[Ciné] Festival Lumière 2016 Jour 1 Hill, la colline à son sommet.

Driver, The driver, Walter Hill, 1978, 1h31, couleurs, 1:85, numérique, Institut Lumière, Hangar

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Hill, un poids walter ?

Démarrage doux avec rhinopharyngite : 2 films dans la journée. Pour la première fois, le Festival commence le week-end précédent, profitons. Venir voir sans conviction Driver pour un second couteau d’Hollywood, n’eût été sa rétrospective à la Cinémathèque française en décembre 2005, comme Ted Kotcheff l’année dernière au Festival Lumière.

Doux n’est pas le terme au regard du réalisateur à la testostérone Walter Hill au style sec et brutal qui agrémente Driver, un film à l’os (le voyou, la fille, le flic, la voiture et la ville) de deux poursuites en voiture mémorables de plus d’une dizaine de minutes chacune en montage rapide (Robert K. Lambert et Tina Hirsch qui avait déjà monté Death Race 2000, La Course à la mort de l’an 2000, Paul Bartel, 1975 et À plein gaz, Eat My Dust, Charles B. Griffith, 1976), l’une en ouverture afin de plonger le spectateur directement dans l’action, l’autre à la fin sur le thème de la chasse (la scène de cache-cache dans l’entrepôt), tournée de façon fluide à rez de pare-chocs, à l’intérieur de l’habitacle, en plans larges et parfois en caméras subjective pour amplifier le sens de la vitesse et du danger.

Même si le western n’est pas loin puisque le flic (« le plus amusant dans notre métier, c’est la chasse à l’homme ») appelle le chauffeur « cow-boy », qui écoute toujours de la country sur un poste radio portatif, c’est parti pour le stock cars avec modèle vintage de Chevy et Mercedes-Benz orange vif à mille chevaux.

Un cinéaste de genre

Tavernier, sorti de son cancer mais pestant contre son arthrose et sa sciatique, commence la présentation. Pour lui, Hill relance le cinéma de genre (« je suis un cinéaste de genre, or nous sommes dans une période de l’histoire de la critique très favorable aux cinéastes de genre » affirmait Hill en 2005). Il réinvestit le western avec « Geronimo » (Geronimo : an american legend, 1993) et un autre où Calamity devient une pochtronne ; un cadavre est jeté aux porcs, ce qui choqua. C’est un cinéaste anarchiste. Il est à l’origine d’Alien (Ridley Scott, 1978). Il commence à être réhabilité. Il a travaillé avec un grand décorateur, Harry Harner, qui a œuvré dans Rio Grande (John Ford, 1950), Les Arnaqueurs (The Grifters, Stephen Frears, 1990).

Hill, un franc-tireur dans le Nouvel Hollywood finissant

Ajoutons aux propos de Tavernier que Hill est le successeur des réalisateurs hollywoodiens « francs-tireurs » comme Samuel Fuller (logique sociale), Robert Aldrich (logique politique) ou Sam Peckinpah (logique humaniste dans la filiation Charles Dickens / D.W. Griffith / John Ford / Kurosawa où, par exemple le garde du corps est incarné par Toshiro Mifune dont la profession donnait son titre au film Yojimbo, le garde du corps, Yôjinbô, 1961) pour lequel il signera le scénario de Guet-apens (The gateway, 1972 ; avec Steve McQueen et Ali MacGraw, adapté de Jim Thompson ; la tenue qu’arbore le « driver » renvoie au Doc McCoy ; l’épisode du sac rempli de dollars dans une consigne de gare ferroviaire et de la traque dans un train est commun). Hill avait écrit également des scénarios de John Huston (le déjà abstrait Le Piège, The Makintosh man, 1973) ou Stuart Rosenberg (La toile d’araignée, The drowning pool, 1975). Hill s’inscrit précisément dans le Nouvel Hollywood finissant dans la ligne de Tobe Hooper et son Crocodile de la mort (Eaten Alive, 1976).

C’est le 2e film d’Hill, après le Bagarreur (Hard times, 1975 avec un déjà mutique Charles Bronson au côté de James Coburn). Walter Hill n’a pas tout de suite trouvé les financements pour se lancer dans un nouveau film. Soutenu par le même producteur, Lawrence Gordon, il effectue un virage vers le petit écran en créant Dog and cat (1977), une fantaisie policière qui a pour co-vedette une jeune débutante, Kim Basinger. Matt Clark présent dans la série sera un second rôle consistant dans Driver. La série fait un flop, après seulement 6 épisodes.

Dans les années 1970, la société britannique EMI Films, filiale du EMI Group, souhaite produire des films américains, avec l’aide des producteurs Michael Deeley et Barry Spikings. Driver, dont Hill envoya une copie de son premier jet de scénario à Raoul Walsh qui lui donna son approbation, tout comme Voyage au bout de l’enfer (Deer hunter, Michael Cimino, 1978), fait partie de ses films.

