[Ciné] Festival Lumière 2016 Jour 8 ça bande pour « La Momie » !

La Momie, The Mummy, Karl Freund, 1932, 1h13, noir et blanc, 1:37, numérique, Pathé Bellecour, salle 6.

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Universal monsters

Le roboratif Aurélien Ferenczi, ex Le Monde et actuellement Télérama, présente. En 1928, lorsque Carl Laemmle Jr., alors âgé de vingt ans, succède à son père, fondateur d’Universal Pictures, il manifeste une prédilection assumée pour les films de genre produits de façon industrielle mais confectionnés avec une qualité artisanale, une inventivité plastique qui confine au label esthétique sans omettre un côté mercantile avoué. La concurrence faisait rage : la Paramount proposait Docteur Jekyll et Mr. Hyde (Dr. Jekyll and Mr. Hyde , Robert Mamoulian , 1931) et L’île du docteur Moreau (Island of Lost Souls, Erle C. Kenton, 1932) ; la MGM employait le terrible personnage du professeur Fu Manchu avec Le masque d’or (The Mask of Fu Manchu, Charles Brabin, celui du Ben-Hur de 1925 et dont plusieurs films, projetés lors du Festival Lumière 2012 et présentés par Phil Garnier, auteur, entre autres, de Passera pas Ben-Hur, vie et oeuvre de Charles Brabin, et Charles Vidor, non crédité, 1932 avec Karloff en rôle titre) ; la RKO produisait Les chasses du comte Zaroff (The most dangerous game, Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, 1932).

Ferenczi insiste sur la 3e série d’Universal monsters : après Dracula, Frankenstein, les studios Universal se lancent dans la série de La Momie (La Main de la momie, The Mummy’s Hand, Christy Cabanne, 1940 ; La Tombe de la Momie, The Mummy’s Tomb, Harold Young, 1942 ; Le Fantôme de la Momie, The Mummy’s Ghost, Reginald LeBorg, 1942 avec J. Carradine ; La Malédiction de la Momie, The Mummy’s Curse, Leslie Goodwins, 1944 avec Lon Chaney Jr), reprise ensuite par le studio anglais Hammer. Si les autres aventures de La Momie, sorties entre 1940 et 1955, ne sont pas du même calibre, elles conservent le charme des serials d’antan. Le film sera tout de même interdit au moins de 16 ans à sa sortie !

Pierce du monstre

Le point commun entre Frankenstein (James Whale, 1931) et La Momie est, entre autres, le chef du département maquillage (1936-1946), Jack Pierce (1889-1968), ancien acteur et cascadeur. C’est l’un des plus grands maquilleurs du cinéma américain des années 30 et 40 : L’Homme invisible (The invisible man, James Whale, 1933), Le Corbeau (The raven, Louis Friedlander aka Lew Landers avec Boris Karloff et Bela Lugosi, 1935), Le Fantôme de l’Opéra (Phantom of the Opera, Arthur Lubin, 1943 avec encore Claude Rains), Le Fils de Dracula (Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943 avec Lon Chaney Jr). Il se fait virer car les techniques de maquillage ont évolué, Jack Pierce n’a pas suivi. Selon l’égyptologue Liliane Aït-Kaci, Pierce a réussi dans la composition du masque de Karloff à « sentir l’épaisseur derrière la surface, à restituer parfaitement un aspect parcheminé [à propos de parchemin, le film, du moins dans sa traduction, fait la confusion entre rouleau de papyrus et parchemin] où transparaît néanmoins l’être ». Il existe deux visages de la momie : avec et sans bandelettes. Les préparations demandent ici encore plus de temps que pour Frankestein, soit huit heures, pour un masque basé sur l’apparence de Ramsès III. Outre les morceaux de boue, de multiples tranches de viande en tous genres, des matériaux nocifs étaient utilisés comme le collodion avec de l’éther qui embrumait un peu Boris Karloff. Il avait tant de couches de coton pour obtenir l’effet ridé qu’il était incapable de bouger ses muscles faciaux, même pour parler. Il se nomme Ardath Bey car c’est l’anagramme de Death by Ra (Ra apporte la mort ; Ra est le dieu Egyptien du soleil).

