Wall of sound vers les étoiles

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Ambiance

Je me vêtis d’une chemise, de beau style pas le truc beauf à la Magnum, à fleurs offerte par une amie allée à Hawaï. Pas de première partie. Juste une musique symphonique des tubes des Beach Boys en easy listening diffusée dans les baffles, limite mauvais goût. Une ambiance bon enfant où les générations se mêlent sans problème. Arrivé en avance, pas la queue des grands jours comme Radiohead, Björk, PJ Harvey ou d’autres. Echapper à la nana qui garde constamment ses lunettes de soleil et qui tente de resquiller en bout de rangée à l’aide d’un vieux à bouc qui passe son temps en selfies, tout comme un célibattant dans la queue d’entrée. Une beauté au teint laiteux et tâches de rousseurs qui contrastent avec les yeux verts sous cheveux noirs ébènes, genre échangiste, me mate alors que son mec, qui enverra de nombreux messages pendant le concert sur son téléphone, se force en bisous. La chieuse, probablement manipulatrice, lui semble attachée en apparence; grand bien lui fasse, chacun sa merde. Le côté femme fatale de toc nous plonge dans l’Hollywood classique.

21h tapante, le concert commence : la tournée Pet sounds, initiée en mars 2016, atterrit aux Nuits de Fourvière, au théâtre antique. C’est le seul concert que je verrai en 2017, contrairement à la richesse de la programmation l’année dernière (Radiohead, la déroutante PJ Harvey, Polni, Thindersticks … dans le petit théâtre, l’odéon, tout comme Bertrand Belin, etc.). 11 musiciens + le cabotin Chaplin, habillé en chemise verte et t-shirt rose pour que nous le remarquions bien, venu des Rolling stones, qui avait rejoint jadis les Beach Boys. Pendant ce temps-là, le cousin Mike Love, chemise bariolée à manches courtes, continue, en tant que co-créateur de chansons, sa tournée avec Bruce Johnston (Belgique avec inauguration récente d’une plage à Knokke suite à un concert mémorable il y a 30 ans ; l’Olympia, Picardie, etc.) sous le nom Beach Boys, suite à un long procès.

Alentours

Deux homos de grande taille vapotent et n’arrêtent pas de parler en commentant comme les vieux du Muppet show; devant, le gars s’affaire à filmer sur sa tablette plutôt qu’à regarder et écouter pendant qu’à côté les voisins usent du velcro pendant les chansons et chaussent leurs jumelles alors qu’ils sont au 6e rang.  Derrière des asiatiques s’excitent en français en inaugurant une chorale de cacophonies pendant que la musique, qui semble les gêner, est exécutée. Le théâtre se remplit pour finir lentement par être complet, ce qui n’était pas gagné. 50 € la place.

L’équipe de choc

      Un type joue de la guitare, du theremin, usité par Add N to (X) et Bashung (Madame rêve, La laiterie, Strasbourg pour la tournée des grands espaces), ou ondes Martenot, impossible de voir, et de la trompette. Un gars en gilet noir et chemise rose, portant à bout de bras le morse à baskets blanches Wilson, le seul qui reste puisque les 2 frères sont morts au grand dam d’une superbe basse disparue (Kokomo, chanson du retour des années 80, dont on oubliera l’inexpressif Tom Cruise dans le film dispensable Cocktail, Roger Donaldson, 1988, passera à la trappe), s’époumone en présentations façon show Las Vegas, limite ridicule et éculée, et en instruments à vent (saxos, clarinette, flûte, flûte traversière, harmonica) ; un petit jeune, le seul black, arrive à placer sa sauce grâce à son charisme avec son clavier et son omniprésent xylophone ; un autre gars se concentre sur ses deux claviers ; un batteur exceptionnel aux pompes bleues doublé d’un percussionniste qui délire parfois à la Sheila E. sur le rythme cubain joue également de la sonnette à vélo, Tour de France oblige; un grand musicien joue une grande basse blanche qui semble d’origine (celle de Brian ?), un peu trop forte au début. Al Jardin, cool bien qu’un peu scolaire en s’aidant de ses mains comme en répétitions, vieux beau avec sa trogne ravagée de Kennedy, chemise rose et pantalon bleu, joue de la guitare et arrive à pousser sa voix de belle manière en tirant sur le ratelier; son fils Matt, décontracté en noir, attaque avec maestria les aigus (le concert n’aurait pu avoir lieu sans lui) dans une tessiture incroyablement proche de Brian jeune; Wilson, à cause de l’obésité, se déplace difficilement mais arrive à se hisser à son piano blanc, tel Penguin contre Batman ou Beth Dito de feu Gossip, où il reste constamment assis, égaré parfois. Malgré ses 75 ans, Brian accuse l’âge, écarte parfois les bras au-dessus du piano tel un gourou égaré, et n’arrive pas à pousser la chansonnette, sauf à la fin puisque le ton est enfin juste, à part un étrange slam californien peu gangsta en repons ou curieux talk-over initié par Gainsbourg, mais désaccordé ici, tout le long du concert où il arrive tout de même à malheureusement gâcher la plus jolie chanson du monde, la sienne, God only knows. Les cordonniers sont décidément les plus mal chaussés. Il semble en effet parfois absent mais heureux d’être là, sentiment d’étrangeté de la part du spectateur.