Hill : la colline a des yeux

Hill rappelle que le film a été écrit en 1976, tourné en 1977 et sorti en 1978. C’était un désastre critique et commercial. C’est le film actuellement le plus projeté de lui au point de devenir culte. Quentin Tarantino, présent au festival, a adressé de nombreux clins d’œil au détour de Pulp fiction (1994), Kill Bill Vol. 2 (2004) ou Boulevard de la mort (Death proof, 2007). Il a également influencé James Cameron pour Terminator (The Terminator, 1984) avec certains plans de poursuites dans un tunnel, Michael Mann (Le solitaire, Thief, 1981 ; Heat, 1995; Collatéral, Collateral, 2004) ou encore Nicolas Winding Refn (cf. le papier glacé arty Drive, 2011 à la limite, parfois du pastiche : le héros est un chauffeur pour braqueurs, expert en conduite sous haute pression ; la rencontre avec une femme va introduire une complication dans son quotidien méthodique ; l’anti-héros est caractérisé par une attitude renfermée et silencieuse ; le personnage n’est pas nommé ; d’impressionnantes séquences de conduite sont également communes aux deux films).

Abstractions

Il s’est intéressé au conducteur, à l’utilisation du cadre, soigné par le chef opérateur Philip H. Lathrop (La panthère rose, The pink panther, Blake Edwards, 1963 ; On achève bien les chevaux, They shoot horses, don’t they ?, Sydney Pollack, 1969). Il voulait faire un film noir. Mais il trouve la pureté au-delà du geste, de l’épure et du mouvement de genre. L’abstraction, digne du minimalisme de Le samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967 ; le mutisme ; la scène où le conducteur est innocenté au cours d’une identification de suspects par une femme qui l’a pourtant reconnu lors d’un braquage dans un casino ; le rôle féminin de l’intermédiaire) ou encore de Macadam à deux voies (Two-lane blacktop, 1971) de Monte Hellman, correspond à une géométrie de l’espace soulignée par la profondeur de la ville Los Angeles (Downtown Los Angeles, Union Station) devenue un immense terrain de jeu nocturne à ciel ouvert, une cité en partie conçue, comme Barcelone, sur le modèle romain de l’échiquier (urbs), sur les vastes artères éclairées par les innombrables néons présents dans les polars, sur la lumière crépusculaire suggérant une ambiance nocturne hypnotique, sur le sens du rythme (fluidité, montage nerveux, ruptures de rythmes), sur des décors dépouillés (ruelles désertes, parkings désaffectés, ascenseurs, petites chambres banales), sur une économie de moyens tant narratifs confinant à la sécheresse du récit, que visuels, sur une caractérisation sommaire des personnages sans psychologie, ne se définissant que dans l’action par leur fonction (action/ réaction : les personnages sans nom sont driver/cowboy, le flic/shérif et la fille/joueuse), sur la bande-son minimaliste de Michael Small à coups de voitures vrombissantes, de crissements de pneus, de tôles froissées, de sirènes hurlantes, de cris aigus du klaxon. Si le personnage principal, mélancolique, ne s’exprime qu’au bout d’une dizaine de minutes, il prononce seulement 350 mots dans tout le film. Enfin, d’une durée de plus de deux heures, l’œuvre fut brutalement ramenée à 90 minutes pour l’exploitation, coupant ainsi le prologue alternatif plus explicatif sur les relations entre les personnages et leurs motivations. Il ne tournerait plus comme ça désormais : trop esthétisant, affirme-t-il. Maintenant, il est plus sur les bords, de façon plus désordonnée. Peut-être aurait-il plus penché du côté commercial à fort impact d’un John Frankenheimer ou d’un William Friedkin (French connection, The french connection, 1971 ; Le convoi de la peur, Sorcerer, 1977).

Adjani n’a pas ses adjas

Le film a été écrit pour une femme américaine. Les studios désiraient une femme européenne. Hill a cherché une personne mystérieuse. Il se souvenait d’Adjani chez Truffaut (L’histoire d’Adèle H., 1975). Elle était agréable dans le travail. Isabelle Adjani, âgée de 22 ans, se lance ici dans sa première expérience hollywoodienne après avoir refusé un rôle dans De l’autre côté de minuit (The other side of midnight, Charles Jarrott 1977). Contrairement à Catherine Deneuve dans la Cité des dangers (Hustle, Robert Aldrich, 1975) par exemple, Adjani, plus proche ici d’Angie Dickinson chez Howard Hawks et coiffée comme Lauren Bacall, précise : « j’ai accepté ce rôle d’abord parce que ce n’est pas un rôle de française ». Elle est ici fantomatique comme Meiko Kaji et plus belle que jamais, entre Violette et François (Jacques Rouffio, 1977) et Nosferatu, fantôme de la nuit » (Nosferatu : phantom der nacht, Werner Herzog, 1979).

Les acteurs

Curieux de voir Barry Lyndon, Ryan O’Neal (Stanley Kubrick, 1975), échappé de Love Story (Arthur Hiller, 1970), mais il est meilleur avec son visage candide, presque enfantin, qui cache pourtant une dureté et une force de caractère incroyables, que l’inexpressif et surestimé, l’autre Ryan, Gosling.

Bruce Dern, en flic obsessionnel, en fait un des tonnes avec ses regards déments et ses gestes frénétiques.

Bonne série B

Nous sommes dans une bonne série B, à cause du petit budget, comme Bullitt (Peter Yates, 1968). Et pour cause, Hill a travaillé comme assistant sur le film. Steve McQueen a été le premier choix pour jouer le « driver ». Aurait-il été aussi impassible que dans L’affaire Thomas Crown (The Thomas Crown affair, Norman Jewison, 1968) sur lequel Hill a été assistant aux côtés du monteur Hal Ashby ? Vroum, quand mon cœur fait vroum.

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