Contexte

Après la crise de 1929, les Etats-Unis plongent dans la Dépression. Les gens aiment se faire peur pour exorciser leurs angoisses d’où la vague de films d’horreur en adéquation avec la demande. Le cinéma d’épouvante dans les années 30 était un genre aussi populaire, a fortiori avec une pointe d’exotisme en pleine égyptomania et égyptophilie déjà ancienne (Cléopâtre, Georges Méliès, 1899 ; The Mummy, William Garwood, 1911), que le sera le film noir dans les années 40. L’égyptologue adhère au « complexe de la momie » d’André Bazin, qui assigne au cinéma le même le rôle que celui des embaumeurs : éterniser la beauté et l’individu.

Le début d’une série originale

La première idée se fonde sur Cagliostro ou Balsamo, un alchimiste immortel et menteur du XVIIIe siècle présent chez Dumas ainsi que chez le romantique Gérard de Nerval et ses illuminés. Le journaliste anglais John L. Balderston, créateur de la pièce de théâtre contant les aventures du célèbre comte Dracula dont Browning s’est inspiré pour son film, se dirige vers une autre idée : en 1922, lord Carnarvon et Howard Carter découvraient le tombeau de Toutânkhamon, onzième pharaon de la XVIIIe dynastie, avec la « malédiction du Pharaon » (une vingtaine de morts liés à l’expédition peut-être due, selon l’hypothèse du docteur Iskander, à des bactéries et des virus ayant survécu aux siècles avec une virulence inconnue ; Lord Carnarvon, pris de fièvres dues à une infection consécutive à une piqure d’insecte, meurt le 5 avril 1923 ; le canari d’Howard Carter est avalé par un cobra) qui s’ensuivit. John L. Balderston était présent en tant que journaliste pour le New York Times lors de la découverte. Agatha Christie, mariée à un archéologue, s’en est inspirée dès 1923 pour son roman L’aventure du tombeau égyptien (The adventure of the Egyptian tomb). Balderston s’inspire d’une histoire retravaillée par Nina Wilcox Putnam et Richard Schayer.

Cagliostro, un égyptien âgé de 3 500 ans, se maintient en vie grâce à des injections de nitrate. Il tue toute femme à l’image de celle qui l’avait trahi. Plusieurs titres sont envisagés : The King of the Dead (Le roi des morts) et Imhotep, du nom du personnage principal d’après l’architecte qui a conçu les pyramides. Dans les crédits du générique de fin, on peut voir le nom de l’acteur Henry Victor dans le rôle du « guerrier saxon », bien qu’aucun personnage de ce genre n’apparaisse dans La Momie. En effet, le guerrier saxon était un personnage inclus dans une longue séquence montrant toutes les vies passées de l’héroïne, de l’Egypte ancienne au monde moderne. Cette séquence n’a pas été gardée lors du montage final.

Le scénario remémore Dracula car Balderston transforme l’histoire initiale en creusant le scénario de Dracula : la puissance hypnotique (gros plan effrayant, le regard de Karloff, l’effet de suggestion), la momie se lève ; l’histoire d’amour entre les deux jeunes suit son cours ; le triangle amoureux avec la momie qui possède une emprise totale sur la jeune femme qu’il tente d’attirer dans ses rets, au détriment de son fiancé actuel ; il veut retrouver celle qui ravit à l’époque son cœur, quitte à braver les interdits des dieux. Les grandes séquences du film sont parallèles scène par scène au Dracula : le symbole ankh d’Isis, l’ancien hiéroglyphe égyptien pour la « vie », correspond au crucifix ou à l’ail anti vampires; le personnage d’Edward Van Sloan, le Dr Muller, est tout à fait analogue au Dr Van Helsing du film de vampire. John P. Fulton, responsables des effets spéciaux sur tous les films du cycle, ainsi que dans Sueurs froides, (Alfred Hitchcock, Vertigo, 1958), gratifie notamment le spectateur de sublimes volutes de fumées, s’évaporant en d’innombrables arabesques, au début du long flash-back au milieu du film. Les critiques à l’époque de la sortie du film de Karl Freund dénonçaient La Momie comme un remake déguisé de Dracula. Balderston puise aussi dans diverses sources : les manuels d’histoire, des nouvelles de Conan Doyle dont L’anneau de Toth (1890), des œuvres cinématographiques de son temps. La vision audacieuse du monstre, dénué de toute substance métaphysique, mène sa vie propre, ne devient monstrueux qu’en regard de la réalité sociale. Nous retrouverons trois acteurs de ce film dans des rôles proches, Edward Van Sloan, Van Helsing ainsi que David Manners, canadien mort en 1999 à l’âge de 98 ans, dans le rôle du jeune homme transi, rival du monstre dans les deux films. Il s’agit d’une histoire originale à partir de faits divers et non une adaptation, ce qui est rare. Le film se déroule lors d’une époque contemporaine au tournage : l’art Déco à la Belle époque est présent lors de la scène de la réception à laquelle participe Helen Grovesnor, en tunique légère et échancrée, sans soutien-gorge et, d’après les témoignages, sans culotte.