Les jeux de lumières sont sobres avec 6 rideaux derrière, parfois un ton psyché avec cercles virant au rotorelief duchampien. Une gironde s’exhibe et se laisse éclairer par les portables qui ont remplacé les briquets.

Opéra

      Les instrumentaux Let’s go away for awhile et Pet sounds, concept que le regretté Pierre Henry n’aurait pas renié, car il s’agit de fêter tout de même les 50 ans de l’album mythique, permettent de saisir la dimension opératique de la musique de celui qui est sourd d’une oreille, le Mozart du XXe siècle, Brian Wilson. La sophistication est telle que le spectateur doit se concentrer un maximum et mesurer le génie de Wilson. Nous avons l’impression de rentrer dans le cerveau compositionnel de Brian, cette conception simultanée et symphonique avec effets de reliefs, auxquels seuls les sillons d’un disque vinyl savent rendre hommage, dus également au positionnement des instrumentistes et à l’enchevêtrement millimétré des phrases musicales. Cependant les morceaux, bien que dans l’exact enchaînement de Pet sounds, ne sont pas placés au bon endroit lors du concert. Plus de trompettes et surtout plus de cordes (dont violons, harpes) n’auraient pas nui, sans céder à l’inévitable orchestre symphonique quand un artiste ou un groupe est un peu essoufflé, mais le prix, abordable, n’aurait sans doute pas été le même. Aboiements de chien, Amtrack en doppler, les musiciens sortent pour un entracte forcé de 15 mn à 22h. L’âge se fait sentir.

Si Romero vient de mourir, Chaplin, le « mort vivant » (sic), qui n’a pas sucé que des glaçons tant il est ruiné par l’héro et ressemble à Keith Richards sans arriver à son niveau, affaiblit le concert pendant un tunnel de 3 chansons dans un cabotinage à coups de pelvis et de soli agaçants de guitare sur un emportement rock’n roll assez vain. Un cheveu sur la soupe. Un morceau émerge toutefois avec l’usage du theremin et crescendo musical. Tel Timothy Carey, même mort, il semble encore bouger pour se faire remarquer, à l’occasion des saluts également. Un singulier contraste avec Brian Wilson qui semble adopter la scène et en prendre son parti.

Surf

      Enfin, alors que le concert aurait pu se terminer sur le génial Good vibrations, les tubes, surf d’abord (Barbara Ann, Surfin’ USA, Fun, Fun, Fun), s’enchaînent à la vitesse de pointe d’un Amtrack, pour terminer sur un slow déchirant, mélancolie oblige, que Wilson entonne de bouche en biais comme pour s’excuser d’exister. Le public, assis, s’est précipité dans la fosse. Les ponts entre phrases musicales, le travail des transitions, sidèrent par leur inventivité et leur modernité. Seul un David Bowie, Queen dans la foulée, ou encore un Vannier ou Goraguer y arriveront.

Le wall of sound aura décidément été fatal entre la taule pour Phil suite à l’assassinat d’une femme et Brian qui, sous l’influence du psy-gourou Landy et quelques drogues agrémentées d’alcools (voir le biopic Love and mercy, Bill Pohlad, 2014), joua du piano à queue dans sa chambre, entouré d’un bac à sable couvert des crottes de son chien, Satie n’y voyant pas à redire de sa tombe. Voilà qui comble les 50 ans du summer of love où la canicule bat son plein, la pierre chaude du théâtre antique en est témoin, en espérant que, comme le regretté Bashung à la fin de sa vie, Wilson puisse accepter derrière son piano, comme un paravent pour le timide, et recevoir les vagues d’amours et de sympathie voire d’empathie du public généreux chauffé à blanc. Drôle d’attitude pour celui qui a dépassé le mur du son, traversé le miroir d’Alice. Un concert mémorable pour celui que nous sommes certains de saluer pour la dernière fois. 23h30, fin du concert ; un peu plus de 2h15 de pur bonheur stéréo en direct. Aux produits dérivés, un anglo-saxon peste contre la chaleur en enchaînant plus de « fuck » que chez Tarantino ou Scorsese.