[Ciné] Festival Lumière 2016 Jour 4 Pas vilain, le « Jeux de mains »

Jeux de mains, Hands across the table, Mitchell Leisen, 1935, noir et blanc, 1h19, 35mm, format 1:37, Institut Lumière, Hangar.

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Sire Sire

Antoine Sire, conteur comme son père à la radio, présente de façon passionnante le film à la croisée entre la rétrospective Hollywood, la cité des femmes lors du Festival Lumière et la sortie concomitante du livre du pas triste Sire, Hollywood, la cité des femmes. Paris, Lyon : Actes sud / Institut Lumière, 2016. 1206 p. 59 €.

Who is Leisen ?

Leisen (1898-1972), s’il est célèbre aux Etats-Unis, est peu connu en France. Il fait partie pourtant des grands de la comédie romantique avec une pointe de mélancolie : sa compassion; le rêve américain est dynamité. C’est un cinéaste populaire de la Paramount. C’était un militaire devenu architecte puis dessinateur employé par le théâtre (L’admirable Crichton, 1919, costumes ; Le roi des rois, 1927, décoration ou Le signe de la croix, 1932, costumes et décoration) puis un ancien costumier et décorateur de DeMille entre autres, boosté par Fairbanks, un homosexuel qui était adoré de ses actrices pour sa direction, n’eût été sa sale réputation de « sagouilleur de brillant scénario », colportée par les médisants Wilder et Sturges car Mitch osait les retoucher (les scénarios, voyons !). Il est parfois vu également comme un cinéaste décoratif avec force accessoires, superficiel, trop attaché à enluminer ses arrière-plans et à transformer ses acteurs en gravures de mode. Il s’en tire avec une réputation de vaine « préciosité ». Cinéaste réputé futile et esthétisant, son œuvre fut vite oubliée. Il a pourtant également tourné des mélodrames (Swing High, Swing Low, 1937), Par la porte d’or, Hold back the dawn, 1941 avec Boyer, De Havilland et Goddard ou encore À chacun son destin, To each his own, 1946). Sa carrière déclinant à Hollywood dès 1946, il la termine par une abondante production télévisée. Une sacrée découverte, c’est tout l’intérêt de ce Festival.

Under depression

Nous sommes après la crise de 1929 et l’adoption du Code Hayes à Hollywood. N.T. Binh souligne ailleurs que la figure récurrente de la comédie hollywoodienne post-Grande Dépression est la gold digger, la « chercheuse d’or » qui espère la fortune par le mariage.

Les acteurs

Sax MacMurray

Fred MacMurray, cet ancien saxo et chanteur dont c’est le troisième film et la première comédie, est spontané au téléphone : c’est une scène improvisée. De même celle de son fou rire, irrésistible. Dire que l’excellent Gary Cooper a été le premier choix ! Leisen raconte (Chierichetti, David. Hollywood director : the career of Mitchell Leisen. New York : Curtis Books, 1973. Préface de Dorothy Lamour. 398 p.; Mitchell Leisen : Hollywood director. Los Angeles, Calif. : Photoventures Press, 1995, 343 p. d’après sa thèse) que Lombard faisait littéralement des pieds et des mains (d’où son rôle de manucure, plus drôle que Deneuve dans Répulsions, R. Polanski, 1965 !) pour le faire sortir de sa coquille : « Fred, sois drôle, ou je t’épile complètement les sourcils ! »

Craquante Lombard

Sire est touchant à propos de Carole Lombard, un énième destin brisé d’Hollywood babylon. Elle venait d’Indianapolis. Elle « était une femme d’exception, un extraordinaire mélange de culot et de self-control, de sincérité et d’ambition, de légèreté et de profondeur ». Elle avait compris comment faire rire, même à ses dépens pour une star en concurrence avec d’autres actrices. Elle avait choisi un chemin de traverse, le rire. Ici, elle décide de « tomber amoureuse d’un portefeuille ». Elle adorait les canulars poussés : comme elle tourna avec Hitchcock alors que sa réputation était de traiter les acteurs comme du bétail, déclaration du metteur en scène à l’appui, elle amena des bovins sur le plateau à sa place. Elle est belle, glamour mais était complexée à cause d’un accident de voiture où elle a été blessée au visage, désirant se faire opérer sans anesthésie pour conserver son intégrité physique. En effet, malgré le maquillage, une cicatrice est observable sur la joue gauche. Elle se spécialise dans la screwball comedy, notamment chez Hawks. Puis elle choisissait des films taillés pour elle. Jeux de mains est le premier film, hoquet à l’appui, d’une longue série de rôles similaires que jouera Lombard à la Paramount.

Carol Lombard affine le personnage seulement ébauché par Ben Hecht et Howard Hawks dans Twentieth Century (Train de luxe, 1934) qui culminera dix ans plus tard dans le To be or not to be (1942) de Lubitsch. La cité des femmes : ici l’héroïne se montre entreprenante devant des mâles plus ternes qu’elle. MacMurray doit chercher du travail, alors qu’il ne s’est jamais servi de ses mains. Comment oublier également la copine adepte de numérologie ?

Elle était mariée avec Clarke Gable, un compulsif sexuel qui avait violé Myrna Loy, Loretta Young. S’il refuse de participer à l’effort de guerre, elle s’y plongea généreusement en 1942. C’est lors d’un déplacement vers le plateau de tournage pour tenir son homme donnant la répartie à une belle actrice qu’elle se tua à 33 ans, suite à un accident fatal d’avion. Gable était inconsolable.

Une comédie raffinée

L’histoire est écrite par Norman Krasna, Vincent Lawrence et Herbert Fields. Lubitsch, éphémère chef de production au studio en 1935, supervisa anonymement le film. L’écriture est fine avec des inserts ralentissant la comédie en la complexifiant pour notre plaisir : une très belle enclave nocturne au milieu du film où se joue, en chambre, sous une lumière très contrastée, les tenants du choix de nos deux héros, au milieu de silences, d’allées et venues, d’hésitations et de pleurs; le douloureux sacrifice du troisième tiers, de l’aviateur paralysé qui aimait sincèrement sa petite manucure, et qui cède sa place presque sereinement, acceptant l’enfer de sa solitude comme condition d’existence, devant la santé, la jeunesse et l’intensité d’un désir qui éclate devant lui et ne lui ressemble pas.

En sus

A noter que de nombreux membres de la distribution n’apparaissent pas au générique : Katherine DeMille (Katherine Travis), Nell Craig et Alla Mentone (vendeuses), James Adamson (Porter), John Huettner (cireur de chaussures), Rod Wilson (joueur de piano), Mary MacLaren (femme de chambre), Herman Bing (logeur) et ‘Dutch’ Hendrian (conducteur de taxi) et, peut-être aussi Russell Hopton.

Autre étrangeté, Samuel Goldwyn a initialement acheté l’histoire de ce film auprès de Miriam Hopkins. Cependant, étant occupée sur d’autres projets, la Goldwyn a ensuite vendu l’histoire à la Paramount. Ce film, parmi un catalogue de 700 œuvres a été vendu à MCA / Universal en 1958 pour la diffusion à la télévision.

Le film, enlevé, réjouissant et bien mené, a été projeté au Festival du film américain de Deauville ainsi que lors d’une rétrospective Leisen à la Cinémathèque en 2008. Il a été diffusé par Tavernier, au goût décidément constant, lors de sa rétrospective en 2008 à l’Institut Lumière.

 

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