L’ami Karl Freund

Il était d’abord question de confier la réalisation à Tod Browning mais celui-ci refusa en craignant d’être accusé de tourner un « Dracula-bis ». Karl Freund, célèbre chef opérateur allemand (Le dernier des hommes, Der letzte mann, F.W. Murnau, 1924; Metropolis, Fritz Lang, 1927 ; Berlin, symphonie d’une grande ville, Berlin: Die Sinfonie der Grosstadt, Walter Ruttman, 1927 projeté au Festival Lumière 2014; Dracula, Tod Browning, 1931 ; Double assassinat dans la rue morgue, Murders in the Rue Morgue, Robert Florey, 1932 ou encore Le Golem, Der Golem, wie er in die Welt kam, Paul Wegener et Carl Boese, 1920 ; Les mains d’Orlac, Mad Love, Karl Freund, 1935, etc.), réalise sept films de 1932 à 1935. La Momie est son premier film en tant que réalisateur, deux ans après son arrivée aux États-Unis. L’expressionnisme est patent dans l’utilisation d’éclairages avec les nombreux clair-obscurs, et ombres savantes, les contre-plongées enténébrées, les suggestions (le réveil d’Imhotep ; un gros plan sur son visage, puis un panoramique vertical nous montre ses yeux s’ouvrir, puis ses bras se libérer lentement de ses bandelettes. Puis une main poussiéreuse s’abat sur le parchemin qui l’a réveillé), le hors-champ (une main émaciée qui apparaît dans un coin de l’image, des bandelettes qui traînent sur le sol, le rire de Norton devenu fou ; le meurtre d’un garde du musée n’est signifié que par sa disparition du cadre puis son cri cinglant), accentuant l’horreur, la scène en flashback où Imhotep fait découvrir sa vie antérieure à travers un bassin d’eau (le réalisateur utilisa pour ce film dans le film de 6mn, où se succèdent des vignette sans paroles, des caméras utilisées à l’époque du muet, avec ce que cela implique d’accélération de l’image, de 24 à 18 images par seconde, et utilisa même des acteurs de cette période, comme James Crane, qui joue ici le pharaon. Le maquillage, l’éclairage, le jeu théâtral, la composition des plans, avec peu de gros plans, beaucoup de plans d’ensemble, des images volontairement coupées pour que le raccord dans le mouvement soit saccadé, rappellent le muet également), les thèmes musicaux.

Qui est Karloff ?

A noter le soin apporté dans la direction d’acteurs. Karloff a été choisi car il est plus malléable, plus modeste que Bela Lugosi qui refusa. Ici, il développe un jeu sobre : peu de paroles ; une stature figée avec un corps et une tête fixes, droits et les bras le long du corps. Il évolue et se spécialise dans le film d’horreur avec force retenue, immobilité, puissance du regard et intensité dramatique. S’il est symbolisé par un point d’interrogation au début, il est crédité au générique de fin, l’effet de surprise passé.

