare-t-il justement à propos de la France au Figaro (interview de Bertrand Saint-Vincent, Le Figaro, n° 22290, Le Figaro et vous, 09/04/16, p. 28).