De famille aisée, William Henry Pratt (1887, Camberwell-1969, Midhurst) aka Karloff the Uncanny ou Karloff, étudie à l’université de Londres. Destiné à une carrière dans la diplomatie, il émigre contre toute attente au Canada à l’âge de 22 ans pour devenir fermier. Suivant des cours de comédie, il devient figurant et apparaît à l’écran en 1916 dans The dumb girl of Portici (Lois Weber, Phillips Smalley). Homme de scène, Boris monte régulièrement sur les planches, notamment dans Arsenic et vieilles dentelles (Arsenic and Old Lace), une pièce de théâtre américaine de Joseph Kesselring, créée à Broadway (New York) en 1941 et adaptée évidemment par Capra (1944 avec Carry Grant et Peter Lorre).

Zita & Manners

Zita Johann, épouse de John Houseman et amie de Welles puisque actrice au Mercury Theater, accentue la dramaturgie. Elle se prend au jeu d’autant qu’elle croit dans l’occultisme et la métempsychose. Cette actrice, née à Temesvar en Autriche-Hongrie (aujourd’hui Timisoara, en Roumanie), fille d’un officier hussard émigré aux Etats-Unis en 1911, monta sur les planches de Broadway pour la première fois en 1924 et fit ses débuts au cinéma en 1931 sous la direction de D.W. Griffith dans L’Assomoir (The struggle). Le problème est qu’elle ne s’entendait pas du tout avec le petit et gros Freund. Parmi les humiliations, Karl Freund a laissé Zita Johann dans une arène avec des lions alors que lui et l’équipage étaient protégés à l’intérieur des cages – la scène a finalement été coupée. Lors d’une intense journée de tournage, Zita Johann s’est évanouie sur le plateau. Dans une interview à Fantastyka, elle a déclaré qu’elle avait fait deux arrêts cardiaques pendant le tournage parce que Freund l’avait forcé à rester debout pendant 48h car il ne voulait pas que sa robe soit froissée. Elle était liée contractuellement puisqu’elle avait signé avec Universal pour participer à Laughing Boy (1934) à partir d’un scénario de John Huston qu’elle admirait. Comme elle avait déjà été payée, elle a accepté de remplir son obligation en tournant dans La Momie. Elle reviendra au théâtre en 1934 après seulement 7 films, scène vue comme moins superficielle.

Poster-ité

La Momie reçut lors de sa sortie un accueil timide, tant de la part du public que de celle de la critique.

Terence Fisher revisitait en couleurs rouges et bleues, sur un scénario de Jimmy Sangster, le mythe original avec La Malédiction des pharaons (The mummy, Terence Fisher, 1959) où jouent les acteurs maisons de la Hammer, compagnie créée en 1934 par William Hinds, un bijoutier qui faisait du théâtre amateur sous le nom de Will Hammer et Enrique Carreras, Peter Cushing, Christopher Lee et en plus Yvonne Furneaux.

Dans les griffes de la momie (The Mummy’s Shroud, 1967), Gilling met en scène une métaphore de la dégénérescence de l’Empire britannique sous la forme de fables fantastiques décrivant l’érosion de la bourgeoisie coloniale par une irrépressible malédiction venue de loin.

Il y eut enfin le blockbuster La Momie (The Mummy, 1999) de Stephen Sommers, également au scénario pour une production Universal Pictures et avec Brendan Fraser.

« John Sayles avait écrit pour moi un remake de La Momie, de Karl Freund. Le patron d’Universal nous a dit : mais pourquoi ne pas en faire un film en costumes, comme l’original ? On lui a répondu que l’original n’était un film en costumes de 1932 que parce qu’il avait été tourné en 1932. Ça n’a pas marché… » déclare, dépité, Joe Dante.

2017 verra le reboot de la franchise La Momie (The Mummy) par Alex Kurtzman avec Tom Cruise.

A part la série des Indiana Jones, les inspirations dépassent le cinéma avec les nombreuses scènes de la bande-dessinée Blake et Mortimer : Le mystère de la Grande Pyramide (1954-1955), les jeux de rôles l’Appel de Cthulhu et Chill et des jeux virtuels.

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